HISTOIRE DE LA CSF SOUS L'OCCUPATION, « l'enfance de Thales » L'usine SFR de Levallois, 55 rue Greffuhle (Création 11 novembre 2012 dernière modif mai 2024)
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Au lendemain de la première guerre mondiale, SFR avait regroupé l'ensemble de ses activités dans un terrain situé à Levallois-Perret, 55, rue Greffühle, à la même époque, où l'on avait créé la holding CSF, qui devenait la maison-mère de la SFR. En 1919, 200 personnes travaillent à la SFR de Levallois, quelques années après, il y en aura plus d'un millier et finalement, en 1939, au moment de la déclaration de guerre, elles sont environ 1500. En 1991, il restait encore une implantation industrielle au 55 rue Greffuhle à Levallois-Perret, sur le même site où s'étaient regroupées et développées toutes les activités de la SFR entre les deux guerres mondiales. Levallois devenant une banlieue résidentielle de Paris, la hausse du prix du mètre carré fut l'occasion pour le groupe Thomson-CSF de réaliser une juteuse opération immobilière en vendant les terrains de Levallois pour transférer les activités à Nanterre dans le cadre d'une filiale spatiale commune avec Alcatel. Un livre mémoire fut édité pour retracer l'histoire du centre, et puis vinrent les bulldozers qui rasèrent le berceau de la CSF. Douze ans plus tard, à la suite de difficultés économiques, la moitié du personnel de Nanterre fut licenciée et l'autre moitié dispersée vers d'autre centres du groupe Alcatel. Les archives rassemblées pour la réalisation du livre Mémoire ont sans doute été détruites. De l'usine engloutie, il ne reste que le livre et quelques souvenirs.
A la recherche du peuple perdu du 55, rue Greffuhle |
Prédominance de la mécanique |
Laboratoires et usine de lampes |
Trombinoscope |
Album Matériel |
Anecdote du "rat mort" |
Jetons un coup d'œil sur le plan d'ensemble. Le 26 août 1939, la guerre paraissait inévitable au point que le dessinateur Fourrier est chargé de dresser le plan d'évacuation de l'usine, dans le cadre de la Défense Passive4.
Le cœur de la SFR, 90mx65m au 55 rue Greffuhle à Levallois
Au lendemain de la première guerre mondiale, SFR avait regroupé l'ensemble de ses activités dans un terrain situé à Levallois-Perret, 55, rue Greffühle, à la même époque, où l'on avait créé la holding CSF, qui devenait la maison-mère de la SFR. En 1919, 200 personnes travaillent à la SFR de Levallois, quelques années après, il y en aura plus d'un millier et finalement, en 1939, au moment de la déclaration de guerre, elles sont environ 1500.
Voici l'évocation poétique qu'en a faite Jean Cuny, l'écrivain engagé à qui l'on avait confié la charge de rédiger le livre-mémoire avant la destruction de l'usine.
« Il faut imaginer une ceinture parisienne faite de grisaille, ponctuée de cheminées d'usine où quelques immeubles bon marché (HBM) et les premières cités jardins plus attrayantes complètent un paysage modelé par et pour le travail des hommes. Il subsiste encore de grands espaces consacrés aux jardins ouvriers, où ces fils de paysans, parfois paysans eux-même, cultivent le dimanche les légumes du ménage. Madame, elle, soigne les rosiers et les taille en tonnelle. On achète un billet de la loterie nationale et on va le dimanche au cinéma voir Jean Gabin. On sait rêver en ce temps-là. On joue beaucoup au football sur les terrains qui voisinent les fortifs ou la voie ferrée. La SFR a son équipe. Il y a des petits bistrots à tous les coins de rue.... A Levallois, en bord de Seine, il subsiste un appontement pour les péniches. Par le métro « Pont de Levallois » arrivent les travailleurs, d'autres, nombreux, ont opté pour la bicyclette. D'autres, encore arrivent à pied en voisin, beaucoup arrivent à Levallois. Les castes sont bien marquées, ici les Lampes, là, les Mécaniques, on distingue un compagnon d'un ingénieur au premier coup d'œil, avant même qu'ils soient en tenue de travail. L'un porte le béret ou la casquette, l'autre le chapeau, très peu dérogent à cette règle implicite. On ne se mélange pas. Et pourtant, à l'usine, au labo, à l'atelier, on travaille en équipe. A tous les échelons, la hiérarchie a ses privilèges, on respecte les conventions. « On sait se tenir » devant le chef. Un patron s'appelle un patron, le compagnon est apprécié au métier qu'il a dans les mains. »1
Quelques photos, pour retrouver ce peuple technicien en casquette et en chapeau dans la cour de l'usine pendant les grèves de 1936:
Georges Salomon, l'ingénieur que nous avons déjà rencontré dans d'autres chapitres, devait se rendre sur son lieu de travail depuis Paris: « Pour les cadres venant de Paris, le métro avait son terminus, Porte Champerret, Autour de la porte, aucune construction: c'étaient encore les fortifications. On prenait donc l'autobus venant de la rive gauche et qui, de ce fait, avait souvent du retard. Il nous amenait sur la place, toujours actuelle, à l'angle des rues Greffuhle et de Villiers. Quelques années plus tard, le camion de livraisons de l'usine a assuré tous les matins, à l’aller seulement, un transport entre la place de l'Étoile et l'usine. 3 bancs dans le camion assuraient un confort très discutable... »2
Dans l'usine de Levallois, on trouve aussi bien des grands halls où des dizaines de tourneurs et fraiseurs s'activent devant leurs machines exactement comme le font ceux de l'usine Citroën voisine, et comme le souligne Jean Cuny, elle a toutes les apparences de ces grosses usines de la ceinture parisienne. C'est d'ailleurs une ancienne centrale électrique et, jusqu'en 1927, la cour était traversée de rails pour les wagonnets transportant le charbon jusqu'au groupe électrogène. Une grande partie de la valeur ajoutée des appareils produits par le SFR relève de la construction mécanique. Il ne s'agit pas seulement des châssis mais aussi des mécaniques souvent sophistiquées des organes de contrôle, barillets, commutateurs, qui équipent aussi bien les émetteurs de puissance que les récepteurs professionnels.
