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Histoires de falsifications de l'Histoire de 1947 à nos jours
Emmanuel de Chambost (1997 et 2004)
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Biographie Fabien |
EdC, 15 Novembre 2004
En 2005, l'histoire de l'occupation et de Vichy est encore en chantier.
A fortiori, la vérité n'était pas simple à établir au lendemain de la
guerre, dans un monde imprégné cinq ans durant de propagande et
contre-propagande. On connaît bien le raccourci fameux de De Gaulle
"Paris
par soi-même libéré", sa volonté de restaurer un état fort et, par
conséquent, de passer rapidement l'éponge sur le comportement des dizaines
de milliers de fonctionnaires qui avaient poussé le service de l'Etat jusqu'à
la servilité. Les plus illustres personnalités mirent davantage en lumière
leurs faits de résistance que les services rendus au gouvernement de Vichy.
Par exemple, François Mitterand, futur président de la République se garde
bien de signaler au très complaisant "Dictionnaire
Biographique Français Contemporain"[1]
ses états de services dans l'administration avant son entrée en résistance,
en 1943, et encore moins la francisque dont il fut honoré.
Beaucoup de militants communistes publièrent dans l'immédiate après-guerre
des livres de souvenirs honnêtes. Mais l'histoire officielle du Parti fut
efficacement contrôlée par ses plus hautes instances. Dans le monde
stalinien, l'histoire avait cessé d'être la discipline fondamentale sur
laquelle Marx
avait
voulu fonder un socialisme scientifique. On ne laissait à l'histoire qu'un rôle
utilitaire dans le combat communiste, On produisait l'histoire qui convenait
pour étayer la ligne politique du moment.
Le principe de falsification était donc normalement admis dans le monde communiste. En URSS, lorsque de vieux bolcheviques furent disgraciés, on retoucha les photos officielles où ils côtoyaient de trop près Lénine ou Staline , ils furent purement et simplement effacés. En France, des pratiques très similaires se développèrent, sans doute moins aisément, puisque n'importe qui était quand même libre de raconter n'importe quoi en dehors du Parti, mais le monde communiste étant un monde clos, il fut parfois possible d'élaborer en son sein une construction historique totalement factice.
Thorez
,
premier résistant
L'histoire de Maurice Thorez
a
constitué l'une des plus flagrantes falsifications du stalinisme à la Française.
Rappelons les faits: En 1939, mobilisé dans le Nord, près de Chauny, Thorez
reçoit de l'Internationale l'ordre de déserter, de se replier sur Bruxelles,
puis de regagner Moscou. Discipliné, il s'exécute, comme l'auraient fait
tous les cadres du Parti qui était à l'époque la Section Française de
l'Internationale Communiste. Du point de vue de l'élaboration de l'histoire
officielle, en 1945, les données du problème étaient les suivantes:
1.
Le Parti Communiste est le premier parti de la Résistance.
2.
Maurice Thorez
,
dirigeant du Parti, est le premier résistant communiste (donc le premier résistant
Français.)
3.
Il est de notoriété publique que Thorez
est
fraîchement arrivé de Moscou après de laborieuse négociations avec de
Gaulle
. Il a
d'ailleurs fréquenté à Moscou les émissaires de la France Libre dés le début
de 44.
Solution du problème: Thorez
est
resté à son poste de combat jusqu'en mai 1943. A cette date, en tant que
membre du bureau de l'Internationale, il dut se rendre à Moscou pour
participer à sa dissolution.
Cette version officielle, esquissée dés 44, lors des premiers
contacts avec la France Libre à Moscou, fut exprimée et imprimée noir sur
blanc dans la première édition d'après-guerre de "Fils du
Peuple", les mémoires de Thorez
.
"La police me recherchait. Le 26 septembre 1939, le gouvernement avait décrété,
illégalement, l'interdiction du Parti communiste... Par une exception qui
confirmait la règle que j'avais moi-même appliquée: "Les communistes
vont à la guerre en cas de mobilisation", la direction du Parti prit la
décision juste de me faire passer à l'activité clandestine... Le 4 Octobre,
je repris ma place de combat à la tête des militants communistes traqués et
persécutés... [suivent 25 pages qui développent l'action du Parti
jusqu'en 1943] En 1943, en ma qualité
de membre du Bureau de l'Internationale, je participai, à Moscou, aux délibérations
d'où sortit la dissolution de l'Internationale Communiste..."[2]
Pour consolider le bel édifice, on eu recours à la caution
scientifique et morale du professeur Marcel Prenant. C'était en Juin 45, au
congrès de Paris. Prenant, qui s'était engagé dans le Parti avec l'ardeur
d'un néophyte, n'eut pas les scrupules qu'il eut plus tard, en biologie, vis-à-vis
des thèses de Lyssenko
: Il
dit ce que le Parti lui demandait de dire, et sans doute ne savait-il même
pas que c'était faux:
"Le dernier jour, la parole est donnée à Marcel Prenant; pâle, encore
terriblement éprouvé, marchant péniblement en prenant appui sur sa canne,
vivant symbole de l'héroïsme des communistes, le professeur prend place
derrière le micro. Il parle en tant qu'ancien chef d'état-major des FTP...
