Home Page site EdC          



Le SR de Rivet et le mystère de la source K
(texte de Michel Bergès)

octobre 2025

The author, contact

La « Source K » : L’interception des communications téléphoniques entre Paris et Berlin

     Installation et exploitation

     Le mystère autour de la découverte du dispositif d’écoute

               Au sujet des témoignages ?

                  sur le plan des faits

                 sur le plan des interprétations

Les enjeux de l’Affaire Keller dans le contexte politique de décembre 1942
         La conférence de Presse pro-hitlérienne de Laval le13 décembre 1942

         La rencontre Hitler-Laval du 19 décembre 1942

         Le rebondissement de « l’affaire Keller » dans la recherche des responsabilités

         Un « 21 décembre 1942 » contradictoriel

         Les réactions de Laval au problème des « fuites »




EdC 2019


Source K, french legend or British denial

Issues raised by Source K
Summary of Knowledge
Remarques en Français
Download Source K (pdf)


Avertissement EdC

J'avais créé cette page en 2019 sous le titre "Source K, french legend or British denial" dans le but d'avoir le point de vue d'historiens britanniques sur la Source K. La synthèse effectuée par Michel Bergès répond pratiquement à presque toutes les questions que je me posais Cette synthèse très copieuse fait partie d'un "rapport de recherches" intitulé "Le Général Louis Rivet, maitre du renseignement français de 1936 à 1944" daté d'avril 2025 et mis en ligne sur le site du Cf2R (Centre français de recherche sur le renseignement) dont l'accés est devenu problématique à la suite du décés d'Eric Denécé. Ce rapport qui devrait être mis en ligne sur le site de la bibliothèque numérique de Chicoutimir et sera accessible dans le courant de l'année 2026

Le Sr de Rivet et le mystère de « la source K »

(texte de Michel Bergès, avril 2025)


Pour en revenir au régime passereau dit « de Vichy » – en fait piloté depuis « Paris » par l’ambassade allemande –, où le combat fut plus difficile que depuis les restaurants et les salons de Londres malgré le Blitzkrieg, une réalité ressort : les efforts de suppression du service, en plus des conditions plus que jamais périlleuses de fonctionnement du SR clandestin de l’été 1940 à novembre 1942, ne purent effacer les performances à retenir : le combat contre un ennemi nazi
« gengiskhanien » déployé par un Hitler fort de ses multiples polices et SR, de son armée soumise et de ses SS fanatisés jusqu’au bout. En leurs brutalités inouïes, qui bafouèrent même le Droit de la Guerre, jusqu’à commettre des crimes contre l’Humanité, impensables jusque-là.
Insistons sur le fait que le SR français sut « enregistrer », à tous les sens du terme, la réalité intangible de ces crimes de guerre et de masse, à travers deux exploits qui réussirent à rapprocher de façon effective dans l’action, le renseignement par les techniques – la « guerre électronique » numérique avant la lettre – et le renseignement par les hommes, soudés indéfectiblement. Ce que montrent bien les deux actions les plus importantes dans l’histoire du renseignement français qu’indiquent le « craquage » franco-polonais de la machine Enigma et le système d’écoute sur les Lignes à Grande Distance (« LGD ») Paris-Metz-Berlin d’autre part : des apports bien connus, mais souvent négligés par l’historiographie générale ou spécialisée de la période concernant la lutte contre l’hitlérisme de 1933 à 1945.
Entrons donc en raccourci à nouveau au sein du SR : concernant d’abord « la source K ». Ensuite, en relevant un point controversé qui constitua pourtant une contribution du poste Cadix dans l’usage d’Enigma à travers un exemple significatif négligé par l’historiographie du sujet, mais important au regard de la longue durée : le Service de Rivet et son information éventuelle sur le processus de destruction des Juifs d’Europe.

  

«La Source K»: L'interception des communications téléphoniques entre Paris et Berlin

Installation et exploitation

Observons de façon détaillée ce que l’on a coutume d’appeler « la Source K ». Il faut comprendre par-là l’héroïque réussite d’un branchement secret, techniquement très difficile, aux enjeux considérables : celui, clandestin d’une « dérivation » sur les câbles stratégiques des lignes souterraines de communications téléphoniques entre Paris et Berlin, l’une via Metz, l’autre via Strasbourg. D’autant plus risqué et « infaisable », que le système se trouvait accaparé par les services allemands de Paris, mais aussi, tout le long desdites lignes, surveillé armes à la main par soldats et des techniciens allemands spécialisés dans les stations de répéteurs les alimentant en puissance de transmission vers la frontière.
En septembre 1941, un ex-capitaine du SR français démobilisé, Edmond Combaux, polytechnicien-supélec « recyclé » à Paris dans les services des PTT en ingénieur des transmissions de l’État, prit contact, pour rester utile au Service, avec le capitaine Léon Simoneau adjoint du commandant Crest de Villeneuve lui- même aux ordres de Rivet au Poste « P2 » camouflé. Simoneau avait ainsi envoyé les premiers agents de recherche en France occupée, renoué les fils des postes et organisé les liaisons avec les Alliés, plus ou moins acceptées par l’EMA.
Au cours d’une promenade au Parc des Sources à Vichy, Combaux et Simoneau envisagèrent en discutant, forts de leurs compétences propres, la possibilité de capter les communications ennemies. Rivet et de Villeneuve saisirent l’importance du projet et acceptèrent aussitôt de le financer. Cela devait permettre d’entretenir le personnel dédié, d’acheter et d’acheminer le matériel exigé – une tonne environ. Mais à condition de trouver à la fois discrètement les pièces pour construire « la machine d’écoute », ainsi que des hommes formés par des cours accélérés au centre clandestin d’instruction du SR pour assumer l’ensemble. De surcroît, l’opération imposait un secret hermétique, c’est-à-dire le respect d’une double contrainte : dissimuler à la fois l’origine de la source exploitée, et le processus de transmission, qui devait aboutir au poste Cadix de Gustave Bertrand camouflé dans le Gard, relié, lui, en permanence à la centrale de déchiffrement et de décryptage « Ultra » de Bletchley Park, dirigée par Winterbotham de l’IS à Londres.
De retour à Paris, Combaux se documenta pour déterminer les modalités d’emploi des câbles par le commandement allemand. Il en parla à un ami proche dans son service, l’ingénieur PTT René Sueur. À l’avis de celui-ci, une écoute était possible, mais très délicate à réaliser. Un seul homme pourrait le faire : Robert Keller. Le connaissant, Sueur le convoqua en présence d’un Combaux couvert par quelques supérieurs des PTT – Lange, Pinochet et Fougerat. Informé des risques, Keller les accepta. Engagé volontaire en 1917 dans la marine, recruté par concours comme agent mécanicien des PTT, affecté en 1928 aux lignes souterraines à grande distance, ayant suivi des cours du soir, il devint ingénieur de travaux en 1931. Bientôt, il dirigea à Paris le centre de dérangement dont il supervisa outillage et transports. Dès juin 40, il avait trafiqué quelques lignes avant l’arrivée de l’occupant. Depuis, responsable d’une station d’amplification sur le câble Paris-Strasbourg, c’était le technicien idoine qui, sous surveillance de l’armée allemande, certes, devait intervenir en cas de pannes.
Dès cet engagement acté par Combaux, informé derechef, Simoneau, recruta un premier opérateur. Il rencontra par hasard à Vichy un sergent-chef de 30 ans, Édouard Jung, libéré de son Stalag en tant que Lorrain, qui avait servi sous ses ordres avant 1940. Les « écouteurs » devaient être formés à la sténo, parler l’allemand couramment, connaître les organigrammes et les noms des officiers nazis, les détails des services et bureaux militaires, politiques et policiers correspondants. Il s’agissait d’écouter les lignes jour et nuit avec une grande attention. Cela exigea de recruter rapidement un second opérateur.
Routine du SR pour la transmission : les informations transcrites seraient camouflées à l’encre sympathique entre les lignes des pages de supports anodins : factures, lettres, contrats, rapports, écrits techniques …. Remises à des relais sûrs aux consignes précises, via une chaîne d’ambulants des voitures-lits ou restaurants, des PTT ou des cheminots. L’analyse serait amenée à Vichy et les données les plus importantes partiraient alors vers Cadix, où Gustave Bertrand veillait sur « son usine ». Ce dernier écrit dans ses Mémoires :

« Toutes les semaines, et plus fréquemment si nécessaire, je me rendais à Vichy auprès de mon Patron (Villa d’Amiens à Royat-Chamalières) pour lui faire part de la vie à Cadix, lui apporter les derniers enseignements émanant des décryptements machine et humer l’ambiance du lieu : très rarement, j’en recevais des instructions. »

La photo ci-dessous, tirée d’un documentaire sur cette affaire, montre le lien entre la « Source K », dite modestement «source très sûre », et le Poste Cadix 1 :

  Source sure

Couvert par une Compagnie d’assurance, La Nationale, dont le sous-directeur, Gérard Grimpel accepta de fournir une carte professionnelle d’inspecteur, Édouard Jung découvrit et loua un petit pavillon à Noisy-le-Grand financé par l’intermédiaire de Combaux. Il se situait à 6 mètres de la LGD en question, enterrée elle à 1 m 20. Une première tranchée fut creusée depuis la bâtisse. Les travaux de branchement commencèrent dans la nuit des 15-16 février 1942. La jonction fut réalisée par Keller et son équipe d’hommes sûrs : deux vérificateurs, postés, l’un à la Centrale de Paris Saint-Amand – Lobreau –, l’autre au poste répétiteur juste en amont à La Ferté-sous-Jouarre – Fugier. Il fallait contrôler les variations des voltmètres sans éveiller les soupçons de techniciens allemands à ces deux extrémités. Enfin, intervinrent 4 techniciens de ligne retenus par Keller – Pierre Guillou, Louis Matheron, Abscheid et Levavasseur. Il leur fallut souder puis camoufler les accroches avec chaque fil, ce sur 70 circuits choisis en fonction des indications dont Keller disposait à sa centrale. L’écoute devint opérationnelle le 19 février suivant.

Un second opérateur fut donc formé pour les remplacements : Robert Rocard, évadé d’Allemagne en janvier 1942, signalé par son frère aîné, physicien reconnu, lié lui à la fois à des Anglais et au SR. C’est ce dernier – père du futur premier ministre Michel Rocard – qui le fit connaître à Simoneau et à Crest de Villeneuve. L’offre d’embauche fut immédiate au regard de sa connaissance de la langue.

La « cueillette » allait s’avérer gigantesque. Simoneau révèle, après-guerre 2 :

« La nature des renseignements obtenus était d’une valeur inappréciable, les Autorités allemandes considérant que ces câbles permettaient les communications secrètes. C’est ainsi que le Maréchal Goering lui-même, Hitler, les Amiraux Raeder et Doenitz, les Généraux Schtülpnagel et Braueur, ont été interceptés. La création de nouvelles unités et leur mise en place, les mouvements de flotte sous-marine, les préparatifs de lancement d’engins spéciaux, V.1 et V.2, ont été connus. On peut même ajouter un nombre
considérable de Français recherchés par la Gestapo qui ont pu, en temps utile, être
prévenus et se mettre à l’abri . »

Dans un rapport, Edmond Combeau confirme « le butin » 3 :

« 70 grands circuits étaient à notre disposition. Les uns étaient spécialisés pour la Luftwaffe, les autres pour la Kriegsmarine. Des circuits d’usage général écoulaient les communications des Forces terres, de la Gestapo, du Contrôle économique, des commissions allemandes d’Armistice et en général de tous les services ennemis installés sur notre sol. Un deuxième opérateur me fut rapidement envoyé. Dans le fleuve ininterrompu de secrets qui coulait ans arrêt dans le câble, il n’y avait plus qu’à pêcher pour voir surgir des renseignements d’une valeur incomparable sur les unités, leurs stationnements, leurs effectifs, leurs armements, la composition nominative des états- majors. Les forces aériennes livraient la situation de leurs escadrilles, leurs pertes, les effets des raids alliés. Sur les circuits de la marine, des comptes rendus échangés entre Kiel et les bases sous-marines de la Manche et de l’Atlantique nous apprenaient la constitution des flottilles, le mouvement des bâtiments, leurs pertes, leurs avaries, leurs ravitaillements, le déficit des équipages et projetaient même d’importantes clartés sur les opérations allemandes en mer du Nord et en Norvège. Dans le domaine politique enfin, il n’était pas jusqu’aux noires tractations d’un Laval qui ne venaient au jour dans les conversations des services d’Abetz avec ceux du Dr. Goebbels. L’extraordinaire puissance de l’instrument que Robert Keller avait mis à notre disposition apparut dans toute son ampleur lorsque nos alliés britanniques exécutèrent sur Dieppe [en août 1942, opération “Jubilée”] leur raid de commandos. Les renseignements recueillis alors furent si abondants et si précis qu’ils permirent de révéler entièrement le mécanisme de la
réaction allemande. »hés par la Gestapo qui ont pu, en temps utile, être prévenus et se mettre à l’abri . »


Déménagement sous la pression allemande

Mais soudain, après huit mois de fonctionnement intensif, autour du 15- 17 septembre 1942, coururent assez vite des rumeurs concernant « des Allemands » – Jung était affecté d’un fort accent germanique –, voire « des agents de la 5ème colonne » … Comme Jung ne faisait pas de cuisine, il déjeunait souvent le midi avec son collègue Rocard au seul bistro-restaurant de Noisy-le-Grand. Connaissant bien la patronne, celle-ci l’apostropha à la mi-septembre en lui révélant les rumeurs du village : lui et son ami étaient pris pour deux officiers allemands possédant chez eux une machine mystérieuse, enregistrant toutes les communications des habitants pour les rapporter à la Gestapo. D’autres parlaient encore de « trafiquants du marché noir » …

Aussitôt, Rocard et Jung en informèrent leur patron Simoneau, qui transmit plus haut : Rivet et de Villeneuve décidèrent d’arrêter l’opération. L’ordre en fut donné à Edmond Combaux qui deux jours durant supervisa le déménagement du matériel par la camionnette de Keller. Mesure sage, car l’occupant, désireux de loger de nouvelles troupes, avait lancé au même moment une réquisition de tous les pavillons du coin. On était le 17 septembre 1942.

Nouvel épisode, analysé parfois confusément par l’historiographie du sujet.

Fin septembre, s’avérait intacte la volonté du SR de poursuivre l’opération sur le second câble Paris-Berlin, via Strasbourg. Une dizaine de jours après l’arrêt de « la source K », fut repéré par un nouvel opérateur recruté, Riss, un pavillon à Livry-Gargan, bien placé pour tenter une nouvelle installation. Ce dernier, qui ne connaissait pas au départ les véritables noms de Combaux et de Keller, ni ceux des équipiers techniques, avait été choisi par Simoneau pour renforcer les écoutes potentielles à venir. Le SR l’avait recruté en 1940, repéré par Cazin d’Honincthun responsable du Service Némo, qui le présenta à Crest de Villeneuve et à Simoneau. Après son temps de service dans les Chantiers de Jeunesse, ce Riss était entré en 1942 au Secrétariat d’État à l’Armée d’Eugène Bridoux, dépendant d’un Laval qui n’avait pas tardé à supprimer les écoutes des Allemands. Il démissionna alors de son poste, prêt à servir le SR qui lui délivra une couverture professionnelle dans la même société d’assurance qui permettait à Combaux de rémunérer les opérateurs.

Cependant tout allait être compromis avec le débarquement allié du 8 novembre. Rivet partit alors vers Alger et dans un premier temps, le SR dut entrer dans l’ombre en métropole. Combaux perdait son support officiel : paralysé à Vichy, Simoneau dut assumer sa propre sécurité et envisagea une autre situation. Il avertit qu’il ne pourrait garder en solde les opérateurs que pour un ou deux mois.

Pourtant, la tentative pressentie allait rebondir. Keller fut convoqué début décembre 1942 par le chef de la Feldschaltabteilung, qui lui ordonna de relier son PC de Saint-Germain … au câble Paris-Strasbourg. Impatient de reprendre avant l’hiver la dérivation escomptée, Keller pensa pouvoir jouer de cette couverture « officielle ». Le mercredi 9 décembre, par téléphone, il contacta l’ouvrier Lobreau pour lancer le chantier « officiel ». Rendez-vous pris pour le 11 suivant, au service de la rue des Entrepreneurs, il lui déclara qu’en haut lieu – Edmond Combaux ? – on préférait le voir le moins possible sur le terrain. Keller incita alors Lobreau à démarrer le travail de coupure et de raccordement. Mais ce dernier informa son patron qu’un autre camarade devait être joint pour venir le remplacer dans le travail sur les têtes de câbles qui risquait d’être long. Dans une lettre à un ami citée par Robert Rouxel, il décrivit la suite 4.

