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Léon Lavallée
Ce texte, une oraison funèbre prononcée par Claude Meyroune le 3 septembre 1985 m'a été communiqué par Ivan Lavallée, fils de Léon. Je lui ai demandé s'il avait d'autres documents concernant le parcours de son père, il m'a répondu: "J'en ai appris plus sur mon père le jour de son enterrement que tout ce que j'ai vécu avec lui. La résistance, les chambres de tortures de la Gestapo, la lutte politique avait appris à ces hommes et femmes là à se taire, ma mère était chef commando FTPF, je l'ai appris par hasard alors qu'elle était encore vivante et elle a un peu parlé, mais peu, même sa soeur ne sait pas grand chose"
EdC, 26 sept 2007
Toute information sur Léon Lavallée est bienvenue: m'écrire svp
Cimetière
de Lanton, 3 Septembre 1985
C’est
à l’ami, au camarade, au compagnon de la résistance, des prisons et des
camps nazis, à l’homme que je voudrais rendre hommage et adresser un
dernier salut.
Cher
Léon,
Comment
évoquer ta mémoire sans parler du combat que tu as mené toute ta vie, au
service de ton pays et de ton idéal. La grandeur de l’un et la valeur de
l’autre étaient, pour toi, inséparables. Tu as servi de toutes tes forces
cette France populaire, généreuse et active, celle de la classe ouvrière,
dans les rangs du Parti Communiste Français. Tu as apporté ton concours au
mouvement international d’émancipation des peuples. Tu leur as consacré ta
vie et tu as mis ton intelligence à leur service.
Très jeune, bien avant la guerre, à Bordeaux tu étais engagé. Tu étais déjà un militant actif et passionné.
Mon
premier souvenir remonte à 1935 avant ton départ
pour l’Ecole Nationale des Arts et Métiers. Tu étais venu saluer mon père
qui avait été ton professeur de Français au collège technique de Bordeaux.
Avant de partir tu lui avais laissé quelques brochures dont certaines pour
les enfants. C’est ce jour là que j’avais fait ta connaissance. Tous
les ans à chacun de tes voyages à Bordeaux, tu venais nous rendre visite à
mon père. Tu étais l’ancien élève, fidèle dans son amitié et sa
reconnaissance. Et la vie à rapproché nos familles. Ingénieur
des arts et métiers, sorti de l’école nationale d’Angers en 1938, tu as
choisi l’enseignement. Tu as été professeur au collège technique de Morez
dans le Jura, puis à Bordeaux où tu as retrouvé tes anciens professeurs
pendant quelques mois. Tu
t’es tourné à nouveau vers les concours et tu as été reçu en 1940 à
l’Ecole Normale supérieure de l’enseignement technique. Tu as dû gagner
Paris à l’automne 1940. La France avait connue la défaite, Pétain était
au pouvoir, c’était l’occupation nazie.
Dans
ces jours d’amertume et de honte, tu savais où était ton devoir. Tu
n’avais jamais cessé de militer dans le Parti Communiste clandestin. Dès
octobre 1940, tu participes à l’action résistante de l’Université de
Paris et tu organises des groupes clandestins à l’école normale supérieure
de l’enseignement technique. En
décembre 1940, tu es porté à la direction des Etudiants communistes de
Paris et de la Seine, et tu t’occupes plus particulièrement du secteur des
grandes écoles. Tu
avais participé à l’organisation de la grande manifestation étudiante du
11 Novembre 1940 contre l’occupant sur les Champs Elysées à Paris et au
mouvement de protestation qui avait suivi l’arrestation et l’éviction des
professeurs Paul Langevin, Cotton, Mauguin, Lapicq. La
répression de la Gestapo et de la police de Vichy à son service, était de
plus en plus féroce. Rien n’arrêtait ton combat. Les publications de la
presse clandestine étudiantes que tu animais, étaient nombreuses :
« La Relève », « L’Etudiant patriote », « Grandes
écoles » … et les tracts abondants.
Tu
as été membre fondateur du Front National des
Etudiants de Paris et de la Seine en Mai 1941, qui en liaison avec le Front
National des Intellectuels, allait jouer un si grand rôle dans la lutte
contre les traitres et l’envahisseur. L’action
s’amplifiait en cet été 1941. Tu m’as raconté encore dernièrement,
comment tu avais organisé avec Diaz , Djian, Philippe, la manifestation étudiante
du 14 Juillet 1941 sur le boulevard St Michel, en plein quartier Latin,
Celle-ci devait rejoindre ensuite celle de la Porte de St Denis. C’était
aussi les prises de parole et les distributions de tracts dans les amphithéâtres,
les facultés et les grandes écoles, avec la participation des groupes de
protection armés que tu avais organisés.
