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Les réunions du CMN à Lozère
(dernière mise à jour février 2008)
Sur cette page | A voir Aussi |
Marcel Prenant et le manuel du légionnaire Tillon et les boules de Mercure |
Sortie d'une réunion du CMN des FTP, le dimanche, au
pavillon de Lozère
De gauche à droite: Georges Beyer Marcel Prenant Albert Ouzoulias "Marie-Claire" Beyer
|
Qu'est-ce que le CMN ?
Observons les réunions du CMN. Ce Comité Militaire National, véritable direction des FTP, ne peut pas prétendre manoeuvrer ses unités comme un état-major sur un champ de bataille. La guerre de partisans a ses propres règles, et notamment, l'autonomie très développée des unités de base que sont les groupes de sabotage et les maquis. Les liaisons radios internes sont inexistantes et quelqu'admirables qu'aient été le courage et l'organisation des agents de liaison, s'ils peuvent assurer la cohérence d'une direction, en aucun cas, ils ne permettent à un commandement d'avoir une vision instantanée des forces qu'il est censé contrôler. Albert Ouzoulias, le responsable militaire l'expliquera en ces termes: "On ne peut pas dire que j'ai dirigé, j'ai peut-être impulsé, donné des idées..."
La
maison des Bourdeleau
Lorsque les Tillon quittèrent le 257 rue de Paris, à Paliseau, pour s'installer à Limours, le 257 servit quelque temps comme lieu de réunion, à la fois pour les réunions des FTP et pour celles du secrétariat du Parti. Pour des raisons de sécurité, les deux instances décidèrent de quitter ce lieu trop fréquenté vers le mois de Mai 1942.
Tillon demanda alors aux Bourdeleau de se rapprocher à la fois de Limours et de la ligne de Sceaux, pour ouvrir une nouvelle planque destinée exclusivement aux réunions du CMN. Les Bourdeleau sont les "amis" de Sainte-Geneviève-des-Bois qui avaient prêté leur nom au petit Jacques Tillon. On n'en connaît pas plus sur leur passé et sur la nature des liens qui les unissaient aux Tillon. Ils trouvèrent une location à Lozère, ancienne paroisse, maintenant à cheval sur les communes de Palaiseau et de Villebon-sur-Yvette, tout près d'Orsay. Les usagers de la ligne de Sceaux connaissent bien le nom de cette station entre "Palaiseau-Villebon" et "Le Guichet".
Le pavillon où se réunirent tous les mois, deux ans d'affilée, les responsables des FTP n'est pas identifié avec certitude, mais de fortes présomptions pèsent sur une grande maison rose, à cent mètres à peine de la gare de Lozère sur la route qui conduit au quartier de la Troche, sur le plateau de Saclay [En 2008, la maison est identifiée, voir ci dessous la villa "Les Tilleuls"]. A l'époque, cette route se terminait par une impasse quelques dizaines de mètres après la maison des Bourdeleau . Il est certain, en tous cas, que le pavillon était plus proche de Lozère que du Guichet, mais les membres du CMN étaient invités à descendre au Guichet. Ainsi, le trajet à pied était assez long pour leur permettre de détecter une éventuelle filature.
Hénaff
"mis au vert"
De mai 42 à août 44, la composition du CMN connut une grande stabilité.
Charles Tillon, Georges Beyer
, Albert
Ouzoulias restèrent dans le comité sur toute la période. Eugène Hénaff
,
commissaire politique fut remplacé au début 43 par Ouzoulias, lui-même
remplacé au même moment par René Camphin
. Marcel
Prenant resta fidèle au poste jusqu'à son arrestation, en janvier 44. Laurent
Casanova, comme nous allons le voir, fut
inséré dans l'équipe à la fin de l'année 43.
Le commissaire politique était une sorte de chef du personnel. Aussi la
première tâche d'Hénaff
consista
à recruter pour les FTP. Nous l'avons vu ratisser les banlieues pour étoffer
les maigres groupes de choc qui avaient fait entrer le Parti dans la résistance
armée. Les militants ouvriers qu'Hénaff convainquit de passer aux FTP n'était
pas des guerriers. Ils inventèrent une forme de résistance essentiellement axée
vers le sabotage.
