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Léon Lavallée 

Ce texte, une oraison funèbre prononcée par Claude Meyroune le 3 septembre 1985 m'a été communiqué par Ivan Lavallée, fils de Léon. Je lui ai demandé s'il avait d'autres documents concernant le parcours de son père, il m'a répondu: "J'en ai appris plus sur mon père le jour de son enterrement que tout ce que j'ai vécu avec lui. La résistance, les chambres de tortures de la Gestapo, la lutte politique avait appris à ces hommes et femmes là à se taire, ma mère était chef commando FTPF, je l'ai appris par hasard alors qu'elle était encore vivante et elle a un peu parlé, mais peu, même sa soeur ne sait pas grand chose"

EdC, 26 sept 2007

Toute information sur Léon Lavallée est bienvenue: m'écrire svp

Plan de la page

Avant-Guerre    Clandestinité, oct 1940-Mai 41     Front National (Mai 1941)

 Bataillons de la Jeunesse (fin 1941)   Déportation (Sept 42-1945)

Libération   Secrétariat de Duclos  économiste socialiste (1958)

la maladie (1969-89)

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Cimetière de Lanton, 3 Septembre 1985

C’est à l’ami, au camarade, au compagnon de la résistance, des prisons et des camps nazis, à l’homme que je voudrais rendre hommage et adresser un dernier salut.

 

Cher Léon,

 

Comment évoquer ta mémoire sans parler du combat que tu as mené toute ta vie, au service de ton pays et de ton idéal. La grandeur de l’un et la valeur de l’autre étaient, pour toi, inséparables. Tu as servi de toutes tes forces cette France populaire, généreuse et active, celle de la classe ouvrière, dans les rangs du Parti Communiste Français. Tu as apporté ton concours au mouvement international d’émancipation des peuples. Tu leur as consacré ta vie et tu as mis ton intelligence à leur service.

Très jeune, bien avant la guerre, à Bordeaux tu étais engagé. Tu étais déjà un militant actif et passionné.

Mon premier souvenir remonte à 1935 avant ton départ pour l’Ecole Nationale des Arts et Métiers. Tu étais venu saluer mon père qui avait été ton professeur de Français au collège technique de Bordeaux. Avant de partir tu lui avais laissé quelques brochures dont certaines pour les enfants. C’est ce jour là que j’avais fait ta connaissance.  Tous les ans à chacun de tes voyages à Bordeaux, tu venais nous rendre visite à mon père. Tu étais l’ancien élève, fidèle dans son amitié et sa reconnaissance. Et la vie à rapproché nos familles. Ingénieur des arts et métiers, sorti de l’école nationale d’Angers en 1938, tu as choisi l’enseignement. Tu as été professeur au collège technique de Morez dans le Jura, puis à Bordeaux où tu as retrouvé tes anciens professeurs pendant quelques mois. Tu t’es tourné à nouveau vers les concours et tu as été reçu en 1940 à l’Ecole Normale supérieure de l’enseignement technique. Tu as dû gagner Paris à l’automne 1940. La France avait connue la défaite, Pétain était au pouvoir, c’était l’occupation nazie.

 

Dans ces jours d’amertume et de honte, tu savais où était ton devoir. Tu n’avais jamais cessé de militer dans le Parti Communiste clandestin.  Dès octobre 1940, tu participes à l’action résistante de l’Université de Paris et tu organises des groupes clandestins à l’école normale supérieure de l’enseignement technique. En décembre 1940, tu es porté à la direction des Etudiants communistes de Paris et de la Seine, et tu t’occupes plus particulièrement du secteur des grandes écoles. Tu avais participé à l’organisation de la grande manifestation étudiante du 11 Novembre 1940 contre l’occupant sur les Champs Elysées à Paris et au mouvement de protestation qui avait suivi l’arrestation et l’éviction des professeurs Paul Langevin, Cotton, Mauguin, Lapicq. La répression de la Gestapo et de la police de Vichy à son service, était de plus en plus féroce. Rien n’arrêtait ton combat. Les publications de la presse clandestine étudiantes que tu animais, étaient nombreuses : « La Relève », « L’Etudiant patriote », « Grandes écoles » … et les tracts abondants.

 

Tu as été membre fondateur du Front National des Etudiants de Paris et de la Seine en Mai 1941, qui en liaison avec le Front National des Intellectuels, allait jouer un si grand rôle dans la lutte contre les traitres et l’envahisseur. L’action s’amplifiait en cet été 1941. Tu m’as raconté encore dernièrement, comment tu avais organisé avec Diaz , Djian, Philippe, la manifestation étudiante du 14 Juillet 1941 sur le boulevard St Michel, en plein quartier Latin, Celle-ci devait rejoindre ensuite celle de la Porte de St Denis. C’était aussi les prises de parole et les distributions de tracts dans les amphithéâtres, les facultés et les grandes écoles, avec la participation des groupes de protection armés que tu avais organisés.

