HISTOIRE DE LA CSF SOUS L'OCCUPATION, « l'enfance de Thales » Annexe 7: Actionnaires et administrateurs de la CSF (Création 11 novembre 2012)
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Dans la machine CSF dont nous étudions le fonctionnement sous l'Occupation, il y a les usines, les ingénieurs, les dirigeants. Il ne faut pas oublier les actionnaires et les administrateurs qui ont conservé leurs prérogatives pendant toute la période.
Qui sont les actionnaires de la CSF ? | Rémunérations des dirigeants et administrateurs | Les actionnaires de la SFR en 1945 | Actionnaires de la CSF |
Les administrateurs |
Dans le chapitre 8 du livre, nous nous sommes introduits dans le monde des actionnaires de la CSF en suivant l'ingénieur et savant Yves Rocard, petit porteur représentatif de l'actionnariat de la société où Émile Girardeau n'est en fait qu'un petit porteur un peu plus gros que les autres. Il ne s'agit que d'arithmétique, bien sûr, car le pouvoir de Girardeau, fort de la confiance de la Banque de Paris et des Pays-Bas (BPPB) est bien réel. On se reportera à l' annexes 6 (portefeuille de la CSF) pour les détails des relations financières au sein du groupe CSF. La CSF est contrôlée par la BPPB qui ne possède que 8,7% de son capital1. En fait, le plus gros actionnaire de CSF, avec 20% des parts, est la Compagnie Française des Câbles Télégraphiques (CFCT), mais elle est elle-même contrôlée par la BPPB.
La CFCT n'est pas seulement une coquille financière; elle a une activité de service réelle, dans le secteur de la télégraphie intercontinentale par câble, secteur qui connaîtra d'ailleurs pendant les années de guerre des péripéties mouvementées. En fait, non seulement le trafic avec l'Angleterre est suspendu depuis juin 40 pour cause de belligérance entre l'Allemagne et l'Angleterre, mais celui, plus important entre l'Europe continentale et l'Amérique est également suspendu après l'entrée en guerre des États-Unis, en décembre 1941. En tant qu'actionnaire de référence, la BPPB a placé 4 administrateurs sur 8 dans le conseil de CFCT, mais la CSF, détentrice de 0,15% des actions de CFCT a également 2 administrateurs. De ce fait, la CFCT est complètement dans l'orbite de la BPPB, et l'administrateur unique délégué par la CFTC au conseil de la CSF, siège aux côtés des 5 administrateurs de la BPPB et des 2 administrateurs représentant les alliés minoritaires de la BPPB
A côté de la BPPB et de la CFCT , figurent à un niveau beaucoup plus modeste quelques maisons bancaires alliées et souvent vassales de la BPPB: Banque Transatlantique, Banque Franco-Japonaise, S.Propper & Cie, Jacques et Jean de Gunzburg de la banque Banque de Gunzburg. Henri Bousquet2 a été un représentant de la banque Gunzburg, mais c'est bien à titre personnel qu'il est le troisième détenteur d'actions, après la BPPB et la CFCT. Henri Bousquet était une sorte de Pic de la Mirandole du début du vingtième siècle agrégé de lettres polyglotte, président du conseil d'administration de la CSF entre 1919 et 1940, alors que Girardeau en était l'administrateur délégué3.
Je n'ai malheureusement pas pu trouver de listes d'actionnaires avant et après les différentes augmentations de capital. Dans les tableaux ci-dessous (actionnaires de la CSF) des listes datant souscriptions de 1927 et 1929 et de 1947 donnent une idée des continuités et des ruptures. Il apparaît qu'en 1947, les banques alliées (Franco-japonaise, Transatlantique, Gunzburg) se sont désengagées. Il est possible que ce désengagement ait eu lieu pendant les années d'occupation, mais il peut aussi avoir eu lieu après la Libération.
La question de la date exacte du désengagement des banques alliées ne modifie guère le paysage global: la BPPB contrôle la CSF avec une minorité d'actions dont la grande majorité est détenue par des petits porteurs. Les fondateurs de la SFR ne pèsent guère dans le capital de la CSF, ni dans celui de la SFR. Girardeau reste en tête des petits porteurs, sans jamais dépasser 1%, mais loin devant les maris de danseuses, Bethenod et Brenot. Celui-ci n'apparait d'ailleurs même pas dans les listes des gros petits. Il est vrai qu'en plus de sa danseuse, qui était en fait une chanteuse d'Opéra, Brenot avait investi ses économies dans la restauration d'un hôtel particulier dans le Marais. Il lui restait donc peu de disponibilités pour souscrire aux différentes augmentations de capital.