A la fin 42, Lecoeur imposa aux principaux responsables de terrain de se
faire accompagner d'un garde du corps. Hénaff
avait
choisi un ancien chauffeur de l'Union Départementale des Syndicats qu'il avait
connu avant-guerre. Or, il revint par divers canaux que cet homme était
suspect, sa libération du camp d'internement de Gurs n'avait jamais été éclaircie.
L'hiver 42-43 fut une période noire pour les FTP, l'équivalent de ce qu'avait
été pour le Parti le début de l'année 42. La BS2 du commissaire David
,
terriblement efficace, portait des coups terribles; par dizaines, combattants de
base et responsables étaient arrêtés, torturés, fusillés ou déportés.
L'organisation militaire des FTP parisiens fut presque complètement démantelée.
La présence d'un probable indicateur aux cotés de l'homme de terrain des FTP
pouvait expliquer cette vague d'arrestation. C'était une terrible menace qui
pesait sur le sommet même de l'organisation. Hénaff, bien sûr, coupa les
ponts avec son garde du corps, mais Tillon exigea de plus que l'on suspendit
tout contact avec Hénaff.
Les Ouzoulias travaillaient également en famille. Sa femme, Cécile, et sa belle-mère, Edwige Romagnon, étaient les plus proches collaboratrices d'Albert. Ils outrepassèrent la consigne, gardèrent le contact avec Hénaff , et Edwige lui procura de l'argent et des tickets d'alimentation. Le salut définitif vint de Frachon qui avait eu vent de cette affaire et s'efforçait généralement d'utiliser à bon escient les anciens responsables syndicaux en qui il avait confiance. Il proposa Hénaff comme responsable des syndicats clandestins en zone Sud. Tillon posa la question en réunion de CMN "Comment peut-on retrouver Eugène Hénaff ?" Un long silence suivit la question, et puis Ouzoulias révéla qu'il avait gardé le contact. Il n'y eut pas de commentaires. Hénaff et sa femme poursuivirent le combat à Lyon.
Marcel
Prenant et le manuel du légionnaire
Marcel Prenant avait été introduit au CMN sans autre compétence
particulière que celles que lui donnait son grade de capitaine de réserve.
Bien que les FTP eussent tout à apprendre de l'art militaire, on ne comptait
pas précisément sur lui pour conduire des hommes lors des opérations armées.
On a compris, dans le récit de la première réunion du CMN à laquelle il
assista qu'il découvrait, fasciné, les opérations de guérilla à travers les
comptes-rendus d'Ouzoulias. Il s'agissait surtout de produire dans les contacts
avec les gaullistes un interlocuteur d'un bon niveau intellectuel que l'on
pourrait parer du titre, sans grande signification, de chef d'état-major.
Prenant, homme simple de nature, tint modestement, mais efficacement le rôle
qu'on attendait de lui. Au début 42, il accepta la proposition de Tillon d'adhérer
au Parti qu'il avait quitté quelques années plus tôt, mais "sans
aucun dissentiment".
Au printemps 42, Beaufils
et
Rémy nouaient tout juste les premiers contacts entre Gaullistes et FTP. Il
fallait bien trouver une occupation pour le "Chef d'état-major",
Tillon lui demanda de préparer des manuels de maniement des armes à diffuser
auprès des groupes de combat. Prenant rédigea donc une série de fascicules
techniques sur les armes portatives les plus courantes au sein des armées française
et allemande. Ces fascicules étaient dissimulés sous des couvertures du
"Manuel du Légionnaire". Les légionnaires étaient un mouvement de
soutien à Pétain. Prenant s'interrogeait sur les raisons qui motivaient son
insertion dans le CMN "Tout cela était
fort intéressant, mais ne paraissait pas justifier ma présence au Comité
National Militaire où je n'avais l'impression de ne jouer que les utilités".
Ultérieurement, il eut effectivement en charge les contacts avec le BCRA et les organisations militaires des mouvements de Résistance non communistes. Il rencontra notamment Passy , le chef du BCRA, et Brossolette , parachutés en France en février 43. Plus tard, il eut des contacts réguliers avec les délégués militaires nationaux, envoyés par De Gaulle sur le sol français. Leurs pseudonymes étaient "Masséna" et "Niel". L'aboutissement de ces contacts fut, sur le papier, l'intégration totale des FTP au sein des FFI, le 29 décembre 1943. Marcel Prenant fut arrêté le 28 janvier 44, torturé et déporté à Hambourg-Neuengamme.