Il salue "Maurice Thorez
,
secrétaire général du Parti communiste français, inspirateur, guide et
chef véritable de nos formations militaires"... Arrivé au terme de ce
texte longuement mûri par la direction, l'universitaire résistant lance
"Salut à Maurice Thorez, le premier en date des combattants sans
uniforme contre le fascisme hitlérien et les traîtres ! Salut à Maurice
Thorez, le premier des francs-tireurs et des partisans français!"[3]
Tillon
effacé de l'histoire
C'est anecdotique, mais tellement révélateur des manipulations en
vigueur au cours de la grande époque stalinienne, que je ne peux m'empêcher
de revenir à ce monument historique de falsification que constitue "Fils
du Peuple". Dans l'édition de 47, les responsabilités au sein des FTP y
sont présentées ainsi: "La lutte
armée des Francs-Tireurs et Partisans français, recrutés, organisés, dirigés
par notre parti, par ses militants, Charles Tillon, le colonel Rol-Tanguy,
Marcel Prenant, Laurent Casanova, Pierre Villon
,
Léon Mauvais, Victor Michaut, a été particulièrement efficace."[4]
Passons sur l'aspect très sélectif de l'échantillon, qui intronise
Rol-Tanguy, responsable FTP authentique mais subalterne et oublie Hénaff
et
Ouzoulias. Laurent Casanova, malgré sa brillante évasion, ne joua, on le
sait qu'un rôle minime et tardif dans les FTP, mais il est un proche de
Thorez
. Du
coup, pour ne pas faire de peine à Michaut, le mari de la compagne de
Casanova pendant les années FTP, le voilà élevé lui aussi au rang de
dirigeant FTP, lui qui fut arrêté en Juin 41, six mois avant la création
des FTP. Quant à Léon Mauvais, responsable du Parti en zone sud, il ne fit
jamais partie non plus des FTP.
Il y a peu de différences entre l'édition de 1954 et l'édition de
1947, le passage cité ci-dessus se trouve à la même page 187, mais le nom
de Charles Tillon a purement et simplement été supprimé.
[1]
Dictionnaire
Biographique Français Contemporain, Agence Internationale de
documentation contemporaine, deuxième édition, Paris, 1954.
Mitterand avait été haut fonctionnaire au Commissariat général aux prisonniers, jusqu'en 1943.
[2]
M.Thorez
, Fils
du Peuple, Editions Sociales, 1947, p.166 et p.192
[3]
P.Robrieux, Histoire Intérieure du
Parti Communiste Français, Tome 2, p.121
[4]M.Thorez
, Fils
du Peuple, Editions Sociales, 1947, p.187
La mémoire de Fabien prise en otage au métro Barbés En ce Vendredi de pont de 12 novembre, j'avais le projet d'aller visiter l'exposition Pharaons à l'Institut du Monde Arabe, mais un ami m'avais conseillé de faire le détour par la station de Métro Barbès, où l'on peut découvrir les vestiges, m'avait-il dit d'une époque que l'on croyait close avec la mort de Duclos en 1975, la volatisation de l'URSS en 1990 et le remplacement de Georges Marchais par Robert Hue en 1994. Bien protégé dans son abri souterrain des vents de la liberté, un échantillon de l'Histoire stalinienne à la française a été conservé intact. On peut encore le visiter sur les quais de la ligne 4 du métro parisien, direction Porte de Clignancourt. C'est en ce lieu qu'assisté de son camarade Brustlein, Pierre Georges, plus connu sous le nom de Fabien, assassina l'aspirant Moser le 21 Août 1941, premier attentat commis et revendiqué contre un officier des troupes d'occupation. C'est en ce même lieu que fut installée, en 1981, si j'en crois Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre[1] une vitrine-exposition sur le thème de Fabien en particulier et de la Résistance en général. La vitrine-exposition porte la signature de l'ANACR, association de résistants autrefois contrôlée par le PCF. L'idée était a priori tout à fait excellente, mais on aurait pu faire une vitrine consacrée au parcours de Fabien, on y aurait appris tous les faits d'armes de ce communiste fidèle, son passage aux Brigades Internationales, son activité intrépide dans le parti clandestin, son rôle de premier plan dans la résistance communiste qui devint les FTP, ses évasions, ses blessures, sa participation à la Libération de Paris, sa rencontre fraternelle avec l'avant-garde de la 2eme DB, et enfin, la formation de la "colonne Fabien" qui poursuivra sous une autre forme, aux côtés de Patton, le combat contre les armées allemandes; On aurait mis également dans un petit coin un petit mot et une petite photo de Gilbert Brustlein; la jeunesse aurait été instruite et édifiée, et le peuple communiste, les descendants de FTP, auraient été satisfaits que l'un des leurs soit justement célébré. Mais
ce n'est pas ça qu'on voit dans la vitrine: L'hommage à Fabien est
entremêlé d'une Histoire de la Résistance, une Histoire, hélas,
comme le PCF en produisait dans les années 50, 60 et même 70, c'est-à-dire
une Histoire maquillée, complètement fabriquée pour faire avaler
les plus gros mensonges, comme celui d'un Thorez dirigeant avec Duclos
la Résistance dés Juin 40, alors que même en 81, avant l'ouverture
des archives de Moscou, aucun historien, même communiste, ne pouvait
ignorer qu'à cette date-là Thorez était à Moscou et que les émissaires
de Duclos négociaient avec les autorités allemandes, la reparution
officielle de l'Humanité. Eh bien, pour illuster les Résistants de
la première heure, on peut voir, dans la vitrine du métro Barbés,
une photo de De Gaulle avec un extrait de son discours du 18 Juin, une
photo du général Delestraint avec un extrait d'une note adressée,
à la même date, aux officiers de son unité dissoute, et une photo où
Duclos et Thorez sont assis, côte à côte, avec un extrait de "l'Appel
du 10 Juillet", le fameux passage "Jamais
un peuple comme le nôtre ne sera un peuple d'esclaves" .
