HISTOIRE DE LA CSF SOUS L'OCCUPATION, « l'enfance de Thales »

La Résistance de Pierre Viennot


(Création  11 novembre 2012)

 

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L'auteur

Le chapitre 17 du livre est consacré à des histoires de «résistance». Pierre Viennot est au centre de l'une de ces histoires. Fortement engagé dans divers réseaux, sa trajectoire se situe bien souvent dans le périmètre de la SFR, mais elle en sort également. J'ai donc dû ne retenir dans le livre que les aspects intéressant la SFR, et je peux m'étendre ici sur son étonnant parcours.

La SFR de Levallois Charles Vaudevire et CDLR La spirale de la Résistance Noor Inayat Khan
L'arrestation de Vaudevire
Déportation




La SFR de Levallois

Diplômé en droit, et âgé de 28 ans Pierre Viennot fut mobilisé en 1939. Blessé en juin 1940, il fut soigné à Bergerac et reprit ensuite, en octobre, son emploi de commis dans une charge d'agent de change, un poste dont on imagine bien qu'il soit devenu précaire avec la fermeture de la bourse. En décembre 1940, il a une femme et deux enfants à nourrir et profite de l'offre qui lui est faite par un ami de son père, Charles Vaudevire. Embauché en qualité de chef de section administratif pour un salaire brut de 2700 francs, il est, du fait de son premier emploi, présumé compétent pour être affecté à la comptabilité, mais il obtient finalement d'être dégagé de l'emprise de son chef de service « grincheux et désagréable » pour se retrouver à la gestion du personnel, directement sous les ordres de Vaudevire, responsable administratif de l'usine. Sa bonne maitrise de l'allemand font de lui l'interlocuteur naturel des partenaires de Telefunken dés qu'il s'agit de débattre de questions de personnel, et ce sera de plus en plus le cas avec l'envoi de travailleurs français à Zehlendorf dans le cadre de la Relève d'abord, puis du STO 1, 2.

Comme beaucoup de Français, Viennot est a priori hostile aux occupants allemands. Il raconte qu'un petit fait a été déterminant dans son engagement dans la Résistance qui va finir par l'absorber complètement. Son très jeune enfant lui aurait demandé si le drapeau à croix gammée qui flottait au dessus du portail du Sénat était le drapeau français. « Il arrive que des petits faits soient plus forts qu'une réflexion. »3

Deux types de circonstances ont amené le spectateur naturellement porté à détester les occupants en acteur engagé sur tous les fronts de la Résistance: L'occasion que Charles Vaudevire lui a donné de s'intégrer à diverses organisations et les possibilités d'utiliser ses fonctions officielles à la SFR pour les détourner au profit de toutes sortes de réfractaires qu'il pouvait côtoyer. Il y a évidemment une contradiction pour ce jeune père de famille, de travailler dans une entreprise qui participe à la machine de guerre allemande et, dans le même temps, de s'engager avec la plus grande détermination dans l'action anti-allemande. Dans les souvenirs qu'il écrira trente-cinq ans plus tard, il n'élude pas cette contradiction:

« Dès le début de l'Occupation, un dilemme se pose aux entreprises françaises: accepter après négociations, de travailler pour les Allemands, c'est-à-dire les aider dans leur effort de guerre, et peut-être contribuer à leur victoire... Fallait-il se faire imposer une autorité directe des Allemands ou fermer, saborder l'entreprise et réduire le personnel au chômage... On est arrivé à ce paradoxe invraisemblable, pour vivre et faire vivre sa famille, une seule voie était ouverte dans l'industrie travailler pour la victoire de son ennemi. »

Viennot aurait été sollicité avant la fin de 1941 par son supérieur Vaudevire pour dépanner un émetteur radio. On imagine que le rôle de Viennot était de trouver à l'intérieur de l'usine quelqu'un de suffisamment sûr et compétent pour ce travail. Toujours en 1941, IL aurait participé à l'établissement des plans de la station de Sainte-Assise passée aux mains de la Kriegsmarine et utilisée pour la communication avec les sous-marins4. Les deux cadres administratifs de la SFR transmettaient également des informations sur les fréquences utilisées par la station pour faciliter un éventuel brouillage. A qui ces informations sont-elles transmises ? Probablement à des réseaux gaullistes, mais peut-être aussi à des réseaux travaillant directement pour l'Intelligence Service.

