HISTOIRE DE LA CSF SOUS L'OCCUPATION, « l'enfance de Thales » Annexe 10: Extraits des procès-verbaux du comité de sécurité de la SFR Cholet (1942-1944) (Création 11 novembre 2012) |
Bien que la loi ne prescrive qu'une réunion trimestrielle, les réunions du Comité se tiennent chaque fois qu'un accident majeur est signalé. L'ingénieur de sécurité Bonnot remet un rapport sur l'accident et le comité statue sur les suites à donner, c'est-à-dire qu'il édicte de nouvelles règles de sécurité qui consistent à suivre les recommandation de l'ingénieur sécurité1.
Ci dessous, sont résumés tous les accidents figurant sur le registre du comité. Un rapport de chaque accident est envoyé à l'inspecteur du travail.
6 janvier 1942, 17h45: A l'heure de sortie, un camion Berliet de deux tonnes chargé de caisses de duralumin de 2 m2 revient de la gare et au moment où il pénètre dans l'usine, une secousse fait basculer des caisses et Boudaud, un ajusteur qui avait aidé au chargement des caisses est projeté sous les caisses. Heureusement pour la victime, un diable, heureusement chargé dans la benne du camion a fait office de protection, et les blessures n'ont été que légères. Le chauffeur et le chef du service « expéditions » sont déclarés responsables de l'accident, le chauffeur étant mis à pied pour une semaine.
27 février 1942: deux accidents ont lieu au magasin, consécutifs à des chutes ou glissement de tôles d'acier. A neuf heures du matin Rossignon, magasinier et Charrier, manœuvre, essayent de redresser des tôles qui semblent trop proches de la verticale et risquent donc de tomber. L'intervention fait effectivement basculer les tôles. Les deux hommes sont légèrement blessés. L'assistante sociale Castel, mise au courant, accourt sur les lieux et elle est à son tour victime de chutes de tôles, mais l'accident est cette fois-ci plus grave, elle s'en sort avec une jambe cassée. A qui la faute ? « Melle Castel, n'écoutant qu'un louable souci de sa conscience professionnelle, négligea de se faire accompagner par une personne avertie. » écrit l'ingénieur de sécurité qui préconise de ne plus entreposer de tôles dans le couloir trop étroit et de ne ranger ensemble que des tôles d'un même modèle de façon à ne pas devoir écarter celles du dessus pour chercher celles du dessous.
8 juin 1942 vers 20 heures, un incendie s'est déclaré dans l'annexe de la rue Marie Baudry où se trouvaient l'atelier de peinture ainsi que des entrepôts. Bonnot interprète cet incendie comme l'inflammation spontanée de vapeurs de solvants au terme d'une journée particulièrement chaude. Le fait que la première action corrective proposée soit l'interdiction absolue de fumer dans les locaux de la finition suggère que Bonnot ne croyait peut-être pas vraiment à l'inflammation spontanée. « Le feu s'est immédiatement communiqué aux bidons qui se trouvaient en attente d'emploi devant les hottes. Avant l'arrivée des pompiers, le sinistre a été maitrisé par le personnel présent, qui, ne perdant pas son sang-froid a utilisé les extincteurs et les caisses à sable. L'action de l'appareil "Knock-out " de 100 litres a été particulièrement efficace. Si les dégâts matériels sont insignifiants, nous avons à déplorer malheureusement un accident. Monsieur Paquereau a été brûlé assez grièvement en participant avec ses camarades à l'enlèvement des produits enflammés. Son état a nécessité une admission à l'hôpital ». En plus de l'interdiction de fumer, une série de consignes de sécurité sont adoptées, concernant aussi bien la fermeture des bidons contenant des produits inflammables et la ventilation que le remplacement de pièces en bois par des pièces en tôle et des procédures très strictes sur l'organisation du travail.
Lundi 13 juillet 1942 vers 13h15, alors qu'il était occupé à un réglage d'outil sur la presse BLISS-21P, M.Wacquiez, régleur sur presse, se fait écraser partiellement les phalanges du médius et de l'annulaire de la main droite. Au cours de l'enquête, le chef de section, Godin, se montrera formel: un débrayage intempestif n'est pas possible, la presse est équipée d'un protecteur spécial, mais le bras de ce protecteur n'était pas en place. Wacquiez a-t-il négligé les consignes de sécurité ? Difficile de lui en vouloir, car on peut se rendre compte que le réglage est impossible lorsque le protecteur est en place. Il n'empêche que la recommandation est faite « qu'à tous les échelons, il soit fait le nécessaire pour que leur emploi soit rendu absolument obligatoire. »
Lundi 20 juillet 1942, un autre accident de presse se produit vers 14h30. Cette fois-ci, la victime est une ouvrière du département des Lampes dont la première phalange du médius de sa main droite a été écrasée par la presse BLISS-18A. Comme pour l'incident du régleur Wacquiez, aucun témoin n'assistait à la scène. L'accident s'est vraisemblablement produit au moment où Mme Dugas retirait du montage la pièce qui venait d'être emboutie. « Nous inclinons à penser que l'accident est la conséquence d'un geste malheureux de l'ouvrière. » La presse sur laquelle travaillait Mme Dugas n'était pas encore muni du système de protection "Vivex" qui était « sur le point d'être monté alors que cette presse neuve venait d'être mise en service »
A la suite de ces deux accidents similaires et si rapprochés, le comité prend des décisions, immédiatement applicables:
Le dispositif de sécurité est absolument exigé sur chaque presse, même s'il comporte une gêne dans le travail. L'ouvrier récalcitrant sera sanctionné et les chefs d'équipe sont eux aussi passibles de sanction.