Tillon
et les boules de mercure
Tillon, qui n'avait rien d'un chef de guerre ou d'un leader
charismatique, sut être porteur de quelques idées force. D'abord, la lutte
contre l'attentisme, ensuite ce que nous appellerions maintenant les principes
de la guérilla, qu'il exprimait de jolie façon par la comparaison avec la
boule de mercure, et enfin, le sens de l'honneur.
L'attentisme est le nom que donnaient les partisans de l'action immédiate
à l'attitude des mouvements de résistance qui entendaient subordonner toute
action à la stratégie des alliés. Pour simplifier un peu, les
"attentistes" s'en tenaient à des actions de renseignement et stockaient
des armes dans l'attente du débarquement où ils auraient prêter main-forte
aux troupes régulières. C'était l'approche des gaullistes, au début de la
guerre. Les pertes terribles infligées aux premiers résistants pouvait faire
douter du bien-fondé de l'action immédiate. Malgré tout, sans doute pour des
raisons de survie morale, l'engagement dans la lutte armée, malgré ses faibles
chances de succès s'imposa aux résistants de tous bords.
Les militaires, qu'ils aient gagné Londres où qu'ils soient restés en
France, eurent tendance à privilégier les maquis "mobilisateurs". Il
s'agissait de prendre le contrôle d'un bout de territoire, d'où on pourrait
recevoir de l'aide en provenance des alliés. Ainsi se développèrent les célèbres
maquis des Glières, du Vercors, et quelques autres regroupements d'importance,
tous voués à l'échec, puisque quelque soient les forces concentrées par la Résistance,
les Allemands pouvaient toujours leur opposer des forces bien supérieures. Avec
une grande clairvoyance, Tillon, qui n'avait pas lu Mao
-Ze-Dong,
s'inspira de l'exemple de Du Guesclin, dont on dit qu'avec une bande de 60
Bretons il vint à bout de 600 Anglais, dans la forêt de Brocéliande, en
n'acceptant d'engager le combat qu'avec un rapport de forces favorable. Charles
utilisait la comparaison avec la boule de mercure: Insaisissable, elle se divise
en plusieurs parties quand des doigts tentent de la saisir, et se reforme aussitôt
que la main se retire.
Le code d'honneur des FTP, qu'à partir de janvier 43 tout nouveau
partisan devait signer lors de son engagement, porte également la marque de
Tillon. Charles n'était pas chaleureux, mais il était homme d'honneur. En préambule
des 12 commandements, il était stipulé:
"Je soussigné déclare m'engager dans les rangs des FTPF pour servir
avec honneur en tous lieux et jusqu'à la libération totale du territoire. Je
jure de combattre avec fidélité et discipline dans les unités FTP qui sont
l'avant-garde de l'armée de la France combattante. J'ai conscience des devoirs
que j'assume en appartenant aux forces de la libération nationale et de
combattre aux cotés de l'armée du Général De Gaulle
..."
Une
réunion ordinaire du CMN
Redonnons la parole à Marcel Prenant, il nous fait découvrir ces réunions
mensuelles du CMN:
" Il s'agissait d'un pavillon de banlieue comme il y en a
beaucoup dans cette région. D'aspect coquet, il était entouré d'un jardin
clos de grilles et relativement protégé contre les regards indiscrets. Un
couple de communistes âgés et de toute confiance résidait sur place, et nul
ne devait, en principe, s'étonner de le voir réunir des amis pour passer la
journée du dimanche.
J'arrivais à la station de Palaiseau-Villebon par un des premiers trains
du matin et je fis à pied le trajet jusqu'à la maison de Lozère. Là je
trouvais les Tillon, venus à bicyclette, et aussi le couple Beyer
,
Ouzoulias, souvent accompagné de sa femme, et le camarade Eugène Hénaff
,
qui avait remplacé notre infortuné fusillé, responsable aux effectifs.
On travaillait toute la matinée, tandis que ces dames préparaient le déjeuner.