Une équipe renforcée de deux soudeurs, Levavasseur et Abscheid, partie en camionnette avec le chauffeur Chamond pour Livry-Gardan, précédée par Keller dans sa propre voiture, démarra le jour même. Sur place, les travaux se déroulèrent normalement, à ceci près que Lobreau ne réussit pas à avoir son remplaçant aux têtes de câbles. Le lendemain, le chantier reprit et dura jusqu’au mercredi suivant. Le branchement fut réalisé sans incident le 16 décembre au soir. Les soudures et leur camouflage touchaient non plus 70 lignes pour un câble de 376 contacts, comme à Noisy-le-Grand, mais 320, sur une structure de 484 fils.

Un énorme potentiel ? Un quatrième opérateur fut envisagé, le choix s’étant porté sur un jeune ingénieur des Arts et Manufacture, Groigne. L’opérateur Riss a expliqué après la guerre que dans les premiers jours, les tâches exigeaient un travail démultiplié. Il lui fallait d’abord sonder les lignes réservées à chaque arme, puis retenir et enregistrer les renseignements significatifs. Les messages codés étaient laissés de côté, tant affluaient les informations en clair. Il lui arriva même de prévoir les horaires des conversations stratégiques de chaque service.

Mais comme il n’y avait plus momentanément de liens avec le SR, se posa brutalement une question cruciale « en haut-lieu » : à qui remettre les informations et comment les faire parvenir ? Combaux envisagea alors un dispositif inédit : les documents seraient déposés à un Café de Paris servant de boîte aux lettres, et un courrier viendrait les relever. Mais il devait en priorité résoudre les difficultés financières pour payer la logistique. Aussitôt décida-t-il de se rendre à Lyon pour « rechercher une liaison directe avec la France combattante » (sic).

Là, un ami contacté, Max Pérès, lui présenta le 20 décembre 1942 Albert Forcinal, député de Gisors, engagé dans le mouvement « Libé-Nord » et dans le Réseau « Cahors-Asturies » couvrant la zone nord, peu sûre à cet effet. Celui-ci lui conseilla plutôt de rencontrer à Lyon même « le couple Samuel » – en fait Lucie et Raymond Samuel, alias « Aubrac » –, qui commandait un « corps franc de Libé-Sud ». Contact aussitôt pris ! Le mercredi 23 décembre, Combaux remit à Lucie Aubrac, seule présente à son domicile, « un rapport pour le Comité national français » (sic) rédigé pour convaincre à Londres le BCRA et De Gaulle. Cependant, celle-ci lui avoua qu’elle ne pouvait lui procurer ce qu’il demandait : un avion pour l’Angleterre et retour. Mais elle lui confia des fonds nécessaires en liquide pour poursuivre quelque peu le paiement des opérateurs et ainsi assumer la suite du projet 5.

Au regard de ce qui allait se dérouler a posteriori, on peut se demander si un tel contact, à moitié réussi, ne portait pas en soi un risque au regard des méthodes de surveillance déployées dans la première ville la plus résistante de France, tant par la Police de Bousquet d’un côté, qui écoutait toutes les conversations et captait les messages avec le Service des contrôles techniques (SCT) dont il avait dessaisi le SR militaire, que, de l’autre, par l’Abwehr et le KDS local, aux aguets jour et nuit, forts de « leur science » des filatures …

En tout cas, semble-t-il rassuré, un jour plus tard, pour passer le Noël en famille, Combaux quitta Lyon. À sa descente du train de nuit à Paris, son épouse lui apprit l’horrible nouvelle : le mercredi 23, convoqué soudainement par la Gestapo venue à son domicile, Keller, averti par sa propre épouse par téléphone, car parti au travail, avait pu passer la prévenir. Comme son mari l’aurait fait lui- même, Mme Combaux lui conseilla de quitter Paris au plus vite. Ce qu’il refusa, pour protéger sa famille.

Ainsi alerté, Edmond Combaux se rendit au plus vite à Montparnasse avertir son chef de service, Marzin, qui lui apprit que le vérificateur Lobreau avait lui aussi été arrêté. Il demanda aussitôt à Marzin d’épurer les papiers de son bureau. Une fois sorti, il rencontra par chance Yves Rocard, qui le cherchait partout et qu’il connaissait : c’était le frère de Robert Rocard, l’opérateur qui, affolé, venait d’informer son frère que dans le pavillon de Livry-Gardan, en prenant son service à 9 h du matin, il avait trouvé bizarrement la grille du portail ouverte. S’avançant vers la porte, il aperçut deux soldats allemands. Prenant ses jambes à son coup, essuyant des coups de feu, il avait réussi à regagner l’entrée, son vélo et à s’enfuir à toute vitesse. Combaux apprit encore que Keller et Lobreau avaient été amenés dans des voitures allemandes au pavillon le soir de Noël. De plus, l’opérateur de garde, Riss, avait été arrêté.

Après avoir donné deux mois de traitement au reste de l’équipe rameutée immédiatement, Combaux indiqua à ceux qu’il avait pu joindre un moyen sûr pour quitter Paris. Il conseilla à son épouse de partir avec leur petite fille adoptive, d’abord chez sa propre sœur avec une seule valise, puis de le rejoindre 24 heures plus tard à Vichy, où il se rendit le premier par le train en vue d’organiser leur sauvegarde. Là, Simoneau leur établit de fausses cartes d’identité, tout en lui faisant rencontrer le général Pierre Robert Olleris de l’État-Major de l’armée, que Combaux connaissait. Ce dernier lui conseilla de passer au plus tôt la frontière espagnole, lui indiquant une filière sûre.

Ce qui fut fait. Après avoir installé les siens dans un refuge en montagne, à Lacaune-les-Bains près de Castres, y laissant son épouse avec trente mille francs dans un lieu sans confort et dans le plus grand dénuement, il partit le 7 janvier 1943 pour Toulouse. De là, par un réseau convenu, il passa la frontière le 15 suivant en compagnie du lieutenant Antoine Weil, cherchant à gagner Alger. Tous deux allaient miraculeusement retrouver … Robert Rocard, enfui lui aussi à la prison de Pampelune. Allègrement ils se déclarèrent « belge » ou « canadien » de nationalité, pour ne pas être remis par la garde franquiste à la Wehrmacht.

Mais comment expliquer ce qui s’était passé ?

Le mystère autour de la découverte du dispositif d’écoute

Pour serrer les faits au plus près, il est préférable là de se détacher d’une historiographie « engagée », arrimée à des modes de raisonnement délaissant la chronologie. De s’éloigner aussi des logiques mémorielles hagiographiques ou téléologiques, comme des points de vue politiciens ou policiaro-judiciaires, agiles à « construire » ou à « déconstruire », stigmatisant les actes de façon manichéenne. Raison commande enfin de considérer avec circonspection les « papiers » des abeilles journalistiques butinant leur pollen superficiellement, impatientes de « piquer » l’opinion.
D’autant que dans l’affaire considérée, deux réalités sont à prendre en compte : les témoignages (fragiles), et les faits, tels qu’on peut les recomposer.

Au sujet des témoignages

D’abord, pensons à l’incomplétude de certains témoignages, liée à des confusions de dates, aux fluctuations d’une mémoire fragile ou à la méconnaissance de certains faits, desquelles peut découler une description imparfaite, involontairement. Par exemple, lors d’un entretien du 21 décembre 1956 avec Henri Michel, directeur du Comité d’histoire de la Seconde de Guerre mondiale, Mme Robert Keller indiqua que son époux, qui « possédait peut-être un poste émetteur fabriqué par lui, mais qu’il ne montrait pas », « ne faisait pas du tout de politique ». Ce « père de quatre enfants » n’avait « jamais amené d’amis résistants chez lui ». « Très gaulliste de conviction », « il écoutait la BBC avec beaucoup d’attention », et se montrait « anti-pétainiste, mais sans éclat ». Elle « savait que son mari faisait de la Résistance et des coupures de câbles », tout « en ignorant à qui celles-ci servaient » 6

Ensuite, la mise en garde suivante du général Navarre – un des mieux informés sur le sujet – ne peut qu’interpeller dès l’abord toute analyse du dossier en question 7 :

« Après la guerre, une confusion fut souvent faite avec une autre source d’information dénommée aussi K en raison de l’initiale du nom de l’ingénieur Keller. Celui-ci fournissait, en effet, de temps en temps au SR-Air et à certains réseaux de Résistance (le réseau Vengeance) les résultats d’écoutes occasionnelles fort intéressantes faites par le personnel des centraux PTT (entre autres, le central télégraphique Paris-Central et le central téléphonique interurbain).
La “source K” dont l’histoire vient d’être contée et qui fut une affaire exclusivement SR et PTT fut ainsi dénommée par hasard. »


En effet, il apparaît important de distinguer une « source Keller » personnelle pratiquée en dehors de « la source K » du SR, qui, elle déboucha sur la piste Cadix. À la lecture des témoignages d’après-guerre, on note que le gisement d’informations obtenues sur l’ennemi le 19 février 1942, s’était terminé autour du 15 septembre suivant. Donc, c’est le second essai, comme mené plus « en amateur », qui subit les arrestations après le branchement du 16 décembre.
On sait aussi qu’après la rencontre Combaux-Aubrac à Lyon du 23 décembre 1942, aucun contact avec le BCRA de Londres ou avec les réseaux de la France combattante ne put être établi. Les quelques documents transmis occasionnellement par Keller à des membres du groupe franc « Vengeance » de Libé-Nord, bien avant le second branchement, marquent un acte résistant parallèle, mais antérieur et porteur d’autres sources. D’ailleurs, Keller ne pouvait être informé du contenu des retranscriptions dissimulées à l’encre sympathique sur des supports anodins confiés à des « transporteurs » qui eux aussi en ignoraient les contenus, ce, pendant les huit mois d’écoutes de la ligne Paris-Metz- Berlin.

Enfin, pour ce qui est des relations plus ou moins directes de Keller avec le SR- Air des colonels Ronin et Badré, elles cessèrent évidemment avec l’invasion de la zone sud : si Bergeret s’envola vers l’Algérie le 5 novembre, c’est dans la nuit du 9-10 que Ronin et Badré partirent eux aussi après avoir arraisonné un second Dewoitine 38 à Marignane. Dans son ouvrage sur le SR-Air, Jean Bezy précise 8 :

« Nous décollâmes comme prévu ; le premier avion vers 2h 30, le second à 3h 30 du matin pour franchir de nuit la côte algérienne et arriver de jour à Biskra, le 10 novembre vers 5h 30 et 7h 30 du matin.
Outres les membres du SR-Air que le colonel Ronin avait désignés pour être transférés en AFN, les passagers comprenaient des membres des Services spéciaux voisins ; entre autres le colonel Rivet, chef du SR Guerre, le commandant Sérot, adjoint de Paillole, chargé de le précéder en AFN, les capitaines Ludwig et Scheider, du contre-espionnage, tous deux Alsaciens et que Paillole préférait envoyer à Alger pour renforcer la direction de la sécurité militaire qu’il avait l’intention d’y constituer . »


Tous allaient donc continuer le combat à un autre niveau que Vichy, en relation avec les Alliés. Notons au passage que dans ses mémoires, Jean Bezy ne fait aucune référence à une quelconque « source K », ni à Keller, ni au réseau
Vengeance, auquel ce dernier était lié plus ou moins.

Si le nom de Badré – pseudo « Beard », à l’anglaise – fut « lâché » lors de son arrestation le 23 décembre 1942 par Keller à la Gestapo dès ses premiers interrogatoires, ce le fut en connaissance de ce départ du SR-Air de la métropole, avec l’intention de brouiller les pistes par ce faux-aveux. On peut se demander si l’histoire même de ce sujet ne fut pas elle aussi, sinon « brouillée », du moins brouillonne, parfois …

Quant au démantèlement du second processus de transmission potentiel, les premières informations recueillies pour la courte période entre le 16 et le 23 décembre – moment du repérage du nouveau branchement par l’occupant – elles n’eurent aucun « débouché » en raison de la fuite de tous les acteurs impliqués. Il n’y eut donc sur le plan des résultats que peu d’apports de la « seconde Source K ».

Après l’arrestation des « lignards » concernés des PTT à partir du 23 décembre 1942, deux points peuvent être retenus – provisoirement dit, en l’état des sources et témoignages compulsés ici 9.

Sur le plan des faits ?

Que constate-t-on là en termes, disons, de « micro-histoire » ?
– En premier lieu, notons que l’enchaînement des arrestations à l’initiative allemande ne toucha que trois agents au départ, avant de s’étendre en janvier 1943 à plusieurs ouvriers du Service de Keller, au gré et à la vitesse de l’enquête allemande.
Ce que précise le tableau suivant dressés à partir des documents d’archives sauvegardés par le Comité d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, alors sous la direction de l’historien Henri Michel qui diligenta maintes enquêtes sur la Résistance française, notamment aidé par Marie Granet (épouse de de l’Ethnologue spécialiste de la Chine antique, Marcel Granet, de l’équipe de L’Année sociologique autour d’Émile Durkheim) 10.

Date

Situation

Résultats, Problèmes

22 décembre 1942

 Dans un rapport  attribué  à  l’Abwehr, mais  pouvant  émaner  de  la  section  IV du  KDS  de  Paris,  il  est  marqué  dans  le registre journalier que « quelqu’un s’était “branché” sur le câble principal de  la  ligne  Paris-Strasbourg  ».

Est noté ensuite : « Keller serait le responsable de ce branchement. Grâce à l’arrestation de l’ouvrier des PTT Lobreau, nous avons pu fixer l’endroit exact où s’est effectué le branchement. Cet endroit se trouve au n° 21 avenue Turgot à Livry-Gargan, Une maison isolée, gérant ou propriétaire, le nommé Couvreur, chargé de l’écoute Prosper Riss. Riss était porteur de faux papiers d’identité au nom de Risset.

Son mandataire l’appelle encore Thiébaut André, ou encore Marcel Eft (?). En outre on a cité encore un personnage, Zeilmann (?) Gelbert. Ce serait un officier-aviateur de Vichy, qui s’appellerait commandant Béard, qui aurait donné ordre d’installer cette table d’écoute
(Abhörstelle) »
Les archives du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, restent imprécises sur les fiches ainsi saisies, attribuées à l’Abwehr.
Alors même qu’un rapport de la DST résumé par cette même source, s’étonne que ce ne soit pas l’Abwehr, précisément, qui ait eu à gérer ce dossier, puisque les services allemands de contrôle des lignes relevaient du ressort de l’administration militaire de Paris, donc de l’Armée, et non de « la Gestapo ».
On peut pencher pour l’hypothèse que le rapport considéré, présenté sous forme de journal quotidien, fut dressé plutôt par la Section IV du BDS de Paris, dirigé par Boemelburg, par Stindt, et à cette date, par Kieffer, assisté de son adjoint, le Kriminal Kommissar Sinnhoff, meneur de l’enquête contre le réseau PTT de Keller. Notons encore que les recherches ne s’étendirent qu’au agents autour de Keller, et ignorèrent les ingénieurs Combaux, Sueur, comme les membres de la première dérivation de « la Source K » du SR (Simoneau notamment), ou tout autre membre lié à ce dernier. Les noms de Jung et de Robert Rocard, les deux autres opérateurs, n’apparurent pas non plus dans les fiches d’enquête. Preuve que Keller ne parla pas, et que les cloisonnements de la première dérivation Paris Metz, qui avaient bien fonctionné, confirment la séparation des deux branchements sur les lignes de communication allemandes.
22 décembre 1942
Le Chef du Service des communications souterraines allemandes, Rœder, apprend de son supérieur, le général Koersten, que le BDS, Section IV (« la Gestapo »), avait eu connaissance d’une dérivation sur l’Axe Paris-Strasbourg-Berlin (source : rapport de la DST de 1949, cité en note).
Koersten demanda à Roeder de découvrir le lieu de l’interception signalée, le dénommé Keller, du Service concerné étant « fortement soupçonné ».
23 décembre 1942, 7h 30
Visite au domicile de Robert Keller,2 rue du docteur Landouzy, Paris, 13e.
L’interpellé était à son travail.




23 décembre 1942, 8h 30 La Gestapo se présente au domicile de Georges. Lobreau, ouvrier PTT, 4 rue Curie à Kremlin-Bicêtre. Parti au travail, ce dernier est arrêté à 9h 40, dans son service, 8 rue des entrepreneurs.

23 décembre 1942, 9h
Le Directeur des Lignes à Grande distance, Aguillon, téléphone à Keller de son Cabinet 24 rue Bertrand. Ce dernier, informé que la Gestapo voulait l’interroger, demande à son collègue de Bureau, Clavaud de camoufler des objets compromettants (révolver, cartouches, papiers…). Ce dernier appela Clavaud, le second de Keller, 8 rue des Entrepreneurs pour faire de même dans son autre bureau (mousqueton, révolver 7. 65, grenades à dissimuler …).

