en marge de l'HISTOIRE DE LA CSF SOUS L'OCCUPATION, « l'enfance de Thales »

Le groupe ITT pendant la Seconde Guerre mondiale


(Création  15 mars 2014)

 

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L'expansion de la multinationale ITTLe prélude espagnolITT dans l'Allemagne nazieL'intégration des recherches
ITT en France (1926-1939)ITT en France (1940)ITT aux États-UnisEn Roumanie, Behn sauve les meubles
ITT dans la France occupéeITT dans les pays neutresSampson et la légende noire d'ITTÉloge de la distance

Traverser un conflit mondial ne peut être pour un groupe international qu'un exercice périlleux. La perspective d'une deuxième guerre mondiale était en fait tellement contradictoire avec le développement du groupe ITT - les Français disaient l'ITT ou l'International Telegraph and Telephone, que son président et fondateur Sosthenes Behn ne croyait pas que la guerre fut inévitable au moment de l'invasion de la Tchécoslovaquie, alors même que cet inlassable voyageur polyglotte était aux premières loges pour observer la marche du monde. Hormis les sociétés pétrolières ou minières, ITT représentait à cette époque-là le seul groupe dont le secteur international n'était pas une simple excroissance en-dehors d'une mère patrie, mais constituait son essence même.
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L'expansion de la multinationale ITT

Ayant pris le contrôle d'une société de téléphones à Porto-Rico, les frères Behn qui avaient démontré un savoir-faire dans la gestion des réseaux téléphoniques réitérèrent leur coup dans les Caraïbes, à Cuba. Ils gagnèrent la confiance de la National City Bank, et les dons de négociateurs de Sosthenes Behn lui permirent de prendre pied en Europe et de décrocher la reprise du réseau téléphonique espagnol, créant en 1924 la Compañía Telefónica Nacional de España (CNTE), capitalisée à un prix sept fois supérieur à tous les actifs détenus. L'exploitation des réseaux téléphoniques nécessitant l'achat de centraux téléphoniques onéreux, ITT voulut disposer de sa propre technologie et saisit l'opportunité du démantèlement du géant American Telegraph and Telephon (AT&T), en vertu de la législation américaine antitrust qui contraignit ATT à se défaire de sa branche européenne Western Electric, laquelle, rebaptisée par ITT International Standard Electric (ISE), comprenait notamment la britannique Standard Telephon & Cables (STC), la française Le Matériel Téléphonique (LMT) et la belge Bell Telephon Manufacturing Co (BTM). Des laboratoires de haut niveau furent créés à Paris et à Londres. Devenu indépendant technologiquement, ITT poursuivit son expansion dans le secteur de l'exploitation des réseaux dans la plupart des pays d'Amérique Latine et en Europe. Les dernières acquisitions furent réalisées en Allemagne avec la prise de contrôle de Ferdinand Schuchardt en 1929 et de Lorenz, ancienne filiale de Philips en 1931. Curieusement, la législation antitrust états-unienne avait débouché sur une sorte de Yalta entre AT&T qui restait confinée au marché intérieur et ITT qui avait les atouts pour conquérir le marché mondial mais ne se risquait pas à une guerre avec ATT sur le marché intérieur. ITT possédait une seule société états-unienne d'une certaine importance, Postal Telegraph, déclarée en faillite en 19351, mais dont les nombreuses filiales ne disparaitront pas, nous serons en particulier amenés à reparler de l'une d'entre elle, la Federal Telegraph Company.

A partir de 1931, ITT souffrit de la Grande dépression, mais la situation se redressa à partir de 1934 où son chiffre d'affaires consolidé avoisinait les 79 millions de dollars, soit 4500 MF (En France, dans le secteur de la radioélectricité, une société de 2500 personnes comme la SFR réalisait un chiffre d'affaires de 100 MF). De ce vaste empire, seul le siège social était basé aux États-Unis, à New-York, mais en fait, l'état-major d'ITT suivait son patron installé dans les meilleurs hôtels de Londres, Madrid ou en été, de Saint-Jean-de-Luz.
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Le prélude espagnol

Dans le système international ITT, les activités industrielles et la recherche étaient d'abord là pour permettre aux sociétés d'exploitation de réaliser du profit sans que celui-ci ne soit obéré par des commandes passées à des équipementiers concurrents. En 1936, lorsque le Frente popular remporta les élections en Espagne, la CNTE représentait près du tiers des lignes téléphoniques exploitées par ITT dans le monde et rapportait le quart de l'ensemble des bénéfices que percevait la maison mère. En Espagne, comme dans tout nouveau pays où il s'implantait, Behn avait eu soin de peupler le conseil d'administration des filiales ITT de personnalités proches du pouvoir ou du roi Alphonse_XIII. Depuis 1924, de l'eau avait coulé sous les ponts, les difficultés économiques firent tomber Primo de Rivera en janvier 1930 et le roi s'éclipsa peu après. En 1931 un éphémère premier ministre Manuel Azaña y Diaz tenta de renégocier la concession de la CNTE. Le même Azaña fut élu président en mai 1936 par une coalition de gauche, et le gouvernement de Santiago Quiroga exigea la révision de la concession de la CNTE. Il s'agissait d'une violation évidente de l'accord de 1924 qui prévoyait une concession de vingt ans. Comme les actionnaires d'ITT étaient citoyens des États-Unis, ITT demanda l'intervention de l'ambassadeur Bowers et les autorités espagnoles oublièrent leurs projets car il aurait été malvenu pour le nouveau gouvernement de se mettre à dos les États-Unis au moment où l'armée complotait contre le régime. La sédition devint ouverte le 17 juillet lorsque le Maroc espagnol bascula du côté de Franco. Le capitaliste et catholique Behn qui ne cachait pas en privé ses sympathies pour les insurgés, arriva à Madrid pour remplacer le directeur d'ITT en Espagne qui venait de décéder. Behn s'installa au dernier étage de la CNTE alors que des milices syndicales occupaient les étages inférieurs. Dans le même temps, les ouvriers reconvertissait les usines ITT de Barcelone dans l'industrie de guerre et décrétaient unilatéralement une augmentation de salaires. Dans ces circonstances troubles, Behn suivit scrupuleusement les recommandations du département d'État américain, et l'état-major d'ITT renonça au projet de rester à Madrid lorsque les franquistes s'approchaient de la capitale de peut que cette attitude ne soit interprétée par les ouvriers de Barcelone comme une prise de parti en faveur des fascistes. Lorsque l'ambassade américaine quitta Madrid pour Barcelone, l'état-major d'ITT suivit le mouvement et installa le siège social de la CNTE à Barcelone. Les relations entre la CNTE et le gouvernement républicain se rafraichirent sérieusement en mai 1937 lorsque le président de la compagnie espagnole, Gumersindo Rico, qui était à Burgos avec les franquistes, annonça que les dividendes seraient désormais versés uniquement « dans les territoires libérés par la glorieuse armée espagnole ».

Ces sympathies prononcées pour les franquistes n'entrainèrent pas un traitement de faveur de la part des nationalistes vis-à-vis de la CNTE et d'ITT. Dés novembre 1936, les insurgés avaient commencé à exercer des pressions pour qu'ITT cesse sa coopération avec les Républicains. Au cours des deux années suivantes, les concurrents allemands d'ITT essayèrent de mettre à profit l'influence des nazis auprès de Franco pour sortir la firme américaine du téléphone espagnol et lorsque Franco prit Madrid en avril 1939, il commença par bloquer les vélléités d'ITT de reprendre l'exploitation téléphonique en Espagne pour favoriser ses alliés allemands. Encore une fois il fallut l'intervention du Département d'État américain pour faire entendre raison à Franco qui, à l'instar d'Azaña trois ans plus tôt, ne voulait pas se mettre les Américains à dos. La concession d'ITT alla jusqu'à son terme et ce ne fut qu'en 1945 que le gouvernement espagnol, toujours franquiste reprit à son compte l'exploitation du téléphone dans le cadre d'un accord qui comprenait le versement d'une indemnisation correcte à ITT.

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ITT dans l'Allemagne nazie

Il est classique de présenter la Guerre d'Espagne comme le prélude du conflit mondial. Pour ITT, ce fut aussi une épreuve du feu où il s'avéra qu'en situation de guerre, même régionale, l'internationalisme n'était plus de mise et que la multinationale devait ressortir son passeport si elle prétendait bénéficier de la protection des États-Unis. Ce point a été très correctement démontré par l'historien spécialiste de politique étrangère Douglas Little2.