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Charles Vaudevire et CDLR

C'est également Vaudevire qui mettra Viennot en relation avec les milieux résistants qui constitueront, en 1942, le mouvement Ceux de la Résistance (CDLR), dont l'un des fondateurs, Jacques Lecomte-Boinet, avait été en relation avec le colonel Heurteaux et Henri Frenay. Heurteaux, un ancien de la Cagoule, est à l'origine de l'OCM, Organisation Civile et Militaire, qui regroupait des « maréchalistes »5 issus de la bourgeoisie et des officiers de réserve germanophobes et nationalistes. Frenay est plus connu: capitaine affecté au deuxième bureau de l'Armée de Vichy, il est le fondateur du mouvement Combat avec sa compagne, l'antifasciste Berty Albrecht. La liaison de CDLR avec Jean Manhès, représentant de Jean Moulin en zone Nord ne sera établie que dans les premiers mois de 1943. Les membres se recrutent beaucoup parmi les professions libérales et les cadres. qui ne sont pas marqués politiquement. Contrairement à d'autres mouvements, comme Défense de la France ou Libération, CDLR n'est pas organisé autour d'un journal délivrant un certain message politique. Les membres sont recrutés parce qu'ils veulent participer à des actions 6

Charles Vaudevire est un homme d'âge mûr, il a quarante six ans au début des hostilités. Ayant servi comme opérateur radio pendant la Première Guerre mondiale, il est devenu ensuite ingénieur en radiotélégraphie. Recruté par la SFR, il a, en 1940, le titre d'ingénieur-directeur adjoint, chef des services administratifs de l'usine de Levallois7, ce qui lui vaut d'être convié chaque samedi matin au siège, pour les réunions de direction autour de Girardeau. Son passage dans les services de radio l'a probablement mis en contact, comme beaucoup d'autres ingénieurs de la SFR, avec les milieux du renseignements très sollicités par les envoyés du BCRA comme d'Estienne d'Orves ou Rémy. Charles Vaudevire a épousé en 1919 Jeanne Lévy, ce qui lui donne une raison supplémentaire de s'engager contre les Allemands.

Pour ses activités résistantes multiples, Viennot semble en effet avoir beaucoup recruté à la SFR. Il n'est pas sûr qu'il ait su, avant la Libération qu'il appartenait à CDLR qui était en effet un mouvement très décentralisé où chaque groupe avait une large autonomie. « Les tâches de chacun sont très mal définies. Ceux de la base ne savent rien de leurs chefs et connaissent à peine le mouvement auquel ils appartiennent. Par le jeu des circonstances et des arrestations, ils passent inconsciemment d'un réseau à l'autre. Ils font un peu de tout en même temps : actes de sabotage, de solidarité, faux-papiers, propagande, renseignements. Beaucoup de résistants se connaissent entre eux grâce aux services réciproques rendus, ce qui les rend plus vulnérables. » Viennot évoque des activités de renseignement et de propagande dés le premier semestre 19428. A partir du second semestre 1942, sa fonction de chef du personnel adjoint l'amèneront à traiter les problèmes du STO et de l'embauche de réfractaires et de clandestins en navigant d'abord entre les arcanes de la légalité puis en glissant toujours plus vers la fraude et l'illégalité.