Après la courte pause du repas, où la gaieté cherchait à masquer nos préoccupations,
nous nous remettions à travailler jusqu'à la nuit. Les rues de Lozère étaient
si désertes à cette heure-là que je n'avais aucune peine à rester inaperçu
jusqu'à la gare où je me perdais parmi les voyageurs."
Pour des raisons de sécurité, les membres du CMN se rendaient aux réunions
en couple, pour donner l'impression d'une réunion de famille. Les réunions de
Lozère étaient ainsi, au moins pour les femmes, un lieu de vie sociale
important. Pour les hommes, les réunions du CMN n'étaient pas à proprement
parler une partie de rigolade. Tillon, qui donnait le ton, était du genre
"boulot boulot". Il ne fallait pas compter sur lui pour égayer les
pauses repas. Comme il ne fallait pas davantage compter sur son beau-frère,
toujours secret et insaisissable, c'était le tandem Hénaff
-Ouzoulias
qui assurait un minimum de convivialité.
Une des premières réunions tenues à Lozère fut en partie consacrée
à la juste technique des déraillements ferroviaires. Dés avril 42, le CMN
avait compris que des voies de communication pourraient être le terrain
d'action privilégié des FTP. Le sabotage des voies ferrées était un objectif
militaire d'autant plus à leur portée qu'ils étaient bien implantés chez les
cheminots. L'intérêt en était clair, les chemins de fer jouant un rôle
majeur dans le transport des troupes. A cette époque, il s'agissait d'entraver
par tous les moyens le transfert vers le front russe des troupes que le
commandement allemand prélevait en France.
Les premières tentatives de déraillements furent réalisées en
disposant des explosifs sur les rails. Pour mener à bien une opération de déraillement,
il fallait donc dérober les explosifs dans une carrière et les acheminer auprès
des groupes de sabotage, ce qui représentait une préparation relativement
lourde pour un résultat qui restait aléatoire, car les premiers saboteurs n'étaient
pas encore des artificiers qualifiés, et quand bien même les rails avaient été
arrachés sur un mètre cinquante, il arrivait fréquemment que les roues de la
motrice atterrissent sur les rails. Les dégâts infligés aux convois étaient
donc souvent mineurs. Le 15 avril 42, un déraillement provoqua près de Caen la
mort de 80 soldats allemands, ce qui était un record pour l'époque. Ouzoulias
s'enquit des conditions d'un tel succès auprès du responsable interrégional,
Jean Petit, et apprit ainsi que la brutalité du déraillement avait été
obtenue grâce au déboulonnage des rails qui avait remplacé l'usage des
explosifs. Quelques informations glanées auprès des cheminots avaient permis
de réussir l'opération. Il
fallait surtout savoir qu'une tension de 5 Volts était appliquée sur les rails
en vue de déclencher automatiquement des sémaphores de sécurité en cas de
discontinuité sur la ligne. Les tentatives précédentes de déboulonnage
avaient échoué parce que l'on ignorait qu'il fallait
court-circuiter le rail avec du fil de fer avant de le déboulonner pour
bloquer le déclenchement du sémaphore.
Le fait d'envoyer une directive à tous les groupes de sabotage pour leur
proposer la nouvelle technique posa un problème politique qui occupa une bonne
partie de la réunion du CMN. La symbolique de la poudre était si forte que
Tillon refusa d'abord le déboulonnage. Pour lui, l'implication du Parti dans la
lutte armée avait été obtenue à l'issue d'un long processus, et l'on allait
pas revenir dessus, car en fait, renoncer à l'usage des explosifs et trancher
en faveur du déboulonnage, c'était le premier pas vers l'abandon de l'action
militaire au bénéfice d'un simple sabotage civil. Hénaff
sut
prendre son chef dans le sens du poil. Une des tâches qui revenait à Tillon était
la rédaction de France d'Abord, le journal des FTP, de même que Duclos rédigeait
l'essentiel de l'Humanité et Frachon
la Vie Ouvrière. C'est pourquoi à
l'issue des comptes-rendus des opérations normalement rapportés par Ouzoulias
ou Hénaff, Tillon s'efforçait d'en extraire l'information essentielle, c'est-à-dire
l'estimation des pertes ennemies, qu'il utiliserait pour le communiqué qui
apparaîtrait dans le prochain numéro du journal. Hénaff sut faire miroiter
des scores en hausse pour les prochains communiqués. "Le
plus important, c'est le résultat, le nombre de morts". S'il y avait
des morts, on redevenait militaire, et finalement, la réunion se conclut par un
magnifique compromis "Il ne faut
condamner aucune méthode !"