Dispositif mécanique de changement de fréquence inclus dans les récepteurs. (CAMT Roubaix) |
Atelier
de montage des postes d'émission (1935)
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Laboratoires et usine de «lampes»
Au 55 de la rue Greffuhle, l'usine traditionnelle cohabite avec une unité de production de « haute technologie », la fabrique de lampes et les « Laboratoires » où sont effectuées les activités de recherche et les tâches de conception.
Les laboratoires du 55 rue Greffuhle et sur la droite, le premier hall des ateliers de fabrication. (à situer, avec le plan, ci-dessous)
Photo du laboratoire de recherches, 1935
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Revenons sur la distinction que fait Jean Cuny, entre le peuple à casquette et le peuple à chapeau. Ce n'est là qu'une simplification, moins valide sans doute, dans les industries radioélectriques que partout ailleurs. Si beaucoup de fraiseurs sont fils d'ouvriers et termineront leurs carrières comme fraiseurs, il existe aussi une zone grise où l'on peut passer, au cours d'une vie professionnelle, de l'atelier au labo. Suivons le parcours d'André Besson. Ses parents tenaient une boulangerie en Eure-et-Loir. Après deux ans de collège à Chateaudun pour apprendre la mécanique automobile, il entre à l'École Industrielle de Saumur d'où il sort en 1930 comme « sous-ingénieur ». Il passe quelques mois comme ajusteur à Tours à la S.G.C.M. puis quelques mois de construction de lignes haute tension au Mans, entre ensuite comme ingénieur stagiaire au service Essais des Ateliers de Construction Électrique de Jeumont à la Plaine St-Denis jusqu'à son service militaire qu'il effectue au 8eme régiment du Génie à Versailles. Sorti du service il propose ses services à une petite entreprise (Construction Électrique de Montreuil) qui fabriquait des connecteurs de téléphone pour la ligne Maginot. Quand il voit les commandes se tarir, en octobre 1935, il parcourt les petites annonces de France Soir et apprend que la SFR recrute des monteurs. A la SFR, il est embauché par un ancien camarade du 8e Génie au labo de recherches dirigé par Ponte. « Le labo, raconte-t-il, est situé au-dessus du Département Lampes et forme alors une petite unité d'avant-garde comprenant quelques cerveaux, Gutton, Rocard, Mouex, Hugon, Élie, Berline et une dizaine d'excellents techniciens monteurs ». Après quelques années de travail avec Berline, sur la demande de Ponte, Besson remplace un agent technique au pompage des grosses lampes, des E3056, tubes de 300 kW à refroidissement par eau, où la main du verrier est capitale dans la soudure cuivre-verre et où un spécialiste vérifie à l'ongle l'aminci du cuivre.3
Jean Rebotier, directeur | Contanstin Kyticas, directeur | Charles Vaudevire, directeur administratif, Résistant, déporté, mort à Dora. | Pierre Viennot, Chef du personnel, Résistant, déporté. | Lucien, chef d'atelier |
Voir les photos de matériels construits à Cholet ou Levallois: Album matériel
Notes de bas de page
1 Jean Cuny, Livre mémoire des hommes de Levallois, de la SFR à Alcatel Telespace, 1991, p.38
2 Georges Salomon, note autobiographiques, Archives de l'AICPRAT.
3 André Besson, Notes autobiographiques, 1995, archives de l'AICPRAT.
4 Plans du bureau de dessin de la SFR (Archives nationales de Roubaix 130J381)
L'ensemble des photos est issue de deux livres publiés en interne par CSF ou Thomson CSF: Livre anniversaiire des 25 ans de la CSF (1935) et Livre mémoire des hommes de Levallois (1991), dont les droits ont été concédés par Thales à l'AICPRAT. Les plans proviennent su CAMT Roubaix. La photo de Charles Vaudevire a été communiquée par Eric Vaudevire.