De fait, le groupe de résistance de Viennot utilisera les moyens de l'usine pour l'action clandestine, mais cette action ne consistera pas dans un quelconque sabotage de la production. Viennot évoque le sabotage larvé pratiqué dans l'usine de Levallois9, mais il ne le revendique pas. Le sabotage, lorsqu'il existe, ressort de l'informel, de l'individuel et du spontané. Il est arrivé, une seule fois, semble-t-il, que CDLR organise un sabotage d'usine dans la région parisienne. Il s'agissait de l'usine Amiot qui fabriquait à Colombes des avions Junkers. Un commando se cacha dans l'usine un soir de juillet 1943 pour disposer des pains de plastic à certains endroits judicieusement choisis. Tous les détonateurs ne fonctionnèrent pas correctement et l'incendie provoqué par les explosions fut facilement maitrisé. Peu importe. Ce qu'il faut noter, c'est que le membre du Commando qui connaissait le lieux avait été employé chez Amiot, mais qu'il avait quitté l'entreprise10. A la SFR, Viennot peut recruter des collègues volontaires pour toutes sortes d'actions hormis celles qui consisteraient à endommager l'outil de travail.

Pour afficher publiquement ses sentiments patriotiques, à la même époque ou il franchit le pas de l'engagement, Viennot choisit de décorer son bureau avec une très grande affiche officielle qui représente une France recouverte d'un immense drapeau tricolore avec le texte suivant : "Engagez-vous dans la gendarmerie". Jamais les nombreux Allemands qui sont rentrés dans son bureau ne lui ont fait la moindre remarque.

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La spirale de la Résistance

Les besoins en faux papiers et en solutions d'hébergement pour les réfractaires vont croissant avec les premières rafles de juifs, la mise en place du STO au second semestre 1942 et les aviateurs alliés toujours plus nombreux à tomber sur le sol français. Pour l'aider à ce travail, Viennot recrute parmi les employés de l'usine, d'abord Simone Truffit, la secrétaire qu'il partage avec Vaudevire, puis son adjoint Églin, qui l'aident à monter une filière destinée à loger les personnes en situation irrégulière. « Grâce aussi à de très bons amis qui travaillaient à l'usine de Levallois, j'ai pu réussir un certain nombre d'actions ». Viennot cite une Antonia, toujours disponible pour rendre n'importe quel service, Pierre, un technicien efficace et débrouillard qui deviendra son mari, et un certain N.A. , communiste, qui, écrit-il «permet d'ouvrir d'autres portes »11 .

Les dimanches, un typographe, ami d'Églin, met à disposition le petit atelier d'imprimerie de l'usine pour fabriquer, le dimanche, toutes sortes de faux papiers: extraits d'actes de naissances, certificats de baptême, différents certificats exigés par les Allemands. Des complicités extérieures à l'usine ont également mises à contribution, comme un cousin gaulliste travaillant à la préfecture qui peut fournir de faux vrais papiers. Il faut parfois des tampons allemands. Viennot doit subtiliser le sien à un contrôleur allemand, histoire d'orner les ausweis de l'aigle du Reich allemand tenant dans ses griffes une croix gammée. Si l'usine sert à recruter des volontaires, elle sert également à caser les divers illégaux qui cherchent un boulot munis de leurs faux papiers. Elle sert également de planque pour du matériel. Un camarade de Viennot dissimule des stocks de papier sous la moquette du bureau qu'il partage avec son chef qui n'est d'ailleurs pas dupe mais s'abstient de toute réflexion.

A partir de 1943, Viennot se trouve pris dans un tourbillon de sollicitations de toutes sortes. En plus de son activité professionnelle, légale et illégale, ce n'est plus seulement une aide occasionnelle qu'il fournit à Vaudevire car il devient lui-même de plus en plus intégré à CDLR où son contact direct est l'avocat Paul Arrighi12. On peut également parler d'un fonds de commerce personnel, en quelque sorte, qui marche par le bouche à oreille.

« Mes amis ont su assez vite que je pouvais fournir des papiers. Un jour, l'abbé Pezeril de Saint-Séverin (devenu évêque) est venu chercher des documents rue Hautefeuille. Élisabeth l'a accueilli avec ces paroles : "Vous êtes un faux ou un vrai curé ?". La soutane en ces temps-là était un déguisement assez apprécié mais pas toujours fiable. Un boulanger, un chemisier, un biologiste du boulevard Saint-Michel ont eu fréquemment recours à moi pour des membres de leur entourage. »13

A la SFR, d'autres se livrent aussi à des actions similaires, sans lien organisationnel, mais sans cloisonnement non plus. Les résistants de diverses obédiences se connaissent souvent et peuvent s'entraider. L'infirmière de l'usine « une bretonne ardente patriote » se livre à des activités d'hébergement d'Israélites. Elle est arrêtée pour distribution de presse clandestine, mais, avec quelques complicités policières et un bon avocat, elle est soustraite aux Allemands. Traduite devant un tribunal français, elle écope de cinq mois, mais reprend ses activités illégales après sa mise en liberté.