Indépendamment des relations de la multinationale avec le Département d'État , le cas espagnol montre la vulnérabilité du modèle ITT face aux tentations de n'importe quel gouvernement pour se réapproprier l'exploitation du réseau téléphonique, service pouvant être considéré comme relevant naturellement des attributions de l'État. Telle n'était pas la situation en Allemagne où les actifs ITT relevaient de l'activité industrielle. Il s'agissait de trois sociétés acquises entre 1929 et 1931, Ferdinand Schuchardt, Standardt Elektrizitäts-Gesellschaft (SEG), liée à AEG, et C. Lorenz AG, une ancienne filiale de Philips. Ferdinand Schuchardt fut ensuite chapeauté par la SEG. Il s'agissait alors pour ITT de compléter sa présence en Europe par une implantation dans le pays qui en constituait le plus grand marché et dont le niveau scientifique et technique était de loin le plus avancé en dépit des difficultés économiques rencontrées par la République de Weimar et de son instabilité politique. En plus de son propre marché, l'Allemagne était la voie d'entrée naturelle à toute l'Europe de l'Est, notamment en ce qui concernait les équipements téléphoniques. Les acquisitions d'ITT en Allemagne se situent dans un contexte plus général d'investissements américains depuis le début des années 1920. D'après l'historien britannique Adam Tooze, en 1939, l'ensemble des investissements directs américains dans les entreprises allemandes se situaient autour de 450 millions de dollars. En tête venaient la Standard Oil et General Motors à chacune desquelles on pouvait imputer près de 60 millions de dollars. Après ces deux champions, trois groupes américains avaient investi environ 20 millions de dollars: Woolworth, Singer et ITT3. Tous ces investisseurs vécurent une période difficile au cours de la Grande dépression des années 1930. ITT, en particulier vit son chiffre d'affaires chuter de plus de 30%. Dans ces conditions, la reprise économique de l'Allemagne qui suivit l'avènement d'Hitler au pouvoir en 1933 était encourageante et le rigoureux contrôle des devises qui interdisait tout rapatriement de dividendes n'était qu'une péripétie, certes gênante, car la trésorerie d'ITT n'était guère florissante, mais acceptable, en regard des milliards de dollars, également bloqués, que l'Allemagne devait encore à ses créanciers étrangers, même après l'annulation des réparations de guerre. En 1934, les filiales allemandes représentaient 4% de la totalité des actifs d'ITT, moins que dans bien d'autres pays, Grande-Bretagne, Mexique, Chili, Espagne ou Argentine, mais dans la région du monde qui connaissait la plus forte croissance. Pour diriger cette partie allemande d'ITT, Behn, fidèle à son habitude, avait placé des personnalités proches du pouvoir: le baron Kurt von Schroeder qui avait été au sein de la communauté financière, l'un des premiers partisans d'Hitler, et le docteur Gerhardt Westrick, représentant officiel en Allemagne des sociétés américaines Texas Company et General Electric. Schroeder et Westrick travaillaient en collaboration avec le banquier New-Yorkais Henry Mann4. A partir de l'accession au pouvoir d'Hitler, en 1933, ces deux hommes, Schroeder et Westrick ont véritablement géré SEG et Lorenz, sans doute au mieux des intérêts d'ITT, mais dans le cadre de l'économie dirigée du Troisième Reich. Schroeder et Westrick sont particulièrement représentatifs des responsables économiques, mi-fonctionnaires du régime, mi-entrepreneurs, qui s'épanouissent dans l'atmosphère du Troisième Reich5.

Alors que pour ITT, l'investissement en Allemagne était à long terme, ses vaches à lait restait l'exploitation des réseaux téléphoniques en Espagne et en Amérique latine, c'est-à-dire essentiellement le Mexique, le Chili et surtout l'Argentine où il n'était pas toujours très bien vu d'être Yankee et où le rapprochement avec l'Allemagne prenait des dimensions économiques autant qu'idéologiques. Nous avons vu Behn prendre carrément la barre du navire en Espagne pour affronter la tempête. En Allemagne, il suivit de plus loin les affaires et laissa Westrick et Schroeder mener la barque. De toutes façons, les nazis ne lui laissaient guère le choix, que ce soit à propos des des marchés qui devenaient de plus en plus militaires, ou que ce soit à propos du réinvestissement des bénéfices qui ne pouvaient pas quitter l'Allemagne. Je serai d'ailleurs bien en mal d'aller plus en détail car il ne reste aucune trace de rapports d'activité de SEG ou de Lorenz au cours des années 19306. Selon Robert Sobel, on croit que ces deux sociétés ont continué à produire de l'équipement téléphonique, télégraphique et radiophonique tout en acceptant un nombre toujours plus grand de commandes provenant de l'Armée. Sur le plan technique, un des points forts de Lorenz tournait autour du radioguidage et de l'atterrissage sans visibilité, problèmes qui concernaient aussi bien le marché de l'aviation civile que celui de l'aviation militaire. Le système Lorenz inauguré en 1934 à l'Aéroport de Berlin-Tempelhof fut installé en divers points du monde. A la fin de l'année 1936, 35 aéroports en étaient équipés. Lorenz recevait de grosses commandes de la Luftwaffe. En 1938, cette filiale investit ses bénéfices en prenant une participation de 25% dans Focke-Wulf Flugzeugbau, une société qui fabriquait des avions de ligne, mais qui elle aussi était de plus en plus impliquée dans le secteur militaire. Lorenz investit également une partie de ses bénéfices dans la compagnie Huth qui fabriquait des équipements radiophoniques et électriques.

En mars 1938, de plus en plus de décisions étaient prises par les directeurs de Berlin sans consultation préalable de la maison-mère. Après l'Anschluss, la gestion de la filiale autrichienne Czeija-Nissl fut transférée ipso facto à Berlin et l'une des premières décisions fut d'éliminer de la direction autrichienne et du conseil d'administration toutes les personnalités non-aryennes, ainsi que le prescrivait la loi7. La démission du président du conseil Franck Nissl, n'empêcha pas les nouvelles autorités autrichiennes de faire prendre en charge la totalité de la société par un « Bureau de transfert des propriétés », sous prétexte que la société avait été anciennement dans les mains de citoyens américains. Westrick et Henry Mann s'en ouvrirent après des autorités Berlinoises, le secrétaire d'État Keppler et le ministre des affaires étrangères von Ribbentrop qui donnèrent l'assurance que les intérêts américains ne seraient pas lésés. Cet incident servit de prétexte à Behn pour rencontrer Hitler. Henry Mann organisa et participa à la rencontre, à la chancellerie. De passage à Paris, Behn évoqua cette rencontre à son collaborateur français Maurice Deloraine qui rapporta la conversation en 1972:

« Behn, qui ne parlait pas allemand, nous dit à Paris qu'il avait trouvé Hitler mieux habillé et plus élégant qu'il n'aurait pensé: il fut très satisfait de l'entrevue. Il avait compris que l'avenir d'ITT n'était pas compromis, mais que le problème de transfert de fonds à l'étranger n'était pas résolu. »8

Lorsqu'en décembre 1941, l'Allemagne déclara la guerre aux Etats-Unis, toutes les filiales de sociétés états-uniennes, considérés comme biens ennemis, furent mises sous séquestre avec nomination d'un administrateur provisoire qui fut peut-être le même que celui de LMT, une société ad hoc Europaïsche Elektro Standard. Ce nouveau statut ne changea pas grand chose, car les directeurs demeurèrent inchangés, et il y avait longtemps que l'ensemble de l'industrie allemande recevait directement ses directives du ministère du Plan (Vierjahresplan) de Göring. Qu'elles soient d'origine nationales ou filiales de groupes étrangères, les grandes entreprises industrielles s'intégraient parfaitement bien à l'économie de guerre de l'Allemagne nazie9.

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L'intégration des recherches

Maurice Deloraine qui reçut les confidences de Sosthenes Behn après sa visite à Hitler en 1938 avait le titre de « Directeur technique pour l'Europe ». Parallèlement, il conservait sa responsabilité de directeur du laboratoire français de l'avenue de Breteuil dont nous allons reparler. Si le principe de l' « Internatinal System » cher à Sosthenes Behn était de laisser à chaque filiale nationale une large autonomie, au fur et à mesure de l'expansion du groupe, on ne pouvait oublier l'intérêt de faire des économies d'échelle et de mutualiser certaines dépenses et notamment celles de la recherche. Le directeur technique pour l'Europe était en fait le directeur technique pour l'ensemble du groupe, car toutes les ressources en matière de recherches et développement étaient concentrées en Europe. Il avait un rôle de coordinateur qui tentait à la fois de rendre certains arbitrages, par exemple pour choisir le site le plus opportun pour mener telle ou telle recherche et qui s'efforçait de faire circuler l'information et mettant sur pied une série de comités techniques travaillant chacun sur une thématique particulière. Il était normalement amené à visiter régulièrement les différents labos, et notamment les allemands.

« Ma dernière visite à Berlin eut lieu en 1938, écrit Deloraine, on vint me chercher à la gare comme d'habitude, mais on me prévint que toutes les conversations devaient se tenir à l'hôtel, que je n'avais plus le droit d'entrer dans les usines. L'après-midi, on me permit de regarder l'extérieur des nouvelles usines de la fenêtre d'une voiture. je savais que ce devait être ma dernière visite en Allemagne. »10

Deloraine ajoute que lors du même voyage, il visita sans problème les locaux de la société de Télévision Fernseh. Ce sont les même que l'on verra monter à Paris les studio de Cognacq-Jay et diffuser les premières émissions de Télévision à partir de la Tour Eiffel.11

L'ambiance était donc un peu tendue entre les différentes filiales européennes, et, à défaut de faire collaborer des ingénieurs qui sont des deux côtés tenus par le secret militaire, pour maintenir un bon esprit de corps au sein de la multinationale, Behn eut l'idée d'organiser à New-York une réunion de directeurs qui devaient tous loger avec leurs épouses dans le même hôtel. Ce fut un fiasco. « Les Allemands restèrent ensemble, écrit Deloraine, ils échangèrent à peine quelques mots... On pouvait noter, en rentrant d'une randonnée en voiture, que dans chaque voiture, les passagers étaient tous soit français, soit belges ou anglais ou allemands. »12

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ITT en France (1926-1939)

L'implantation d'ITT en France remonte aux années 1925-1926 et s'articule autour de trois évènements: Le rachat de Western Electric, l'appel d'offres des PTT pour le central téléphonique Carnot, et le rachat de la Compagnie des Téléphones Thomson-Houston. Pour enlever l'appel d'offres des PTT remporté en 1926, LMT avait été amené à s'engager à créer des laboratoires. Maurice Deloraine qui marqua de son empreinte l'histoire de LMT fut nommé à moins de trente ans directeur des LLMT, les laboratoires que LMT installa au 46 avenue de Breteuil conformément à ses promesses. Deloraine était l'un des plus jeunes anciens de la « Bande à Ferrié » qui entourait le Général Gustave Ferrié pendant la Première Guerre mondiale, à l'époque où la radio française était à un niveau d'excellence mondiale. Ferrié avait encouragé son jeune collaborateur à tenter l'aventure américaine et c'est ainsi qu'après être passé par les États-Unis et la filiale britannique de Western Electric, Deloraine se retrouvait dans le groupe ITT. Les LLMT, dont les effectifs avaient atteint 700 personnes en 1930, furent le lieu à partir duquel LMT entreprit une politique de diversification. et étendit ses activités à un certain nombre d'activités civiles et à la radiogoniométrie dont les études étaient effectuées sous la direction d'Henri Busignies, recruté par Deloraine en 1928. Dans le domaine de la téléphonie, les LLMT avaient également une excellente position dans le domaine naissant des hyperfréquences dont la maitrise était nécessaire pour aborder les faisceaux hertziens. A l'approche de la guerre, les LLMT reçurent de la Défense nationale un certain nombre de commandes concernant des appareils de bord pour avions et divers matériel de guerre. En 1938, la Marine passa une commande pour fabriquer un radar de veille lointaine à impulsions. A la même époque, la SFR développait sur fonds propres un radar à ondes centimétriques.