3 janvier 1943
Après avoir précisé les recherches parmi la vingtaine d’ouvriers concernés dans les fiches du service allemand des communications présent éventuellement sur le lieu de dérivation de la ligne, dans son journal de bord, le préposé écrit : « Nous avons l’intention d’adresser une note à la Délégation générale française [dirigé alors par Fernand de Brinon].

14 janvier 1943 La Gestapo se présente 8 rue des Entrepreneurs pour arrêter les ouvriers soudeurs Laurent Matheron et Pierre Guillou. Seul le premier est arrêté. Il sera rejoint par le second le 17 janvier à son lieu de travail.
Le Chef de service, Rougecreille, demanda à un officier allemand des communications les motifs de leur arrestation. Ce dernier répondit qu’ils devraient être relâchés bientôt, n’étant pas considérés comme coupables …


Ainsi, le mercredi 23 à 8 h 30, la Gestapo visita effectivement le domicile de Keller déjà parti au travail. Celui-ci, qui eut un laps de temps pour effacer toute trace et avertir Mme Combaux, sera arrêté plus tard dans la journée à son service au 24 rue Bertrand, « pour comparaître en vue d’un interrogatoire devant un Tribunal allemand ».

Une heure avant, Lobreau, vérificateur au Centre des lignes, était, on l’a vu, interpellé rue des Entrepreneurs par quatre Allemands en civil. Une fois rue des Saussaies, Keller fut interrogé avant Lobreau. Ce dernier révéla dans son rapport sur les faits rédigé en 1945 11 :

« Devant les précisions fournies par mes interrogateurs, il ressort nettement qu’ils étaient parfaitement au courant du travail effectué sur le câble Paris-Strasbourg ».

Keller l’avait effectivement reconnu le premier … Le KDS fut-il alerté par le service technique allemand des « LGD » ? On sait, comme l’a indiqué le tableau ci-dessus,  que  celui-ci,  l’Abschaltabteilung,  fut  informé  dès  le  22  d’un
« dérangement » sur la ligne. La recherche en premier lieu de Keller et de Lobreau pourrait indiquer que c’est ce service allemand qui fut à l’origine de toute l’affaire. Ou du moins que, possédant toutes les données concernant les équipes françaises des PTT, leurs tâches et leur agenda d’intervention, repérèrent les deux agents suspects rapidement, peut-être pour des raisons d’anomalie technique. En réalité, c’est le général Koersten qui apprit à son subordonné allemand, le chef du service des LGD, Roeder, que la Section IV du BDS était informée antérieurement que la ligne était écoutée – selon une information tirée de l’enquête réalisé par la DST en 1949, sans autre précision …
En tout cas, le soir du 23 vers 18 h, eut lieu la confrontation des deux agents arrêtés, l’ouvrier de chantier Lobreau et son chef Keller. Le premier a précisé dans la lettre précitée 12 :

« Tard dans la soirée, menottes aux poignets, on m’a fait monter dans une voiture avec des SS. Dans une autre voiture, et dans la même situation que moi, on a fait monter M. Keller. Puis une troisième voiture s’est jointe aux deux autres et la caravane a pris le chemin de Livry-Gargan. Elle s’est arrêtée, après une hésitation, à l’endroit de la dérivation. Des soldats ont perquisitionné dans le pavillon et après un certain temps, on a amené un jeune homme près de moi. Un SD nous a demandé si nous nous connaissions ; sur notre réponse négative, nous avons été attachés ensemble. Puis deux voitures partirent pour la rue des Saussaies où il y eut une courte confrontation entre M. Keller et le jeune homme. C’est alors que j’ai appris que ce dernier avait une carte d’identité au nom de M. Risley ; peu après, les deux voitures repartaient pour la prison de Fresnes. Arrivés devant le bâtiment 3 de la prison de Fresnes, à un certain moment nous nous sommes trouvés ensemble et nous avons pu échanger quelques mots : “Est-ce ma faute ?” demande M. Risley à M. Keller. – “Non, répond M. Keller, c’est de la mienne.” Puis, se tournant vers moi, il ajoute : “Triste Noël pour nos gosses !” il me dit encore : “Tu t’en tireras, moi je suis fichu. J’ai pu savoir que nous avons été dénoncés par une lettre anonyme. »


C’est du moins ce qu’affirmèrent les interrogateurs de la Gestapo à Keller, le premier interrogé le 23 décembre.

Riss, quant à lui, avait été arrêté par un officier et des policiers en civil au moment de prendre son service à 22 h., le soir du même jour. Une fois de retour rue des Saussaies, les interrogatoires se poursuivirent séparément avec brutalité. Le principal inculpé, Keller, fit tout son possible pour indiquer que ses subordonnées ignoraient les tâches qu’il leur avait ordonné d’entreprendre.

Peu après, sous les douches, il apprit impromptu à Lobreau l’implication de deux autres ouvriers-soudeurs, Laurent Matheron et Pierre Guillou. Bientôt les arrêtés, qui furent peut-être jugés par un Tribunal allemand par la suite – aucune trace n’en est pour l’instant ressortie –, prirent la route de la déportation avec le pedigree nazi, «Nacht und Nebel» («Nuit et Brouillard»). Lobreau retrouvera à Compiègne Gérard Grimpel et Lionel Levasseur, de la Compagnie d’assurance « La Nationale », compromis par leurs papiers de couverture et de fausses déclarations retrouvés sur Riss. Ensuite, les prisonniers furent enfermés à Fresnes dans des cellules séparées, pendant trois mois. D’autres arrestations d’ouvriers recherchés furent lancées courant janvier.

Le 17 avril 1943, Lobreau sera transféré à Mauthausen, puis, après 60 jours de blocs    d’isolement,    à    l’usine    de    Wiener-Neustadt    où    on    l’utilisa    comme «électricien dépanneur». Une fois celle-ci détruite par des bombardements alliés, il partit pour Buchenwald près de Weimar. Enfin, il fut amené à Nordhausen dans la précédente usine réinstallée dans les tunnels de Dora. Il quitta le lieu en avril 1945 avec des colonnes parties vers Hambourg et Lübeck, d’où il s’enfuit et se cacha à Parchim, avant d’être délivré par l’armée russe. Il rentra en France le 20 mai 1945 au matin, seul rescapé de l’enfer avec Riss. C’est à Dora que moururent Gérard Grimpel début décembre 1943, de congestion pulmonaire, puis Pierre Guillou – lui, d’épuisement le 2 janvier 1944 à l’infirmerie –, de même que Louis Matheron, le 17 septembre 1944, par suite de tuberculose liée aux privations et aux mauvais traitements. Envoyé après un passage au Struthof en Alsace au camp d’Oranienburg le 16 juillet 1943, transféré à Bergen-Belsen où il entra au «bloc sanitaire», Robert Keller décéda en mars 1945 atteint du typhus, quelques jours avant la libération du camp. Un codétenu, Anastasiadès, précise qu’à Orianenburg, il se comporta vaillamment, « toujours égal à lui-même, soulageant la misère et la détresse de ses camarades les plus faibles » 13.

Riss, quant à lui, restera au secret à Fresnes jusqu’en juillet 1943, avant d’être déporté au camp du Struthof avec Keller en Alsace. Ce dernier pensa jusqu’à son transfert ultérieur, qu’il avait été dénoncé par une lettre anonyme que lui aurait mise sous les yeux ses interrogateurs, peut-être émanant d’une femme ou d’un ouvrier choqué(e) par sa direction assez dure des travaux, voire opposé(e) à ses idées politiques, connues dans le service … Dans son témoignage 14, Riss crut à tort que Simoneau et de Villeneuve avait continué la liaison après l’envahissement de la zone sud le 11 novembre, et qu’ils n’étaient partis en Afrique du Nord seulement après la dislocation de la seconde écoute de décembre 1942.

Deux déportés revinrent donc vivants. De leur côté, Combaux, Jung, Simoneau et Rocard purent, on l’a noté, gagner Alger ou Londres. L’ami et collègue partageant le bureau de Keller, Georges Clavaud – précité –, lança fin janvier 1943 une démarche d’aide aux épouses et familles de ces déportés. Mais les Allemands et surtout les autorités des PTT dépendantes du ministre Bichelonne, liées à Vichy, cessèrent d’assumer les traitements des incarcérés. Avec l’aide de collègues, Clavaud organisa alors une collecte clandestine auprès du personnel et des industriels travaillant pour les lignes à grandes distances, favorables à la Résistance. À partir de mars 1943, grâce aux interventions de l’ingénieur des PTT Paul Guérin, tous les mois, jusqu’à l’arrestation de ce dernier en juillet 1944, une somme fut distribuée aux familles par Londres et par d’autres correspondants 15.

Les auteurs du drame, l’héroïque Keller en tête, ne comprirent pas à travers leur calvaire – ou leur chance d’y avoir échappé –, qui était à l’origine de la destruction de leur entreprise résistante. L’historiographie du sujet a-t-elle de son côté fait progresser l’information en termes d’interprétation ?

Sur le plan des interprétations ?

Après la reconstitution des faits, parfois différente d’un ouvrage historien à l’autre, les enquêtes et analyses ex post ont-elles, sinon résolu la question des causes de l’arrestation de l’équipe, du moins suffisamment reliées celles-ci à leur contexte d’émergence de fin décembre 1942 ?

        ◦ Premier apport : de février à mai 1949, un dossier de la DST a dont été ouvert, diligenté par l’inspecteur Pesez et le commissaire Serre, auprès des survivants de la répression du groupe Keller et des responsables allemands retrouvés. Il a soutenu l’hypothèse que ce serait le service du Sturbannführer Kieffer et de son adjoint, le Kriminal Kommissar Sinnhoff qui conduisirent la chasse, sous le label « Affaire secrète d’État » au sein de la Section IV du BDS de Paris, en liaison avec celle du RSHA de Berlin – Gestapo – supervisée par le général SS Heinrich Müller : l’affaire concernait bien son domaine de compétence, à savoir les actes de sabotage, d’espionnage et de parachutage contre l’occupant.
Par la suite, au-delà des hommages rendus aux résistants des PTT, Robert Keller en tête, les recherches devaient rebondir à trois reprises, en liaison avec les « revisitations » de la période de l’Occupation des années 1980-1990.

        ◦ Second apport subséquent, en effet, des publications journalistiques enracinées dans le contexte politico-judiciaire qui en ressortit ont relancé le débat, l’une ayant survolé le « mystère de la source K », sans en résoudre vraiment les zones d’ombre. Le trait d’union entre elles est l’activisme discret dès 1983 d’un nommé Gérard Hisard, au parcours sinueux, lié à certains médias et cabinets d’avocats. Quelques informations s’imposent sur ce dernier.

D’abord engagé dans les camps de jeunesse favorable à « la Révolution nationale », Hisard fut recruté par la très collaborationniste « DOF », Délégation officielle française créée en mars 1942 par l’Alsacien et protestant mystique, Gaston Bruneton. Cet organisme se trouvait en réalité être un appendice de l’Arbeitsfront visant à intégrer au « nouveau socialisme » nazi et à les contrôler, les « requis » volontaires travaillant pour le Reich dans des entreprises ad hoc, en France ou sur place outre-Rhin. La « DOF » en vint à compter pour cela une équipe d’environ 500 délégués français, bien avant l’opération généralisée dite du « STO » – « Service du Travail obligatoire » – débutée après le 16 février 1943 16.

Des pratiques de népotisme et de clientélisme lourdes de luttes internes taraudèrent cette organisation. Un de ses délégués en Autriche – à Salzbourg –, Gérard Hisard, âgé de 22 ans, fut gagné par « l’attentisme », puis, face à l’évolution du conflit après 1942, il la quitta finalement. Il en vint à rejoindre un « corps franc » de la Résistance lié au « Réseau F2 » dans sa région natale du Pas- de-Calais. Recensé ainsi au BCRA gaulliste de Londres 17, il fut ensuite engagé dans la DGER de l’immédiat après-guerre, au moment de la direction un temps d’André Dewavrin – colonel « Passy » dans la Résistance. À sa retraite, passionné par l’histoire de l’armée, dont l’aviation, il engagea des recherches dans les Archives allemandes, notamment à Coblence, connaissant bien la langue et non sans liens avec son précédent emploi à la « DGER », devenue « SDECE ». Au regard de son passé à la DOF notamment, il allait parvenir à
« démarcher »    des    documents    qui    firent    bientôt    le    miel    de    certains hebdomadaires d’investigation et d’essayistes, ce, à trois reprises.

En premier lieu, dans les années 1978-1980, avant une présidentielle de 1981 en ébullition idéologico-politique. Il apporta à l’Express alors dirigé par Jean- François Revel des éléments d’information sur le secrétaire général Georges Marchais, récupérateur d’après-guerre du « PCF » qui, pendant l’occupation, avait lui aussi été« de la Relève », en France puis en Allemagne, dans les usines de la Luftwaffe et chez Messerschmidt – ce qu’il avait dissimulé par des mensonges pourtant déjà relevés en 1970 par Charles Tillon et André Marty – résistants, eux, sous l’occupation, mais rapidement « épurés » par les dirigeants de ce parti aux ordres de Moscou. Le « cas Marchais » fit alors les choux gras de l’Express, puis du Point, hebdomadaires contactés par Hisard pour des « révélations » – bien placé que ce dernier avait été pour en faire 18.

En second lieu, à partir de mai 1983 lors de l’instruction contre Barbie, Hisard refit surface, moyennant finances au-delà de son statut de retraité, en devenant l’assistant de Me Jacques Vergès, l’avocat du responsable au KDS de Lyon Klaus Barbie, acharné en 1943 contre l’Armée secrète, un des bourreaux aussi – entre autres – de Jean Moulin puis un acteur majeur des déportations de petits enfants juifs recueillis dans la maison de sauvegarde d’Izieu. Après avoir déposé en 1983 au Comité d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, traduits par lui avec les photographies des originaux, trois rapports importants émanant des archives de la Wilhelm Strasse19, il en utilisa le contenu au bénéfice de Me Jacques Vergès pour aider celui-ci à fabriquer un faux, intitulé «Mémoires de Klaus Barbie», amalgame grossier des trois rapports précédents. Il réglait peut-être là de vieux comptes enfouis dans sa tête 20.

En troisième lieu, enfin, traitant de l’affaire Keller en termes inédits, Hisard apporta sa contribution en signant sa collaboration explicite à un article dans le Point du 21 janvier 1991 avec Jacques Duquesne. Celui-ci le confirme dans un chapitre de ses propres mémoires intitulé : « Pourquoi certains scoops font pschitt », précité. Action nouvelle d’Hisard, deux ans après l’engagement de plaintes contre René Bousquet en 1989 initiées par le célèbre Serge Klarsfeld, au nom des parties civiles juives réprimées sous Vichy 21.

Avec l’affaire Keller, comprimée comme en surplomb à côté de la politique du STO, seulement évoquée, la nouvelle « enquête » consista à mettre en épingle René Bousquet présenté comme « une énigme » de la période, mais isolé dans son sac. Les mêmes données, non sans liens avec maints engagements journalistico-militants d’alors, furent reprises en chaîne dans l’enquête sur le même Bousquet de la journaliste Pascale Froment du Nouvel Obs – ouvrage dédié à son compagnon René Backmann, humanitaire à Médecin sans Frontières puis journaliste d’investigation au même hebdomadaire 22.