Les cheminots normands firent donc école, le déboulonnage fut généralisé. En 43, on compta jusqu'à 30 déraillements par semaine. Quelquefois, les FTP arrivaient à mettre sur pied des opérations combinées qui bloquaient en même temps la voie principale en direction de l'Allemagne et les différentes rocades. En fait plus que les pertes humaines ou matérielles, le retard pris par une division ennemie en route vers le front russe était devenue l'objectif principal. Bloquer une ligne pendant deux ou trois jours était le succès maximum que l'on pouvait escompter, mais c'était assez pour rendre complètement imprévisible la date d'arrivée des troupes en Russie.
Tiraillements
entre Lecoeur et les FTP
Lorsque le CMN dut se séparer d'Eugène Hénaff
, en février
43, le poste vacant ainsi créé fut attribué par Lecoeur à son ami René
Camphin
, un
typographe de 30 ans, originaire de la région d'Arras. Elevé par ses parents
dans la tradition du mouvement ouvrier, il militait depuis 1936, avec Lecoeur,
dans la fédération du Pas-de-Calais dont il était un dirigeant dés 1938.
Dans cette région particulièrement combattive, René Camphin avait opté de
bonne heure pour l'action armée. Ses deux jeunes frères tôt engagés également
dans les bataillons de la jeunesse, furent arrêtés, torturés et fusillés
avant la fin 43. La nomination de Camphin comme responsable militaire des FTP était
une décision sensée, mais il faut aussi y voir la marque de l'emprise
croissante que Lecoeur exerce sur le Parti déborde également sur les FTP.
C'est lui qui pourvoit les postes vacants, et il a naturellement tendance à
contrôler les diverses instances du Parti avec des hommes de confiance du
Pas-de-Calais, comme Julien Hapiot qui sera ainsi nommé à la tête des JC, en
remplacement d'André Leroy
.
Des tensions assez vives ont existé entre Lecoeur et Tillon, reflétant
certaines contradictions entre le Parti et les FTP. Ces tensions ont été en
partie occultées par les deux principaux acteurs, car jusqu'en 1954, Lecoeur et
Tillon étaient tenus par la loi du silence du Parti, et qu'ils sont à nouveau
tenus à une certaine solidarité à partir de 70 en tant qu'adversaires du
Parti. Il existe au moins une trace tout à fait explicite sur le type de
relations entre les deux hommes:
Lecoeur
(La Nation Socialiste, Mars 1957)
" ...Il ne s'agit pas de ma part d'une réaction sentimentale due à
l'amitié qui aurait pu me lier à Tillon. Non seulement cette amitié n'a
jamais existé, mais l'un et l'autre avons toujours été "en froid"
sur le plan personnel : Cela datait de la période clandestine où nous nous étions
violemment heurtés."
Ouzoulias
confirme l'existence d'un conflit latent entre Lecoeur et les FTP (Entretiens)
"... Peut-être Tillon s'y
prenait-il mal avec le Parti et avec Lecoeur, mais moi, j'ai connu le même
Tillon avec le même Parti, avec
Cadras
,
et plus tard avec Laffitte
et les choses se passaient différemment. Quand on avait à
faire avec Cadras, les problèmes se réglaient très bien. Il gardait bien sûr
les meilleurs cadres pour le Parti, mais passait les autres à l'organisation
armée. Avec Laffitte, c'était la même chose, on était même obligé dans
certains cas de refuser certains volontaires pour ne pas déglinguer
l'organisation du Parti. Avec Lecoeur, il y avait des quotas à respecter,
d'abord 10%, ensuite 20%. Mais il s'en tenait à l'aspect purement arithmétique,
ainsi, quand un responsable était arrêté, tout l'entourage, logiquement
suspecté d'être grillé était versé aux FTP. Heureusement, certains interrégionaux
outrepassaient les consignes de Lecoeur pour donner aux FTP des cadres de
valeur. C'est ainsi que beaucoup de cadres des FTP venaient de Normandie.