La Section d'études et de matériel de transmissions des armées (SEMT) dirigée par le commandant Labat et censée concevoir le matériel militaire ne comptait alors qu'une trentaine d'ingénieurs et faisait donc largement appel à la sous-traitance, souvent des petites sociétés, plus réactives que les grosses, et surtout, moins arrogantes. En France, il n'y avait dans le domaine de la téléphonie et de la radioélectricité que deux sociétés assez importantes et ambitieuses pour s'être dotées de laboratoires de recherches de bon niveau: la SFR et LMT, mais curieusement, la SEMT entretenait une relation plus étroite avec LMT qu'avec la SFR dont le directeur technique était le « colonel » Brenot, ancien adjoint de Ferrié. Sans doute Labat, véritable successeur de Ferrié, avait-t-il plus d'atomes crochus avec Deloraine qui était de la même génération que lui qu'avec les dirigeants de la SFR, mais les liens étroits entre les LLMT et les administrations tenaient aussi aux origines de la création des laboratoires de l'avenue de Breteuil: une demande des administrations françaises.

En même temps qu'un certain nombre d'équipes installées dans le monde scientifiquement développé, les ingénieurs Gloess et Busignies inventèrent le radar moderne, doté d'un écran cathodique pour visualiser les cibles. Ils inventèrent également certains procédés sophistiqués comme le MTI (Moving Target Indicator) pour éliminer les échos produits par des objets fixes. Installé en février 1940 sur l'île de Port-Cros, près de Toulon, le radar mis au point par LMT fut utilisé entre la déclaration de guerre de l'Italie, le 10 juin 1940 et la demande d'armistice du 17 juin. Il prouva son efficacité en permettant de déjouer une attaque d'avions italiens sur la base de Toulon13.

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ITT en France (1940)

Les filiales d'ITT en France ont participé à l'effort de guerre français sur le front économique comme le firent pour l'Allemagne les filiales allemandes. Ceci ne fut pas la conséquence d'une quelconque stratégie d'ITT de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et de manger à tous les râteliers, mais découle plus simplement de la capacité des puissances belligérantes à mobiliser sur leur sol les ressources industrielles et techniques.

Pendant la drôle de guerre, LMT avait consacré tous ses efforts à la Défense Nationale. La société fabriqua toutes sortes de matériel, bouchons de grenade, têtes spéciales de fusée, postes émetteurs-récepteurs, altimètres etc... Forts de 5400 personnes en 1930, les deux établissements subirent les effets de la récession mondiale, et les effectifs n'étaient plus que de 2700 au moment de la déclaration de guerre. La participation à la bataille de l'armement les fit grimper à 4300 le 31 mai 194014.

Par bien des aspects, LMT occupe donc une place très voisine de celle de la SFR15, mais sa qualité de filiale d'un groupe anglo-saxon va incurver quelque peu sa trajectoire. Les ingénieurs des sociétés ITT d'Angleterre, n'ayant pas été réquisitionnés en Angleterre pour participer à des projets militaires, Deloraine en fit venir une demi-douzaine pendant la drôle de guerre, pour travailler avenue de Breteuil. Auparavant, les laboratoires de Paris et de Londres, soumis aux règles de sécurité respectivement françaises et britanniques, travaillaient de façons complètement cloisonnée en ce qui concernait les recherches militaires. Lors d'une visite à Paris, Robert Watson-Watt, le responsable des développements radar anglais avait expliqué à Deloraine que la question des radars n'était pas traitée en France avec la sécurité nécessaire et que des échanges techniques sur ce sujet était absolument exclus. En mars 1940, il semble que la situation ait évolué, des savants anglais se rendirent en France, et Deloraine fut invité à aller voir leurs installations. A peu près à la même époque, Maurice Ponte, le responsable des projets radars de la SFR avait un mal fou à obtenir un visa et dût finalement mettre en avant la nationalité, britannique, de son épouse pour aller présenter son magnétron à son homologue de la GEC à Wembley. Un mois avant la visite de Ponte à Wembley, c'est Deloraine avait transmis aux Anglais toutes les publications françaises concernant le radar, y compris celles émanant de la SFR, et il fut surpris d'entendre de la part des Anglais que cette documentation pourtant déjà publiée devait désormais être classifiée16.

Comme les autres industries parisiennes, LMT avait préparé un plan de repli au sud de la Loire, dans une usine désaffectée à Bois-Laribière, près de Limoges. Par chance, le lieu de repli prévu était situé dans la future zone « non occupée ». La migration vers le Sud fut déclenchée le 12 juin, en pleine débâcle. Le général Jullien qui supervisait les transmissions réussit, depuis Bordeaux où il avait suivi le gouvernement, à conserver le contact avec les repliés de LMT pour annoncer que l'amirauté britannique avait réservé sur un chalutier des places non seulement pour les ingénieurs britanniques, mais aussi pour du personnel français. Le général Jullien avertit ses interlocuteurs civils que s'ils accompagnaient leurs collègues britanniques sur le chalutier, ils pourraient être considérés comme déserteurs en temps de guerre. Le principal problème résidait surtout dans le fait que les ingénieurs étaient alors séparés de leurs familles et ils ne voulaient pas s'embarquer dans ces conditions.

Il advint que le commandant Labat se trouva également à Bois-Laribière à ce moment où toutes les raisons étaient réunies pour plonger les Français dans le désarroi le plus profond. Pour passer cette crise morale, les ingénieurs de LMT avaient été invités à élaborer de nouveaux projets d'études dans des hangars sur des tables à tréteaux, et de son côté, le commandant Labat préparait le redéploiement du savoir-faire français dans la zone dite libre:

« ... il fut décidé avec le Commandant Labat qu'une grande partie du personnel du Laboratoire LMT resterait en zone non occupée et que leur programme serait choisi pour conserver un maximum de moyens et de connaissances techniques pour des jours meilleurs. J.M.Archange fut chargé de la direction de ce laboratoire.. » 17 .

De fait, parmi tous les laboratoires implantées à Lyon pendant la période de l'Occupation, LMT fut le premier, et la filiale d'ITT parvint ainsi maintenir ses relations privilégiées avec Labat et les nouvelles administrations françaises, en particulier le CCTI (Comité de coordination des communications impériales), organisme créé en partie pour poursuivre les activités de recherches militaires du SEMT. En 1943, sur un total de 39 millions de francs que distribue le CCTI pour des marchés d'études, LMT en rafle 14, alors que la SFR n'en obtient que six18. Cette place privilégiée s'explique en partie par le fait que LMT est-il spécialisé dans le téléphone, ce qui lui donne les meilleures chances d'obtenir la plus grosse part des 10 MF réservées aux PTT.

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ITT aux États-Unis

Revenons à Deloraine qui remonte à Paris. Les Allemands arrivés le 15 juin dans la capitale s'étaient inquiétés de trouver l'usine de Boulogne presque entièrement vide comme toutes les usines de la région parisienne. J'ai raconté dans mon livre sur la CSF et la SFR19 comment les Allemands avaient fait en sorte de redonner de la vigueur à l'industrie de la région parisienne pour qu'elle participe à l'effort de guerre et LMT ne fit pas exception à la règle.

Sosthenes Behn et Maurice Deloraine en 1946
Figure 1 Maurice Deloraine et Sosthenes Behn en 1946

Le conflit mondial qui avait éclaté en septembre 1939 et que n'avait pas voulu voir venir Behn signifiait pour ce dernier la faillite de son concept de système international. La période 1940-1945 sera pour ITT une phase de recentrage sur le territoire des États-Unis, un recentrage qui est explicitement prévu dans le plan quinquennal publié en 1940, où il est beaucoup question d'activités manufacturières aux États-Unis et bien peu du développement des compagnies de téléphone20. En fait, ITT ne détenait en Amérique du Nord qu'un ensemble disparate de sociétés qui avaient échoué dans son portefeuille au gré des manœuvres boursières menées dans les années 1920. La Federal Telegraph Company était l'une de ces petites sociétés, investie dans la production d'équipement de radiotélégraphie qui avait reçu des commandes militaires à la fin de l'année 1939. Behn articulera sa nouvelle stratégie nationale sur cette petite société de Newark, bien gérée et rentable. Jusqu'en 1939, il n'avait pourtant jamais jugé utile de franchir la Hudson River et de visiter les usines de cette obscure filiale. En 1940, Behn prit lui-même en main la restructuration de la Federal, créa une société jumelle, la Federal Telephon & Radio Laboratories, qui acquit un certain nombre de terrains pour construire de nouvelles usines, et notamment, au sud de Long Island le terrain de Great River où fut construit le premier laboratoire d'ITT sur le sol américain.

Dans son fameux appel, le général de Gaulle avait invité « les ingénieurs et ouvriers spécialistes des industries d'armement » à venir le rejoindre, mais il ne recueilli aucun écho dans cette catégorie de population. Nous avons vu que les ingénieurs de LMT n'avaient pas voulu accompagner leurs collègues britanniques rapatriés, car ils ne voulaient pas partir sans leurs familles. Il est vrai que, réaliste, de Gaulle avait adressé son appel à ceux « qui se trouvaient en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver ». Pour diriger le laboratoire qu'il envisageait de créer, Behn fit transmettre en septembre un appel à Deloraine par l'intermédiaire du consulat des États-Unis à Paris. ITT représentait sans doute pour son directeur technique une sorte de seconde patrie, il accueillit favorablement cet appel et retourna d'abord à Lyon pour consulter Labat, lequel donna sa bénédiction pour un départ vers un pays ami. Le général Jullien, toujours en poste à Vichy, fut également prévenu, mais ne put donner une autorisation de sortie officielle. L'équipe qui quitta illégalement la zone occupée d'abord, puis la zone Libre comprenait en plus de Deloraine, Busignies, choisi pour ses connaissances en radiogoniométrie, Labin pour le radar et Chevigny pour les tubes hyperfréquences. Avec les familles, cela faisait treize personnes. Ils emportaient avec eux les plans de tous les matériels militaires qui pouvaient intéresser les Américains. Le gros de l'équipe débarqua à New-York le 31 décembre au soir après avoir transité par Marseille; Alger, Casablanca, Tanger et Lisbonne.