Aussi, avant de présenter ce que Le Point désigna comme « le document qui accuse Bousquet » (sic), il n’est pas inutile, puisque cet acteur majeur devint ainsi la pierre angulaire de l’accusation médiatique dans l’affaire Keller, de rappeler cet extrait des mémoires de Jacques Revel, qui apprécia en connaissance de cause les investigations en question – sorte d’appel à la prudence méthodologique 23:

« Si j’ai tympanisé le lecteur [sur le cas Georges Marchais] de tant de détails en dépouillant ce dossier, c’est pour deux raisons. La première est mon désir de répondre une fois pour toutes aux nombreux journalistes qui, au moment où sortit l’affaire Marchais, écrivirent ou dirent sur un ton péremptoire que les documents publiés “ne prouvaient rien”. Je devais bien montrer, ici, qu’ils constituent des preuves fort claires, pour quiconque consent à les examiner sans parti pris. La deuxième raison est que je redoute la même légèreté et la même mauvaise foi de la part des historiens futurs. L’âge venant, je vois paraître des ouvrages consacrés à des événements que j’ai vécus, à des personnalités que j’ai connues, à des discours que j’ai entendus, voire à de petits rôles que j’ai pu jouer, dans les lettres ou la politique. Et je suis éberlué par le fourmillement des erreurs qui sautent au visage, à chaque page, presque, de ces livres à étiquette scientifique. Erreurs de faits, erreurs d’interprétation, erreurs d’atmosphère et, surtout, erreurs par omission ou par négligence. Dans une biographie parue en 1994 de René Bousquet, chef de la police de Vichy, l’auteur, Pascale Froment, mentionne (p. 577) un Gérard Hisard qui est, dit-elle, “à l’origine des révélations sur le passé de Georges Marchais sous l’Occupation”. L’origine, elle est due exclusivement à Tillon et Lecœur en 1970 et à L’Express en 1980, ce qui est très facile à vérifier. J’ai souvent vu ce Gérard Hisard, qui vint me tanner après la publication de la fiche Marchais pour tâcher de me vendre, sur les hauts faits de celui-ci en 1944 et 1945, d’autres informations, qu’il proposait également au Point d’ailleurs, mais sans parvenir jamais à les étayer assez pour que je me risque, pas plus que Le Point, à les utiliser. Il est vrai, Mme Froment est journaliste et non-historienne de métier, mais bien des synthèses portant sur les années soixante à quatre-vingt-dix, dues à des universitaires ou à des professeurs à l’École des sciences politiques, sont émaillées de bévues du même acabit ou déformées par une partialité délibérée. Coincée entre l’incompétence et le parti pris, la pauvre histoire “scientifique” se voit infliger à sa racine d’irréparables mutilations, au moment où elle a pourtant le privilège de se trouver encore
à proximité des sources et des témoins. »

Aveuglement de journalistes en mal de « scoops » qui auraient « oublié » d’enquêter sur Gérard Hisard, leur fournisseur-informateur providentiel, sorte d’« Arsène Lupin » des Archives allemandes ou de « chevalier d’industrie » – comme on en connaissait au XIXe siècle en lisant les mémoires de Vidoc ?

En tout cas ledit document « accablant », sorti ruisselant du chaudron infernal de la période, aurait vraiment existé – conjecture –, même si personne n’a cherché, semble-t-il, à savoir et à préciser aux lecteurs de quel service archivistique d’outre-Rhin il était issu. De Coblence ou de Baden Baden, comme avancé parfois ? Aucune cote n’en a jamais été fournie.

Le voici, cependant, vu son intérêt même dérivé, avec sa traduction :

Himmler à Hitler


« Le Reichsführer – Ss
42. 7e exemplaire




Rapport n° 50


Feld-Kommando du 26 Décembre 1942
Affaires secrètes de commandement


Concerne : Installation d’une dérivation sur la ligne principale Paris-Strasbourg-Berlin.
Le 21 décembre 1942, au cours d’une conversation, le Secrétaire général de la Police française, Bousquet, a porté à la connaissance du SS Brigadeführer Oberg, qu’un branchement avait été effectué sur le câble principal de la Wehrmacht Paris Strasbourg-Berlin, sur la Route nationale n° 3 à la borne kilométrique 20 800.
Comme auteurs, étaient dénoncés un ingénieur français des télégraphes et un fonctionnaire vérificateur.
Les actions entreprises ensuite avec les techniciens-experts d’une Section de branchements téléphoniques de campagne apportèrent la preuve que cette information était fondée.
La dérivation était installée dans une villa.
Celui qui était chargé des écoutes, un Alsacien, a pu également être appréhendé.
Le dispositif d’écoutes est qualifié d’exceptionnel et d’inconnu jusqu’ici par les techniciens- experts.
Des interrogatoires menés jusqu’ici, il résulte que le dispositif d’écoutes a été installé sur ordre du Major Beard
[pseudo pour Badré], officier du Deuxième Bureau à Vichy.
Les recherches continuent.
Signé : H. Himmler. »


Sautant les obstacles, « en collaboration avec Gérard Hisard », sans aller plus loin et sans s’interroger sur l’amalgame plaçant sur le même pied Bousquet et le SR de Vichy ( !!!), Jacques Duquesne l’a ainsi commenté quant à lui dans ses mémoires « sans mémoire » :

« C’est un haut fonctionnaire français, dépendant, comme le SR, du gouvernement de Vichy, qui a fourni aux Allemands les indications permettant de tarir cette source. Comment cela fut-il possible ? Pour répondre à cette question, il faut essayer de pénétrer dans l’énigme Bousquet. »

Pour dépasser cette compression de la réalité, même brièvement, le mieux est de rappeler, après l’avoir décrite sur le plan des faits supra, les enjeux que représenta l’affaire Keller, elle qui impliquait de près le SR de Rivet au-delà de ses rapports opposés – comme cela a été souligné précédemment – à Bousquet et au régime dénonçable. Cela précisé, même si l’on ne peut réduire cependant « Vichy » à « un seul » ou à « un bloc » indissociable, dans la période cruciale en question, à partir de surcroît de déformations arrimées à un tribunal médiatique et à une Justice manichéenne en soi, postérieures toutes deux de soixante ans après les faits. Or c’est bien le contexte politique entre décembre 1942 et le mois de janvier suivant, qui éclaire les enjeux que représenta la « source K » pour le pouvoir lavaliste. Là, deux événements majeurs l’encadrèrent de façon spectrale. Ils permettent d’en comprendre mieux le dénouement.


Haut

  Les enjeux de l’Affaire Keller dans le contexte politique de décembre 1942

La conférence de Presse pro-hitlérienne de Laval le13 décembre 1942

  Retenons en premier lieu, la conférence tenue 13 décembre 1942 par un Pierre Laval « Ganelon » aux ordres d’Hitler, suivi de tout son état-major de la Censure. Celui-ci y « commémora » en se vengeant son éviction par le maréchal Pétain de son poste de vice-président du Conseil le 13 décembre 1940, cependant dans un contexte totalement inversé.
Juste avant, le 9 novembre 1942, Laval s’était rendu à Berchtesgaden auprès d’Hitler, jouant le va-tout de sa politique et de son destin. Dès son « retour » le 18 avril, il se cramponna au pouvoir malgré la perte de ce que la politique pétainiste avait cru tenir bien en mains jusque-là. Répétons-le, le « vaisseau fantôme » de Vichy n’existait plus que comme une sorte d’« hologramme » de lui-même – exprimé a posteriori – depuis l’ouverture d’un second front allié en Afrique du Nord, le 8 novembre. Depuis encore la fin de l’Armistice et de l’autonomie relative de la zone sud le 11, le sabordage de la Flotte le 27, le démantèlement de l’armée  d’Armistice  le  29,  enfin  – surtout –,  après  l’émergence  d’un « Commissariat général d’Afrique française » le 7 décembre à Alger.
Nous avons rappelé ailleurs 24 le contenu de ladite conférence dont les titres, affichés dans quatre journaux triés et programmés par la censure des deux zones titrèrent ce slogan contre une « dissidence » d’Alger stigmatisée :

« La France ne peut se sauver ni dans la trahison, ni dans la boue, ni dans la lâcheté. Je briserai impitoyablement tout ce qui, sur ma route, m’empêchera de servir la France »

Parole dure de sens d’un Laval désormais sûr de lui, mais qui avait déjà avoué à tous – dont à Louis Rivet en personne lors de leur rencontre de rupture les 3 juin puis 10 juillet précédents, on l’a noté – qu’il savait que 98 % des Français se dressaient contre lui et que « des tuiles lui tombaient sans cesse et de toutes parts sur la tête ».

Devant une quarantaine de journalistes triés sur le volet qui l’avaient écouté avec connivence le 13 décembre 1942, comme aveuglé par ce qu’il crut être son ascension d’alors, Laval, feignant le chef d’État, avait déclara péremptoirement :

« Je ne sais pas qui gagnera la guerre ; mais je souhaite que ce soit l’Allemagne ; je le souhaite de tout mon cœur ; la défaite de l’Allemagne, ce serait le triomphe du communisme, la nuit sur l’Europe et sur notre civilisation. [p. 2.] […]
La victoire de l’Amérique serait la victoire des juifs et des communistes : si elle devait se produire, il y aurait eu, en tout cas, auparavant, je vous en préviens, entre eux et nous une épreuve de force. L’expression a déjà été employée par Clemenceau.
[p. 5.] Giraud et Darlan, reprend le Président, sont des traîtres. La France ne peut se relever dans la boue, ni dans la trahison, ni dans la lâcheté.
Je vous l’ai dit, c’est une guerre de religion qui se déroule. En Afrique, les Américains ont libéré les communistes, abrogé les lois sur les Juifs : les troupes américaines amènent avec elles de nombreux Juifs, ce qui mécontente et inquiète les Musulmans ; je vous le dis : voir les communistes triompher en France, les Juifs s’y installer à nouveau, plutôt crever !”
Laval a prononcé cela d’un tel accent, frappant le poing sur la table, que, fait insolite dans une conférence de presse, on applaudit.
    • Ardoino (de L’Écho d’Alger) :
    • “Et quelles mesures prend-on au sujet des Juifs. Vous en avez encore autour de vous
!”
    • Laval :
    • “Cela m’étonnerait. J’ai déjà décidé leur exclusion de l’administration centrale, ce
n’est pas bien grave ; le timbrage de leur carte d’identité ; ce n’est pas bien grave non plus. Pour les apatrides, interdiction de sortir de leur commune sans autorisation ; ce n’est pas encore très grave. Le reste viendra, mais ne m’excitez pas. Je ne suis pas un cannibale”.
    • Ardoino :
    • “Quelles actions envisagez-vous près de l’opinion publique ?”
    • Laval :
    • “L’opinion publique, je m’en fous. Il y a quelque temps le Maréchal m’en parlait. Je l’ai conduit à la fenêtre et je lui ai dit : “il y a dehors quatre personnes qui passent : un livreur peut-être, un pâtissier, un professeur, faites-les monter et demandez-leur quelle politique il faut faire”. Selon leur éducation, ils répondront : “c’est vos oignons ou c’est votre affaire”. “Monsieur le Maréchal, quand vous envoyiez vos troupes à l’assaut à Verdun, en sachant qu’il y aurait des milliers de tués, vous ne demandiez pas leur avis aux soldats”.
    • “C’est vrai, me dit le Maréchal, vous avez raison”. L’opinion publique, ajoute Laval,
c’est son ventre et c’est tout naturel.
    • “Tout de même, insiste Ardoino, les épurations, les arrestations, c’est très bien, mais tant qu’il n’y aura pas le peloton d’exécution…”
    • Ne m’excitez pas, répète Laval, je n’aime pas fusiller.
Mais pourquoi ne m’interrogez-vous pas plutôt sur l’Afrique du Nord, cela ne vous intéresse plus ? »


Enfin, Pierre Nicolle, un des confidents de ce président du Conseil qui désormais avait obtenu sur pression hitlérienne tous les pouvoirs, confirme dans son éphéméride de la période, la politique explicite d’épuration lavaliste alors déchaînée  25:

« Lundi 14 décembre –
Ce sont les échos de la conférence de presse de l’après-midi d’hier qui font l’objet de tous les commentaires aujourd’hui à Vichy. Le président Laval a fait une impression très forte sur ses auditeurs. Il les a autorisés à lui poser toute sorte de questions.

On dit aujourd'hui que le Président est décidé, coûte que coûte, à mener à bien sa politique. Il sait quelle est seule capable de sauver le pays ; il brisera tous ceux qui voudront se dresser contre elle. Il a déjà été procédé à sept mille arrestations : des généraux, des hommes politiques, des financiers sont sous les verrous. Pucheu serait, paraît-il, en Espagne, ses amis seraient sous une étroite surveillance. Les anciens collaborateurs de l’amiral Darlan font l’objet d’enquêtes : le commandant Duvivier, l’ancien chef de la radio, est arrêté.
On peut déjà constater un effet salutaire de la conférence d’hier dans l’attitude très réservée des adversaires connus du gouvernement. Ils cherchent déjà des excuses, quand ils ne font pas leurs paquets pour quitter Vichy.

La Semaine qui vient aura pour le pays la plus grande importance suivant la réussite
ou l’échec des négociations qui vont s’ouvrir en Allemagne.

Le Président quitte Vichy dans l’après-midi pour Paris. Il poursuivra sans doute son voyage.
 Le terrain est préparé par la lettre du Maréchal au chancelier du Reich en réponse à celle que celui-ci avait adressée le 11 novembre au chef de l’État.

L’atmosphère est toujours lourdement chargée. Le voyage du Président reste secret ; l’opinion est que, malgré la sincérité du chef du gouvernement, celui-ci se trouve aujourd’hui devant des faits qui sont loin de faciliter son entreprise. »

Un Laval arrêtant rageusement ses propres adversaires politique de la veille, supports de Darlan ! Le diapason était ainsi donné … Le « voyage secret » en question sur lequel l’historiographie a levé peu de voiles, allait être accompli deux jours avant la date indiquée de « la trahison » alléguée de Bousquet concernant la« source K », décrite par le document précédemment cité, acte fixé au 21 décembre 1942.

La rencontre Hitler-Laval du 19 décembre 1942

L’événement annoncé par Nicolle dans son journal concerna bien l’invitation de Laval le 19 décembre 1942 par Hitler à son quartier général « tanière du loup » (Wolfsschanze) dans les bois du hameau de Forst Görlitz près de Rastenburg, en Prusse-Orientale, à l’ancienne frontière lituanienne.

Un lieu sinistre, que le comte Ciano, qui s’y rendit à plusieurs reprises, perçut comme empreint de « la tristesse de cette forêt humide » et de « l’ennui de la vie collective dans les baraques du haut commandement », ainsi décrits 26 :

« Il n’y a pas une tache de couleur, pas une note vive. Les antichambres sont pleines de gens qui fument, qui mangent, qui bavardent. Il règne une odeur de cuisine, d’uniformes, de bottes … »

Hitler et Laval 19/12/1942
Photo de la rencontre de Forst Görlitz du 19-20 décembre 1942 entre Hitler et Laval en présence de
l’interprète Paul Schmidt, du comte Ciano, de Goering, et (de tête de dos) de Von Ribbentrop.
Sans dresser ici un historique détaillé de cet événement lourd de sens, quelques rappels s’imposent concernant le contexte général de la rencontre et les actes qui s’ensuivirent.

D’abord, éclairant la lettre précitée – supposée « vraie » – d’Himmler à Hitler sur l’affaire Keller, datée du 26 décembre suivant, resituons l’ensemble dans le cadre de l’opération Donar, précitée supra.

Celle qui autorisa le repérage goniométrique des postes résistants dans toute la zone sud, acceptée par Laval en juin-juillet 1942, Bousquet étant passé à l’acte avec un Darlan simple chef de l’armée – et qui lui, vengeur, ne l’oubliera pas après le 8 novembre à Alger. Preuve de la continuité de l’entente pour une répression policière commune engagée dans la « convention » – verbale plus qu’écrite ? – souhaitée par Heydrich comme par Abetz et acceptée par Laval, dit officiellement « accords Oberg Bousquet ». En réalité, un ensemble d’échanges et textes engagés par notes, puis oralement par discours devant tous les complices convenus qui en allaient en assumer les ordres – dont les chefs de KDS, les préfets régionaux et les Intendants régionaux de Police. Mais dont les modalités d’émergence et surtout, de réalisation, n’ont pas été analysées par l’historiographie de façon suffisamment précise – impression personnelle.

Trahison conjuguée – aux yeux de Rivet, on l’a vu – ayant orchestré la répression de la résistance et de la dissidence, Darlan et Giraud étant dénoncés comme « félons » par Laval et de Brinon. Mais qui allait encore camoufler par ordres nazis dûment secrets, mensonges et dissimulateurs le déclenchement d’une politique dissimulée dans les prétendus « accords » engagés, qui allait sceller la complicité des agents des deux camps : celle impliquant les arrestations, enfermements, puis déportations vers l’inconnu « loin vers l’Est », de tous les Juifs – mot occulté dans lesdits « accords » ! – en France dans les deux zones. De surcroît, à un moment où celle dite « libre » n’était pas encore envahie à l’été 1942, pas plus qu’elle ne l’avait été encore lors de l’opération « Donar » à la fin de l’été suivant.

Notons que le principe de la rencontre avec Hitler du 19 décembre avait en fait convenu avec Laval lors de son entrevue précédente à la Chancellerie de Berlin le 9 novembre précédent. Celle-ci ayant « mal tourné », aucune question ne put être tranchée par un Hitler furieux d’avoir subi par surprise la veille même le débarquement allié en Afrique du Nord. Ce qui lui fit ordonner l’invasion de la France le 11 suivant, dans le dos de Laval présent dans une pièce voisine, au témoignage du comte Ciano 27.