Au début de 1943, l'intégration de Viennot à CDLR ne ressemble en rien au recrutement d'un agent dans un groupe discipliné où les directives se transmettent de haut en bas: Viennot et Arrighi échangent des services. Arrighi est sollicité pour cacher des réfractaires qui ne peuvent rester à l'usine ou pour fournir des fonds, par exemple, pour payer les quatre mille francs offerts à chaque volontaire du STO pour qu'il accepte de se substituer à un ouvrier de la SFR. En échange, Viennot pouvait faire dépanner du matériel radio à l'usine ou fournir des renseignements, le renseignement étant la monnaie d'échange qui permettra au mouvement de Résistance de se mettre en valeur auprès de Londres et d'obtenir en retour des parachutages ou des fonds.

Plus tard Paul Arrighi présentera Viennot à un certain « Charpentier » qui n'était autre que son propre fils Pierre, ce que Viennot n'apprendra qu'après la guerre. Pierre Arrighi était le responsable des groupes de combat, souvent sans armes, de CDLR14. Viennot et Charpentier envisagent d'enrôler 185 réfractaires qui trainent à la SFR dans les groupes de combat de CDLR15. Viennot ne parle plus de cette affaire dans sa dernière autobiographie, et on imagine sans peine les multiples raisons qui ont pu faire avorter ce projet: Arrestation des responsables, manque d'armes, logistique insuffisante... Plus vraisemblablement, les 185 garçons réfractaires munis de faux papiers d'identité et de vrais certificats de travail de la SFR n'étaient pas forcément volontaires pour faire partie des groupes francs de CDLR16.

En mai 1943, Viennot reçoit encore certaines instructions de CDLR par le canal de Vaudevire. Il est désigné pour faire la garde et protéger la première réunion du Conseil national de la Résistance, le 21 mai 1943. Il fait les cent pas au coin de la rue de Rennes et de la rue du Four, les mains enfouies dans les poches de son imperméable avec deux grenades dégoupillées. Viennot est également sollicité pour faire équipe avec des hommes de main recrutés par Arrighi. Il aurait ainsi secondé un truand corse pour exécuter un officier allemand à la sortie du métro Voltaire17. Ceci ne l'empêche pas de fréquenter de plus en plus assidument les Allemands dans un cadre professionnel. Nous avons vu au chapitre 14 qu'au cours de l'été 1943, il n'effectue pas moins de deux voyages à Zehlendorf, respectivement en juillet et en octobre, pour garder le contact avec les travailleurs partis au titre du STO. Viennot profite de ce voyage pour prendre contact avec Claude M., un jeune ingénieur prisonnier de guerre et affecté aux usines Telefunken de Berlin qui lui aurait remis une liasse de documents concernant les systèmes de brouillage aérien et d'anti-brouillage en cours de mise au point. Le problème était que le contenu des valises était contrôlé à la frontière et que le transfert de documents était encore plus étroitement surveillé et subordonné à l'obtention de laisser-passer.