C'est donc avec les débris de son empire international que Behn ensemença les terres du New-Jersey qu'il avait acquises pour devenir une puissance industrielle et scientifique états-unienne. Busignies ne devait jamais regagner les laboratoires de l'avenue de Breteuil. Il termina sa carrière aux États-Unis, prenant même la nationalité américaine en 1960. En 1955, il fut nommé président des laboratoires ITT.

Behn présenta Deloraine et Busignies aux représentants de l'Armée et de la Marine, mais ceux-ci étaient très méfiants vis-à-vis de Behn à cause de ses attaches supposées avec l'Allemagne, et ce ne fut qu'après que l'expert de la US Navy Maxwell K.Goldstein eut reconnu la grande valeur de l'appareil conçu par Busignies que les Français reçurent des autorisations de travailler avec les laboratoires de la Navy21. Kathleen Williams explique qu'une restriction beaucoup plus sévère qu'aux autres sociétés américaines fut appliquée à ITT dans l'octroi des habilitations Défense, en raison de son caractère multinational22. D'autres sociétés américaines dont le caractère multinational était également avéré obtenaient des habilitations qui étaient refusées à ITT. Parmi les raisons invoquées, il y avait cette forte implications d'ingénieurs étrangers - c'est-à-dire français - dans les nouveaux laboratoires d'ITT, et le fait que plus que toute autre société, ITT continuait d'entretenir des relations avec ses filiales étrangères situées dans les pays neutres, notamment en Amérique Latine. Dans les premiers mois de 1942 le même Goldstein mena des essais comparatifs entre le modèle britannique FH3 et le DAQ d'ITT. Il sélectionna le DAQ qui fut construit en 4000 exemplaires pour équiper les bâtiments d'escorte.

Huff-Duff DAQ
Figure 2 Huff-Duff DAQ embarqué sur un destroyer américain.

Sur les bateaux où ils étaient embarqués, ces radiogoniomètres étaient couramment appelés « Huff-Duff », comme HF/DF, raccourci pour High Frequency Direction Finder. Pour comprendre l'intérêt de ce Huff-Duff, il faut avoir à l'esprit que la bataille de l'Atlantique est avant tout un jeu de cache-cache où les U-Boote allemands sont tour à tour chasseurs et gibier. La radiogoniométrie est aussi vieille que la radio elle-même: Comme à la réception, l'intensité du signal dépend de l'orientation de l'antenne, on a là un moyen de connaître la direction de l'émission. Les sous-marins en mission doivent communiquer à leur base quelques informations, notamment leur position et cette communication peut les faire repérer. En 1938, il s'avéra que les Allemands avaient doté leurs sous-marins d'un système qui permettait de comprimer leurs messages dans le temps. Ceci impliquait d'enregistrer les messages sur papier, comme on le faisait depuis longtemps pour les télégrammes et, à la réception, les messages étaient enregistrés sur support magnétique. Les messages qui duraient moins d'une seconde étaient indétectables avec les radiogoniomètres classiques. La solution proposée par Busignies était un condensé de toutes les sophistications que pouvait proposer à cette époque l'électronique que l'on appelait alors radioélectricité: à l'optimisation de l'antenne était adjointe une technique de comparaison de phase mettant en jeu la rotation de l'antenne à 20 tours par seconde en synchronisme avec avec la rotation du déflecteur autour du col d'un tube cathodique23. A partir de la fin 1942, la bataille de l'Atlantique commença à tourner au profit des Alliés. le repérage des sous-marins devint le souci constant de l'Amiral Dönitz qui, pendant toute la durée de la guerre, n'a jamais soupçonné que l'on put localiser l'émission de signaux d'une fraction de seconde. Aux côtés du radar centimétrique, le Huff-Duff avait joué une large part dans l'anéantissement des U-Boote ennemis. La US Navy ne révéla l'existence des Huff-Duff d'ITT qu'en 1946.

Labin n'eut pas l'occasion de faire bénéficier les Alliés de ses talents de radariste. Peu après leur arrivée sur le sol américain, les ingénieurs français furent convoqués pour une réunion technique sur le radar mais l'échange fut très bref. Le colonel avec lequel ils avaient rendez-vous leur demanda d'emblée « Vous êtes français n'est-ce pas ? je refuserais de parler radar avec Jésus-Christ lui-même. »

A Long Island, le laboratoire de Great River dirigé par les quatre Français, compte rapidement deux cents personnes, ingénieurs et dessinateurs. Des prototypes sont fabriqués dans les premiers mois de 1941. Lorsque les commandes deviennent plus importantes, la Federal Telegraph ne peut plus suivre, il faut faire appel à des sous-traitants qui n'appartiennent pas à ITT . La radiogoniométrie est le fond de commerce principal de Great River, mais ITT reçoit également des commandes de systèmes d'atterrissage sans visibilité dérivés du matériel que Lorenz avait développé et introduit aux États-Unis en 1937. Labin qui n'a pas le droit de travailler sur les radars dirige une étude d'un matériel de brouillage des communications entre blindés. Si les Français sont sont privés de tout contact avec les développement radars menés au Radiation Lab de Boston, on confie quand même au groupe de Busignies le développement d'un équipement de contre-mesure radar. Pour relativiser ce qui peut paraître comme une sorte d'ostracisme vis-à-vis des Français, il faut signaler que les mesures de sécurité américaines pouvaient tout autant concerner des citoyens américains. Ainsi, Behn, n'a pas l'habilitation pour pénétrer dans les labos de Great River, ce qui ne l'empêche pas de mettre tout son son poids au service de l'effort de guerre de son pays: Lorsque Busignies se plaint de ne pas pouvoir se procurer le câble coaxial dont il a besoin, Behn décide de créer une usine pour fabriquer le câble24.

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En Roumanie, Behn sauve les meubles

Pour opérer sa politique de recentrage vers les États-Unis, ITT bénéficia d'une certaine marge de manœuvre grâce à un désengagement réussi in extremis en Roumanie. La Societatea Anonima Romana de Telefoane (SART), entrée dans le giron d'ITT en 1930, n'était peut-être pas le plus beau fleuron de l'empire de Behn, mais avec un parc de 100000 abonnés en 1940, elle versait quand même quelque 150000 $ à la maison mère ce qui était toujours mieux que les filiales allemandes, certainement plus étoffées mais qui, depuis belle lurette, ne versaient plus un pfennig à l'extérieur du Reich. Cependant, à partir de 1939 et plus encore de juin 1940, la Roumanie glissait inéluctablement vers le camp allemand, ce qui se traduisit en septembre 1940 par la mise à l'écart du roi Carol et l'arrivée au pouvoir de Ion Antonescu qui prit officiellement parti pour l'Allemagne nazie. Tout semblait en place pour que les avoirs d'ITT soient gelés pour une période indéterminée, mais les États-Unis réagirent les premiers après le basculement de la Roumanie dans le camp de l'Axe et gelèrent les avoirs roumains aux États-Unis. Il ne reste aucune trace ni de négociations entre ITT et le Département d'État ni de négociations avec la Roumanie, mais tout laisse à croire qu'à ce moment-là, rien ne pouvait être négocié en Roumanie sans l'accord de Berlin, ce qui veut dire que Behn aura sans doute mandaté Westrick et Schroeder pour user de leurs relations et faire aller les choses dans le bon sens25. A la fin de 1940, des représentants du gouvernement roumain ont rencontré les directeurs d'ITT et conclu un accord selon lequel ITT vendait au gouvernement roumain ses parts dans la SART pour la somme de 13,8 millions de dollars qui devait être payée avec les actifs saisis aux États-Unis. Selon l'historien des entreprises Richard Sobel, ITT fut la seule des entreprises américaines qui réussit à vendre ainsi ses actifs roumains à la veille de l'entrée des forces allemandes en Roumanie.

Cette rentrée inespérée d'argent frais fit ainsi baisser la dette annuelle d'ITT de 600000 $, ce qui limitait les dégâts d'une guerre qui n'était encore qu'européenne. Les Allemands ne versaient plus de dividendes depuis longtemps. La France occupée n'en verserait pas non plus, et la Grande-Bretagne, également en guerre, observait désormais les mêmes règles que l'Allemagne vis-à-vis des fuites de capitaux. En fin de compte, les dividendes européens chutèrent de 3 millions de dollars entre 1939 et 1940 et ITT accusa une perte de 1,8 million de dollars.

ITT chercha à réaliser en Espagne le même type d'opération, c'est-à-dire vendre la CNTE. Le gouvernement espagnol n'était pas intéressé par le rachat, mais un groupe d'hommes d'affaires allemands qui se firent représenter par Westrick présentèrent une offre de 63 millions de dollars, ce qui aurait définitivement assaini la situation financière du groupe américain, mais le département d'État s'opposa à cette transaction qui semblait aller à l'encontre des intérêts des États-Unis.

Pour se sortir d'affaires, Behn dût négocier avec l'Export-Import Bank pour reporter de 1940 à 1948 l'échéance de certaines créances,. Il dut aussi demander à la même banque une ligne de crédit exceptionnelle de 1,5 millions de dollars, de quoi assurer son fonds de roulement dans les premiers mois de 1941.

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ITT dans la France occupée

La défection de quatre ingénieurs talentueux n'empêcha évidemment ni l'usine de Boulogne ni les laboratoires de l'avenue de Breteuil de poursuivre leurs activités en France. Le directeur général de LMT était Jean Roussel, un homme de 46 ans qui justifia à la Libération son choix de rester en poste par le fait qu'il valait mieux garder à la société une direction française et qu'ainsi « soit assuré par un français la défense des employés ». Il fallait également, d'après Roussel, continuer à fournir les administrations françaises26.