Même s'il en résulte une augmentation du prix de revient, l'outil devra inclure une éjection automatique des pièces. Seule une autorisation expresse de la direction peut conduire à une dérogation.
Un système de portillon et de barrière est mis à l'étude pour supprimer le passage fréquent du personnel entre les presses.
Lundi 27 juillet 1942, vers 11h30, M.Barrot a les phalanges de l'index, du médius et de l'annulaire sectionnées alors qu'il utilisait un massicot pour couper une bande de nickel de 5/10 d'épaisseur. Bonnot remet son rapport où il propose diverses solutions possibles pour un système de protection. Le comité prend la décision de faire étudier un dispositif de sécurité par le service Méthodes et Études. Il donne des directives au service de fabrication.
C'est la deuxième et dernière décision prise par le comité. A partir de cette date, ne figurent plus sur le registre que les rapports de l'ingénieur de sécurité.
30 janvier 1943, une nouvelle assistante sociale Melle Baudry est présentée au comité, elle remplace Mlle Castel, accidentée et démissionnaire. De même M.Couëdel qui a également quitté l'usine est remplacé par M.Porcheron qui occupe les mêmes fonctions que lui. Le départ du secrétaire du comité Fruchaud est également signalé.
18 février 1943 à 8h15, M.Griffon a le médius fortement contusionné en découpant des lames de condensateurs avec la presse BLISS-21P. Griffon « a eu le tort de ne pas utiliser la règle spécialement prévue pour retirer les lames découpées. D'autre part, sans qu'il puisse se l'expliquer, il a dû appuyer par inadvertance sur la pédale d'embrayage de la presse ». La grille de la protection Vivex n'était pas en place. Elle aurait d'ailleurs rendu le travail impossible. Liné propose à Mme Dubois de visiter les diverses installations de l'usine en compagnie du représentant de l'assurance et de l'assistante sociale pour vérifier que toutes les installations sont conformes à la réglementation en vigueur.
Verdelet, délégué du personnel, est remplacé par Lauzanne. « sa mutation à une équipe de fabrication ne justifie plus sa présence au comité de sécurité » est-il écrit dans le compte-rendu.
8 juin 1943, une ouvrière de l'équipe des presses a la première phalange de son index gauche écrasée entre le poinçon et la matrice de la presse. Bonnot écrit en conclusion: « de toute évidence l'accident résulte d'une imprudence de l'ouvrière... D'autre part, pour aller plus vite, Mme Moquet, comme malheureusement beaucoup de ses collègues, avait gardé en permanence le pied sur la pédale de commande, ce qui a facilité la fausse manœuvre. »
25 août 1943, entre 19h30 et 20 heures, à l'atelier de tournage, une pièce s'échappe d'un tour, ricoche sur le carter de protection et vient percuter le cuir chevelu d'un ouvrier tourneur, M.Renaudin. La vitesse de rotation du tour, 1200 tours/mn explique la violence du choc. Conclusion de Bonnot: « Il s'agit d'un accident banal qui se produit dans tous les ateliers... par inattention ou plutôt, par accoutumance, l'ouvrier ne serre pas suffisamment la pièce entre pointes. »
24 septembre 1943, dans la soirée, le Berliet de 2T est utilisé pour transporter jusqu'à la gare 12 caisses de lampes. Le chauffeur, celui qui avait été mis en cause lors de l'accident de janvier 1942, gare son camion au plus près du wagon dans lequel il faut transférer les caisses. Un ouvrier qui aide au déchargement perd l'équilibre et son avant-bras se plante sur une pointe métallique de la clôture. On ne peut pas reprocher au chauffeur d'avoir garé son camion trop près de la grille. C'était la condition pour être au plus près du wagon.
Lundi 11 octobre 1943 vers 11h30, M.Starek, manutentionnaire au magasin de l'atelier d'outillage, se coince un doigt en manipulant des rondins d'acier. Conclusion de Bonnot: Starek n'aurait pas dû manipuler ce rondin tout seul.