C’est
en effet le temps de l’action directe. Tu t’engages dans les rangs des Bataillons
de la Jeunesse rattachés aux FTPF quelques mois plus tard. Tu te préoccupes
de trouver un maximum de concours parmi les chimistes pour la fabrication des
explosifs et parmi les médecins et pharmaciens pour les soins. Tu
participes aux actions armées, à l’hébergement des camarades recherchés,
à la solidarité envers les étudiants juifs et leurs familles menacés
d’arrestations et que tu aides à fuir. Mais
au milieu de cette tourmente, rien ne te faisait oublier tes amitiés, car la
fidélité à ton idéal et à tes amis était un trait fondamental de ton
caractère.
Tu
étais venu rendre visite à ma famille à Bordeaux en Septembre 1941. Tu nous
avais parlé de la résistance et de l’engagement nécessaire, simple
information pensais-tu. Cher
Léon, tu l’as su après la guerre, il y avait longtemps que, comme toi,
j’étais dans la lutte. Et lorsque l’année suivante, tu es repassé voir
les miens, tu as appris que mon arrestation avait eu lieu quelques 8 mois
auparavant.
Toi,
c’est le 11 Septembre 1942 que tu es tombé. La
police de Vichy t’a livré aux Allemands. Tu es interné à la Santé, puis
à Fresnes. Ton cas est classé dans la procédure « Nuit et Brouillard ».
On doit tout ignorer de ton sort et tu dois être jugé en Allemagne par le
tribunal spécial chargé des affaires « N.N », pour terrorisme,
sabotage, activité communiste contre l’Allemagne nazie. Tu
es déporté en mars 1943 au camp de concentration d’Hinzert sur lequel sont
dirigés les « N.N » à cette époque. Nos
destins tendent à se confondre, je t’avais précédé dans ce camp
d’Hinzert en 1942. Cependant un de nos camarades bordelais Marcel Gilo te
connaitra au camp et m’apprendra ton arrestation quelques mois plus tard. Après
Hinzert, tu connaitras le bagne de Wittlich, puis en juillet 1944 tu seras
transféré à la prison de Breslau où siégeait le tribunal spécial qui
devait te juger. En
septembre 1944, le décret « N.N » est suspendu et tu es renvoyé
dans les camps. Tu es dirigé sur Gross-Rosen où tu restes jusqu’à l’évacuation
du camp lors de l’avance de l’armée Rouge. Pendant ce rude hiver 1945,
dans le froid, la neige, la famine tu es amené à Kamenz, puis au camp de
Dachau. Lorsque
tu es libéré le 29 Avril 1945 à Dachau, ta santé est gravement altérée.
Tu es hospitalisé directement dans un sanatorium de la forêt Noire où tu
devras rester plus d’une année pour parvenir à une stabilisation de ton état
de santé.
La
libération des camps et la fin de la guerre, pour
nos familles qui nous attendaient dans l’angoisse et qui avaient enfin de
nos nouvelles, c’était la fin d’un cauchemar puisque nous étions
vivants, rescapés de l’hécatombe et de l’enfer. Pour
toi la séparation continue, ton fils Jacques qui avait à peine un an lorsque
tu as été arrêté, ne te connaissait pas. Ce n’est qu’au cours d’une
permission du sana, lorsque tes forces commençaient à revenir, qu’il te
verra pour la première fois. Il avait 6 ans. Cette épreuve restera gravée
dans sa mémoire. Tu
as appris mon retour et tu m’as écrit en Août 1945. Tu m’as expliqué
les raisons politiques et morales qui m’avaient aidé à tenir jusqu’au
bout. Combien tu savais pousser loin l’analyse des événements et combien
ton esprit de synthèse fruit de ta formation marxiste et de ton intelligence
était brillant. Les
heures exaltantes de l’après libération et la vie militante que tu avais
reprise au sana ont créé des conditions propices pour t’aider à hâter la
cicatrisation des lésions. Tu pourras rentrer à Paris ; invalide
certes, mais debout. Tu retrouves ta famille, ton fils Jacques et ton deuxième
fils Ivan qui vient de naitre.