 

C’est en effet le temps de l’action directe. Tu t’engages dans les rangs des Bataillons de la Jeunesse rattachés aux FTPF quelques mois plus tard. Tu te préoccupes de trouver un maximum de concours parmi les chimistes pour la fabrication des explosifs et parmi les médecins et pharmaciens pour les soins. Tu participes aux actions armées, à l’hébergement des camarades recherchés, à la solidarité envers les étudiants juifs et leurs familles menacés d’arrestations et que tu aides à fuir. Mais au milieu de cette tourmente, rien ne te faisait oublier tes amitiés, car la fidélité à ton idéal et à tes amis était un trait fondamental de ton caractère.

 

Tu étais venu rendre visite à ma famille à Bordeaux en Septembre 1941. Tu nous avais parlé de la résistance et de l’engagement nécessaire, simple information pensais-tu. Cher Léon, tu l’as su après la guerre, il y avait longtemps que, comme toi, j’étais dans la lutte. Et lorsque l’année suivante, tu es repassé voir les miens, tu as appris que mon arrestation avait eu lieu quelques 8 mois auparavant.

 

Toi, c’est le 11 Septembre 1942 que tu es tombé. La police de Vichy t’a livré aux Allemands. Tu es interné à la Santé, puis à Fresnes. Ton cas est classé dans la procédure « Nuit et Brouillard ». On doit tout ignorer de ton sort et tu dois être jugé en Allemagne par le tribunal spécial chargé des affaires « N.N », pour terrorisme, sabotage, activité communiste contre l’Allemagne nazie. Tu es déporté en mars 1943 au camp de concentration d’Hinzert sur lequel sont dirigés les « N.N » à cette époque. Nos destins tendent à se confondre, je t’avais précédé dans ce camp d’Hinzert en 1942. Cependant un de nos camarades bordelais Marcel Gilo te connaitra au camp et m’apprendra ton arrestation quelques mois plus tard. Après Hinzert, tu connaitras le bagne de Wittlich, puis en juillet 1944 tu seras transféré à la prison de Breslau où siégeait le tribunal spécial qui devait te juger. En septembre 1944, le décret « N.N » est suspendu et tu es renvoyé dans les camps. Tu es dirigé sur Gross-Rosen où tu restes jusqu’à l’évacuation du camp lors de l’avance de l’armée Rouge. Pendant ce rude hiver 1945, dans le froid, la neige, la famine tu es amené à Kamenz, puis au camp de Dachau. Lorsque tu es libéré le 29 Avril 1945 à Dachau, ta santé est gravement altérée. Tu es hospitalisé directement dans un sanatorium de la forêt Noire où tu devras rester plus d’une année pour parvenir à une stabilisation de ton état de santé.

 

La libération des camps et la fin de la guerre, pour nos familles qui nous attendaient dans l’angoisse et qui avaient enfin de nos nouvelles, c’était la fin d’un cauchemar puisque nous étions vivants, rescapés de l’hécatombe et de l’enfer. Pour toi la séparation continue, ton fils Jacques qui avait à peine un an lorsque tu as été arrêté, ne te connaissait pas. Ce n’est qu’au cours d’une permission du sana, lorsque tes forces commençaient à revenir, qu’il te verra pour la première fois. Il avait 6 ans. Cette épreuve restera gravée dans sa mémoire. Tu as appris mon retour et tu m’as écrit en Août 1945. Tu m’as expliqué les raisons politiques et morales qui m’avaient aidé à tenir jusqu’au bout. Combien tu savais pousser loin l’analyse des événements et combien ton esprit de synthèse fruit de ta formation marxiste et de ton intelligence était brillant. Les heures exaltantes de l’après libération et la vie militante que tu avais reprise au sana ont créé des conditions propices pour t’aider à hâter la cicatrisation des lésions. Tu pourras rentrer à Paris ; invalide certes, mais debout. Tu retrouves ta famille, ton fils Jacques et ton deuxième fils Ivan qui vient de naitre.