11 janvier 1944, l'inspecteur du travail est sollicité pour officialiser le remplacement au comité, de M.Porcheron, muté hors du service des Lampes, par M.Baufreton nouveau contremaitre d'entretien au département des Lampes. Mme la doctoresse Dubois est remplacée par le docteur Pineau.
De ce fait, à la séance du 13 janvier, se présentent Liné, chef des services administratifs, Président, Bonnot, ingénieur de sécurité, le Dr Pineau, médecin de l'usine, Couchot des Forges, agent de la "Zürich", Chapon, contremaître d'outillage, Lauzanne, chef d'équipe outillage, Beaufreton, chef d'équipe, Lampes, Chevalier ouvrier d'entretien, Lampes et enfin Breuil, secrétaire du comité. Melle Baudry, assistante sociale est excusée. Depuis la séance constitutive de janvier 1942, il y a eu un roulement considérable parmi les membres du comité. Si on met à part la tête, c'est-à-dire, Liné et Bonnot, seuls le représentant de la compagnie d'assurances et le contremaitre Chapon sont restés fidèles au poste. Il n'est plus fait mention de la qualité de "délégué du personnel". Si les procés-verbaux couchés sur le registre ont permis de suivre le départ de l'un d'entre eux, Verdelet, par Lauzanne, on ne sait pas comment le deuxième, Morisset semble avoir été remplacé par Chevalier.
A cette séance du 13 janvier, Liné expose les nouvelles dispositions règlementaires, c'est-à-dire de la paperasserie qu'il faut faire remonter aux services de l'inspection du travail: fiches de renseignements pour tout accident grave, rapport annuel. Liné se félicite de la diminution des accidents du travail que l'on peut imputer à l'efficacité du comité. les visites à l'infirmerie pour accident du travail sans arrêt de travail se montent à une douzaine par mois, souvent pour « corps étrangers dans l'œil ». Le représentant de l'assurance croit opportun de préconiser le port de lunettes, mais on lui dit que ce n'est pas une bonne idée, l'ouvrier ne veut pas être gêné dans son travail. Des affiches ont été posées dans les ateliers pour mettre en garde contre l'accoutumance au danger.
Jeudi 20 janvier 1944, quelques instants après la sonnerie de midi, M.Puaud est allé chercher la gamelle qu'il avait déposé le matin, comme tous ses collègues sur des plateaux chauffants. Les mains encombrées par la gamelle, c'est avec le pied qu'il a voulu pousser un tabouret qui le gênait, perdant ainsi l'équilibre. il tombe sur le dos et se fracture l'omoplate. Bonnot conclut à l'incident mineur, non imputable à une quelconque bousculade, et qui ne donnera pas lieu à un compte-rendu à l'inspecteur du travail.
Mercredi 15 mars vers 9h30, Mme Fuzeau nettoyait le malaxeur utilisé pour la préparation de la pâte à culotter les lampes. Pour mieux gratter la pâte sèche adhérent aux parois de l'appareil avec une brosse métallique, elle a fait basculer la cuve tout en maintenant le moteur en fonctionnement. Par un geste irraisonné, elle a alors introduit sa main droite dans la cuve. Trois doigts furent happés par le mécanisme et avant que ses voisins ne puissent intervenir pour couper l'interrupteur, trois phalanges, du médius, de l'annulaire et de l'auriculaire furent sectionnés. Il y a donc eu une imprudence de Mme Fuzeau, pourtant ouvrière expérimentée qui exécutait la même opération plusieurs fois par jour depuis un an. Bonnot propose d'équiper la machine d'un contrepoids pour faciliter le basculement de la cuve lors du nettoyage, mais M.Popoff, chef du département des Lampes propose d'installer une seconde poignée. On installe finalement un système de protection et un contrepoids. La large publicité doit être donnée à l'accident pour prémunir le personnel contre l'accoutumance au danger.
A la séance du 17 mars où est évoqué l'accident, le Dr Pineau signale qu'il se dégage à l'atelier de bobinage une odeur de benzine consécutive à l'usage de Rexol.. Le docteur suggère l'organisation d'un travail par roulement, ce qui est difficilement réalisable, et l'installation d'une ventilation par le bas. Il revient à MM.Bonnot et Chapon de donner une suite à cette proposition. M.Chapon signale les risques d'intoxication émanant des bains de cyanure de potassium.
A la séance suivante, le 17 juin 1944, M. Liné informe du remplacement de l'assistante sociale Melle Baudry, mutée à Nantes par Melle Le Bihan. Aucun membre du comité ne signale d'incident, mais il est noté dans le compte-rendu que l'activité de l'usine est tout à fait réduite du fait des évènements de guerre. A la séance du 3 septembre 1944, le président Liné exprime sa joie causée par la libération de la région choletaise. Aucun accident n'est à signaler, aucune question n'est à l'ordre du jour, l'usine étant en chômage.
1 Registre du Comité de sécurité, (archives du CE du centre Thales de Cholet.)