« Quelques minutes avant que le train ne démarre arrive Claude M. me remet une liasse de documents. Je n'ai pas d'autorisation pour passer la frontière et fais part de mes inquiétudes à M. qui me tend alors une bouteille de cognac. Le train s'éloigne et je rejoins mon compartiment de wagon-lit que je partage avec un commandant de la Luftwaffe qui se rend en permission à Paris. Nous lions connaissance et décidons de dîner ensemble. A la fin du repas, j'ouvre le bouteille de cognac français que nous partageons. Choisissant un bon moment, j'informe mon compagnon que j'aurai à le réveiller en pleine nuit pour faire viser certains papiers à la frontière. Le commandant que l'alcool avait rendu plutôt joyeux me propose de mettre ces papiers dans sa valise afin d'éviter un contrôle. J'étais plutôt soulagé et malgré le risque, j'ai admirablement dormi, ainsi que mon Allemand qui n'a jamais su qu'il avait trahi sa patrie. »18

Dans l'entretien accordé à Marie Granet en 1960, Viennot parle aussi de valises à double fond. On ne saura pas si Claude M. avait un accès direct aux documents fournis ou s'il les a obtenus par d'autres membres de la petite communauté des prisonniers de guerre français de Berlin. on ne saura pas non plus le profit qu'ont pu en tirer les Alliés, constat banal qui concerne tous les réseaux de renseignements pendant la Seconde Guerre mondiale: les résistants par qui transitent les renseignements ne sont pas mieux renseignés.

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Noor Inayat Khan

A la fin du mois de juin 1943, l'histoire du groupe Arrighi-Vaudevire-Viennot se retrouve étroitement imbriquée à celle d'un réseau du SOE connu sous le nom de Prosper. Le 19 juin, Paul Arrighi et Charles Vaudevire sont présentés à « Rolande », une jeune opératrice radio parachutée trois jours avant. Son vrai nom est Noor Inayat Khan, elle descend d'un empereur Mogol du sud de l'Inde. Elle prendra aussi le pseudo de Madeleine, mais ses faux papiers sont au nom de Jeanne-Marie Régnier. En cet été 1943 où Viennot fait des aller-retours Paris-Berlin, les relations qu'il entretient à Paris avec les Allemands sont plus étroites et fréquentes. L'homme qui rapporte de Berlin des liasses de documents est devenu un compagnon de ripaille de la « communauté allemande » de Paris. Le SS Sturmbannführer Kieffer, chef du service de contre-espionnage de la police allemande, adjoint de Boemelburg, le chef de la Gestapo en France, fait-il partie partie des convives ? Viennot en garde le souvenir d'un homme agréable, aimant bien les plaisirs de la vie 19.

Les circonstances qui ont mis en relation l'équipe de CDLR avec le SOE et ont conduit Vaudevire à être immatriculé au réseau Bricklayer ne sont pas connues. Il n'est pas étonnant que les mêmes personnes aient pu être contactées à la fois par CDLR et par le SOE, car les deux organisations recrutaient dans les mêmes milieux et n'imposaient pas de règles de sécurité imposant un cloisonnement radical.

Le SOE (Special Operation Executive) a été créé par Churchill en juillet 1940 avec la célèbre consigne "Set Europe ablaze", mettre le feu à l'Europe. En attendant de pouvoir reprendre pied en Europe continentale, il s'agissait pour les Anglais, de mettre sur pied des réseaux de saboteurs dans tous les pays de l'Europe sous domination nazie. Tous les réseaux français seront regroupés dans la "Section F", sous la direction de Maurice Buckmaster. En fait, si les premiers agents furent parachutés en France en mai 1941, les réseaux ne furent créés qu'à partir de 1942, et l'ensemble du SOE fut rattaché directement à l'état-major allié avec la nouvelle mission de préparer le débarquement. Il s'agissait donc aussi de faire du renseignement et, par conséquent, de marcher sur les plate-bandes du MI6, appelé communément l'Intelligence Service. D'une façon générale, les réseaux anglais étaient également en rivalité politique avec les réseaux gaullistes du BCRA. Bien entendu, ces rivalités passaient largement au-dessus du résistant de base qui ignorait souvent le nom même du réseau auquel il appartenait. Il lui suffisait de savoir qu'il travaillait pour la bonne cause en expédiant des renseignements "à Londres".

