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HISTOIRE DU LAC D'AIGUEBELETTE

1802: ALBANIS-BEAUMONT INVENTE LE CULTE DU DIEU BEL



(Création 25 octobre 2016)

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L'auteur

Voir aussi Les Palaffittes du lac d'Aiguebelette

Voir aussi Les Chambost à Lépin


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La pierre dimaire retrouvée sur l'île et abusivement qualifiée de  «pierre à sacrifice» ou «pierre à cupules»


La légende du dieu Bel
Le texte d'Albanis-Beaumont
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La légende du dieu Bel à Aiguebelette

A ce jour où je crée cette page, il est encore mentionné sur le site de l'Office du tourisme du lac d'Aiguebelette «Dans la plus grande de ces îles existe un oratoire dédié à la Vierge. Il aurait été construit sur les ruines d’un temple païen, dédié au Dieu Bel, d’où seraient dérivés les noms de Montbel et d’aqua-Bel-ette.» J'ai obtenu de la part de l'OT l'emploi du conditionnel, c'est déjà bien, mais non la suppression totale de cette référence au culte du dieu Bel auquel la population de l'Avant-pays savoyard semble très attachée au XXIeme siècle. Il a fallu également que je bataille pour bouter le dieu Bel hors de l'article de wikipédia Lac d'Aiguebelette.
Et voilà que notre dieu Bel ressurgit dans le dernier numéro de l'Almanach du Vieux Savoyard, celui de l'année 2017: «Costa de Beauregard fit bâtir une chapelle sur les ruines d'un temple romain dédié au dieu Bel.» (p.60)

On se réfèrera à cette page sur les palafittes pour un commentaire général sur les vestiges de l'antiquité retrouvés sur le dite du lac.

D'où vient donc cette légende tenace ? Jean-Charles Marcel, auteur de l'excellent article "Lac d'Aiguebelette" dans 1000 ans d'histoire de Savoie, Avant-Pays-Savoyard, Neva éditions, 2015 m'a communiqué l'origine de cette légende: Elle a été créée en 1802 par Jean-François Albanis-Beaumont dans son savant ouvrage Description des Alpes grecques et cottiennes disponible sur Gallica.



Le texte d'Albanis-Beaumont

Albanis Beaumont (1753-1810) était un géographe savoyard, érudit et curieux, qui inspire beaucoup de respect. Après une formation à Chambéry et à l'école du génie de Mézières, il avait travaillé pour le roi Victor-Amédée III avant de s'établir à Londres. Il a commis un certain nombre d'albums de voyages dont cette Description des Alpes grecques et cottiennes, commis en 1802 et dédié comme il se doit à Napoléon 1er. Voici un extrait du chapitre XI du deuxième volume de ma deuxième partie, pp.436-441: (L'orthographe d'origine a été respectée.)