Dans la liste des administrateurs de la CSF (ci-dessous), on retrouve tous les poids lourds de la BPPB: son PDG, André Laurent-Atthalin, mais aussi deux directeurs, Paul de Thomasson et Louis Wibratte. Ce dernier succèdera d'ailleurs à Laurent-Atthalin en 1945, à la tête de la banque. Deux autres administrateurs, le général Paul Anthoine et Georges Duvernoy sont des hommes qui représentent la BPPB dans toute une série de conseils d'administration. Paul Gauthier est supposé représenter la CFCT, mais au sein du conseil de cette dernière, il représente la BPPB. Girardeau, enfin, ancien administrateur délégué et PDG depuis la nouvelle loi du 15 novembre 1940, est à la fois le dirigeant et fondateur du groupe, un gros petit actionnaire et un homme de confiance de la BPPB dont il est administrateur et pour le compte de laquelle il siège dans un certain nombre de conseils.
Les administrateurs de la SFR dont la liste est également présentée ci-dessous sont d'une moindre notoriété, à part Girardeau, Bethenod et de Beaumont qui ont participé à la fondation de la SFR en 1910. Les autres ne sont pas, en tous cas, des dirigeants connus de la CSF: Si Jacques de la Chevrelière est le fils de son père et fait partie du personnel que la BPPB envoie dans divers conseils d'administrations, Paul Desachy aurait été administrateur de sociétés de production d'énergie électrique dès 19114. Georges Ferrand est le fondateur de Paris-Rhône, que Girardeau avait rencontré à Lyon lorsqu'il était à la fois directeur de la SFR et lieutenant mobilisé sous les ordres de Ferrié5. Michel Alerme aurait été un colonel à la retraite, dirigeant de l'agence de presse et d'une maison d'édition collaboratrice, les Éditions de l'Agence Inter-France 6. Le colonel Michel Alerme, enfin, aurait été également administrateur gérant du Petit Parisien, mis en place par le Dr. Elmar Michel7. Je n'ai pas trouvé le moindre indice sur Albert Lézaud.
Revenons à Jean de Beaumont, ou, pour être plus précis, au comte Jean Bonin de la Boninière de Beaumont, le plus gros des petits actionnaires qu'il convient de rattacher au noyau historique de la SFR puisque son père Marc, en apportant à la jeune société l'appui de la banque Rivaud en fut le premier président. Quelques années après avoir participé à la création de la SFR, Marc de Beaumont avait fondé l'Union Interalliée dont Girardeau devint l'un des premiers membres8. Jean de Beaumont qui avait d'ailleurs épousé l'héritière d'Olivier Rivaud s'était fait élire en 1936 député de la Cochinchine. Grande figure de la vie mondaine, il sera plus tard compagnon de chasse de Valéry Giscard d'Estaing et du roi du Maroc et décèdera en 2002 à l'age de 98 ans. Joseph Bethenod, le « Géo Trouvetou » des débuts de la SFR n'aura pas cette longévité et décèdera en février 1944.
Avant le conseil du 18 décembre 1940 qui se met en conformité avec la nouvelle législation en nommant Girardeau PDG, le conseil, présidé par Bousquet comprenait aussi Tabouis, Brenot et Nicolas Piétri. Auparavant, Brenot avait le titre d'administrateur directeur, mais sa place comme directeur général de la SFR n'est plus compatible avec la loi du 16 novembre qui interdit à tout administrateur autre que le PDG d'être investi de fonctions de direction dans la société.
Si on voit bien que
l'octroi des places en conseil
d'administration concrétisent, par un jeu délicat de renvois
d'ascenseurs les alliances qui naissent au sein de la diplomatie
bancaire de la BPPB. La fonction d'administrateur est souvent
purement honorifiques, mais elle se mesure aussi en espèces
sonnantes et trébuchantes. Les tantièmes et jetons de présence
dont sont gratifiés les administrateurs sont un élément important
du train de vie de ces représentants de la haute bourgeoisie que les
statuts des sociétés rendent par de multiples dispositions un peu
plus égaux que la masse des petits porteurs.
Les postes d'administrateurs ne se distribuent pas n'importe comment, on aura deviné qu'il est plus avantageux d'être administrateur de la CSF que de la SFR, mais l'administrateur de la SFR est naturellement avantagé par rapport à celui des Condensateurs Trévoux. Les revenus des administrateurs découlent d'une règle de calcul spécifiée dans les statuts de la société et identique pour la CSF et la SFR: Le bénéfice net est d'abord amputé de 5% pour la réserve légale, ensuite de 5% du capital social de la société pour servir aux actionnaires des « intérêts statutaires » sous forme de dividendes. Dans une année normale, il reste encore la moitié du bénéfice net, dont 10% est servie au conseil d'administration sous forme de « tantièmes » et de jetons de présence et le reste se rajoute aux dividendes.
