HISTOIRE DE LA CSF SOUS L'OCCUPATION, « l'enfance de Thales » Et les autres ? le cas de Peugeot (Création 11 novembre 2012)
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Pour mieux comprendre le cas de la CSF, nous portons notre regard sur l'histoire d'autres entreprises sous l'Occupation: Peugeot, sur cette page, mais aussi LMT et Philips, aux Pays-Bas.
L'entrée en guerre de Peugeot | Les premières années de l'Occupation | Le durcissement de 1943 | Affrontements |
Normalisation tardive |
Le 1er septembre 1939, à la déclaration de guerre, La SAAP, Société Anonyme des Automobiles Peugeot, était une entreprise employant 15260 personnes, essentiellement dans la région de Sochaux. L'entreprise familiale Peugeot, fondée au début du XIXe siècle, s'était investie dans l'automobile en 1896, lorsqu'Armand Peugeot présidait aux destinées du groupe. Le neveu d'Armand, Robert est devenu ensuite le chef de famille et céda définitivement, en juillet 1941, la présidence à son fils Jean-Pierre qui avait commencé à exercer des responsabilités depuis 1928. Jean-Pierre sera donc aux yeux des autorités allemandes le représentant de la maison Peugeot1. D'emblée, on voit la première différence avec le groupe CSF: au sein de la SAAP, la famille Peugeot est détentrice à la fois du pouvoir financier et du pouvoir économique.
Une autre différence importante est que l'activité
de base de Peugeot est strictement civile. Ce n'est qu'en 1937 que
Peugeot répond favorablement aux sollicitations du ministère de
l'Air et développe à Sochaux un moteur d'avion dérivé du Type 12
X d'Hispano-Suiza. L'usine, située à 15_km
de la frontière est alors évidemment concernée par les plans de
repliement qui prennent la forme d'un projet de centre industriel à
Mérignac près de Bordeaux. La production de moteurs d'avions finira
par cafouiller du fait de l'Armée qui décida de changer de
programme et de remplacer le moteur Hispano-Suiza 12X par un moteur
Gnome et Rhône. Du 1er septembre 1939 au 15 juin 1939, la
SAAP produira 23833 véhicules, en grande partie destinée à
l'Armée, de la quincaillerie militaire, des obus 155 mm, des
éléments de trains d'atterrissage et une série de divers matériels
militaires, mais en gros, si les capacités de production des usines
Peugeot furent reconverties tant bien que mal dans les fabrications
militaires, il n'y eut pas de gonflement de production. A partir du
14 juin 1940, Un plan de repliement fut exécuté depuis les usines
du Doubs jusqu'à Mérignac. Un millier de camionnettes
transportèrent le maximum de pièces et dans le même temps 6000
personnes effectuaient la même migration. Dés le mois de juillet,
les deux tiers du personnel déplacé regagnait la région de
Sochaux. Peugeot fut amené à réduire ses effectifs de moitié à
la suite de l'effondrement français, exactement de la même façon
que la SFR, mais à la différence de cette dernière, les effectifs
se stabilisèrent autour de 8000 dont un millier dans la nouvelle
usine de Mérignac.
Dans la région de Sochaux Montbéliard, les usines avaient été bien gardées par les troupes allemandes, et dans un premier temps, l'interlocuteur unique de Peugeot est le colonel Max Thoenissen le responsable du GBK, la Direction générale du matériel automobile, créée au sein des services économiques de la MBF. Thoenissen prévint la direction de Peugeot que la production automobile de la société serait réduite à 20% de celle d'avant-guerre. De fait la production de véhicules pendant toute la durée de l'occupation ne dépassera pas celle de la période septembre 1939- juin 1940. Peugeot a aussi utilisé les capacités de production de ses usines pour diverses commandes allemandes, mais les usines de Sochaux ne séduisirent guère les ingénieurs des différentes sociétés allemandes susceptibles de devenir Patenfirma de Peugeot2. Jusqu'au début de l'année 1943, les usines Peugeot reçurent une série de commandes disparates émanant de plus d'une dizaine de client allemands et d'entreprises françaises pour lesquelles Peugeot faisait de la sous-traitance.
Les exercices 1941, 1942 et 1943 se soldent par un
bénéfice net global de 67,6 millions de francs3,
pour un chiffre d'affaires global de 2,6 milliards de francs. Le
bénéfice de Peugeot n'est pas directement comparable. aux 17,5 MF
enregistré par la SRF à la même période4.
Nous retiendrons que sur ces trois exercices où l'essentiel du
chiffre d'affaires des deux entreprises est effectué avec les
Allemands, la grosse différence entre les deux entreprises tient à
ce que Peugeot est en contraction lorsque la SFR est en expansion
sans qu'il soit clairement établi que cette différence tient au peu
d'empressement de la direction de Peugeot à travailler pour des
clients allemands ou au manque d'attractivité que la firme
automobile présentait pour les vainqueurs. En fait, en octobre 1940,
la société allemande Auto-Union avait effectué une sorte d'audit
de Peugeot d'où il résultait que les ateliers étaient vétustes à
l'exception de la forge, la fonderie et les ateliers de carosserie5.
Ce n'est qu'au début de l'année 1943 que le
ministre Speer confiera les destinées de Peugeot à Volkswagenwerk
(VWW), nommée officiellement Patenfirma et pour qui la
fonderie comblait une lacune de son parc industriel. La direction de
Peugeot qui venait de subir, comme les autres entreprises françaises,
des prélèvements de main-d'œuvre forcés depuis octobre 1942
accepta de signer un compromis avec Volkswagen le 27 mars 1943.