Après avoir rencontré Pétain pour obtenir de ce dernier quelques vagues directives, Laval quitta donc à nouveau Vichy le mardi après-midi 15 décembre. Au passage, il récupéra à Paris Abetz, convoqué lui aussi à la réunion de Poméranie – déjà averti par von Ribbentrop les 9-10 novembre précédents qu’il allait devoir quitter son poste un certain temps. Un train spécial fut constitué qui démarra de la Gare de l’Est à 20 h 30. Laval emmenait avec lui deux membres utiles pour aller « négocier » les mesures concernant la France : le secrétaire général de son ministère des Affaires étrangères, Charles Rochat, le ministre de la Production industrielle et des Communications, Jean Bichelonne – duquel dépendait une les directives sur la main-d’œuvre pour « la Relève », mais aussi … la gestion des PTT concernant en partie l’affaire Keller.

Passons sur les détails des modalités et des contenus d’une rencontre où les Italiens, dont le Comte Galeazzo Ciano et le chef de l’état-major, le maréchal Cavalliero, avec leur suite de collaborateurs diplomatiques, politiques et militaires, avaient précédé les Français la veille. Une précision est à retenir de la représentation que le comte Ciano, peu amène envers son vis-à-vis français ennemi dressa de la scène 28 :

« 19-20 décembre.
Laval a fait un voyage qu’il pouvait s’éviter.

Après deux jours de train, les Allemands l’ont fait s’asseoir pour prendre le thé, puis lui ont donné le dîner et ne lui ont pas laissé ouvrir la bouche. À peine avançait-il un argument que le Führer l’interrompait et lui faisait la leçon (au fond, je crois qu’Hitler est content d’être Hitler, car cela lui permet de toujours parler). Dans l’ensemble, Laval est un Français dégoûtant, le plus dégoûtant des Français. Pour bénéficier des bonnes grâces de ses patrons allemands, il n’hésite pas à rejeter ses compatriotes et à dénigrer son malheureux pays. Il a dit une chose spirituelle : il lui était difficile de gouverner la France étant donné que, de toute part, il n’entendait crier que “Laval au poteau”.

Et pourtant, comme les Allemands subissent le charme des Français ! Même ce Français ! Si ce n’est Hitler, les autres se concurrençaient pour lui parler, pour l’approcher : cela ressemblait à l’entrée d’un grand seigneur déchu dans un cercle de parvenus enrichis. Même Ribbentrop a fait de son mieux, mais a conclu sur une gaffe. Il a rappelé à Laval que son “éminent compatriote” Napoléon s’était trouvé dans cette forêt. Sauf erreur, c’était dans d’autres conditions ».

Le chef du gouvernement de fait, ainsi transporté de Berlin en voiture au lieu convenu, fut donc reçu le samedi 19 à l’anglaise, « à l’heure du thé ». Au vu des commentaires de la presse parisienne – ou allemande et italienne –, on ressent qu’il ne se passa pas grand-chose.

Dans ses mémoires, parlant surtout de lui, l’Ambassadeur Abetz, à qui Ribbentrop intima l’ordre de rester à Berlin « pour raisons de santé » – comme s’il s’était agi de punir indirectement un Laval porteur de mauvaises nouvelles – ne détailla point le contenu des « discussions » concernant la France 29. Il est vrai que tous les participants allemands et italiens, pour une seconde fois après l’hiver de 1941, ressentirent profondément en novembre 1942 le malaise lié à l’effondrement russe à Stalingrad, ainsi que les déboires qui commençaient à poindre en Afrique du Nord. Ce qui n’était pas une condition idéale d’accueil pour un Laval se croyant négociateur d’égal à égal avec un Führer qui lui avait avoué à plusieurs reprises qu’« il ne croyait plus qu’en lui avant d’infliger à la France un Gauleiter ». Que d’honneur effectivement, venant du Tartarin bavarois…

Dans sa thèse sur Abetz et les Français, Barbara Lambauer a apporté d’utiles précisions à partir de la retranscription livrée par le traducteur et ministre plénipotentiaire Paul Schmidt présent à toutes les rencontres – Laval ignorant l’allemand comme Hitler le français 30. Débarrassé de la présence d’un Pétain, Laval présenta à sa guise « un catalogue de questions à régler ». Mais celui-ci n’allait être discuté qu’après la rencontre, lors d’une réunion d’Hitler avec ses chefs d’armée et Ribbentrop le 22 décembre suivant.

Fut examiné deux jours avant ce cahier de doléances français : création d’une Armée de transition remplaçant la précédente dite « d’Armistice » ; formation d’une phalange africaine pour contrer les Alliés en Algérie, dans les protectorats du Maroc et de la Tunisie ; suppression de la ligne de démarcation ; réintégration des départements du nord dans l’administration du pays ; retour du gouvernement à Paris ; formation ou non d’un parti unique ; amélioration des transferts de travailleurs français vers l’Allemagne ; statut évolutif de la réserve d’otages que constituaient les prisonniers de guerre ; harmonisation de la politique de censure de l’opinion dans le Sud par rapport à la zone nord ; équilibre de la collaboration financière, industrielle, commerciale et économique, dont les indemnités d’occupation.

Hitler, à la dent dure, refusa le transfert gouvernemental de Vichy à Paris ; le parti unique ; la suppression totale de la ligne de démarcation – dont les contraintes seront assouplies en marchandant en 1943 ; la réintégration des départements du Nord ; la transformation du statut des prisonniers de guerre en travailleurs civils. Seules furent acceptées l’uniformisation nord-sud de la censure de l’opinion française et la création d’une « phalange africaine » 31. Sans oublier la création d’une sorte de « police supplétive », qui deviendra la Milice instaurée par Laval le 30 janvier 1943. Mais avec l’avantage pour ce dernier – crut-il – de sauvegarder l’appareil policier entre ses mains bien tenu en main par son homme lige Bousquet. Ce qui lui permit aussi d’effacer le rôle de la Légion des Combattants présidée par Pétain – structure qui, elle, n’allait pas tarder à se fissurer avec l’entrée en dissidence de son président François Valentin en août 1943, mais encore, avec la montée en faveur de Darnand auprès d’Oberg, futur remplaçant de Bousquet en décembre suivant – fait non prévu par Laval.

Aux yeux de beaucoup, le tout puissant chef du gouvernement en titre, prêt à manger du lion, vint en fait à Goerlitz se donner des bâtons pour se faire battre.

C’est ce que perçut Ciano qui reconnut qu’il avait « fait un voyage qu’il pouvait s’éviter ». Peut-être aussi dans l’intention de se légitimer sur place et à son retour à Vichy, surtout pour faire croire que lui, Laval, « le vrai grand chef », avait « l’appui d’Hitler » – ce qui était loin d’être le cas, comme la suite le montrera rapidement. En effet sur ce point, dès le mois de mai 1943, Pétain ayant compris ses erreurs forcées, décida, à cette date, de tout tenter pour changer une fois encore de gouvernement – en vain.

Laval ne risquait-il pas de devenir le « Quiesling français », complémentaire des autres Quieslings du nord de la Finlande aux frontières de l’Espagne, qu’Hitler souhaitait installer pour renforcer ses défenses et dresser un mur face à une invasion possible des forces alliées côté Atlantique, Mer du Nord et Baltique ? C’est bien ainsi que le perçurent maints observateurs, dont ceux de la presse résistante de Londres et de New York, ou ceux des pays neutres, de Suisse, de Stockholm …, attentifs à l’événement de façon plus libre que les terminaux journalistiques « sous la botte » soutien de Laval – tels Le Matin, Le Petit Parisien, ou encore L’Œuvre de Déat. La rencontre du 29-20 novembre ? Contrairement aux apparences, en réalité un non-événement, car l’hitlérisme allait bientôt sévir encore plus durement contre la France, même sous l’habit râpé du « lavalisme ».

Haut
 


Le rebondissement de « l’affaire Keller » dans la recherche des responsabilités

Sans Abetz, Laval arriva à la Gare de l’Est le lundi 21 décembre à 11 h 15 précise, avec Rochat et Bichelonne. À leur descente du train, les accueillirent le Dr. Ernst Achenbach de l’Ambassade, le ministre des Finances et ami personnel de longue date de Laval, Cathala, le secrétaire d’État à la Police, René Bousquet, son préfet de Police de Paris, Amédée Bussière – que Laval venait de promouvoir à ce haut poste en août précédent.

Les salutations d’usage présentées, d’après les comptes rendus publiés, Laval se rendit à l’Hôtel Matignon – en «bon maquignon» – image accolée à ce dernier de longue date –, prêt à rendre compte desdits «échanges» au sommet hitlérien. Il réunit d’urgence : Cathala ; Abel Bonnard, ministre de l’Éducation – toujours gai comme un pinson ; le docteur Grasset, ministre de la Santé ; de Brinon, son truchement avec les Allemands ; enfin, René Bousquet 32. Abandonnons-les là à leurs conciliabules. Mais point Bousquet, qui sera épinglé donc par des journalistes « du futur » concernant ce même lundi 21 décembre 1942. Un chef de la police censé avoir « déjeuné » aux dires de Jacques Duquesne, « avec Oberg et Knochen ».

« Déjeuner » avant la conférence avec Laval l’après-midi à Matignon – pourquoi pas, tant qu’on y est, à la demande de ce dernier, inquiet de la tournure qu’avaient pris les échanges non plus au nid d’aigle, mais dans la « Taverne du loup » entre lui et Hitler. Dans la foulée d’une journée si chargée, aux deux hommes d’Himmler, Oberg et Knochen, Bousquet aurait donc « livré la piste du réseau Keller. Sans plus de précision » 33.

Ainsi informés, non lors du déjeuner mais plus vraisemblablement lors d’un dîner les deux chefs nazis auraient juste après transmis un rapport à leur chef Himmler, au plus tôt (dans la soirée, comme le prétendra plusieurs décennies après Jacques Duquesne … le seul à en parler, mais qui n’aura pas eu le réflexe d’en vérifier la source archivistique ni de le préciser dans son article du 21 janvier 1991 dans le Point.

Question : connaissant mieux l’informateur Hisard, était-ce vraiment « un scoop » ou bien « un coup monté », utile pour aggraver « le cas Bousquet » – déjà pas mal « chargé » pourtant ? Cette conjecture vient à l’esprit si l’on se remémore l’avertissement précité de Jean-François Revel concernant les flottements de maints esprits échauffés de l’époque, « compatissants » à de « bonnes causes », pour qui il était difficile de fermer la bouche, de se cacher les yeux, de se boucher les oreilles, de se coiffer d’un bonnet d’âne de Buridan et de mettre leurs petites cellules grises en repos.

Quelques points interpellent cependant. Dès le 21 décembre, Bousquet, pour en revenir à lui, aurait donc été informé en personne de l’existence du second branchement sur la ligne Paris-Strasbourg. Mais comment l’aurait-il su et repéré ? Par des écoutes téléphoniques, là autour de Paris ? Par lettre anonyme adressée à la police française que lui seul supervisait et pouvait déclencher ? Dont il aurait informé immédiatement le relais Oberg et Knochen ? À cause d’indiscrétions venant de Vichy, supposées par certains Allemands interrogés par le DST de Wybot en 1949, alors même que toutes les sources se trouvaient fermées depuis le 11 novembre, côté SR-Air et SR Guerre ?

Certes, le prétendu rapport signé Oberg et Knochen adressé à Himmler après le déjeuner ou le dîner avec Bousquet, aurait pu apporter des détails quant aux sources émanant de ce dernier. On a vu supra que le jour même, ou le lendemain mardi 22 décembre, Berlin, ainsi averti, aurait alors déclenché les ordres d’enquêtes au KDS de Paris pour agir. Ce que fit la Section IV de Kieffer, mais seulement dès le 23 décembre au matin, on l’a noté. On sait aussi que le 22, le responsable allemand des « LGD », Roeder, avait été informé par son supérieur, le général Koersten, que la Gestapo connaissait le branchement sur la ligne Paris- Strasbourg (dixit le rapport de la DST de 1949). Mais ne l’avait-elle pas été par un allemand du service chargé du fonctionnement des lignes – alors même que le chef du poste allemand de Saint-Germain avait signalé à Keller qu’il souhaitait brancher de nouveaux fils sur la ligne Paris-Strasbourg-Berlin ?

De plus, dans sa note à Hitler datée du 26 décembre, Himmler parle d’une source émanant « du deuxième Bureau de Vichy » – étonnamment confondu par le chef des SS avec le SR-Air. Or, on sait que cette information ne pouvait venir que des interrogatoires de Keller commencés le 23 décembre ; eux ayant livré à ce moment précis cette fausse information à ses interrogateurs – donc en dehors de la « confidence » livrée par un Bousquet qui, le 21 décembre, ne connaissait manifestement pas encore le lieu de la dérivation, révélé par l’ouvrier Lobreau le 23, ni non plus le nom des responsables – Keller, Combaux, et alii … jamais inquiétés d’ailleurs, eux, par la Gestapo à la suite. Un Bousquet qui ne pouvait pas connaître non plus ce même 21, des faits relevant d’une période bien antérieure – concernant le dénommé Beard du 2ème Bureau, seulement révélé par Keller le 23 suivant – cf. supra la note d’information d’Himmler à Hitler, ainsi formulée : « Des interrogatoires menés jusqu’ici, il résulte que le dispositif d’écoutes a été installé sur ordre du Major Beard, officier du Deuxième Bureau à Vichy ».

Au passage, au sujet maintenant de ce document du 26 décembre, révélé par un Georges Hisard plus attaché à ses fins de mois de retraité, semble-t-il, qu’à la localisation et à la cote de sa source miraculeuse jamais « révélées » ni l’une ni l’autre, de même que pour le rapport « théorique » Oberg-Knochen à Hitler du 21 ou 22 décembre présumé, un nouveau constat peut être avancé : une version autre que l’« original » indiqué ci-dessus a été présentée dans le film évoqué supra

« Hitler sur table d’écoute ». Elle révèle une forme plus « officielle » et attirante du document supposé, dont voici les images captées :

faux document Himmler a Hitler (film)


Concernant le SR de Rivet en tant que tel, deux réactions méritent d’être signalées enfin, qui émanent de l’AASSDN – Association des Anciens des Services Secrets de la Défense nationale à la suite des révélations médiatiques en question après la publication du Point du 21 janvier 1991.

D’abord dans un Bulletin de l’association, le colonel Paillole communiqua l’information en publiant ledit document d’Himmler à Hitler du 26 décembre 1942. Dans la foulée, une publication du Bulletin présentant le contre-espionnage clandestin (« Travaux ruraux », dit « TR ») d’août 1942 au 11 novembre 1942, rédigé par le colonel Paul Bernard, s’attacha à décrire le rôle de son collègue le colonel Laffont – alias « Verneuil » dans sa lutte résistante. On y découvre l’impact des révélations venant d’Hisard dans ce passage 34 :

« Pour mesurer le degré de pourrissement de certains milieux collaborateurs, signalons seulement que le 21 décembre 1942, c’est le Secrétaire général à la Police Française, M. Bousquet, qui prendra l’initiative de dénoncer au Brigadeführer Oberg, une des meilleures sources de notre S.R., la source K.

L’ignoble trahison de Bousquet nous a coûté, dans l’immédiat, l’arrestation d’une dizaine de patriotes dont trois seulement survivront à la déportation. Ce deuil, si douloureux soit-il, est encore peu de choses à côté du désastre qu’a représenté, pour le Commandement allié, la disparition d’une source de Renseignements d’une valeur exceptionnelle. Elle aurait dû atteindre sa pleine efficacité lors du débarquement allié en Normandie et sans doute atténuer les souffrances de notre pays en précipitant sa Libération.

La dérive, relativement rapide, d’une « collaboration » de façade à la trahison la plus éhontée risquait d’être d’autant plus dangereuse que la mise sur pied d’une Résistance structurée s’avérait, elle, relativement lente et difficile . »

Cependant, au-delà de ces flottements informationnels, une troisième hypothèse est aussi envisageable, dans le cas où ledit document s’avérerait authentique.

Dans son désir de valoriser ses propres services en France auprès d’Hitler – ne serait-ce d’ailleurs que pour « concurrencer » l’influence acquise en parallèle par Ribbentrop concernant la France –, Himmler aurait pu mal assimiler les données transmises par Oberg concernant cette affaire depuis Paris. Ainsi, le 26 décembre, trois jours précisément après les premières arrestations, il n’aurait fait que déformer et/ou reproduire les informations transmises par Oberg et Knochen. Dans ce cas, pour étayer sa propre position et l’efficacité de ses services en France, Bousquet aurait été mis en avant et valoriser de par ses révélations inédites datées « du 21 décembre ». Auraient été de cette façon pré-datés et
« recyclés », tant la découverte des anomalies dans le système technique le 22 repéré par les militaires surveillant le réseau, que les aveux des agents des PTT arrêtés le 23 par la Section IV du KDS elle-même alertée la veille par les militaires des Lignes à grandes distances. Conjecture qui concernerait ce fait de valorisation- déformation « au carré », que pourrait seule résoudre une replongée dans les archives allemandes elles-mêmes, si des traces existent encore et ont été conservées.

