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Des archives du Kommintern et de celles du Monde Diplomatique  

Emmanuel de Chambost (Août 98)

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Doit-on dire que "le livre noir du communisme"(chez Robert Laffont, 1997), pavé de 850 pages tombé dans la mare de l'histoire contemporaine n'en finit pas de faire des vagues, ou que le sujet se prête bien à l'accomodement des restes ? Comme l'avait fait Historia il y a quelques mois, c'est maintenant L'Histoire, dans son numéro spécial de Juillet-Août, qui accueille Stéphane Courtois et quelques-uns de ses amis de la revue Communisme. Parallèlement, le numéro d'été de la revue Manière de voir reprend les articles du Monde Diplomatique suscités en automne dernier par la publication de livre noir.

            D'un coté, Stéphane Courtois semble abandonner la comptabilisation des crimes du communisme pour se replier sur l'histoire du communisme français censée être son domaine de compétence, et de l'autre, le Monde Diplomatique surenchérit en opposant maintenant les crimes du libéralisme à ceux du communisme. J'ai relevé des zones d'ombre des deux cotés.

            Dans la première zone d'ombre se dissimule l'imposture de Courtois dans sa prétention à établir des révélations sur la dépendance du PCF au Kommintern "L'ouverture des archives de Moscou permet de porter un coup de projecteur révélateur... Aujourd'hui, beaucoup de communistes ou d'ex-communistes découvrent avec stupeur ce que fut la réalité des relations entre la direction du PCF et du centre du système totalitaire communiste"("PCF, le Parti de Moscou", L'Histoire n°233, Jui-Août 98). Tous ceux qui s'intéressent au sujet savent pourtant que Robrieux a pratiquement tout révélé dans ses 4 tomes de L'Histoire Intérieure du PCF, notamment le rôle de Fried, dans le premier tome publié en 1980. Les archives n'ont fait que confirmer ce qui avait déjà été rendu accessible au grand public. Dans le même numéro de L'Histoire, dans un article consacré à l'historiographie du communisme français ("Le communisme est-il soluble dans l'histoire ?", L'Histoire n°233), Marc Lazar, compère de Courtois, ne reconnaît en Robrieux que le biographe de Thorez et ignore l'ensemble de son œuvre postérieure à 1975, celle qui présentait au grand public les rouages du PCF. L'historien Robrieux est effacé de l'histoire, comme Trotski l'avait été des photos officielles de la révolution d'octobre. Depuis la sortie du livre noir, peu de gazettes se sont souvenues de lui.

            Concernant cette même période 1975-80, Les ambiguités de Serge Halimi relèvent d'un certain cynisme. Dans un article intitulé "Tapis rouge médiatique" ("Tapis rouge médiatique", le Monde Diplomatique, Dec 97) Il constate d'abord avec un certain bon sens que "depuis Boris Souvarine, Arthur Koestler, le rapport Khrouchtchev, Alexandre Solyenistsine, le tabou de la dénonciation des crimes a été largement levé." Il faut reconnaître à Halimi un certain aplomb d'oser pousuivre "Plus près de nous, de la déchirure Cambodgienne aux massacres de Tien anmen, les journalistes qui le souhaitaient -et ils furent nombreux- ont largement trouvé de quoi nourrir leur dénonciation du système communiste." Ce qui est évident pour Serge Halimi l'est peut-être moins pour le lecteur moyen: En suivant bien sa pensée, les journalistes qui ne cherchaient pas à nourrir leur dénonciation du système communiste pouvaient se dispenser de s'intéresser aux victimes cambodgiennes et à leurs bourreaux. Le Monde Diplomatique en fut un exemple particulièrement remarquable, qui se dispensa de toute information sur le Cambodge après la prise de Pnom-Penh en avril 75. C'est vers cette date que je cessai de lire le Monde Diplomatique, sanctionnant ainsi la médiocrité de l'information dispensée sur la Chine. Ces derniers jours, avant de partir en vacances, je suis allé feuilleté, par curiosité les collections des années 75-78 auxquelles j'avais échappé. En Juillet 75, Jacques Decornoy reveniat sur l'affaire du Mayarguez, ce cargo américain arraisoné par les Khmers Rouges. Il faut ensuite attendre Mai 77 pour que le Monde Diplomatique s'intéresse à nouveau au Cambodge, quinze mois après que François Ponchaud ait diffusé dans un certain nombre de médias (notamment Le Monde et Libération) une version cohérente de ce que l'on a convenu d'appeler le génocide cambodgien. Le titre de l'article de Nayam Chanda, en mai 77, balançait entre euphémisme et négationisme: "Cambodge: Après deux ans d'isolement complet, premiers timides d'une ouverture au monde extérieur". Il est vrai que dans le corps de l'article, l'auteur évoquait quand même "le coût humain des réalisations de Pol Pot" et reconaissait "que le nombre des morts a été relativement élevé". Mais de telles affirmations sans doute trop dures à supporter par certains étaient immédiatement tempérées dans le texte, par "la tendance des réfugiés à exagérer leurs maux pour s'attirer la sympathie..."

            L'ancien lecteur du Monde Diplomatique avoue qu'il aimerait bien savoir à la suite de quels débats la rédaction décida d'occulter cet avènement de la barbarie dans un pays sur lequel elle avait pourtant largement braqué ses projecteurs avant 1975. S'il existe des archives au Monde Diplomatique, alors les historiens qui les dépouilleront auront-ils l'occasion de faire de vraies révélations, car pour l'heure, contrairement à ce qui s'est passé pour le PCF, les confidences des repentis ne sont pas encore parvenues au lecteur de base.

Août 98

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