On sait que ce tract a bien existé, qu'il était une charge contre
toutes les forces politiques non communistes, qu'il ne mettait pas en
cause les Allemands mais prenait violemment à partie les impérialistes
anglais, y compris dans le passage cîté, à condition qu'on aille
jusqu'au bout de la phrase :"
Jamais un peuple comme le nôtre ne sera un peuple d'esclaves et si,
malgré la terreur, ce peuple a su, sous les formes les plus diverses,
montrer sa réprobation de voir la France enchaînée au char de l'impérialisme
britannique, il saura signifier aussi à la bande axtuellement au
pouvoir sa volonté d'être libre"
Ce qui est tout à fait remarquable, c'est que le général
Delestraint, futur responsable de l'Armée Secrète arrêté quelques
jours avant Jean Moulin, n'est pas particulièrement un résistant de
la première heure, mais il est particulièrement représentatif d'un
groupe que l'on ne peut suspecter d'avoir des sympathies communistes,
celui des officiers très chrétiens. C'est une grosse et vieille
ficelle: Le flou artistique et le parfum œcuménique créé avec
Delestraint permet de glisser discrètement Thorez et Duclos dans la
wagon des résistants de Juin 40..
Un peu plus loin, sur la vitrine, on retrouve une photo de l'inévitable
Rol-Tanguy. C'est le résistant vedette du PCF, il ne faut qu'aucun
autre ne lui vole la première place. Ainsi, à Aubervilliers où l'on
va inaugurer une rue Charles Tillon le 27 novembre (Tillon, chef des
FTP, ancien maire d'Aubervilliers, tombé en disgrace en 1952, exclu
du Parti en 1970), on va aussi inaugurer une rue Rol-Tanguy. Il doit
s'agir d'un compromis local entre les communistes d'ouverture et
communistes traditionnalistes.
J'invite donc tous ceux qui veulent honorer Fabien et son
copain Brustlein, à aller lui rendre une petite visite dans sa tombe
du métro Barbés, en espérant que ces visites finiront par
libérer sa mémoire de la vigilance de ses gardiens
staliniens. Pour ceux qui aiment rigoler, ne pas louper, dans la
vitrine ce commentaire qui accompagne ue photo d'Hitler sur un quai de
gare (Montoire ?) où l'on entrevoit une locomotive en mauvais état:
"Hitler et son état-major viennent vérifier l'efficacité de la
Résistance française". Que des historiens staliniens tiennent en 2004 le métro parisien sous leut contrôle me laisse songeur. Fabien, devenu colonel à 25 ans, a été tué le 27 décembre 1944 par une mine qu'il essayait de désamorcer. Un de ses hommes s'appelait Alphonse Boudard. C'est lui qui aura le mot de la fin: " Que serait-il devenu, Fabien, s'il n'avait sauté en démontant une mine antichar dans son P.C. en fin décembre ? serait-il resté docile, dans la ligne ? Aurait-il fait les autocritiques voulues par le Comité central ? Au bilan, bien peu de leurs héros de l'ombre ont échappé à la machinerie broyeuse du Parti. il est mort vraiment au bon moment, le colonel, on ne peut plus lui dévisser sa plaque de métro... il n'aura jamais eu le temps de se ternir l'auréole, de grossir du bide, de se compromettre, de trahir d'une façon l'autre, d'encourir les sarcasmes de la contestation. Comme Jeanne d'Arc, il fallait qu'elle se consume sur le bûcher de Rouen" Il faut libérer Fabien de sa vitrine, certains veulent lui faire prendre du bide ! |
Albert
Ouzoulias, les Bataillons de la Jeunesses,
Editions Sociales, 1972
Albert
Ouzoulias, Les Fils de la Nuit,
Grasset, 1975
Jean-Marc
Berlière et Franck Liaigre, Le
Sang des Communistes,
Fayard, 2004
Liens
http://www.ftpf.net/pages/histoire/plan.html