Le fait que LMT soit aux mains d'un actionnariat états-unien ne modifia qu'à la marge le comportement des Allemands vis-à-vis de la société. Les États-Unis n'étaient pas encore engagés dans la guerre lors de l'arrivée des Allemands à Paris, mais de toutes façons, les Allemands n'entendaient pas plus spolier les actionnaires de LMT qu'ils n'avaient spolié ceux de la SFR ou ceux de Lorenz en Allemagne. Ils exigeaient simplement d'être servis en tant que clients. L'irruption allemande dans LMT se déroula néanmoins de façon légèrement moins brutale que dans les sociétés purement françaises et la prise de contact fut légèrement différée. Le 9 juillet 1940, les services de transmissions bloquaient les stocks de l'usine de Billancourt. Deux officiers allemands, le capitaine Wurtzler et le capitaine Schaer furent chargés des relations avec LMT. Dans le courant du mois de juillet, le capitaine Wurtzler ordonna de procéder à la réfection des installations radio-goniométriques de l'aéroport du Bourget qui avaient été fournies par LMT, et le 2 août 1940, il demanda le catalogue des fabrications de LMT. Le 2 septembre 1940, LMT reçut de la part de la Luftwaffe une demande de renseignements. C'est également en septembre que la société cousine Lorenz fut nommée Patenfirma de LMT. Un représentant de Lorenz, Riessner s'installa dans un bureau des Champs-Élysées. Lorsqu'une autre société allemande, la SAF passa une commande de disques redresseurs, LMT en référa au ministère de la Production industrielle par le truchement du syndicat de la construction électrique, et le ministère donna son accord pour les commandes respectives de Lorenz et de la SAF le 5 novembre 194027.

La tutelle de Lorenz impliquera qu'au cours des années LMT fabriquera de plus en plus de matériel conçu par sa cousine allemande. Une convention fut signée en ce sens en juillet 1941. Lorenz poussa également sa cousine française sous tutelle à créer une nouvelle usine de tubes rue Duroc à Paris, dans un immeuble appartenant au Bon Marché. En octobre 1943 cependant, les différentes moutures du projet étaient encore en discussion28. Après l'entrée en guerre des États-Unis, LMT fut considéré comme un bien ennemi, les autorités d'occupation, en l'occurrence la MBF, nomma le 13 mai 1942 comme administrateur provisoire une société créée pour l'occasion, la Europaïsche Elektro Standard, qui n'eut pas plus d'importance que les précédents administrateurs de LMT: Lorentz et les services de la MBF continuèrent à encadrer les activités de la filiale française29.

On se retrouve donc dans un schéma très proche de celui de la SFR qui est, dans le même domaine technique, la seule société comparable en taille et en potentiel technique, mais dont l'actionnariat est purement français. LMT tenta de se soustraire aux commandes de Lorenz en prétextant qu'il devait honorer des commandes françaises. LMT produisant avant la guerre du matériel essentiellement civil recevait en effet un certain nombre de commandes de la part des PTT, mais en février 1941, le représentant de la Rüstung-Inspektion, section Air, rappela à LMT qu'il était sous tutelle et qu'il ne pouvait par conséquent pas prendre de commandes sans autorisation et en avril, le ministère de l'Air allemand réitéra l'injonction d'exécuter les dernières commandes sous le contrôle de Lorenz. Ces ordres furent confirmés par le ministère de l'Air allemand en avril et en mai 1941. En fin de compte, LMT accepta les commandes allemandes, ses effectifs et son chiffre d'affaires atteignirent un niveau supérieur à celui de l'année record 1930, jamais égalée30.

Chiffre d'affaire LMT
Figure 3: Chiffre d'affaires LMT

Comme dans le cas de la SFR31, le fait de travailler pour le compte de clients sérieux et honnêtes se traduisit par des exercices bénéficiaires tout au long de la période. Il s'agit de bénéfices raisonnables auxquelles il faut d'ailleurs attacher une importance relative en l'absence d'information comptables concernant les diverses provisions couramment pratiquées en temps de guerre et susceptible de changer le résultat du simple au triple. Le résultat le plus remarquable est celui de l'exercice 1944 où il reste positif, ce qui est une exception dans le paysage des entreprises françaises.

Bénéfices LMT
Figure 4 Bénéfices LMT

Comme pour la SFR, le fait de faire des affaires avec un client sérieux et fidèle permit de financer des études n'ayant aucun rapport avec le matériel fourni aux Allemands. Avec les ingénieurs vedettes André Clavier et Vladimir Altowski, LMT poursuivit ses études dans le domaine des hyperfréquences, technologie née après 1935, qui ouvre la voie au radar, mais aussi aux faisceaux hertziens, prometteurs pour les télécommunications. Il ne semble pas qu'aucun ingénieur ITT n'ait été approché personnellement pour collaborer à des projets stratégiques pour le Reich.

Pour assurer ces performances financières, les effectifs qui avaient fondu après la débâcle de juin 1940, dépassèrent en 1942 leur niveau de mai 1940.

Sept 39Mai 40Juin 41Juin 42Juin 43Juin 44Avr 45Sept 45
27004300330048004700440042005400

Dans le chiffre d'affaires, la part des commandes allemandes se trouve légèrement en-deçà de ce qu'elle a été dans le cas de la SFR. Le décalage dans le temps évoqué ci-dessus se traduit par un pourcentage de seulement 3,1% pour l'exercice 1940, alors qu'il est plus du double (8,5%) pour la SFR. Le pourcentage des commandes allemandes s'accrut ensuite régulièrement: 32,4%, 52,2%, 66,2% pour les années respectives 1941, 1942, 194332.

Concernant les différents dispositifs de relève et de travail forcé en Allemagne, LMT paya un plus lourd tribut que la SFR. Pour un effectif global comparable, le nombre des requis pour le travail en Allemagne fut à peu près le double, et il s'étendit beaucoup plus que pour la SFR aux catégories non strictement ouvrières. Plus de 700 personnes au total, dont 15 ingénieurs33. Faut-il y voir la simple conséquence d'un reliquat d'activités civiles plus important pour LMT que pour SFR, ou bien une moindre protection accordée par Lorenz avec qui les relations auraient été moins amicales que celles de la SFR avec Telefunken ? Ou bien une stratégie différente de la part de Lorenz qui aurait caressé le rêve d'intégrer le différentes sociétés ITT à son avantage ?

À la Libération, lorsqu'elle fut amenée à rendre des comptes sur sa collaboration avec l'occupant, la société mit évidemment en avant qu'elle n'avait accepté que sous la contrainte les commandes allemandes et qu'elle avait tenu autant que possible à l'écart des affaires le « commissaire-administrateur » de Lorenz. Comme la SFR, LMT déclara avoir facilité la mutation de son personnel israélite dans l'établissement de Lyon, mais LMT évoqua aussi des aides pour passer à l'étranger, comme elle évoqua la fourniture de moyens matériels aux volontaires qui voulaient gagner la France Libre. L'ouverture aux diverses organisations de résistance des moyens de reproduction et de microfilms fut également mise en avant.

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ITT dans les pays neutres

L'histoire d'un groupe multinational au cours d'un conflit pose la question du droit de propriété pendant la guerre. Il y a deux mille ans, l'avocat Cicéron a donné la réponse sous forme d'un adage célèbre : « Inter arma enim silent leges » que l'on peut traduire par « En temps de guerre, les lois deviennent muettes ». Autrement dit, lorsque la force des armes s'impose, l'actionnaire peut bien conserver la nue propriété d'une entreprise, il n'en n'a plus la jouissance. La puissance belligérante impose l'arbitraire de sa loi dans les territoires qu'il contrôle et dispose par conséquent des entreprises comme il l'entend

Dans les différentes filiales de l'ITT, la logique multinationale qui présidait en temps de paix fait alors place à une logique nationale. L'État s'impose comme client, détermine les investissements, fixe le niveau des bénéfices, des salaires, du temps de travail. En Allemagne nazie comme aux États-Unis, le propriétaire n'a d'autre choix que de faire tourner son entreprise et de la mettre à disposition de son pays. Et avec le retour à la paix reviennent les beaux jours pour les avocats dans les multiples contentieux que fait naitre la résurgence du droit de propriété.

Hibernation du quartier général de la multinationale pendant le conflit mondial ? Les choses ne sont pas si simples, tous les pays ne sont pas belligérants et l'ITT est particulièrement bien implanté dans certains pays neutres, la Suisse bien sûr, mais aussi l'Espagne et l'ensemble des pays d'Amérique latine. Dans ces pays neutres les armes n'ont pas fait taire la loi, les règles du commerce international continuent à s'appliquer, c'est-à-dire que les filiales continuent à verser dividendes et redevances à la maison mère.

Le Mexique et à un moindre degré le Brésil coopérèrent avec les États-Unis pour entraver les missions des agents de l'Axe, mais à l'opposé, le Chili et l'Argentine leur laissèrent toute liberté d'action pendant toute la durée du conflit. Le Mexique déclara la guerre aux puissances de l'Axe en mai 1942 et le Brésil en août 1942 alors que l'Argentine attendit le mois de mars 1945. Quant au Chili, il attendit encore un peu et ne déclara la guerre qu'au Japon. Pour de multiples raisons, importance de la communauté allemande dans les rangs de l'immigration, rivalité traditionnelle avec la Grande-Bretagne, nombre d'Argentins ne cachaient pas leurs sympathies pour l'Allemagne nazie. En Argentine, ITT détenait une importante société de téléphone, la United River Plate Company, à qui l'État avait concédé le service des communications, comme pour la CNTE en Espagne et une société de télécommunications par câble, la All-America Cables Office. Autrement dit, lorsque les agents allemands voulaient communiquer à Berlin des informations sur les navires qui quittaient le Rio de la Plata afin de désigner des cibles pour les U-Boote, ils font appel aux services de filiales de l'ITT, dont les directeurs sont encore dans une relation de subordination vis-à-vis de Sosthenes Behn. Les services américains se satisfont du statu quo, ce qui leur permet au moins d'écouter les communications entre l'Argentine et Berlin alors qu'une rupture entre ITT et le gouvernement argentin se traduirait par une nationalisation de la River Plate.