Peut-être parce qu'elle avait été initiée trop tardivement,
l'exploitation de Peugeot par VWW fut un échec, mais deux autres
éléments ont également pu intervenir, la mauvaise volonté de
Peugeot et les bombardements anglais. La mauvaise volonté de Peugeot
a été reconnue par les Allemands qui procédèrent en 1944 à
l'arrestation et la déportation de cinq directeurs6.
Nous verrons pourquoi les soupçons portés envers les directeurs
déportés n'étaient pas dénués de tout fondement, mais les
ouvriers eux-même se rebellèrent dés la seconde vague de
réquisition pour le travail en Allemagne. Le 1er mars 1943, ils se
mirent en grève et désertèrent massivement les usines pour
s'opposer à la réquisition de 150 ouvriers. Des manifestations
accompagnèrent le départ des trains et finalement, la direction et
les Allemands annoncèrent « la suspension temporaire de
l'action Sauckel en ce qui concerne Peugeot7.
la signature de l'accord avec Volkswagen interviendra deux semaines
plus tard. Le 16 décembre 1943, les ouvriers se mirent à nouveau en
grève pour protester contre l'interdiction de circuler à vélo,
interdiction qui faisait suite à l'exécution d'un douanier allemand
par des cyclistes. Les forces allemandes durent intervenir pour
maintenir les ouvriers à l'usine et finalement l'interdiction de
circuler à vélo fut rapportée.
Le durcissement des relations observé à partir de 1943 est un
élément que nous n'avions pas rencontré dans l'histoire de la SFR.
Il ne peut pas être considéré indépendamment du bombardement
anglais qui se produisit le 16 juillet 1943. Une partie des ateliers
fut inutilisable pendant plusieurs mois, mais les bombardements
effectués par 150 Lancaster de la RAF touchèrent également
les habitations, laissant plus de 110 morts et 150 blessés graves8.
Ensuite, un agent anglais du SOE parachuté dans la région proposa à
Peugeot un accord prévoyant la suspension des bombardements à
condition que la Résistance locale puisse opérer des opérations de
sabotage à l'intérieur des usines. Dix-huit opérations de sabotage
furent menées à partir de novembre 1943, et c'est dans ce contexte
que les directeurs de Peugeot furent arrêtés. L'affrontement entre
les occupants et les ouvriers de Peugeot atteint alors un niveau
exceptionnel. Une centaine de Waffen SS furent chargés de
surveiller les usines. Une grève éclata à la fin du mois de mars
1944, neuf ouvriers furent arrêtés et l'on vit le chef des services
de sécurité allemands de Dijon intervenir personnellement et tenir
un discours dans la cour de l'usine, proposant aux ouvriers une forme
de « travailler plus pour gagner plus ». En fait, le
salaire aux pièces n'avait jamais été instauré avant-guerre et la
direction de Peugeot refusait de changer de système. Certains
responsables allemands en étaient donc venus à penser que si le
rendement était si mauvais, c'était parce que les ouvriers
n'étaient pas assez payés. Finalement, les Allemands renoncèrent à
s'intercaler entre la direction de Peugeot et son personnel, et
Jean-Pierre Peugeot fut invité à revenir dans l'usine pour
prononcer un discours d'apaisement9.
Ainsi, le durcissement extrême de l'occupation
n'avait pas abouti à un changement de la forme de l'exploitation. A
Peugeot, comme à la SFR, on reste en présence de la même
distribution des rôles entre des ouvriers, des patrons et des
clients particulièrement puissants. S'il est difficile de se
prononcer sur les sentiments patriotiques de l'actionnariat anonyme
de la CSF, ceux de la famille Peugeot qui garde le contrôle de la
SAAP est beaucoup plus clair: un certain nombre de membres de la
famille s'étaient engagés dans la France Libre, et deux directeurs
seront membres du Comité Départemental de Libération du Doubs10.
Une question à laquelle je n'ai pas de réponse définitive est la
raison pour laquelle les Anglais attachèrent tant d'importance aux
usines de Peugeot alors qu'ils ignorèrent, par exemple, l'usine SFR
de Cholet. L'implication supposée des usines de Sochaux dans la
construction des bombes volantes V1 ne saurait expliquer le
bombardement de juillet 1943 puisque ce n'est qu'en septembre que les
représentants de Volkswagen demandèrent à Jean-Pierre Peugeot de
participer au projet. Il n'y a peut-être qu'une affaire de hasard
dans le fait que telle usine plutôt que telle autre ait fait l'objet
de l'attention britannique. Il se peut que les Alliés se sentaient
plus menacés par le matériel de guerre mécanique que par le
matériel radio ou bien qu'ils estimaient qu'ils pouvaient faire plus
de dégâts et arrêter plus durablement la production en s'attaquant
à des ateliers de mécanique. Ce ne sont là que des supputations.
Notes de bas de page
1 Jean-Louis Loubet, La Maison Peugeot, Perrin, 2009, pp.237-260
2 Loubet, p.248
3 Loubet, p.257
4 Voir annexe 1. Loubet écrit que le bénéfice de 67,6 MF a été largement diminué par des dotations aux provisions, alors que les chiffres de la SFR présentés à l'annexe 1 ont déjà été amputés de ces donations.
5 Peter Lessmann, Volkswagen en France (1941-1944), Histoire, économie et société, 1992, p.515-534
6 François Marcot, La direction de Peugeot sous l(Occupation: pétainisme, réticence, opposition et résistance, dans Le Mouvement social n°189, 1999
7 François Marcot, Les ouvriers de Paugeot, le patronat et l'État, dans Les ouvriers en France pendant la seconde guerre mondiale, direction Denis Peschanski et Jean-Louis Robert, acte du colloque Paris-CNRS, 1992.
8 Loubet, p.250
9 Marcot, Les ouvriers de Peugeot...
10 Marcot, La direction de Peugeot...