Parfois, Lecoeur ne se privait pas de proférer vis-à-vis des FTP des
accusations à peine voilées d'être une organisation anti-parti."
Peut-être Ouzoulias n'est-il pas impartial vis-à-vis de Lecoeur. Ce témoignage, néanmoins correct dans ses grandes lignes est une clé pour comprendre certains détails de l'histoire intérieure du Parti entre 1943 et 1952.
Février 2008, identification de la villa "Les Tilleuls"
Le 2 février 2008, j'ai reçu un courriel du Dr Noailles, résidant dans la banlieue de Bordeaux, qui m'a révélé l'emplacement exact de la villa des Bourdeleau, à 100 mètres de la staion "Lozère", mais non pas là où j'avais cru la trouver, en montant sur La Troche, mais de l'autre côté, impasse Collet. C'est la maison adjacente de celle qui fait l'angle, sur la gauche lorsqu'on pénètre dans le dernier tronçon de l'impasse Collet. Elle est à dominante rose et porte encore le nom "Les Tilleuls". Voici quelques extraits de la correspondance que j'ai eu avec le docteur Noailles:
"...je suis le neveu des "Bourdeleau", j'ai personnellement habité la maison de Lozère à la libération avec mon oncle et ma tante les Bourdeleau ainsi que ma grand-mère. J'avais alors 9 ans, en 45; j'allais à l'école de Lozère.... Ce n'était pas "un couple âgé" comme je le lis dans les propos que vous citez de Marcel Prenant dont j'ai souvent entendu parlé par ailleurs; mon oncle Georges Bourdeleau (nom de code : "Hubert") était né le 30 juin 1902 ; il avait donc 38 ans en 42 et ma tante (ma marraine) avait 6 ans de moins: vous le voyez Charles Tillon était nettement leur aîné ainsi que d'autres du groupe de FTP probablement. Mon oncle et ma tante avaient vécu précédemment à Sainte Geneviève des bois avant de venir louer la maison de Lozère.
Avant 1945, j'habitais avec ma mère et ma grand-mère à Saint Médard-en-Jalles dans la banlieue de Bordeaux. j'avais alors la consigne de ne rien dire si mon oncle et ma tante venaient nous voir car "ils étaient dans la clandestinité, dans la résistance" et "ils se cachaient".
J'ai donc vécu ensuite avec mon oncle, ma tante et ma grand-mère à Lozère. Après Lozère, nous avons habité, pendant un temps à Saint Rémy les Chevreuses où mon oncle et ma tante avaient la charge des parents de Charles Tillon, et cela avant de venir nous installer tous les trois (mon oncle, ma tante et moi) à Toulouse en 49. et à Saint Rémy les Chevreuses jusqu'en septembre-octobre 48 date à laquelle nous sommes venus tous les trois mon oncle, ma tante et moi) à Toulouse. Dans le même temps ma mère travaillait alors chez les Tillon qui habitaient un appartement magnifique à Paris, rue des Marronniers (quartier de Passy).
Comme vous l'écrivez en effet, "l'ensemble du dispositif secret est resté secret très longtemps après la guerre": je l'ai, personnellement, toujours ressenti comme cela d'autant plus que mon oncle était venu en 48 à Toulouse en tant que directeur d'une Société Forestière qui n'employait que des espagnols réfugiés politiques : le siège social était à Toulouse et les chantiers d'exploitation dans les Pyrénées et surtout en Lozère où j'ai passé de nombreuses périodes de vacances avec les ouvriers et bûcherons espagnols et en assistant souvent à des réunions politiques."
Le
propriétaire actuel m'a fait gentiment visiter la maison. Depuis la fin des
années 50, il y a fait des aggrandissements. Dans l'état d'origine, la maison
comportait 2 pièces et une cuisine au rez-de-chaussée, un peu moins à
l'étage. Il y avait de la vue sur la ligne de sceaux et la vallée de
Chevreuse, ce qui n'est plus le cas maintenant, à cause des constructions
récentes. Les Tilleuls, le long de la rue sont toujours là.