§CLX Pont de Bonvoisin. Troisieme route de la Savoie en France à travers la montagne d'Aiguebellete
Le pont de Bonvoisin est une ville assez considérable, traversée par la rivière Guier, qui la divise en deux parties, dont l'une étoit autrefois française, et l'autre savoisienne, le cours du Guier servant alors de limite entre ces deux états. Comme le pont de Bonvoisin se trouve sur l'une des principales routes entre la France et l'Italie, on observe dans cette ville quelque commerce et de l'activité parmi les habitants, les maisons y sont bien bâties, les rues larges, et plusieurs bonnes auberges: quant à son origineje ne la crois pas fort ancienne; ce que l'on connoit de plus certain au sujet de cette ville, c'est qu'elle étoit déjà vers le onzième siecle le chef-lieu d'in mandement très considérable, qu'elle étoit fortifiée et défendue par un château qui fut rasé et détruit sous Henri IV. Le Pont de Bonvoisin est à douze lieues  de Lyon, et presque autant de Vienne, six de Chambéry, et cinq de Grenoble; autrefois, la route qui conduisoit à Chambéry ne passoit pas par les Echelles, mais par la montagne d'Aiguebellete; car il y a tout au plus deux siècles que la belle route de la Grotte a été rendue praticable aux chevaux et aux voitures, comme je le mentionnerai ci après. Le chemin qui conduit à Chambéry par la montagne d'Aiguebellete, est plus court de deux heures que celui qui passoit par les Echelles, mais le chemin est très mauvais et en des endroits tellement dégradé, qu'il est même dangereux dans certains temps de l'année. En sortant du pont de Bonvoisin, cette route traverse une colline bien boisée, composée de couches de grès tendre micacé, recouverte de gravier, de sable, et de terre végétale: autrefois, vers le milieu du cinquieme siecle, cette route venoit à passer à Belmont, et de là, se dirigeoit vers la Tour-du-Pin, sans aller aboutir au pont de Bonvoisin; de Belmont elle traversoit le village de Verel-Montbel, que je crois de la plus haute antiquité, et où on a retrouvé dernièrement plusieurs médilles consulaires et quelques-unes des empereurs Romains. Le nom que porte ce village est composé du mot celte verel, qui vient de weren, prenez garde, ou portez respect, et des mots latins mons Bellonæ, la montagne de Bellone. J'ai observé proche de Verel les restes d'un ancien pavé que je crois avoir fait partie de l'ancienne voie romaine qui conduisoit à  Vienna Allobrogum, par Belmont et la Tour-du-Pin. Proche de ce pavé, qui est à gauche, un peu avant d'entrer dans le village, il y a une espece de grange où j'ai vu dans le mur un morceau de marbre sur lequel il y a la tettre D qui est  très bien gravée, et au-dessous, un V et un S : je pense que ce fragment d'inscription fait partie d'un ex-voto, car le V et l'S signifie votum solvit. Le chemin du pont de Bonvoisin à la petite ville d'Aiguebelettene traverse plus maintenant le village de Verel-Montbel, mais celui de Bridoire; à peu de distance de ce dernier village le chemin passe à côté du romantique lac d'Aiguebellete, entouré de tous côtés de montagnes et de rochers abruptes très élevés; à l'extrémité de ce lac est située la petite ville du même nom, qui n'est plus maintenant qu'un très mauvais bourg: au milieu de ce lac, qui a environ trois qu» arts de lieue de long sur une demie lieue de large, il y a une petite chapelle dédiée à la Vierge, où les habitants des environs se rendent en dévotion. Il paroit que c'étoit au milieu de cette petite isle qu'avoit anciennement été construit le temple dédié à Bellone, à en juger par les divers fragments d'antiquités trouvés proche de la chapelle de la Vierge: l'on voit même lorsque les eaux sont basses, une espèce de pavé fait en pierres plates, et construit de la même maniere que celui que l'on observe sur les anciennes voies romaines; j'ai en ma possession une médaille d'argent trouvée proche de cette chapelle, portant l'efficigie de Claude Néron. Elle est d'un bon style et fort bien conservée: mais ce qui est assez singulier, c'est que la plupart des villages situés dans les environs du charmant lac d'Aiguebellete, ont presque tous pour surnom celuin de Montbel tel que Verel-mont-bel, S.Alban de Mont-bel, Aigue-bel, d'où l'on a fait ensuite Aiguebellete, etc.; ce qui sembleroit prouver que les habitants de cette partie de l'Allobrogie adoroit la déesse Belone. Proche des rives de ce lac l'on voit aussi, parmi des forêts de jonc, les restes d'une ancienne chaussée ou chemin pavé construit de la même manière que la portion que l'on apercoit proche de la chapelle; il sembleroit même que cette chaussée alloit dans un temps aboutir à la petite iste où étoit, selon toutes les apparences, le temple de Bellone.

§CLX Aiguebellete, Passage de la montagne du même nom
L'ancienne ville d'Aiguebellete, autrefois Aquae Bellonæ, est située à l'extrémité orientale du lac du même nom, et au pied de plusieurs rochers escarpés; sa position est extrêmement romantique et pittoresque: je connois même peu de pays qui renferment sur une aussi petite étendue une aussi grande quantité de charmants points de vues, surtout au coucher du soleil, c'est-à-dire lorsque les maisons de cette petite ville, les forêts de sapins qui l'entourent, les rochers escarpés, et plusieurs accessoires semblables, plus pittoresques les uns que les autres, viennent se peindre avec les couleurs les plus vives sur la surface azurée. Aiguebellete étoit autrefois fortifiée et défendue par un château qui dominoit la ville: ce château, l'ancienne résidence des barons d'Aiguebellete, est fort ancien; d'après mes recherches, il paroit qu'il fut réparé dans le onzième siecle par les seigneurs de Chambéry; mais ayant été pris vers le quinzieme par le dauphin de Viennois, il fut démoli et brûlé ainsi que la ville, qui ne présente presque plus maintenant que l'aspect d'un amas de ruines. La plupart des rochers qui avoisinent le lac d'Aiguebellete offrent, dans leur structure et la direction de leurs couches, la plus grande confusion; il y a entre autres une masse énorme de rochers proche les rives de ce lac, dont les couches sont verticales; ce rocher qui ressemble lui-même à une montagne, est cependant adventif, et il contient plusieurs coquilles fossiles de la même espèce que celles que l'on voit dans les couches supérieures de la montagne d'Aiguebellete, et sur le sommet de la plupart de ces rochers il y a des bancs de sable et de gravier d'environ un pied et demi, ayant une direction parallele et horizontale. L'on trouve aussi dans les montagnes qui bordent la charmante vallée d'Aiguebellete une quantité de cavernes très vastes et très profondes; quelques-unes sont même fort curieuses, sur-tout celles de Dulin et de Verel, qui renferment des stalactites très bien conservées. En sortant d'Aiguebellete, l'on commence à gravir la montagne du même nom, et après une petite heure de montée, 'on se trouve sur le point le plus élevé de ce passage, qui l'est bien moins cependant que celui de l'Epine, mais la route est bien plus dégradée. Il y a deux chemins qui conduisent de ce col à la ville de Chambéry; celui qui est à droite paroit être l'ancienne voie romaine et n'est plus praticable aux chevaux, tant il est détérioré, quoique dans son origine il ait été beaucoup mieux construit que celuit que l'on suit maintenant, qui est à gauche; l'on apperçoit aussi dans ce premier chemin les restes de muraille d'une épaisseur et d'une hauteur étonnante, qui servoient à supporter le terre-plein, ou via, qui étoit en partie coupé dans les flancs de la montagne, et ensuite pavé avec des pierres plates, dans le genre des voies romaines; l'on n'apperçoit dans les côtés de ces mêmes rochers aucun indice de mines ni rien qui fasse conjecturer que l'on ait ouvert le chemin par le poyen de la poudre; quoique proche du sommet de la montagne, cette voie pase à travers une ouverture ou galerie qui a anciennement été percée dans le rocher vif. Après une demi-heurede descente par cette même voie, l'on apperçoit au pied des rochers latéraux plusieurs bieres en pierre, dont quelques-unes sont bien conservées, et proche d'elles sont appuyées leurs couvercles. Non loin de ces bieres, il y a de larges pierres ou dalles sur lesquelles l'on distingue quelques caracteres, mais que l'on ne sauroit lire, étant trop effacés, ainsi que plusieurs blocs de pierre quarrée qui paroissent avoit fait partie d'un temple ou d'une chapelle. Vers le neuvieme siecle, il y avoit en ce même endroit un hospice dédié à S.-Michel, cet hospice étoit fort ancien, il paroit même qu'il existoit du temps des Romains, mais sous une dénomination différente. Le chemin que l'on suit maintenant depuis le sommet du col d'Aiguebellete, est moins mauvais que celui dont je viens de parler, quoique cependant peu praticable, excepté aux mulets at aux piétons; le premier village que l'on trouve après avoir descendu environ une heure, se nomme Vimine, du latin via Minima, probablement parce qu'il se trouvoit  sur la voie la plus courte pour se rendre  de Lemencum à Vienna Allobrogum, ou de Chambéry à Vienne...