En tout cas, il s’agit d’une infime énigme documentaire, qui, à elle seule, ne peut effacer ni la portée des faits de résistance de l’équipe Keller de décembre avec la tentative de lancer une seconde « source K », ni, évidemment, les faits de guerre en cours et donc le contexte hautement dramatique perceptible dans la semaine la semaine considérée, d’ailleurs, dès le lundi 21 décembre 1942.
Haut
 

Un « 21 décembre 1942 » contradictoriel

Nous nous trouvons en effet en face d’un 21 décembre révélateur de faits croisés à des niveaux de coïncidences parallèles. La chronologie révèle dans leur bousculement des réalité irréductibles à cette date, où la question des écoutes radio et de l’origine de certaines sources surgit crument. En prendre connaissance rapidement permet de mieux percevoir les enjeux que représenta « la Source K » et « l’Affaire Keller ».

D’abord, ce même 21 décembre, date du retour de Laval de Poméranie, notons – le hasard (ce « Dieu qui se promène incognito » comme l’écrivit Einstein), les résistants de l’Isère réfugiés sur le plateau d’Ambel dans le Vercors, instaurèrent le premier maquis de France, donnée ignorée apparemment des journaux du pouvoir lavaliste sous perfusion nazie à Paris.

En effet, là, on pouvait lire dans Le Matin, quotidien de Bunau-Varilla inféodé à Laval, à Jean Luchaire et à Abetz, sous contrôle de la Propagandastaffel de Goebbels, cet avertissement très menaçant contre tous les opérateurs de radio de la Résistance engagés dans le même sillage que les hommes des PTT autour de Keller 35 :

« UN ESPION à la solde de l’Angleterre condamné à mort.
Par son action criminelle, il est responsable de nombreuses morts dans la population civile !
Le Français Pérot, 43 ans, reconnu coupable d'espionnage au profit de l’Angleterre, a été condamné à mort par un conseil de guerre allemand. Plusieurs de ses complices ont été condamnés à de sévères peines d’emprisonnement.

Pérot s’était fait embaucher par un agent du service d’espionnage anglais comme opérateur pour plusieurs postes émetteurs clandestins. Il se servait de ces appareils de radio pour communiquer avec Londres et pour signaler à l’aviation anglaise certains objectifs en France.

Il est hors de doute que les actes criminels de ce Français ont également voué à la mort plusieurs de ses compatriotes, qui furent victimes d’attaques aériennes anglaises. Par sa néfaste activité Pérot n’a pas seulement tenté de nuire aux troupes allemandes d’occupation, mais a aussi porté préjudice à la France et aux Français. La sentence de mort, qui a déjà été exécutée, n’a châtié que partiellement la faute dont cet homme s’était rendu coupable . »

– Dans « l’autre camp », fait significatif et bien plus que symbolique, a contrario par rapport à la propagande lavaliste étalée pour intimider l’opinion et menacer « l’ennemi », ce même lundi 21 décembre 1942, dans un journal rarement travaillé par les historiens « spécialisés » de la période, le quotidien « France : Liberté, Égalité, Fraternité » publié par les Français de Londres sous l’égide de socialistes réfugiés et d’une équipe éditoriale indépendante de l’appareil gaulliste, on pouvait lire un long article comme rétorquant à ceux parus le même jour dans Le Matin, antijuifs et pro-hitlériens comme à l’accoutumé depuis 1940 36 :

« La Pologne a été transformée par Hitler en “abattoir pour les Juifs”.

Les premiers renseignements sur l’anéantissement des Juifs par l’Allemagne sont parvenus entre les mains de M. Mikolajczyk, vice-président du Conseil et ministre de l’Intérieur polonais, vers la mi-novembre. Leur authenticité ne pouvant prêter à aucun doute, M. Mikolajczyk les a aussitôt rendus publics. Il les révéla d’abord aux membres du Conseil National, réunis en séance spéciale, puis permit leur publication. La note du Comte Raczynski, le ministre des Affaires Étrangères, saisit officiellement de la mesure incroyable ordonnée personnellement par Hitler.

Cette mesure fut prise au moment où les bombardements de l’Allemagne par la RAF atteignirent leur point culminant ; au moment où Hitler se brisait contre le roc de la résistance russe devant Stalingrad. C’est alors qu’il prit la décision de “faire disparaître au moins la moitié des Juifs européens.” Puis les alliés anglo-américains ayant promis à la Russie “d’ouvrir un second front avant la fin de 1942” Hitler, après, avoir longuement cherché sa riposte, fit connaître son intention de procéder à l’extermination “de la moitié des israélites d’Europe avant la fin de 1942”.

Il résulte des documents tombés entre les mains de M. Mikolajczyk que la Pologne tout entière a été transformée par Hitler en un “abattoir pour les Juifs.” Les Allemands y tuent d’abord les Juifs polonais ; puis ils massacrent ceux qu’ils déportent en Pologne des autres pays envahis. Ils ne se contentent d’ailleurs pas “d’opérer” sur place : ils tuent aussi en cours de route, lors des “voyages” organisés ad hoc, on ne sait où, ni pourquoi. Mais ces voyages durent plusieurs jours. Et les malheureux qui sont enfermés dans des wagons plombés, sans eau ni nourriture, sans air ni lumière, entrent parfois en agonie au bout de quelques jours. Quand on ouvre les portes des wagons, la plupart des malheureux sont déjà morts et la plupart des survivants sont devenus fous. Vu l’exiguïté de la place, les cadavres sont debout appuyés contre les survivants, et des survivants se trouvent enserrés entre les cadavres. On jette les cadavres à la fosse commune, on amène les survivants au cimetière où ils sont abattus à bout portant. L’étendue de cette besogne exige du personnel. Les Allemands n’y suffisent plus. Ils se font aider par des Ukrainiens, des Lithuaniens et des Lettons.
Qu’est devenue la jeunesse juive ? Il n’y en a plus. La statistique officielle allemande le prouve : d’une population de 250 000 Juifs, destinée à être “transférée” par wagons plombés, on voulut distraire des ouvriers pour le travail en Allemagne. C’est à peine si l’on put en trouver 4000.

Les mêmes statistiques – officielles allemandes, publiées en mars 1942 – donnent le chiffre de 433 000 Juifs emmurés dans le ghetto de Varsovie au début de cette année. Ce chiffre est resté longtemps stationnaire, malgré les ravages de la famine, des épidémies, de la folie, de la tuberculose, des suicides. Pourquoi ? Parce que des frais “arrivages” de Hollande, de Norvège, de France, d’Autriche, comblaient les vides. Cependant, en septembre, – et toujours d’après les données officielles allemandes, —on n’a distribué aux Juifs que 120 000 cartes de ravitaillement, et en octobre 40 000 !

Les Allemands n’ont pas encore publié de statistiques concernant les Juifs étouffés dans des chambres à gaz et tués dans des salles d’électrocution. Ces centres d’expérience qui se trouvent notamment dans le camp de Belzec (Pologne méridionale), n’ont pas encore fourni des rapports satisfaisants.

M. Mikolajczyk, qui est le président du parti paysan polonais, conclut son exposé devant le Conseil National par la lecture d’un appel en faveur des Juifs, lancé par le mouvement de la Pologne clandestine.

“Dans le ghetto de Varsovie”, lit-on dans cet appel, dont les murs les séparent du monde, des centaines de milliers d’hommes, femmes et enfants attendent la mort. Ils savent qu’ils n’ont rien à espérer, qu’aucune aide ne leur viendra de nulle part. Ils attendent la mort.
“Les rues du ghetto sont périodiquement parcourues par des sbires hitlériens. Ils abattent les passants, tirent aux fenêtres, s’arrêtent parfois et déchargent au hasard sur les passants leurs fusils et leurs revolvers. Ces jours-là, les rues sont jonchées de cadavres.
“Chaque jour les Allemands exigent qu’on leur remette un contingent de Juifs à tuer, s’élevant de 8 à 10 000. Ce sont les Juifs eux-mêmes qui doivent choisir entre eux leurs coreligionnaires destinés à l’holocauste et les remettre aux Allemands par l’intermédiaire des policiers juifs du ghetto. Les policiers sont exécutés si le contingent n’est pas atteint.
“Les enfants sont jetés vivants dans des tombereaux, et de façon si brutale que beaucoup se brisent le crâne. Parfois, les mères, devant ce spectacle, deviennent folles. Le nombre des cas de folie dus au désespoir et à l’horreur dépasse souvent le nombre des massacrés ou des fusillés …
“Ceux qui sont condamnés à être remis aux Allemands préfèrent se suicider. Les Allemands l’ont prévu. Ces jours-là toutes les pharmacies du ghetto doivent être fermées. Les malheureux en sont réduits à se jeter par la fenêtre d’un immeuble élevé, à condition d’avoir pu y pénétrer.
“Les catholiques, ayant quelque sang juif dans les veines, meurent comme les autres, mais avec la croix du Christ entre leurs mains … Sur les trois millions de Juifs que la Pologne comptait avant la guerre, plus d’un million a déjà disparu.”
L’appel de la Pologne clandestine se termine ainsi :
“Il nous est impossible de demeurer indifférents devant tant de crimes commis sous nos yeux chaque jour. Notre conscience chrétienne se révolte. Nous ne pouvons rien faire. Nous sommes impuissants. Le seul salut est de hâter la victoire.”
Au nom du gouvernement polonais, M. Mikolajczyk, puis tout le Conseil National se
sont solidarisés à l’appel lancé par la Pologne clandestine.
À Tel-Aviv, où il se trouve actuellement, le professeur Kot, ancien ambassadeur de Pologne en Russie, a fait une déclaration dans laquelle il proteste solennellement au nom du monde civilisé contre cette extermination systématique.
Il a ajouté que le gouvernement du général Sikorski avait porté à la connaissance du monde entier ces actes de bestialité allemands. Sous les auspices du gouvernement polonais ont été élaborés certains projets pour tenter de limiter autant que possible les conséquences de la fureur de meurtre hitlérienne. Le professeur Kot a annoncé que le général Sikorski ne manquera pas durant son séjour à Washington d'attirer sur la question du massacré des Juifs l’attention des hommes d’État américains.
Enfin, le grand historien polonais conclut :
“L’opinion publique des pays démocratiques a quelque peine à croire que l’on puisse commettre de tels crimes envers une population innocente. Elle sait aujourd’hui de la façon la plus sûre que l’Allemagne est capable d’un pareil forfait. Le monde est tout entier uni contre l’Allemagne. Quant à nous, Polonais et Juifs, des liens de souffrance commune et de fraternité nous unissent désormais les uns aux autres. Ces liens ne sauraient se briser après cette guerre.” … »

Un texte qu’à cette date du 21 décembre 1942, ne purent ignorer, par contre, ni Laval, ni la police de René Bousquet, ni le secrétaire général des Affaires étrangères, Charles Rochat ; notamment, ni, évidemment, les dissidents nouveaux d’Alger. Cela dit au regard des dépouillements quotidiens du ministère de l’Information, ainsi que des services de presse des bureaux des autres ministères concernés. Car, en plus de l’écoute des radios étrangères dont les comptes rendus étaient présentés régulièrement en synthèse au gouvernement Laval, il est prouvé que lesdits services de l’Information se procuraient par la valise diplomatique, voire par télex depuis l’ambassade vichyste de Lisbonne ou de Madrid – le Portugal étant non belligérant – toutes les publications des « ennemis d’en face ». Y compris, ajoutons-le en passant, celles venant de Londres ou celles de la presse internationale qui filtraient les dépêches des agences du monde entier, d’Allemagne nazie, du Vatican et de Russie comprises (l’Agence Tass).

Deux mondes ennemis, engagés dans une guerre de civilisation alors en cours, dont eut conscience explicitement Laval dans sa conférence de presse précitée du 13 décembre 1942, comme les Français dissidents et résistants, et l’ensemble des forces alliées. Pour en revenir à l’importance de l’apport des écoutes téléphonique et à l’impact de l’affaire Keller liée la lutte globalisante du SR restructuré à cette date à Alger même – une information sur le plan des faits mérite d’être apportée enfin.
Haut
 

Les réactions de Laval au problème des « fuites »

Au regard des enjeux qui accaparaient et hantaient Laval et son équipe de fidèles engageant une politique fatale, « l’affaire des écoutes » sur le câble Paris- Strasbourg, même atténuée par la lettre d’Himmler à Hitler révélant la collaboration « impeccable » du chef de la police lavaliste à l’égard d’Oberg supposée vraie –, il fallait atténuer le problème de ladite « fuite ».

Un échange de télégrammes entre Laval, de Brinon, les chefs allemands militaires de Paris et, au-dessus, le commandement allemand de l’Ouest – l’OKW – éclaire en partie le problème. Du moins, ces documents montrent les difficultés immédiates que la découverte des écoutes des communication allemandes à grande distance – pourtant aussitôt découvertes qu’effectuées – allait occasionner au dirigeant vichyssois.

Officiellement, dès informé de l’Affaire Keller, mais sans jamais n’avoir cité dans ses échanges ni Oberg ni Knochen – qui eux n’en n’ont non plus jamais parlé lors de leurs dizaines d’interrogatoires d’après-guerre –, Laval allait tenter d’en limiter les retombées.

Ébruité, érigée en « affaire d’État », celle-ci ne pouvait que desservir sa position politique entre un Pétain auquel il devait rendre un minimum de comptes, et un Hitler qui savait à quoi s’en tenir sur les fluctuations à répétition « de ces Français toujours les mêmes » en matière de « collaboration ».

Cette « affaire », humiliante en soi pour le camp allemand, risquait encore ailleurs de compliquer voire de rendre impossible la signature d’une paix et d’une intégration de « Vichy » dans une stratégie « à venir » – Darlan, comme Giraud, étant des exemples tout flagrants et récents de « la trahison des Français ». Nécessité donc de minimiser la question, de la banaliser …

On découvre ici ainsi dans le dossier d’instruction ultérieur contre Fernand de Brinon – alors sorte d’« ambassadeur » dans les Territoires occupés –, cet échange de télégrammes avec Laval, incomplet, qui révèle que les échanges concernant l’affaire de la seconde « Source » d’écoute allait être traitée uniquement avec les forces militaires d’occupation, sans passer par l’échelon des Ss et de la Gestapo, prétendument mis en avant dans le document « Himmler à Hitler » du 26 décembre 1942. De Brinon alerte alors Laval dans ces termes :

« Message n° 79 du 23 janvier 1943 Personnel et Confidentiel
Message pour Monsieur le Président Laval

Je vous prie de trouver ci-dessous le texte d’une lettre que je viens de recevoir du maréchal Von Rundstedt en réponse à la communication que je lui avais faite des instructions que vous m’aviez données en date du 13 janvier et d’une autre lettre de M. le général Stülpnagel.
Voici ladite lettre reçue de Berlin (Von Rundstedt) concernant le chef de
l’Administration militaire en France en poste à Paris à l’Hôtel Majestic, Von Stülpnagel : “[…]
– 1) “Le Cdt en chef des forces militaires de l’Ouest (réf. votre lettre du 13 janvier 43 à Mr l’ambassadeur De Brinon, délégué général du Gouvernement Français :
Le commandant en chef de l’Armée a donné des instructions qui diffèrent
essentiellement des propositions du 1er janvier 43 de M. le chef du Gouvernement.
J’ai en conséquence présenté les propositions de M. le Chef du Gouvernement Français pour décision au Commandement en chef de l’armée.
signée Von Rundstedt ”