Le conseil de la SFR qui met en place le nouveau conseil d'administration décide que les jetons de présence, 100 KF par an seront réparties au pro-rata de la présence effective. Pour les jetons, comme pour les tantièmes, le Président a droit à une part double et le vice-président à une part et demie9. Ce règlement n'a pas été appliqué avec une rigueur extrême pour Desachy et Lézaud, pratiquement toujours absents en 1941, mais qui sont très correctement rétribués.
Pour exercer sa fonction de président-directeur général (de la SFR), Girardeau est gratifié d'un traitement fixe annuel de 180 KF auquel s'ajoute une rémunération proportionnelle égale à 5% du bénéfice annuel et qui passe en frais généraux. Le vice-président Ferrand a droit à un lot de consolation de 24 KF annuel au titre de « conseiller juridique de la société » et à Bethenod, qui reste « ingénieur conseil », on alloue une rémunération annuelle de 78 KF, et de la Chevrelière devra se contenter de dix mille francs pour assumer la fonction de secrétaire du Conseil.
Rémunération des administrateurs de la SFR 10
1940 | 1941 | 1942 | 1943 | 1944 | Total | |
Bousquet | 21 843 | 15 282 | 0 | 0 | 0 | 37 125 |
Ferrand | 28 273 | 48 635 | 62 808 | 63 311 | 74 923 | 277 950 |
Girardeau | 365 906 | 348 226 | 421 307 | 509 365 | 659 886 | 2304 690 |
Brenot | 247 949 | 536 479 | 0 | 0 | 0 | 784 428 |
de Beaumont | 6 775 | 20 480 | 21 663 | 26 666 | 36 594 | 112 178 |
Béthenod | 171 811 | 92 923 | 93 620 | 96 384 | 44 740 | 499 478 |
Desachy | 9 455 | 17 477 | 18 751 | 13 808 | 32 230 | 91 721 |
Dupont | 5 953 | 0 | 0 | 0 | 0 | 5 953 |
de la Chevrelière | 9 675 | 26 898 | 27 475 | 31 512 | 39 738 | 135 298 |
Lézaud | 2 851 | 18 199 | 19 544 | 17 200 | 0 | 57 794 |
Pietri | 3 910 | 16 379 | 0 | 0 | 0 | 20 289 |
Tabouis | 40 035 | 127 818 | 0 | 0 | 0 | 167 853 |
Alerme | 0 | 8 991 | 23 552 | 29 774 | 39 549 | 101 866 |
Augustin | 0 | 0 | 0 | 0 | 6 793 | 6 793 |
Total | 4603 416 |
Au final, sur l'ensemble de la période 1940-1944, 4,6 MF des revenus de la SFR vont dans les poche des administrateurs, mais bien entendu, chaque administrateur reçoit aussi des rémunérations au titres de tous les conseils où il peut siéger. Ainsi, Girardeau qui est aussi PDG de la CSF, reçoit au titre de la CSF plus d'un million de francs par an. L'actionnaire Girardeau ne perçoit annuellement, en dividendes, que 30 KF pour ses actions SFR et 200 KF pour ses actions CSF.
Brenot, pour sa part,
perd ses émoluments
d'administrateur-directeur de la SFR après que la nouvelle
législation interdise à un administrateur autre que le PDG
d'exercer une fonction exécutive dans la société. On peut présumer
que sa feuille de paye de directeur technique lui permet de conserver
ses revenus. Il fréquente quand même le conseil de Radiotechnique
et ceux de petites filiales de la CSF comme Radio-cinéma où les
Établissements Robert, alias La Stéatite Industrielle, passée dans
le giron de la CSF en 1941 (Voir chapitre 6, La normalisation). Cette
acquisition récente est également l'occasion de donner des lots de
consolation à Henri Damelet, directeur de Radiotechnique et à
Kyticas, directeur industriel de la SFR.