 

Jacques Duclos, qui connais tes qualités et les ressources de ton esprit, te demandes de faire partie de son secrétariat. Tu lui apportes un concours efficace pendant plusieurs années et tu te consacres à l’étude des grandes questions économiques, notamment à celles posées dans les pays socialistes. Tu dois cependant reprendre ton métier de professeur. Tu es nommé au centre de téléenseignement de Vanves comme professeur de mécanique et dessin industriel. Tu continue ton combat politique en y apportant toute ta force de conviction, ton autorité, ton esprit d’analyse. On t’écoutait toujours avec beaucoup d’intérêt. Tu avais l’art de globaliser brillamment les problèmes et de les resituer dans l’échelle des événements mondiaux. Collaborateur de la section de politique extérieure du Parti Communiste et responsable dans la section économique pendant plusieurs années, tu animes la revue « Economie et Politique ».

Tu te spécialises dans les études économiques des pays socialistes. Tu visites plusieurs pays socialistes, et en 1958 tu publieras un livre sur la Chine, des études sur le Vietnam, la Mongolie, la Corée du nord, la Roumanie, la RDA et sur la plupart des pays socialistes. Tu connaitras à Cuba Fidel Castro et Che Guevara qui t’ont reçu de longues heures. Tu créeras des groupes d’études économiques dans toutes les langues nécessaires à la connaissance des pays auxquels tu t’intéresses. Tu établiras de nombreuses relations avec les économistes français et étrangers, rien ne t’échappes.    

 

Mais la grave maladie dont tu es atteint depuis quelques années, progresse malgré les soins et devient de plus en plus handicapante. Tu publies cependant en 1969, un ouvrage théorique « Pour une prospective marxiste » qui fait autorité. Tu écris de nombreux articles dans plusieurs revues et d’autres livres dont un sur la Roumanie. On doit t’opérer à plusieurs reprises. Tu deviens infirme, diminué physiquement, cloué dans un fauteuil roulant. Ta seconde épouse Yetto partage ton calvaire. Tous les deux vous forciez notre admiration car vous ne vous résigniez pas. Vous luttez contre la maladie avec courage. Tu résistes et tu continues à travailler. Si tes mains et tes articulations sont douloureuses et déformés affreusement, ton esprit est intact. Tu discutes avec la même vivacité, la même fougue. Tu continues à étudier et à publier.

 

Nous, tes amis, nous te voyons souvent depuis le retour des camps. Chaque année, aux alentours du 14 juillet, nous te retrouvons à Lanton dans ce coin de terre de Gironde qui t’a vu naitre, le berceau de ta famille que tu aimais tant et dont tu parlais avec beaucoup de respect. Nous ne manquions pas non plus l’occasion de passer te voir à Paris. Nous parlions de tes travaux sur l’économie des pays socialistes, du Vietnam qui avait toute ta sympathie, des grands problèmes politiques du moment. Mais aussi de la résistance et de la déportation. Nous parlions aussi de la Gironde et de Bordeaux et tu aimais Gasconner avec nous.

 

Combien je regrette, une fois devenu parisien moi-même, de ne pas avoir pu te voir plus souvent encore. Cet été, la maladie t’a emporté en nous laissant parfois l’espoir de te retrouver un jour comme avant. Tu as lutté jusqu’au bout avec la force de caractère que nous te connaissions. Maintenant ton martyr a cessé. Tu restes grand dans notre cœur, nous pleurons un camarade et un ami.

 

Chère Yetto, si affectueuse et si dévouée, ton épouse.

Chers Jacques et Ivan, tes fils, si douloureusement frappés.

Chères Jeannette et Nicole, tes belle-fille, tes petits enfants, Chères familles, accepter nos condoléances et nos sentiments de profonde affection.

 

Cher Léon,

Tu vas reposer dans ta terre natale. Nous ne t’oublierons pas.

 

Adieu cher camarade de lutte et de camp.

 

                                                                                                             Claude Meyroune

  

Notes d'Ivan Lavallée :

 

Claude Meyroune, ancien résistant, déporté politique, ami de Léon Lavallée. (Voir,  la biographie de Claude Meyroune décédé en décembre 2007)

 

Léon Lavallée né à Taussat en Décembre 1917 allée Robinville.

"Monté" à Paris en 1940 à la demande du Parti et a vendu l'usine de son père (les actuels ateliers municipaux de Lanton) pour relancer la revue « Economie et Politique ».

 Il a élaboré le premier plan économique pour Cuba, à la demande de Fidel et du Che, il a été l'un des tout premiers communistes (1949-50 ?) à aller en Chine populaire il a élaboré pour les vietnamiens un plan économique pour tenir sous les bombes états-uniennes.

 Sa première épouse, Raymonde Chasle, mère de ses fils, Jacques et Ivan a elle aussi été résistante, chef commando FTPF à la libération, elle s’empare de la mairie de Colombes.

 

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