Behn se rendit à Zurich à une date, juin 1941, où les États-Unis n'étaient pas encore entrés en guerre. C'est donc le citoyen d'un pays neutre qui va dans un autre pays neutre pour y rencontrer le directeur de la filiale helvétique G. Édouard Hofer. Behn n'ira plus en Europe avant la fin du conflit mondial, mais restera en contact avec Hofer, lequel Hofer était en contact avec Westrick, Schroeder et les autres directeurs ITT de l'Europe allemande. Les espions des deux camps grouillaient dans les pays neutres, les services de contre-espionnage américains surveillaient les déplacement de Behn, alors que les services de renseignement l'utilisaient comme informateur pour tenter de savoir ce qui se passait dans les filiales allemandes d'ITT.

D'une façon générale, Behn se garda bien de prendre des décisions importantes sans l'aval de son gouvernement. L'Espagne qui avait besoin des États-Unis pour son approvisionnement en pétrole, accepta en échange de rester neutre. Le Département d'État veilla constamment à ce que les intérêts des citoyens américains et en particulier les 66000 actionnaires d'ITT ne soient pas lésés. En échange, ITT tint le Département d'État régulièrement informé sur la situation en Espagne. En 1941, la Standard Electrica de Madrid avait avisé LMT du mauvais état de fonctionnement du réseau téléphonique de Madrid géré par la CNTE. La société madrilène demandait à LMT de lui envoyer des pièces détachées34. Sosthènes Behn écrivit au Secrétaire d'État afin de demander l'autorisation pour la CNTE d'acheter des équipements auprès de LMT et des filiales allemandes d'ITT. Ces équipements, soulignait Behn, n'étaient pas disponibles aux États-Unis ou dans les pays neutres35.

A Paris, le directeur général de LMT, Roussel, demanda l'accord du Secrétariat de la Production industrielle du gouvernement de Vichy, qui ne vit pas d'inconvénient de principe à cette affaire, mais demanda que le règlement ne se fit point en pesetas, mais en minerai de plomb, matière première nécessaire aux besoins français. Pour traiter cette affaire, Roussel se rendit en Espagne sans en informer les autorités allemandes. Pour contourner les règles qui encadraient la sortie de la zone occupée vers l'étranger, il avait d'abord obtenu un ausweiss inter-zone, et s'était ensuite fait domicilier à Lyon chez son collègue Archange pour obtenir un passeport pour l'Espagne. A Madrid, Roussel rencontra les représentants de la Standard Electrica pour négocier l'opération, mais il eut l'imprudence de téléphoner à un ami américain, sans doute le représentant d'ITT à Madrid, Caldwell, et cette conversation fut interceptée et transmise aux Allemands.

Lorsque les trois premiers wagons de blende passèrent la frontière, en avril 1942, ils furent interceptés par les services allemands et dirigés vers l'Allemagne; Roussel ne fut plus autorisé à se rendre en zone libre et le représentant à Berlin de LMT fut interrogé sur les relations franco-espagnoles. En fait, les relations de LMT avec les sociétés cousines de l'ISEC (International Standard Electric Corporation), la branche européenne de l'ITT, restèrent parfaitement encadrées non seulement par Lorenz, mais aussi par la branche compétente de la MBF, la Rüstung-Inspektion représentée par le capitaine Wurtzler. Ceci valait tout autant pour les sociétés basées dans l'Europe sous domination allemande que dans les pays neutres. LMT fut ainsi amenée à collaborer avec la société belge Bell, mais aussi avec la société suisse Standard Telephon qui devait elle-même en référer à l'ISEC, c'est-à-dire à Édouard Hofer qui dépendait directement de Behn. La lettre envoyée par la Standard Telephon à LMT le 21 septembre 1942 témoigne des relations un peu scabreuses au sein de ce qui reste du groupe transnational ITT:

« ... Nous avons reçu de la ISE (International Standard Electric) la permission de fabriquer le permalloy en Suisse et au vu des difficultés qui se présentent pour obtenir le permalloy de S.T.C.36 ou des autres firmes et vu aussi les difficultés dans l'exportation des matières premières.
D'accord avec Monsieur Archange, il a été décidé de déléguer Monsieur Van Mierlo en Suisse, afin de surveiller la fabrication qui doit se baser sur l'information à obtenir de LMT, respectivement LTT (Information qui a été fournie par I.S.E. à LTT)
Il s'agit donc des informations à obtenir directement de ceux qui fabriquent les alliages.
...Il est dans nos plans de combiner les efforts de l'École Polytechnique de Zürich avec les nôtres (études pour la fabrication d'alliages remplaçant le permalloy) afin de maintenir la position que le Groupe Standard avait en ce domaine avant les hostilités ... »37

Résumons: L'ISE suisse et son directeur Hofer communique à la fois avec les filiales ITT du monde allemand et la maison mère ITT basée aux USA, mais les échanges sont étroitement surveillées par les États belligérants, que ce soit du côté allemand ou du côté américain. Ce qui est valable pour la Suisse l'est tout autant pour l'Argentine ou l'Espagne, avec des contraintes géographiques différentes.

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Sampson et la légende noire d'ITT

Après le débarquement en Normandie, Sosthènes Behn enfila un uniforme avec les galons de colonel qu'il avait acquis au cours de la Première guerre mondiale et atterrit à Rennes vers le milieu du mois d'août. Le 24 août au soir, l'avant-garde de la 2eme DB commandée par le capitaine Dronne arrivait à Notre-dame. Le 25 au matin, c'était le gros de la division Leclerc qui gagnait Paris depuis Forges-les-Bains. A 16h15, conduit dans une jeep par son fils William, Behn se pointait aux laboratoires de l'avenue de Breteuil en tenue de combat et mal rasé. Quelques jours plus tard, c'était au tour de Deloraine, lui aussi porteur d'un uniforme américain, de regagner Paris et de mettre les compétences de LMT au service des besoins des Alliés. Quelques mois plus tard, la guerre contre l'Allemagne était terminée, la force des armes cédait le pas au droit international et l'empire multinational sortait non sans mal de son hibernation. En Allemagne, la plupart des usines de Lorenz étaient situées dans la région de Berlin et avaient été durement bombardées. L'armée soviétique avait fait main basse sur le peu de machines encore en état pour les expédier à l'Est. Les employés d'ITT remirent tant bien que mal quelques usines en route et s'orientèrent vers la fabrication de nouveaux produits civils: poêles à frire, cuisinières, couteaux à pain.

En France, comme dans tous les secteurs industriels qui avaient beaucoup produit pour l'Allemagne, les dirigeants de LMT, en fait essentiellement Roussel - fit l'objet d'une instruction pour « Intelligence avec l'ennemi » qui se termina assez vite par un non-lieu. En Allemagne, le nazi Kurt von Schröder qui supervisait avec Westrick les filiales ITT dans l'Europe allemande, mais qui brassait aussi beaucoup d'autres affaires dut répondre de ses actes devant le tribunal de Nuremberg. Il écopa de trois mois de prison. Aux États-Unis, ITT fut d'abord accusé par certains journalistes, d'appuyer inopportunément la résurrection industrielle de l'Allemagne. De fil en aiguille, certains se demandèrent également si ITT, comme d'autres groupes industriels, n'avait pas maintenu au delà de l'acceptable des relations avec l'ennemi. Richard Sobel rappelle qu'à la fin de la Première guerre mondiale, le Congrès avait mené une enquête afin de déterminer si les hommes d'affaires américains avaient exercé des pressions sur le président Wilson pour qu'il déclare la guerre en Allemagne, dans le seul but d'accroitre leurs revenus, mais que dans les années qui suivirent la fin de la Seconde guerre, on accusait les hommes d'affaires américains d'avoir aidé l'ennemi et d'avoir retiré des bénéfices de leurs investissements dans l'industrie allemande38.

Les diverses négociations concernant les indemnisations pour dommages de guerre se poursuivirent bien au-delà des années quarante. En 1967, ITT obtint du gouvernement américain 27 millions de dollars au titre de ses dommages subis par ses usines en Allemagne39. Une telle somme n'était pas seulement symbolique, elle représentait à l'époque 1% du chiffre d'affaires de la multinationale.

Beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts depuis la fin de la guerre. Après le décès de Behn en 1957, le nouvel homme fort du groupe était Harold Geneen, et sous sa direction, ITT s'était progressivement éloigné de son métier de base, la téléphonie, pour s'engager dans une multitude d'activités, devenant ainsi le plus gros conglomérat du monde. Cette croissance avait attiré des enquêtes de la part des administrations américaines et en particulier de la commission de contrôle anti-trust. En fait, il y avait débat pour savoir comment la législation anti-trust s'appliquait aux conglomérats, et dans ce débat, la ligne de clivage suivait à peu près celle qui séparait les Démocrates des Républicains. Dans ce contexte, à partir de 1972, ITT se trouva au centre d'un certain nombre de scandales, d'abord pour avoir financé illégalement la convention républicaine de San Diego, et ensuite pour avoir financé au Chili la campagne présidentielle d'Alessandri en 1970. Sur ces entrefaites, sortit au début de 1973, un livre de l'essayiste britannique Anthony Sampson, The Sovereign State of ITT , véritable réquisitoire contre la multinationale40. Publiant en avant-première des bonnes feuilles du livre, le New-York Magazine résumait ainsi l'article « Les nombreux scandales dans lesquels ITT a été impliqué au cours des dernières années ont fait du sigle même de cette firme un véritable épouvantail avec lequel on peut faire peur aux enfants »41. Ce livre, traduit en plusieurs langues, devint un best-seller mondial et l'image d'ITT ne s'en remit jamais.