(Documents divers 1945, (AN, Z/6 NL/9910-A))
7000 actionnaires
692961 actions nominatives et 261954 titres au porteur, soit environ 90% du capital
CSF 555260 Famille de Beaumont, Bonin de la Boninière, 6096 Compagnie de remorquage et de sauvetage, 6144 Émile Girardeau, 5940 Gérance parisienne privée, 4959 Henri Bousquet, 4150 Gaston Bouffe, 3138 Marcelle Sanyer, 2076 Famille Alliot, 1963 Féré et Cie, 1935 Henry Bondonneau, 1800 Jacques de la Chevrelière, 1718 |
Jules Chevalier, 1349 Succession Bethenod, 1150 André Crouan, 1075 Vve Charlotte Moret, 1067 James Hennessy, 1066 Georges Chabrier, 1057 Veuve Jeanne Beauge, 1051 Vve Marie Lorthois, 1046 Louis Mulliez Lestienne, 1038 Arlette Vernes, 1000 |
Ref: Jean Lavocat, Radio-électricité et Finance, Points sur les i n°15, janvier 1932, p.15 (Archives BPPB, PTC-539-2)
(X, Y) X désigne le nombre d'actions à vote plural souscrite lors de l'émission de 1927, et Y les souscriptions aux actions à vote simple lors de l'émission de 1929.
BPPB (3744, 17159) CFCT (3680, 0) Banque Transatlantique (868, 0) Banque Franco-Japonaise (347, 273) S.Propper et Cie, (132, 647) Jacques de Gunzburg (301, 382) Jean de Gunzburg (396, 0) Émile Girardeau (362, 0) Hyppolyte Griolet (53, 332) |
André Laurent Atthalin (22, 119) Henri Bousquet (714, 1111) Baron Jacques de la Chevrelière (115, 18) Georges Teyssier (24, 145) Joseph Moret (134, 865) Paul Brenot (13, 12) Louis Wibratte (9, 40) Auguste Thurneyssen (89, 26) |
Début de liste des 196 actionnaires présents à l'assemblée générale du 4 juillet 1947 et représentant 40% du capital social (Archives BPPB, PTC-526-88)
CFCT 103421 BPPB 48098 Henri Bousquet et sa fille 22715 Famille Pillet-Will 5200 Émile Girardeau 4949 de la Longuinière 2000 André Laurent-Athalin 1707 Caisse de prévoyance BPPB 1777 |
G.Guyot 1264 Roudy, 943 L.Griolet 859 L.Jullien, 691 A. Jullien, 679 E. Mazet, 560 J.Noetzlin, 510 |
Administrateurs de la SFR en 1940 Henri Bousquet, président Emile Girardeau, Administrateur délégué Dupont, Piétri Jean de Beaumont, Joseph Bethenod Jacques de la Chevrelière, secrétaire Paul Desachy Albert Lézaud |
Administrateurs de la SFR en 1941 (AG de 1941) Emile Girardeau, PDG Georges Ferrand , Vice-président Michel Alerme Jean de Beaumont, Joseph Bethenod Jacques de la Chevrelière, secrétaire Paul Desachy Albert Lézaud |
Administrateurs de la CSF en 1941(AG 1941) Emile Girardeau André Laurent-Attthalin, PDG de la BPPB Henri Bousquet, représentant la banque de Gunzburg et la banque franco-japonaise Paul Anthoine, général ancien Polytechnicen, représente a BPPB dans de nombresues sociétés Gerge Duvernoy, représentant de la BPPB dans de nombresues sociétés Paul Gauthier,, administrateur de la CFCT pour le compte de la BPPB Paul de Thomasson, directeur de la BPPB Louis Wibratte, directeur de la BPPB |
Notes de bas de
page
1 Lydiane Gueit, Annexe 62. Voir aussi Archives BPPB, PTC-539-5
2 Jean Lavocat, Radio-électricité et Finance, Points sur les i n°15, janvier 1932, p.15 (Archives BPPB, PTC-539-2)
3 Émile Girardeau, Souvenirs de logue vie, pp.239-241
4 Catherine Vuillermot, Pierre-Marie Durand et l'énergie industrielle, 1906-1945, ed du CNRS, 2001, p.163
5 Anne Barre-Sarrazin, Entreprendre en temps de guerre: Paris-Rhône (1915-1920), Bulletin du centre Pierre Léon d'histoire économique et sociale, janvier 1996, pp.41-57
6 Pascal Fouché, L'édition françase sous l'occupation, 1940-1944, Bibliothèque de littérature française contemporaine de l'université Paris VII, 1987, pp.252-253
7 Francine Amaury, Histoire du plus grand quotidien de la IIIe République, Le Petit Parisien, 1876-1944, Volume 2, PUF, 1972, p.1321
8 Émile Girardeau, Souvenirs de longue vie, Berger-Levrault, 1968, pp.237-238
9 Séance du CA de la SFR du 18 décembre, Régistre du conseil d'administration (Archives de Thales de Fleuru-les-Aubrais)
10 Rapport de l'expert-compable Donon, p.86, Instruction Girardeau-Brenot (AN Z/6 NL/9910-A)