Jusqu'en 1942, la lutte contre des réseaux tels que ceux du SOE entrait dans les attributions de l'Abwehr, le service de renseignements des militaires allemands. Dans beaucoup de pays d'Europe, des réseaux du SOE qui devaient se constituer à partir de rien durent pratiquer leur recrutement de façon peu rigoureuse et furent rapidement infiltrés par l'Abwehr. Une controverse existe sur le fait que des dirigeants du SOE continuaient de recevoir des directives de leur ancien patron du MI6 et auraient ainsi manipulé les réseaux infiltrés pour intoxiquer les services allemands et fourvoyer l'ennemi sur la date et le lieu du débarquement20. Peu importe la controverse sur le rôle du MI6. Le fait que le Réseau Prosper dirigé par Francis Suttill ait été largement contaminé n'est pas contesté. Le pilote Déricourt, qui assurait la logistiques des avions Lysanders qui faisaient la liaison entre la Grande-Bretagne et la France, était un agent double en relation avec Boemelburg, chef de la Gestapo en France, mais les services allemands avaient bien d'autres entrées dans le réseau Prosper.

La mission de Francis Suttill, alias Prosper, parachuté en octobre 1942 est de mettre sur pied, dans ce qui est alors la zone occupée, une vaste organisation de sabotage et de renseignements, en remplacement d'Autogiro créé en 1941 et complètement démantelé (Voir sur ce site l'histoire du réseau Prosper). Le réseau Prosper comprend un certain nombre de sous-réseaux. Bricklayer auquel Vaudevire est plus ou moins affilié n'en fait pas partie. Noor Inayat Khan, débarquée près d'Angers dans la nuit du 16 au 17 juin par un Lysander piloté par Déricourt, est une opératrice radio qui doit se mettre au service de Phono, un des sous-réseaux de Prosper. Une autre opératrice radio, et une agente formée au courrier sont débarquées en même temps qu'elle pour se mettre au service d'autres réseaux.

Noor Inayat Khan est une jeune femme de 29 ans qui a reçu la plus grande partie de son éducation à Paris, lorsque sa famille habitait à Suresnes. Après avoir suivi des études de psychologie à la Sorbonne, elle écrivait des livres pour enfants au moment de la déclaration de guerre. En juin 1940, sa nationalité britannique lui a valu de pouvoir passer en Angleterre, où elle s'engage comme volontaire et reçoit une formation d'opératrice radio. Noor a conservé des origines indiennes de son père un certain type oriental, mais elle peut passer pour française en dépit d'un très léger accent et d'un certain nombre de coutumes anglaises héritées de sa mère, comme celle de verser dans sa tasse le lait avant le thé. Ses faux papiers d'identité sont au nom de Jeanne-Marie Régnier.

Les jours qui suivent l'arrivée de Noor, à la suite d'un parachutage en Sologne de deux Canadiens vite repérés, la police allemande décide de procéder à une série d'arrestations. au sein de Prosper et de ses sous-réseaux. Cette opération qui prendra le pas sur celle de Caluire, survenue le 21 juin, explique en partie certains retards dans les interrogatoires de Jean Moulin et de ses camarades.

Revenons à Noor qui arrive dans la région parisienne où elle se présente à Henry Garry, chef du réseau Phono qui la présente à son tour à son équipe dont le centre de gravité se trouvait à l'école d'agronomie de Grignon, à 20 kilomètres à l'ouest de Versailles. A Grignon, Noor rencontre Archambault, le radio de Prosper qui lui permet d'utiliser son émetteur en attendant qu'elle reçoive le sien, ce qui sera fait le 21 juin: 7 containers sont parachutés à proximité de Grignon. Deux jours avant, Garry lui avait fait rencontré Robert Gieules présenté comme un très important homme d'affaires et Charles Vaudevire, présenté comme 

eur de la SFR, « une firme travaillant pour les Allemands mais qui compte dans son personnel un nombre imposant de différents réseaux de résistance. »21. Quelques jours plus tard Gieules, qui fait partie du réseau Bricklayer33 présente Noor à Paul Arrighi. Il semble donc que Vaudevire soit un morceau de choix que Garry ait trouvé pour produire du renseignement et c'est vraisemblablement après cette rencontre que Vaudevire demandera à s'entretenir avec Girardeau à qui il annoncera qu'il a des contacts réguliers avec « une employée du War office ». « Vaudevire et moi, prétendra Girardeau, nous échangions des renseignements, en général, le samedi en fin de matinée »22.