Trente pages sont consacrées à la Seconde guerre mondiale. Assez bien documentées, je n'en tiens pas moins ce réquisitoire comme un condensé de mauvaise foi, où la partialité et l'omission ne sont jamais très loin du pur mensonge. Quarante ans après sa parution, la version développée par Sampson est souvent reproduite par toutes sortes d'auteurs dont certains croient sans doute de bonne foi ce qui a été écrit en 1973 et répété tant de fois depuis. Je vais essayer résumer ici la version Sampson:

« Sosthenes Behn était proche des nazis auxquels il a apporté son soutien de la même façon qu'il a soutenu toutes les dictatures, notamment l'Argentine, elle-même favorable à l'Axe. Mais comme il veillait aux intérêts de son groupe, lorsqu'il a vu que la victoire basculait du côté des Alliés, il s'est rangé du côté des vainqueurs. En fait, il a travaillé pour les deux camps, et on ne peux dire à quel camp ITT a été le plus utile. Au centre de la duplicité d'ITT, il y a la société Focke-Wulf dans lequel la filiale d'ITT Lorenz a pris une participation de 28% et qui fabriquait des bombardiers ? ... si bien que personne ou presque parmi les gens qui travaillent pour ITT ne sait aujourd'hui qu'elle fut liée à la firme Focke-Wulf qui fabriquait des bombardiers, ou qu'elle collabora avec les SS d'Hitler. »42 

Concernant l'aspect réquisitoire, Richard Sobel a bien montré que de toutes les compte-rendus d'écoutes téléphoniques entre ITT et les filiales des pays neutres, Sampson n'avait retenu que certains extraits pour en faire des pièces à charges, délaissant l'ensemble qui montrait qu'au contraire, ITT n'avait rien entrepris vis-à-vis des pays neutres sans en avoir informé le Département d'État et que dans les cas de divergence, le groupe téléphonique avait toujours fini par s'aligner sur les recommandations gouvernementales. Concernant la mauvaise foi, il y a la présentation de l'affaire Focke-Wulf où l'auteur, en prenant pour argent comptant une déclaration de Schroeder au tribunal de Nuremberg, sous-entend constamment que l'ITT aurait pu rapatrier les bénéfices de Lorenz au lieu de les investir en Allemagne, alors que depuis au moins 1935, il était rigoureusement impossible pour n'importe quelle société étrangère de rapatrier des fonds. La mauvaise foi est également flagrante lorsque Sampson, qui cite pourtant Deloraine lorsqu'il fait dire à Behn qu'Hitler était habillé élégamment, présente les quatre ingénieurs Français comme « réfugiés à New-York », alors que selon Deloraine, c'est l'insistance de Behn qui l'a amené à quitter la zone occupée avec les meilleurs spécialistes, en emportant les plans des matériels les plus sensibles. Il s'agit tout simplement de mensonge lorsqu'on lit à la page 38 de la version française que l'ITT continua à communiquer de nouveaux brevets à ses filiales allemandes alors qu'il est clair pour tous ceux qui se sont intéressés à la Bataille de l'Atlantique que les Allemands n'ont jamais eu connaissance des travaux de Busignies et qu'ils croyaient jusqu'à la fin de la guerre qu'il était impossible de détecter les messages ultra-rapides de leurs U-Boote.

En plus de la partialité et de la quasi-falsification, la pertinence même de l'analyse de Sampson est sujette à caution: Selon Sampson, un groupe industriel aurait un libre arbitre et pourrait se ranger dans un camp ou dans l'autre, selon ses préférences ou selon les préférences de leur patron. Aucun État belligérant n'a jamais attendu qu'un conseil d'administration représentant des dizaines de milliers d'actionnaires se range librement à ses côtés. Le principe de réquisition en temps de guerre s'est appliqué aussi bien en Allemagne qu'en France, en Angleterre. ITT avait acquis des positions en Allemagne avant l'arrivée d'Hitler au pouvoir et c'est Hitler qui a bloqué les différents actifs d'ITT pour les mettre au service de son effort de guerre, comme c'est le gouvernement français qui a passé des commandes militaires à LMT sans lui laisser vraiment le choix de refuser.

Parmi ceux qui se sont alignés sur la version Sampson, on peut citer Anthony Sutton, un historien et économiste anglo-américain, qui n'a guère de crédit dans le milieu universitaire dont il est pourtant issu, mais dont l'ouvrage est en ligne, à la fois en version anglaise et en version française43. On peut également citer Éric Laurent, ancien journaliste au Figaro et essayiste spécialisé dans les scandales et les révélations et légitimé par son statut de journaliste à France Culture44. Et puis, il y a tous les blogs qui reproduisent des passages plus ou moins développés de la prose de Sampson.

On aura bien compris que si la version Sampson est si répandue, c'est qu'elle doit plaire. Mais on peut d'abord se demander pourquoi l'auteur a produit un tel récit en 1973. Il est tentant de faire le rapprochement avec la très célèbre France de Vichy de Paxton publiée en France la même année45. S'interrogeant en 1990 sur son parcours, Paxton écrivit en 1990 :

« Quand je relis aujourd'hui certains jugements prononcés par moi à l'époque (comme ceux des pages 62-63 et 288), je concède qu'ils sont bien trop totalisants et parfois féroces. Ils étaient influencés, je le reconnais, par ma répulsion devant la guerre menée au Vietnam par mon propre pays. Mais à mes yeux, il et toujours légitime de dire que le régime de Vichy aura été de bout en bout souillé par son péché originel de juin 1940... » 46

Sans doute Sampson, britannique, était-il moins taraudé par la Guerre du Vietnam, mais, proche de Mandela - il avait couvert comme journaliste le procès de Rivonia - et avec le cas de la Rodhésie, la question de l'Apartheid était un peu l'équivalent dans le Commonwealth britannique de ce qu'était le Vietnam pour les États-Unis. Dans le monde occidental vainqueur de l'Allemagne nazie en 1944, il subsistait une bête immonde qui sommeillait depuis l'époque du fascisme. Le monstre ITT qui collabore avec la CIA pour sauvegarder ses intérêts au Chili avait nécessairement navigué en eaux troubles pendant la Seconde Guerre mondiale. Combattre sans concession la bête, c'est aussi trouver des boucs émissaires, la France de Vichy pour Paxton et ITT pour Sampson. Le rapprochement a des limites, Paxton et Sampson ne sont pas à mettre sur le même plan, le premier est un « vrai » historien du monde académique, ce que n'est pas le second, mais il se dégage de la lecture de Paxton l'idée que l'on pourrait charger sans restriction un Vichy dont on ne saurait admettre qu'il ait pu être sous une forme quelconque bénéfique pour la France47, de la même façon qu'il se dégage de la lecture de Sampson l'idée qu'un groupe multinational comme ITT génétiquement mauvais doit être forcément coupable de méfaits tout au long de son existence.

Les multinationales, ces monstres froids, tentaculaires, apparaissent comme les boucs émissaires tout désignés pour expliquer les malheurs du monde, surtout lorsque la machine s'enraye et que les progrès économiques ne sont plus au rendez-vous. Au début du XXe siècle, Ida Tarbel fut la pionnière du genre avec son ouvrage, certes engagé contre la Standard Oil mais admirablement documenté et merveilleusement illustré, dont la lecture est maintenant accessible sur internet48. D'après Sobel, avant la publication de l'ITT de Sampson en 1973, aucune publication ne peut se comparer à cette histoire de Standard Oil. Au début du XXIe siècle, Monsanto a pris la place d'ITT pour devenir le grand méchant parmi les méchants, mais auparavant, on a vu un certain nombre de grandes entreprises faire l'objet de révélations scandaleuses touchant à leur histoire pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour en rester au cas d'ITT, le film d'Henri Verneuil, Mille milliards de dollars, sorti sur les écrans en 1982 s'est nourri de la légende noire d'ITT produite par Sampson. Il n'est pas question de discuter de la pertinence historique d'une œuvre de fiction, mais l'existence-même de tels films montre que le groupe multinational est a-priori un bon candidat pour le rôle du méchant.

Au tournant du siècle, une abondante littérature traitera outre-atlantique de l'implication des entreprises américaines dans l'économie du Troisième Reich. Parmi les motivations ayant poussé des auteurs à s'intéresser à l'histoire des entreprises américaines pendant la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement à leur implication dans les rouages de l'Holocaust, il y a la législation concernant les indemnités à verser aux survivants de l'Holocaust, une perspective de marché particulièrement juteux pour les lawyers du pays où les juges sont les rois49. Ewin Black s'est rendu célèbre par son étude sur l'utilisation des cartes perforées d'IBM dans la mise en place de la Shoah50. On aurait tort de ne voir dans ces travaux et dans l'intérêt qu'ils suscitent qu'une affaire d'Holcaust Industry, pour reprendre les termes de Finkelstein51. Il y a une volonté plus générale d'opérer une lecture de la Seconde Guerre mondiale sur un mode expiatoire, où la pratique de repentance consiste vite à battre sa coulpe sur la poitrine des autres et à accrocher des casseroles à la queue de ses adversaires ou présumés tels. IBM, attaqué pour sa participation à l'Holocaust est aussi mis en cause pour sa participation à l'internement des Nippo-américains52.

A l'opposé des boutiquiers de l' Holcaust Industry, beaucoup d'épigones de Sampson, Sutton et Black se revendiquent de l'antisionnisme et peuvent être classés « Gauche radicale », comme les Belges Michel Collon ou Jacques Pauwels. Lorsque sur le site du premier, le second évoque le cas de la firme automobile allemande Opel, filiale de General Motors, c'est pour évoquer une collusion beaucoup plus large que le cas de General Motors entre les États-Unis et le nazisme, une sorte d'invariance du capitalisme américain qui après avoir fricoté avec Hitler, ferme aujourd'hui des usines en Europe53.

Les deux géants de l'industrie automobile, Ford et General Motors sont souvent mis en avant lorsqu'il s'agit d'évoquer les Corporates américaines. En France, le cas Renault semblait entendu, le dossier ayant été traité dés septembre 1944: Louis Renault, promptement incarcéré, décéda en octobre 1944, et, comme on sait, les usines Renault furent nationalisées. Lorsque les héritiers Renault, par la plume du mari d'une héritière, voulurent revoir à la baisse les turpitudes collaboratrices de leur ancêtre, Annie Lacroix-Riz monta au créneau pour expliquer qu'à l'instar du Sosthenes Behn de Sampson, Louis Renault avait toujours eu des sympathies nazies avant et pendant la guerre54. L'historienne était sortie d'un relatif anonymat en mettant en cause le groupe Ugine, qui aurait été impliqué dans la Shoah par des fabrications de gaz Zyklon-B, de la même façon que Black avait suggéré qu'IBM l'était avec la technologie des cartes perforées. A partir des années 1990, Lacroix-Riz s'est intéressée à l'histoire des Banques et des industriels sous l'Occupation, procédant, comme Sampson, sur le mode du réquisitoire. Des kilomètres linéaires d'archives concernant les entreprises françaises, elles n'en retient que les éléments à charge pour en venir logiquement à la conclusion que le patronat français a désiré la victoire de l'Allemagne nazie55. Tenue à l'écart par ses collègues du monde académique, Lacroix-Riz reste en vogue dans certains milieux altermondialistes et garde les faveurs du Monde Diplomatique et de l'Humanité.