– 2) “Le Cdt en chef des Forces Militaires en France au Délégué général du
Gouvernement Français dans les Territoires occupés :
Il a été établi, en fin 1942 qu’un dispositif d’écoutes avait été installé à Livry-Gargan (Seine-et-Oise) sur le câble téléphonique principal Paris-Strasbourg-Berlin. Un service d’écoute avait été aménagé, ne laissant rien à désirer du point de vue technique, dans l’immeuble sis 21 avenue Turgot pour 70 branchements environ.
Les renseignements conduisirent à différentes arrestations parmi lesquelles se trouvent en particulier les fonctionnaires des PTT suivants :
    a) Keller,Robert Louis François
Né le 8 Mai 1899 au Petit-Quevilly
Ingénieur de l’administration des PTT français Domicilié dernièrement à Paris, 2 rue du Dr. Landouzy
    b) Lobreau, François Georges François
né le 22.1.1906 à Châlon s/Saône vérificateur des PTT
domicilié dernièrement à Paris, 3 rue Pierre Curie
Keller a exécuté tous les travaux techniques alors que Lobreau était chargé de la pose du câble supplémentaire.
Keller a déclaré qu’il avait reçu l’ordre d’installer un poste d’écoute de la part d’un
Officier du 2ème bureau français.
L’ordre avait été soi-disant provoqué par le Gouvernement Français.
Comme suite à l’échange de correspondance entre M. le commandant en chef de l’Ouest (Lettre Ob. West Nr 4175/42 du 31 décembre 1942) et M. l’Ambassadeur de Brinon, il est rappelé à nouveau qu’il est défendu d’exercer une surveillance quelconque sur le trafic téléphonique et télégraphique des services allemands.
Nous vous prions de saisir cette occasion pour informer à nouveau les fonctionnaires, en particulier les fonctionnaires des PTT de cette défense et les avertir que les contrevenants devront s’attendre aux mesures les plus sévères.
Le Gouvernement Français a la responsabilité d’éliminer ces fonctionnaires, en particulier ceux des PTT qui compromettent par de tels agissements la collaboration du Gouvernement français avec la puissance occupante.
Signée : Le Commandant en Chef de l’Armée
Signée : Von Stülpnagel. »

De Brinon ajoute dans le même télégramme du 23 janvier à l’intention de Laval cette information sur un autre dossier indépendant de l’affaire Keller :

« D’autre part l’Officier de liaison du Commandant en Chef des Forces Militaires en France m’a fait part ce matin qu’à la suite de l’accord que je lui avais donné en votre nom quant au principe de la surveillance par les autorités françaises des prisonniers nègres libérés comme travailleurs, il avait pris la décision de libérer dès maintenant à titre d’expérience 300 prisonniers noirs. Il conviendrait donc d’envoyer, aussitôt que possible le personnel nécessaire à la surveillance de ces prisonniers afin d’en prendre livraison, en accord avec les autorités allemandes au Front Stalag 141 à Vesoul et au Front Stalag 194 à Nancy, chacun de ces camps devant libérer 150 prisonniers.
Je vous serais reconnaissant de me faire part des dispositions prises afin que je puisse
les transmettre le plus rapidement possible à l’État-Major du Général Von Stülpnagel.
Brinon. »

L’affaire des écoutes ne semble donc pas avoir été portée devant le chef de l’armée allemande, Keitel, ni, a fortiori devant Hitler. Von Rundstedt prit les choses en main depuis Berlin, en répercutant l’affaire sur les militaires de Paris sans passer par les Services de l’Ambassade – Abetz étant toujours en disgrâce, et Schleier n’ayant été saisi d’aucune information. De même, le nom d’Oberg et de Knochen, d’Himmler, comme de Bousquet, n’ayant jamais été cités : un peu comme si l’affaire n’avait concerné que les militaires desquels dépendaient les services des « LGD ».

Notons que von Stulpnagel, responsable militaire à Paris, a repercuté la fausse révélation de Keller selon laquelle l’affaire fut tramée « par le 2e Bureau », sans citer le SR – indice de son faible niveau de précisions : un fait qui n’apparut on l’a vu que dans les seules indications livrées par l’interrogatoire de Keller à partir du 23 décembre. Gêné par les retombées possibles, Laval obéit immédiatement aux injonctions concernant la demande de contrôle strict des PTT, en rassurant deux jours après ses interlocuteurs via de Brinon que toutes les dispositions avaient été prises et les consignes répétées. Cette réponse « rassurante » parvint à Von Stülpnagel :

« Message N° 565 – Vichy, le 25 janvier 1943.
Je réponds à votre message 79 paragraphe 2, du 23 janvier.
Il est rappelé que la découverte du dispositif de Livry-Gargan (Seine et Oise) est due à la diligence d’un Sous-Ingénieur des PTT et au loyalisme de ses chefs qui ont rendu compte sans hésitation ni perte de temps au ministère compétent.
Le fonctionnaire qui a découvert le dispositif irrégulièrement établi a été officiellement félicité. À cette occasion, les défenses formelles d’exercer une surveillance quelconque sur les services télégraphiques et téléphoniques des Services allemands ont été rappelées à tous les fonctionnaires. Un nouveau rappel sera adressé.
Le Gouvernement Français exerce et continuera d’exercer une surveillance vigilante en vue de mettre hors d’état de nuire tout fonctionnaire suspect.
Signé Pierre Laval »

À la lecture de ce message tardif du 25 janvier 1943, Laval ayant pris son temps, on peut se demander quel fut le sous-ingénieur des PTT qui informa le ministère compétent, qui reçut les félicitations de ses chefs pour sa « loyauté ». Côté français, le dossier se présentant comme n’ayant impliqué que Brinon et Laval, voire Bichelonne, responsable des Communications, donc des PTT – cela suggère de nouvelles recherches d’informations dans les archives de ce ministère.

Concernant Bousquet, sans insister ici sur ce point, au-delà des informations qu’il aurait pu ou non livrer le 21 décembre à Oberg – voici dans quels termes le chef de Cabinet de ce dernier de 1942 à 1944, Herbert Hagen définit ses positions par rapport à l’occupant, mais aussi envers Laval ministre de l’Intérieur :

« [Fin 1943] la situation intérieure en France devenait de plus en plus difficile. Une rencontre eut lieu [à Berlin] entre RIBBENTROP, KNOCHEN et OBERG. Tous trois furent d’accord pour reconnaître que les forces d’occupation étaient insuffisantes pour maintenir l’ordre en France. Plus que jamais le concours et l’appui de la police française étaient nécessaires, mais pour cela, il fallait à sa tête un homme moins scrupuleux que BOUSQUET, afin qu’elle soit engagée à fond dans la lutte contre la résistance.

OBERG tint cependant à continuer de protéger politiquement BOUSQUET afin de lui permettre d’occuper une place dans un nouveau gouvernement, formé dans le cadre d’une nouvelle organisation européenne à laquelle les Allemands croyaient encore à cette époque.
Les relations d’OBERG, de KNOCHEN et les miennes avec BOUSQUET se sont toujours déroulées dans une atmosphère de camaraderie. À mon avis, des deux côtés les espoirs étaient fondés sur une nouvelle organisation de l’Europe au sein de laquelle la France occuperait une des premières places. BOUSQUET était très estimé par OBERG et son entourage en raison de son énergie et de sa droiture de caractère. Cette estime était partagée par HIMMLER lui-même qui tint à le rencontrer lors d’un de ses passages à Paris.

Le Secrétaire général à la Police était dominé par l’idée de constituer une police forte et fonctionnant avec le maximum d’autonomie. Il ne cachait pas ses sentiments envers les partis de collaboration, y compris la Milice. Il disait souvent chez OBERG qu’il ne se basait jamais sur les informations émanant de ces partis pour faire effectuer des opérations de police.
BOUSQUET paraissait très bien introduit auprès de PETAIN. Je fis moi-même cette constatation lors de la réception de OBERG par le Maréchal. Ce dernier félicita vivement le Secrétaire général pour les accords qu’il avait réussi à conclure. C’était d’ailleurs les premiers accords franco-allemands signés depuis l’Armistice.

En ce qui concerne ses relations avec LAVAL, BOUSQUET ne semblait pas être attiré par une sympathie quelconque par le chef du Gouvernement. Leurs relations se bornaient uniquement au service, et il paraissait qu’ils n’étaient pas toujours d’accord. Tantôt LAVAL laissait au Secrétaire général la responsabilité des mesures de police à prendre, tantôt il se réservait lui-même cette responsabilité quand il s’agissait de choses importantes.
Pendant tout le temps que nous avons collaboré avec BOUSQUET, nous avions la certitude que, dans le domaine politique et renseignement, il entretenait des relations qui allaient contre nos intérêts. (Ce fait fut surtout remarqué à partir du moment où il devenait de plus en plus clair que les dirigeants du Reich et de sa politique étrangère ne semblaient pas décidés à conclure un accord définitif avec la France). Parmi ces relations je vous cite celles avec MÉNÉTREL (médecin personnel du Maréchal) qui était en liaison constante avec le Colonel GUILLAUME, chef du 2e Bureau en Suisse. Ces faits connus de nous furent souvent reprochés à BOUSQUET et à LAVAL, mais nous ne prîmes aucune mesure contre le Dr. MÉNÉTREL en raison de son intimité avec le Maréchal PETAIN.

Comme dans son attitude générale BOUSQUET était décidé à ne plus nous céder en rien qui ne réponde aux intérêts français, il devint gênant à notre politique et inapte à son poste.
Il fut remplacé par DARNAND. Comme prétexte à son remplacement, on lui fit savoir que nous avions recueilli des renseignements et des preuves que des attentats étaient tramés contre lui. Pour assurer sa protection, nous devions nous assurer de sa personne pendant un certain temps. BOUSQUET se plia sans réagir contre cette mesure.
Par ordre du RFSS [Reichsführer SS Himmler], il fut emmené en Allemagne. On le laissa libre d’emmener sa femme et son enfant. Il les emmena tous deux. Comme résidence on lui assigna une villa au Tegernsee, où il eut comme compagnon l’écrivain Hanns JOHST, ami personnel de HIMMLER . »

Après l’exploration des mystères de cette « source K », un autre point mérite d’être abordé concernant en partie cet exploit du SR de Rivet dans cette période sous « haute surveillance » de la part de l’occupant, jusqu’ici peu ou mal abordé, mais qui n’est pas sans lien avec les informations dérobées ainsi à l’ennemi qui allaient être retransmises aux forces alliées par la Centrale « Cadix » implantée dans le Gard.


Haut

Notes

[1] Exemple de fiche tirée du documentaire « Hitler sur table d’écoute », production Label Image, avec la participation de France Télévision. Le scénario du film a été écrit par Marie Gatard et réalisé par Laurent Bergers. Il fut diffusé sur France 5 le 23 septembre 2018 et peut être visionné sur le site : https://www.histelfrance.fr/page-559a5c6175340.html

[2] Source : Archives nationales, documents du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, 72 AJ/77/I/pièce 14, en libre accès sur Internet. Lettre du colonel Simoneau, 30 septembre 1958.

[3] Source : Archives nationales, documents du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, 72AJ/76/II/pièce 25, en libre accès sur Internet. Discours d’Edmond Combaux, 3 novembre 1946.

[4] Cf. Roger Rouxel, Les Mystères de la Source K, Bordeaux, Les Dossiers d’Aquitaine, col. « Mémoires de France », 1999.

[5] Source : Archives nationales, documents du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, 72 AJ/ 76/ II/ pièce 24, en libre accès sur Internet. Papier de Daniel Claux, Service des Lignes sous-terraines à grande distance (LSGD), Ministère des PTT, 24, rue Bertrand, Paris VIIe, Annexe n° 11 à la Lettre du 14 Juin 1945, « Extrait du rapport du Lieutenant-colonel Combaux du 22 Avril 1943, adressé à Mr. Le Général De Gaulle ».

[6] Source : Archives nationales, documents du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, 72AJ 76/ Dossier III/ pièce 16, en libre accès sur Internet. Entretien avec Mme Robert Keller.

[7] Henri Navarre, Le Service de Renseignement, op. cit., p. 158, note 1.

[8] Jean Bezy, Le SR-Air, Préface du colonel Paul Paillole, Paris, Éditions France-Empire, 1979, p. 90.

[9] Après la lecture des ouvrages de responsables du SRT et du documentaire précités, enrichie de celle de quelques quotidiens d’information de Paris parus entre le 18 décembre 1942 et le 31 janvier 1943 (Le Matin, L’Œuvre, Le Petit Parisien, Die Parizer Zeitung), ont été ajoutées les sources suivantes :
    • les dossier d’instructions Brinon, Bousquet, Oberg et Knochen, dans leur ensemble ;
    • le dossier Résistance PTT au Comité de la Deuxième Guerre mondiale (AN, série 72 AJ 76 et 77) ;
    • Henri Michel, « La Résistance dans les PTT – la Source “K” », Paris, La Revue des Transmissions, juillet-août 1958, n° 79 ;
    • Raymond Ruffin, Résistance PTT, Paris, Presses de la Cité, 1983 ;
    • l’article du Point du 21 janvier 1991 de Jacques Duquesne et Gérard Hisard, « Révélation sur l’énigme Bousquet », p. 68-76, à compléter par Jacques Duquesne, Histoire vraie, une vie de journaliste, Paris, Albin Michel, 2016, révélant une source allemande tirée des Archives de Coblence ;
    • Robert Rouxel, La Source K et ses mystères, Les Dossiers d’Aquitaine, col. « Mémoires de France », Bordeaux, 1995 ;
    • François Romon, Les Écoutes radio dans la Résistance française, 1940-1945, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2017 ;
    • AntoineLefébure, Conversations secrètes sous l’Occupation, Paris, Tallandier, 2018 ;
    • Document Hommage à M. L’Ingénieur des Ptt Robert Keller, en libre accès sur le site Internet : https://www.histelfrance.fr/page-559a5c6175340.html
    • AASSDN (Anciens et Amis des Services secrets de la Défense nationale), Les Écoutes. La Source K, le SSC. Ce qu’il faut en savoir, sans date, Paris, en libre accès sur le site, https://www.aassdn.org/ECOUTES.pdf.

[10] Source : Archives nationales, documents du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, 72AJ 76/Dossier IV / Pièce 7, en libre accès sur Internet. On peut discuter le titre de ce document : « Fiches de l’Abwehr sur l’Affaire Keller », car il apparaît que c’est plutôt la Section IV du BDS de Paris, dirigée Par Kieffer, qui instruisit le dossier, en relation avec la Gestapo de Berlin (hypothèse forte, mais ouverte en l’absence d’autres documents d’origine allemande). Cf. également, à la même source, le dossier « 72AJ 76/Dossier IV /Pièce 4, intitulé : « Arrestation de R. Keller (dossier 1147286 à la Surveillance du Territoire) ». Le jour de la dérivation du câble Paris-Strasbourg-Berlin est indiqué au 11 décembre. D’autre documents, parlent du 16 décembre …

[11] Source : Archives nationales, documents du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, 72 AJ/ 76/ III/ pièce 23, en libre accès sur Internet.

[12] Robert Rouxel, op.cit., p.144-145

[13] Robert Rouxel, ibidem, p.111-112

[14] Archives nationales, documents du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, 72 AJ/ 76/ III/ pièce 21, entretien recueilli par l’historien Henri Michel le 9 mars 1957, en libre accès sur Internet.

[15] Robert Rouxel, ibidem, p.112

[16] Il faut noter que Gérard Hisard a livré un témoignage sonore à l’Institut d’Histoire du Temps présent, mené par l’historien Henry Rousso, où il décrit son passage dans les chantiers de Jeunesse, mais aussi, lors entretiens du centre, consacrés à Sigmaringen. Cf. BNF, Fonds de l’IHTP/CNRS  – entretiens  (1976-1997),  cotes DONAUD1304-99-DONAUD1304-177, Consultable sur le Site : https://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark:/12148/cc98908n

Sur la traversée de Hisard du reste de l’Occupation, cf. surtout de Patrice Arnaud, « Gaston Bruneton et l’encadrement des travailleurs français en Allemagne (1942-1945) », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°67, juillet-septembre 2000, p. 95-118. Cet auteur s’est entretenu avec Gérard Hisard (1920-2002). Article très précis, en libre accès sur Internet : https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_2000_num_67_1_4597

[17] Cf. sur le Site Internet, concernant les « titres, homologations et services pour faits de résistance », à « Gérard Hisard » : https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/client/mdh/recherche_tr ansversale/bases_nominatives_detail_fiche.php?fonds_cle=24&ref=2806772&debut=0
Cf. aux archives du SHDN, les côtes suivantes du dossier : GR 28 P 4 410/30/ (1945) GR 16 P 294214.

