La famine en Ukraine dans les livres d'Histoire

Quel regard sur l'URSS dans les années 1945-70 ?

 

    On comprend bien que la famine de 1933 qui est déjà un sujet enterré à la veille de la guerre ne ressurgit pas au lendemain de celle-ci. L'URSS a résisté victorieusement à l'Allemagne nazie, au prix de quelque 7.5 millions de victimes militaires et 10 millions de victimes militaires, s'attirant, en France, des sympathies  bien au-delà du cercle d'influence d'un PCF à son apogée. Dans les milieux proches du Parti Communiste, Staline fait figure, de dieu, de héros ou tout simplement d'homme de bien. Mais en-dehors de ces cercles, l'opinion n'est pas encore répandue qu'il s'agit d'un abominable tyran. A la mort de Staline, le 5 mars 1953, le président Herriot propose à l'Assemblée nationale d'observer une minute de silence. Seuls deux députés refusent de se lever.

    Pourtant, le débat sur les camps soviétiques est récurrent, surtout dans les milieux intellectuels de gauche. Dans Les Mandarins, roman de Simone de Beauvoir qui obtient le prix Goncourt en 1954, des débats passionnés opposent des intellectuels de gauche français à propos de camps de travail soviétiques. Le roman est censé se dérouler dans les années 1945-46, mais en réalité, il s'agit des débats des années 1949-52, provoqués par les procés Kravchenko et Rousset. Le héros Debreuilh ne se pose pas la question de savoir si les camps existent ou pas , mais si dénoncer les camps, c'est travailler pour ou contre l'humanité. Publier des chiffres pourrait porter préjudice à l'Union Soviétique et aiderait la droite lors du prochain referendum.

    En 1950, Merleau-ponty convainc Sartre de rompre le silence sur les camps de travail soviétiques. Dans un article commun, les deux directeurs des Temps Modernes reconnaissent qu'il est possible pour des citoyens soviétiques d'être déporté sans jugement et que le nombre de détenus est sans doute compris entre dix et quinze millions. A coté de la politique de terreur, ils condamnent également la disparité de salaires pratiquées en URSS.

    En 1952, à la suite de l'arrestion de Duclos, consécutive à la manifestation contre Ridgway-la-peste, Sartre décide de se rapprocher franchement le parti des communistes. Il ne rompra qu'en 1956. Plus tard, il s'expliquera de ce tournant de 1952: "Les derniers liens furent brisés, ma vision fut transformée: un anticommuniste est un chien, je ne sors pas de là, je n'en sortirais plus jamais…", expliquera-t-il plus tard. C'est en 1952, également qu'éclate la controverse avec Camus considéré depuis longtemps comme franchement anti-soviétique: "Oui, Camus, je trouve comme vous ces camps inadmissibles, mais inadmissible, tout autant l'usage que la presse dite bourgeoise  en fait chaque jour. Je ne dis pas: Le Malgache avant le Turkmène;je dis qu'il ne faut pas utiliser les souffrances que l'on inflige au Turkmène pour justifier celles que nous faisons subir au Malgache. Je les ai vus se réjouir, les anticommunistes, de l'existence de ces bagnes…"

    Il ne s'agit pas de réduire le paysage intellectuel français à l'équipe des Temps Modernes, mais ce sont des gens qui ont une influence énorme et qui sont complètement indépendants du PCF auquel ils ne doivent rien et avec lequel ils n'hésitent pas à prendre des distances en 1948 ou 1956.

 

    Une des raisons qui expliquent le capital de sympathie dont dispose l'URSS de Staline est l'attachement des français à la Paix. Cela peut paraître surprenant en 2007, mais il faut bien admettre que dans les années cinquante, il n'est pas incongru de prendre parti pour l'URSS au nom de la paix. Il est vrai que Staline respecte, en gros, les accords de Yalta, en les interprétant dans le sens qu'il lui convient pour contrôler complètement les pays d'Europe de l'Est.

    La guerre froide a confirmé Yalta en plaçant clairement la France du côté des Etats-Unis, ce contre quoi se révolte une partie de l'opinion. Après le coup de force communiste à Prague dans la semaine du 20 février 1948 et le blocus de Berlin de juin 48 à mai 49, la SFIO bascule du côté de l'atlantisme, c'est-à-dire dire de l'alliance militaire avec les Etats-Unis et de l'intégration dans l'Europe auxquelles sont déjà préparés Jean Monnet et le MRP. Le 4 avril 1949, la France, en compagnie de la Grande-Bretagne et du Benelux, signe le traité de l'Atlantique Nord et devient ainsi alliée des Etats-Unis contre l'URSS. En septembre 1952, un sondage questionne les Français sur un éventuel conflit entre les États-Unis et l'URSS: Pour 45% des sondés, la France ne doit pas prendre parti, 36% sont partisans d'un engagement du côté américain et 4% du coté soviétique. Ainsi, si les Français sont dans leur immense majorité peu désireux de se retrouver dans le camp soviétique, ils ne sont pas enthousiastes non plus à se retrouver dans le camp américain.

    Les Etats-Unis, qui se lancent à partir de 1950, dans la chasse aux sorcières font figure de repoussoir. Peu importe que cette chasse aux sorcières ne conduise à la chaise électrique que deux victimes, les Rosenberg, ce qui pourrait paraître négligeable par rapport aux victimes des camps soviétiques, mais la lutte politique nationale prime: Nombre d'intellectuels français s'en prennent aux puissants de leur propre camp, ceux qui détiennent l'arme atomique et le capital.

    En France, tout le monde est plus ou moins anticapitaliste: Pétain n'était-il pas anticapitaliste lorsque dans son grand discours social du octobre 1940, il dénonçait le "capitalisme importé de l'étranger qui s'est dégradé pour devenir un asservissement ausx puissances d'argent". Et les prélats de l'Église les plus honorables ne le sont pas moins, tel Mgr Saliège le célèbre évêque de Toulouse qui déclarait "La plaie du prolétariat doit disparaître. Il faut qu'elle disparaisse. Cette plaie est due au régime capitaliste libéral" Anticapitaliste, la majorité du Conseil National de la Résistance (CNR), et anticapitaliste, cela va de soi les communistes. Anticapitalistes, les intellectuels le sont également, par tendance naturelle. En 1948, retenue une nuit par les services de l'immigration américaine, Irène Joliot-Curie, prix Nobel de chimie, avait déclaré à des journalistes que l'Amérique préférait le fascisme au communisme parce que le fascisme respectait le caractère sacré de l'argent.

 

A suivre… (Faut pas se faire d'illusions, j'écrit "à suivre" parce que le sujet n'est pas épuisé, mais très peu de chances pour que j'y revienne)

 

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