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Éloge de la distance

Le fait de trouver dans la littérature et surtout sur Internet une présentation entachée de tant de distorsions concernant le groupe ITT avec lequel par ailleurs je n'ai jamais eu la moindre attache professionnelle ou autre, m'a conduit à vouloir exploiter un certain nombre d'informations glanées dans les archives lors de mes recherches sur la radioélectricité en France sous l'Occupation. Ainsi est né ce texte.

J'espère avoir convaincu que l'histoire d'un groupe industriel ou financier ne peut pas se traiter comme celui d'une nation. En temps de paix, les visées stratégiques d'une multinationale peuvent aller à l'encontre des intérêts de tel ou tel État, mais dans un contexte de guerre totale, la logique nationale reprend ses droits, toutes les ressources industrielles présentes sur le territoire sont mobilisées sans qu'il soit tenu compte du passeport de l'actionnaire. Un groupe multinational, aussi puissant soit-il, ne peut échapper à cette logique. La défense des intérêts des citoyens actionnaires est prise en charge par l'État , mais en passant toujours après les impératifs militaires.

Le groupe multinational ITT a été contraint d'abandonner sa dynamique propre et d'accepter d'être provisoirement démembré selon des frontières nationales qu'il avait cru pouvoir dépasser pour toujours. En même temps, les pays neutres représentent autant de zones grises où se perpétue sur un mode paradoxal la logique transnationale.

L'histoire des entreprises est souvent perçue comme aride: la majorité n'accepte de s'y intéresser que si pour y respirer une odeur du scandale ou pour conforter ses propres croyances. Il faut pourtant tenir bon sur l'essentiel, garder ses distances avec le sujet, et, dans le cas des multinationales, scruter d'abord ces monstres froids avec le regard de l'analyste financier.

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Remerciements

Tous mes remerciements à Hervé Joly pour ses remarques très pertinentes qui m'ont permis d'améliorer cet article.

Références

1Robert Sobel, ITT, Histoire d'un empire, Les éditions de l'Homme, 1984, p.97 (traduction de l'anglais, The Management of Opportunity, New-York times books, 1982)

2Douglas J. Little, Twenty Years of Turmoil: ITT, The State Department, and Spain, 1924-1944, in The business History Review, Vol.53-4, 1979, pp.449-472.

3Adam Tooze, Le Salaire de la destruction, Formation et ruine de l'économie nazie, Les Belles Lettres, 2012, p.147 (Traduction en français de The Wages of destruction: The Making and Breaking of the Nazi Economy, London, Allen Lane, 2006.

4Sobel, Op. Cit., p.111-112. « Les deux hommes étaient nazis » écrit Sobel, sans préciser la date de leur engagement.

5Martin Broszat, l'État Hitlérien, l'origine et l'évolution des structures du troisième Reich, Fayard, 1985, p.274 (Version originale, des Staat Hitlers, 1970)

6En particulier, une recherche sur le site http://webopac.hwwa.de/digiview/DigiView.cfm?T=F ne permet pas de retrouver les rapports annuels des filiales ITT.

7Communication personnelle d'Hervé Joly.

8Maurice Deloraine, Des Ondes et des hommes, jeunesse des télécommunications et de l'ITT, Flammarion, p.151, ouvrage d'abord publié en anglais sous le titre When Telecom and ITT were young

9Martin Broszat, Op.cit., p.441-442

10Deloraine, Op.cit., p.151-152

11Thierry Kubler, Emmanuel Lemieux, Cognacq-Jay 1940, La télévision française sous l'Occupation, Plume, 1990

12Deloraine, Op.cit., p.155

13 Yves Blanchard, Le radar, 1904-2004 : Histoire d'un siècle d'innovations techniques et opérationnelles, Ellipses, 2004, p.176

14 Note sur l'application à LMT de l'article 5 de l'ordonnance du 26 mars 1945, avril 1945, Dossier LMT (AN, Z/6NL/13039)

15Emmanuel de Chambost, Histoire de la radioélectricité sous l'Occupation (1939-1944), L'Harmattan, 2012

16Deloraine, Des ondes et des hommes, pp.158-159.

17Maurice Deloraine, Les rapports du Laboratoire « Le Matériel Téléphonique » avec le Général Labat, dans Liaison des Transmissions n°59, 1969.

18Michel Atten, La construction du CNET (1940-1945), Réseaux, 1996, Vol. 14, n°1

19de Chambost, Op.cit.2012

20Sobel, Op.cit., p.116

21Clay Blair, Hitler'U-Boat War: The Hunted 1942-1945, Hachette UK, 2012; Kathleen Broome Williams, Secret Weapon: U.S. High-Frequency Direction Findings in the Battle of the Atlantic, Naval Institute Press, 1996.

22 Williams, Op.cit., p.125-127.

23Peter Sandretto, 1959 Pioneer Award in Aeronautical and Navigational Electronics, IRE Transactions on Aeronautical and Navigationals electronics, June 1959

24Deloraine, Des ondes et des Hommes, p.176

25Sobel, Op.cit., p.121.

26 Déposition de Jean Roussel, 16 décembre 1947, Dossier LMT (AN, Z/6NL/13039)

27 Relations avec les autorités allemandes depuis juin 1940, dossier LMT (AN, Z/6NL/13039)

28Rapport de l'expert comptable, p.50-52, dossier LMT (AN, Z/6NL/13039)

29Lettre du 13 mai 1942, de la MBF à LMT, cote 4 (AN, Z/6NL/13039)

30Feuillets intitulés « Capital » dans Rapport de 1945, dossier LMT (AN, Z/6NL/13039)

31de Chambost, Op. cit. Annexe 1.

32Rapport de l'expert comptable, p.60, dossier LMT (AN, Z/6NL/13039)

33 Rapport de l'expert-comptable, Doc.cit., p.37.

34 Rapport de l'expert comptable, l'affaire d'Espagne, p.52-55, dossier LMT (AN, Z/6NL/13039)

35Sobel, Op. cit., p.131

36La Standard Telephon and Cables (STC) était normalement basée au Royaume-uni, mais il doit s'agir ici d'une filiale suisse.

37 Rapport de l'expert comptable, p.57

38Sobel, Op. cit., p.136

39Anthony Sampson, ITT, l'État souverain, éditions Alain Moreau, 1973, p.63. Sampson précise que cette indemnité a été décidée par la Foreign Claims Settlement Commission le 17 mai 1967, au titre des sociétés sous séquestre d'un pays ennemi.

40Anthony Sampson, The Souvereign State, The Secret History of ITT, Holder and Soughton, 1973, traduit en français sous le titre ITT, l'État souverain, Alain Moreau, 1973

41Anthony Sampson, The Geneen Machine, New York Magazine, New York, 23 avril 1973.

42Sampson, l'État souverain, p.63

43 Anthony C. Sutton, Wall Street and the Rise of Hitler (1976, 1999) , chapitre 5, ITT works on both sides of the war, en ligne http://reformed-theology.org/html/books/wall_street/index.html

44Éric Laurent, La face cachée des banques: Scandales et révélations sur les milieux financiers, Edi8-Plon, 2010.

45Robert Paxton, La France de Vichy, 1973, traduction française de Vichy France, Old Guard and New Order, 1940-1944 publié en 1972

46Robert Paxton, La France de Vichy, avant-propos de l'édition de 1990, Le seuil, collection Points-Histoire

47Voir Emmanuel de Chambost, L'affaire Paxton, 2007, http://siteedc.edechambost.net/Paxton/Paxton.htm

48Ida Tarbel, The History of the Standsr Oil Company, 1904, en ligne http://www.pagetutor.com/standard/

49Michel Dobbs, Ford and GM Scrutinized for Alleged Nazi Collaboration, Washington Post, nov 30, 1998, http://www.washingtonpost.com/wp-srv/national/daily/nov98/nazicars30.htm

50Ewin Black, IBM and the Holocaust, the strategic alliance between nazi Germany and America most powerful corporation, 2001, http://www.ibmandtheholocaust.com/. Voir aussi les publications où Black traite du même sujet en dépassant le cadre d'IBM: Nazi nexus : America's corporate connections to Hitler's Holocaust, Washington/DC, 2009, Hitler 's carmaker, how General Motors mobilize the Third Reich, 2006.

51Norman G.Finkestein, L’Industrie de l’Holocauste : réflexions sur l’exploitation de la souffrance des juifs , éditions La Fabrique, 2001 (titre original anglais : The Holocaust Industry - Reflections on the Exploitation of Jewish Suffering, 2000).

52Tyson, Thomas N; Fleischman, Richard K (June 2006). "Accounting for interned Japanese-American civilians during World War II: Creating incentives and establishing controls for captive workers". Accounting Historians Journal (Thomson Gale) 33 (1): 167

53Jacques Pauwels, Opel en Allemagne nazie, « le bon vieux temps », 6 janvier 2010, http://www.michelcollon.info/IMG/article_PDF/article_a2908.pdf

54Annie Lacroix-Riz, Louis Renault et la fabrication de chars pour la Wehrmacht, Club Médiapart, 16/02:11, http://blogs.mediapart.fr/edition/usages-et-mesusages-de-lhistoire/article/160211/louis-renault-et-la-fabrication-de-char

55 Annie Lacroix-Riz, Industriels et banquiers français sous l'Occupation : la collaboration économique avec le Reich et Vichy, Paris, Armand Colin, 1999, Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Paris, Armand Colin, 2006, site personnel : http://www.historiographie.info/


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