[18] À ce propos, les mémoires de deux journalistes concernés confirment leur lien avec Gérard Hisard :
        ◦ Jean-François Revel, Mémoires, Édition intégrale, établie et présentée par Laurent Theis, Paris, Robert. Laffont, col. Bouquins, 2018, p. 533-534. Ce dernier écrit à ce sujet : « J’ai souvent vu ce Gérard Hisard, qui vint me tanner après la publication de la fiche Marchais pour tâcher de me vendre, sur les hauts faits de celui-ci en 1944 et 1945, d’autres informations, qu’il proposait également au Point d’ailleurs, mais sans parvenir jamais à les étayer assez pour que je me risque, pas plus que Le Point, à les utiliser. »
        ◦ Jacques Duquesne, Histoires vraies. Une vie de journaliste, Paris, Albin Michel, 2016, version ebook non paginée, chapitres : « Georges Marchais, faux déporté du travail : une histoire déformée de tout côté » ; « Pourquoi certains scoops font pschitt ». Ce dernier écrit au moment où Le Point chercha à poursuivre l’enquête précédente de L’Express sur Marchais :
« C’est à ce moment-là que nous, au Point, reprîmes l’affaire. En partie alertés par une ancien de la DGER (Direction générale des études et recherche de la France libre à Londres, commandée par le colonel Passy-Dewavrin), nommé Georges Hisard [sic]. Celui-ci avait alors “travaillé” notamment sur l’aviation allemande. Après la publication de l’Express, il avait envoyé à Claude Imbert un petit dossier qui incita à le recevoir. Et, l’ayant reçu, il me repassa l’homme et le dossier.
Commença alors une collaboration de plusieurs années. Nous n’avons jamais, me semble-t- il, payé Hisard comme pigiste (il était retraité), mais bien entendu, l’avons dédommagé de tous ses frais. Il avait suivi une piste qui se révéla fructueuse : celle des usines travaillant pour l’aviation allemande avant et après la guerre (puisque Marchais, passionné d’aviation avant et après la guerre, était réapparu dans l’une d’elles en 1947, en France bien sûr). Ce qui conduisit Hisard à découvrir que, dans l’été 1940, le jeune (vingt ans) Georges Marchais, alors chômeur dans la région parisienne (après avoir tenté de se faire embaucher chez Renault), s’était engagé dans une Frontreparaturbetrieb (ateliers de réparation, sur le front, de l’aviation allemande, la Luftwaffe) appartenant à une société privée travaillant pour la Luftwaffe, l’AGO (Aktion Gesselschaft Otto) et installée dans la banlieue parisienne. Il est habituel dans bien des pays que les ateliers de réparation ou d’entretien des constructeurs d’avions suivent leurs appareils en opération. Cet atelier réparait donc notamment les avions allemands engagés dans la bataille d’Angleterre durant l’été quarante. Marchais, en s’engageant dans l’AGO, avait signé un contrat de travail qui permettait à cette entreprise de le déplacer dans n’importe laquelle de ses installations. Dans n’importe quel pays, donc, où elle aurait besoin de ses connaissances concernant tel modèle d’avion. Ce qu’elle fit à la fin de 1942 et qui n’avait rien à voir avec le STO. »

[19] Les trois rapports en question ont été publié dans l’ouvrage suivant : Michel Bergès, Le SD en France, III. Interrogatoires du responsable du KDS de Paris, Helmuth Knochen, et documents complémentaires, Montréal, Chicoutimi, Classiques des Sciences sociales, Mai 2024, p. 202-174, en libre accès sur le site Internet :
https://classiques.uqam.ca/contemporains/berges_michel/Le_SD_en_France_vol_3/Le_SD_ en_France_vol_3.html

[20] Sur le rôle de Gérard Hisard lors de l’instruction et du procès Barbie, cf. les publications suivantes, la première parlant d’« historien amateur », la seconde de « chercheur » concernant Hisard :
        ◦ Jacques Gelin, L’Affaire Jean Moulin. Trahison ou complot ?, Paris, Gallimard, 2013, cf. notamment les p. 195, 217-219, 512, 515, 532. L’auteur, qui a rencontré Hisard en 1986, a résumé ses positions sur « son rôle ambigu » notamment dans son accusation de Raymond Aubrac, dans un entretien avec Marie-Anne Vandroy-Schaumasse du 19 juillet 2013, consultable sur le site suivant de Clionautes : https://clio-cr.clionautes.org/entretien-avec- jacques-gelin.html
        ◦ Olivier Wieviorka, « Au sujet de la sortie de l’ouvrage de Gérard Chauvy, Aubrac, Lyon 1943, Albin Michel, 1997 », Libération, 15 mars 2007.

[21] Le Point du 21 janvier 1991, n° 957, p. 68-76.

[22] Cf. Pascale Froment, René Bousquet, Paris, Stock, 1994 ; nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Fayard, Préface de Pierre Laborie, col. « Pour une histoire du XXe siècle », 2001. Gérard Hisard, rencontré par la journaliste, lui a confié divers documents, dont un sur Darlan, une fiche sur Bousquet dressée par l’administration militaire allemande de Paris, prévoyant à ce dernier « une brillante carrière ». Enfin, le document concernant Bousquet, signé Himmler et transmis à Hitler. Elle précise dans la seconde édition de son enquête, de 2001 :

« Le 21 janvier 1991, Le Point révèle un document apparemment accablant pour René Bousquet : selon un rapport adressé à Hitler par Himmler le 26 décembre 1942, Bousquet aurait dénoncé à Oberg l’existence d’un branchement d’écoutes effectué par des résistants, pour le compte des Alliés, sur le câble téléphonique reliant Paris à Berlin ; l’ingénieur des PTT Robert Keller et ses complices, auteurs de la dérivation, furent arrêtés. Keller ne revint pas de déportation. Le document allemand a été déniché à Coblence par un retraité, Gérard Hisard. En même temps que Le Point, le bulletin de l’Amicale des anciens des services spéciaux, animée par le colonel Paillole, publie ce rapport. René Bousquet accueille la nouvelle avec stupéfaction. »

[23] Jean-François Revel, Mémoires, Édition intégrale, op. cit., p. 533-534.

[24] Sur ladite conférence, cf. notre article paru sur le site de l’Association Hsco (Pour une Histoire scientifique et critique de l’occupation) le 24 janvier 2025 :
https://hsco-asso.fr/la-conference-de-presse-de-pierre-laval-du-13-decembre-1942/

[25] Pierre Nicolle, Cinquante mois d’Armistice. Vichy, 2 juillet 1940-26 août 1944. Journal d’un témoin, Paris, Éditions André Bonne, 1947, Tome 2, p. 76-78.

[26] Galeazzo Ciano, p. 479, Journal, t. II, 11 juin 1940-8 février 1943, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2015, consultable sur le site Open Editions :
http://books.openedition.org/pumi/12649

[27] Galeazzo Ciano, Ibidem, p.479-480

[28] Galeazzo Ciano, Idem.

[29] Cf. Otto Abetz, Histoire d’une politique franco-allemande, 1930-1950, Paris, Stock, p. 283-285.

[30] Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français, ou l’envers de la collaboration, Préface de Jean-Pierre Azéma, Paris, Fayard col. « Pour une histoire du XXe siècle », 2001, notamment les p. 629-630.

[31] Barbara Lambauer, ibidem, p. 631-632.

[32] Selon le compte-rendu autorisé du Matin du 22 décembre 1942, en libre accès sur le Site Internet Gallica de la Bibliothèque nationale de France (BNF).

[33] Ce sont les termes même du chapitre des mémoires précitées de Jacques Duquesne, récepteur des «révélations de Gérard Isard».

[34] Colonel Paul Bernard, « La Saga Verneuil », Bulletin n° 155 de l’Association des anciens des Services secrets de la Défense nationale (AASSDN), en libre accès sur le Site Internet : https://aassdn.org/xlde11551.htm

[35] Source Le Matin, 21 décembre 1942, p. 1, consultable en libre accès sur le Site « Gallica » de la BNF.

[36] Source, « France : Liberté, Égalité, Fraternité », quotidien des Français de Londres, consultable sur le Site Internet « Gallica » de la BNF.

[37] Cf. Michel Bergès, Le SD en France, Volume documentaire III, Herbert Hagen. L’interrogatoire. Direction de la Sûreté du Territoire, Paris, 1947, Février 2024, p. 25-26. En libre accès sur le Site Internet des « Classiques des Sciences sociales », Universités de Montréal et de Chicoutimi au Québec : https://classiques.uqam.ca/contemporains/berges_michel/Le_SD_en_France_vol_2/Le_SD_ en_France_vol_2.html









Haut

Summary of knowledge about the K source

At the end of 1941, Captain Edmond Combaux, Signals Officer, was assigned to the PTT (Postes, télégraphes et téléphones, the French administration of postal services and telecommunications) because of the downsizing of the Army required by the Armistice of June 22 1940. Combaux and Captain Léon Simoneau, an officer of the Army Intelligence Service had the idea to set up wiretaps to spy on German communications that had requisitioned most of the long-distance telephone lines in the Zone Occupée. This telephone network was maintained by the French PTT administration.

Combaux found complicity among the PTT staff including engineer Robert Keller and his team whose job was to intervene in the field, often at the request of the occupant to repair breakdowns or make new connections. A suburban house was rented along the Paris-Metz underground cable. in Noisy-le-Grand, in the name of Robert Jung who was the first operator trained by Simoneau. The operators were actually required to understand the German perfectly and to be skillfull in stenodactylo, but also to have a good knowledge of the operating structures of the German command. It was also necessary to develop a number of equipments, including high impedance amplifiers so that the Germans could not detect any anomaly on the cables.

On April 15, 1942, Robert Keller created an artificial defect on the Paris-Metz cable and received therefore a complaint from the Feldschalt-Abteilung, the German Direction of the long-distance lines. He was then given a proper mission order and began works at the vicinity of the cable route and opened several trenches, one of which was located by the Noisy-le-Grand rented house. On the night of April 18 to 19, Keller, Guillou and Matheron carried out the branching of 70 wires out of the 97 that were contained within the cable, benefiting from the complicity of both "verifiers" based in the repeater centers flanking Noisy-le-Grand: Lobreau at Paris-Saint-Amand center and Fugier in La Ferté-sous-Jouarre center. Both lobreau and Fugier were constantly surveyed by German technicians. The technical job was achieved quite successfully. At five o'clock in the morning, the branching was over, the cable was coated again in a sheath and the trench was closed. The 70 lines selected were those corresponding to the Kriegsmarine, Luftwaffe, Wehrmacht and Gestapo connections between Paris and Berlin.

Edouard Jung, who had an official front as an insurance agent, began his tapping work on April 20. He was then the single operator, but was quickly supported by Robert Rocard, brother of the physicist Yves Rocard and uncle of the future french prime minister Michel Rocard. In July 1942, a third operator joined the team, Prosper Riss. The work of the operators was very tiring, because not only did they spend a lot of time listening to the german communications, but then they had to retranscribe the records of the tapping with invisible ink.

Combaux used employees of the French railway compagny SNCF to send the tapping reports to Simoneau, in the Zone Libre. Simoneau and his chief, Colonel Rivet, sorted out this information, which then could be passed on to the chief of staff of admiral François Darlan, then commander-in-chief of the Vichy armed forces, or transmitted to the British through the various channels of communication between MI6 and the French intelligence agencies.

According to Edmond Combaux, the information provided was regarding the setting up and transformation of German large units of both the Wehrmacht and the Luftwaffe, submarine bases, assessments of the quality and behavior of leaders. Very top leaders were listened to: Hitler, Goering, Keitel, Von Rundstedt, Jödl, Stülpnagel ... The reports on the Dieppe operation in August 1942 revealed how all the German units reacted to this kind of events.

Tapping on the Paris-Metz line continued for five months, but the security of the house of Noisy-le-Grand became more and more threatened: the Germans had decided to establish a major unit east of Paris, in the area of Noisy-le-Grand, and for this purpose, they set up a vast operation to seek new cantonments and began to requisition housing. In the vicinity of the house rented by Jung, people were claiming to the town hall that before requisitioning the dwellings of the Noisy inhabitants, it would be better to take an interest in this house frequented by suspicious individuals. Combaux then decided to withdraw from this Noisy clandestine tapping station, and on the night of September 16 to 17, Keller and his team erased all traces of the branching.

This withdrawal of the Noisy station accelerated the execution of another similar operation on the Paris-Strasbourg cable. On the same model as in Noisy-le-Grand, a suburban house was rented by Prosper Riss, along the Paris-Strasbourg cable route. The Noisy amplifiers were installed in the new plant and the tapping was operational after Keller and his team achieved the branching on the night of December 16 to 17. Jung, Riss and Rocard could start their listening sessions, but between the cessation of Noisy's tapping and the commissioning of those of Livry-Gargan, the Zone Libre was invaded by German troops following the Anglo-American North Africa landing. French intelligence officers were pursued by the Germans. Combaux failed to trace his colleague Simoneau in Vichy. He left for Lyon on December 22nd, and when he came back on the 25th, he learnt that Keller had been arrested. On the morning of the 24th, when he had come to Livry-Gargan for service, Rocard was met by German soldiers but he managed a narrow escape.

Keller, Guillou, Matheron and Lobreau were deported and only Lobreau survived the deportation.

Edmond Combaux crossed the Spanish border in January 1943, then went on to London, joined the Free French Forces and was then assigned to the Free French BCRA (central bureau of Intelligence and Operations). In 1946, he reported that in May 1944 a senior officer of the British Admiralty told him that the information of "Source K" had proved of paramount importance. Leon Simoneau crossed the spanish border, like Combaux, in the course of January 1943, but joined his chief, Colonel Rivet, in Algiers. In April 1944, in a context of rivalry between the BCRA and the former intelligence services of the French Army, de Gaulle retired Rivet with the rank of general (actually, a dismissal) and promoted Simoneau at the head of SR Guerre (The intelligence agency of the french army) by transforming this body into SR "operationel" (SRO) of B army (future army of de Lattre who landed in Provence in august 1944), in formation. Simoneau died on April 7, 1993, and he had, in the words of Paul Paillole, kept his lucidity and exceptional confidence until his death… But he never left any testimony concerning the source K.

It remains to be seen how the Gestapo (it is indeed the Gestapo and not the Abwehr who intervened) was put on the trail of Robert Keller and the house of Livry-Gargan. Raymond Ruffin, the historian of the K source, who exploited essentially the 1946 report of Combaux, mentions an investigation after the Liberation which would have shown that the Gestapo was convinced a few days before the arrest of Keller, that there was a leak on the Paris-Strasbourg line.
On January 21, 1991, Le Point, a french weekly magazine published a compromising document regarding René Bousquet, The Secrétaire Général of the french Police under Laval government in 1942.This was a report from Himmler to Hitler dated 26 December 1942

Das Reichsführer-SS

Report to the führer, december 26 1942

Subject: The installation of a branching on the main Paris-Strasbourg-Berlin telephone link


[... ]On 21 December 1942, the Secrétaire Général of the French police Bousquet [...] informed SS-Brigadeführer Oberg that a connection had been made to the main cable of the Wehrmacht Paris-Strasbourg-Berlin [...]


This summary is drawn essentially from the book written by Raymond Ruffin, Résistance PTT, Presses de la Cité, 1983, which quotes as sources, concerning the Source K:

- Report of Henri Michel (Revue des P.T.T. de France No. 3)
- Report of Colonel Combaux (The Source K, 3-11-1946)
- Notes by Mr. Simon (Keller's Superior) (3-11-1946)
- Documents from the city of Noisy-le-Grand
And some notes from regional correspondents in the history of the PTT A documentary based on this book and broadcast in September 2018 on a French TV channel: “Hitler sur table d'écoutes”. In march 2019, this film can be downloaded on the internet.

Issues raised by Source K

There is no question of doubting the existence of Source K: A sufficient number of witnesses gave overlapping versions : The Paris-Metz and Paris-Strasbourg cables were hacked and German communications were listened to for 5 months on the Paris-Metz line.
We have never found any German archive reporting tapping of the Paris-Metz line. The Germans may never have known that they were being heard at Noisy-le-Grand. Maybe they discovered it, but they preferred not to pass this information back to Berlin.

Regarding the exploitation of information, it is obviously very embarrassing to have only the report of Edmond Combaux who claims to have met an officer of the British Admiralty who told him that the information from Source K was exceptional.

Captain Simoneau on whom the tapping reports were converging left no testimony on this case, unlike his Intelligence colleagues ; Bertrand or Paillole or Navarre who wrote their memoirs.
It is even more embarrassing that the most important coup performed by the French intelligence services is not corroborated by any English work. To date, it seems that no English-speaking author has ever mentioned the K Source. Namely, Simon Kitson, who published his PhD work (The Hunt for Nazi Spies, University of Chicago Press ,2008 ) dealt a lot with the intelligence services of the Vichy army but did not mention the source K.

Many thanks to Arif Husein for his work in proofreading and correcting English

Remarques en Français

Ce texte en anglais est un résumé succinct de ce que l'on sait de la source K. Il a pour but de porter à la connaissance des historiens anglophones ce que l'on sait de la Source K dans le but de susciter des recherches dans les archives britanniques car il est vraiment génant de n'avoir aucune confirmation de l'apport de la source K aux Britanniques.

Je serai également heureux d'avoir des contacts avec des historiens ou des amateurs français. Bien des questions se posent sur le rôle exact du capitaine Simoneau.

A propos d'Edmond Combaux, voir l'article Paul Labat pendant la Seconde Guerre mondiale.
Haut