Jacques Duclos, qui connais tes qualités et les ressources de ton esprit, te demandes de faire partie de son secrétariat. Tu lui apportes un concours efficace pendant plusieurs années et tu te consacres à l’étude des grandes questions économiques, notamment à celles posées dans les pays socialistes. Tu dois cependant reprendre ton métier de professeur. Tu es nommé au centre de téléenseignement de Vanves comme professeur de mécanique et dessin industriel. Tu continue ton combat politique en y apportant toute ta force de conviction, ton autorité, ton esprit d’analyse. On t’écoutait toujours avec beaucoup d’intérêt. Tu avais l’art de globaliser brillamment les problèmes et de les resituer dans l’échelle des événements mondiaux. Collaborateur de la section de politique extérieure du Parti Communiste et responsable dans la section économique pendant plusieurs années, tu animes la revue « Economie et Politique ».
Tu
te spécialises dans les études économiques des pays
socialistes. Tu visites plusieurs pays socialistes, et en 1958 tu publieras un
livre sur la Chine, des études sur le Vietnam, la Mongolie, la Corée du
nord, la Roumanie, la RDA et sur la plupart des pays socialistes. Tu
connaitras à Cuba Fidel Castro et Che Guevara qui t’ont reçu de longues
heures. Tu créeras des groupes d’études économiques dans toutes les
langues nécessaires à la connaissance des pays auxquels tu t’intéresses.
Tu établiras de nombreuses relations avec les économistes français et étrangers,
rien ne t’échappes.
Mais
la grave maladie dont tu es atteint depuis quelques années,
progresse malgré les soins et devient de plus en plus handicapante. Tu
publies cependant en 1969, un ouvrage théorique « Pour une prospective
marxiste » qui fait autorité. Tu écris de nombreux articles dans
plusieurs revues et d’autres livres dont un sur la Roumanie. On
doit t’opérer à plusieurs reprises. Tu deviens infirme, diminué
physiquement, cloué dans un fauteuil roulant. Ta seconde épouse Yetto
partage ton calvaire. Tous les deux vous forciez notre admiration car vous ne
vous résigniez pas. Vous luttez contre la maladie avec courage. Tu
résistes et tu continues à travailler. Si tes mains et tes articulations
sont douloureuses et déformés affreusement, ton esprit est intact. Tu
discutes avec la même vivacité, la même fougue. Tu continues à étudier et
à publier.
Nous,
tes amis, nous te voyons souvent depuis le retour des camps. Chaque année,
aux alentours du 14 juillet, nous te retrouvons à Lanton dans ce coin de
terre de Gironde qui t’a vu naitre, le berceau de ta famille que tu aimais
tant et dont tu parlais avec beaucoup de respect. Nous
ne manquions pas non plus l’occasion de passer te voir à Paris. Nous
parlions de tes travaux sur l’économie des pays socialistes, du Vietnam qui
avait toute ta sympathie, des grands problèmes politiques du moment. Mais
aussi de la résistance et de la déportation. Nous parlions aussi de la
Gironde et de Bordeaux et tu aimais Gasconner avec nous.
Combien
je regrette, une fois devenu parisien moi-même, de ne pas avoir pu te voir
plus souvent encore. Cet
été, la maladie t’a emporté en nous laissant parfois l’espoir de te
retrouver un jour comme avant. Tu
as lutté jusqu’au bout avec la force de caractère que nous te
connaissions. Maintenant
ton martyr a cessé. Tu restes grand dans notre cœur, nous pleurons un
camarade et un ami.
Chère
Yetto, si affectueuse et si dévouée, ton épouse.
Chers
Jacques et Ivan, tes fils, si douloureusement frappés.
Chères
Jeannette et Nicole, tes belle-fille, tes petits enfants, Chères familles,
accepter nos condoléances et nos sentiments de profonde affection.
Cher
Léon,
Tu
vas reposer dans ta terre natale. Nous ne t’oublierons pas.
Adieu
cher camarade de lutte et de camp.
Claude Meyroune
Notes
d'Ivan Lavallée :
Claude
Meyroune, ancien résistant, déporté politique, ami de Léon Lavallée.
(Voir, la
biographie de Claude Meyroune
Léon
Lavallée né à Taussat en Décembre 1917 allée Robinville.
"Monté"
à Paris en 1940 à la demande du Parti et a vendu l'usine de son père (les
actuels ateliers municipaux de Lanton) pour relancer la revue « Economie
et Politique ».
Il
a élaboré le premier plan économique pour Cuba, à la demande de Fidel et
du Che, il a été l'un des tout premiers communistes (1949-50 ?) à aller en
Chine populaire il a élaboré pour les vietnamiens un plan économique pour
tenir sous les bombes états-uniennes.
Sa
première épouse, Raymonde Chasle, mère de ses fils, Jacques et Ivan a elle
aussi été résistante, chef commando FTPF à la libération, elle s’empare
de la mairie de Colombes.