Mon commentaire

Ce texte relativement ancien est très vraisemblablement à l'origine de toutes la tradition selon laquelle un temple dédié au dieu Bel aurait été retrouvé sur la grande île du lac. Inutile de préciser qu'Albanis Beaumont n'est absolument pas convaincant lorqu'il rattache à la déesse Bellone l'étymologie de Montbel. S'il faut revenir au latin, mons bellus est plus trivial mais jusqu'à preuve du contraire, plus convaincant. La légende du dieu Bel a la vie dure, mais pourtant, elle a été contestée depuis fort longtemps, par exemple par Philibert Falcoz qui écrit en 1917 :
 
«Dans la plus grande de ces îles existe un oratoire dédié à la Vierge, élévé sur l'emplacement d'une ancienne chapelle consacrée à Saint-Vincent [...] Cette chapelle Saint-Vincent aurait été construite sur les ruines d'un temple païen, dédié à la déesse Bellone ou au dieu Bel, d'où seraient dérivés les noms de de Montbel et d'aqua-Bel-elle. L'abbé Perrin critique avec raison cette étymologie et lui attribue celle d'eau belle, conservée dans notre patois sous le nom d'Aigua beletta (belles eaux) »

Aucune raison sérieuse, donc, ne pousse à croire qu'un dieu Bel ou une Déesse Bellone aient été honorée sur les îles du lac d'Aiguebelette. Ceci n'évacue pas la question: "Y-a-t-il eu sur la grande ile un temple datant de l'antiquité ?"

Réponse: il y a peut-être eu un temple, mais il ne reste pas de vestige de ce temple. La pièce en argent à l'effigie de l'empereur Claude Néron ne prouve rien, on a retrouvé une foultitude de pièces antiques sur divers chantiers à Lépin ou à Aiguebelette, et notamment celui du chemin de fer aux alentours de 1880. La soi-disant "Pierre à cupule" retrouvée sur l'île est vraisemblablement une pierre dimaire de la période médiévale, et le sarcophage également retrouvé sur l'île, à ce jour non daté, n'est pas un objet que l'on s'attend à trouver dans un temple romain. Il ne reste donc que le témoignage de l'instituteur Bovagnet, dans son mémo de 1866 cîté par Schaudel : « les masures d'une construction, qu'on dit romaine, d'environ 4 mètres de longueur sur 2m50 de largeur.»

Dans son article sur Lépin dans les 1000 ans d'histoire de Savoie, Avant-Pays-Savoyard, Gérard Bellemin conclut très prudemment : «Il est possible que la chapelle ait été édifiée sur un site antique. »

Je serais encore plus prudent: La chapelle a été construite dans les années 1860 sur l'emplacement d'une ancienne chapelle Saint-Vincent, laquelle a peut-être été construite sur l'emplacement d'une plus ancienne construction, et peut-être y-avait-il déjà, une construction à l'époque antique, et  peut-être cette construction était-elle un temple.

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