A la fin du mois de juin, on se trouve donc en présence d'un réseau, Phono, en cours de constitution. Le chef du réseau, Garry bénéficie d'une liaison radio avec Londres qu'il s'efforce de valoriser au mieux en faisant converger vers elle les meilleurs informateurs. En quelques jours, la situation devient complètement bouleversée: Le 26 juin, le réseau Prosper est décapité: Prosper (Francis Suttill), son radio Archambault ( Gilbert Norman) et l'agent de liaison Denise (Andrée Borel) sont arrêtés. Quelques jours plus tard, le 1er juillet, la Gestapo effectue une rafle à Grignon. Dans la région parisienne, plus d'une vingtaine de personnes proches du groupe de Grigon sont arrêtées. Garry se cache au Mans et Noor reste cloîtrée dans l'appartement d'une certaine madame Aigrain. Elle parvient néanmoins à contacter Buckmaster, à Londres, qui prend acte de la disparition de toutes les équipes dont Noor devait assurer les liaisons radio: la présence en France de Noor n'est plus justifiée, il faut la rapatrier sur l'Angleterre.

Mais l'hécatombe du groupe Prosper n'est pas le seul événement qui est survenu dans la région parisienne: dans d'autres groupes de résistance, des radios sont également tombées, et en cet été 1949, Noor est dans la région parisienne la seule opératrice radio capable de communiquer avec Londres. Noor parvient donc à convaincre son patron de Londres que la situation est exceptionnelle et qu'elle doit rester à Paris. De fait, Noor avait gardé le contact avec Paul Arrighi qui avait perdu les deux opérateurs radio de CDLR et Noor émettait depuis la voiture d'Arrighi. Le poste émetteur récepteur de Noor est un 3 MKII, le dernier modèle produit par les Anglais, une petite merveille de miniaturisation, pour l'époque, qui ne pèse que 9 Kilos, ce qui permet à Noor de le trainer avec elle dans toutes ses tribulations à travers la région parisienne. Si l'émetteur-récepteur est facile à transporter, il faut quand même dérouler convenablement le fil d'antenne, c'est-à-dire, en pratique, disposer d'un arbre. Noor est plus ou moins prise en charge par Arrighi et Vaudevire jusqu'au 15 août, date à laquelle Garry regagne la région parisienne et la fait à nouveau émettre pour le compte du SOE.

Pierre Viennot fait la connaissance de Noor vers la mi-août 1943. Vaudevire avait installé Noor chez Madame Peineau propriétaire avec un certain Monsieur Durand, d'une fonderie qui effectuait des travaux de sous-traitance pour la SFR.

« Au début de 1943, Vaudevire m'a fait rencontrer Madame D.Peineau, propriétaire d'une fonderie à Bondy, travaillant en sous-traitance pour la SFR. Cette dame revint me voir un peu plus tard accompagnée d'une jeune et belle fille rousse qui souhaitait faire discrètement réparer une radio. En fait, c'était un poste radio émetteur et récepteur contenu dans sa valise. Madeleine, c'était son nom, était radio dans un réseau anglais mais travaillait également pour le CDLR, lié au BCRA. J'avais des amis à l'usine qui pouvaient se charger de la réparation. Le lendemain je lui remettais son poste sur un banc de l'avenue Foch. Peu à peu, nous prîmes l'habitude de nous rencontrer. Elle me demandait des renseignements sur les matériels qui brouillaient Radio Londres, sur les stations de guidage des sous-marins allemands navigant dans l'Atlantique, sur la station de Saint-Assise, ses plans, son gardiennage, etc... Au cours de l'été 1943, elle est venue, accompagnée d'un autre opérateur, étudier la possibilité d'installer une antenne à mon domicile. Quand Élisabeth s'absenta de Paris, nous avons descendu un fil depuis la chambre du cinquième. Le poste a pu parfaitement fonctionner par la suite et à plusieurs reprises pendant une dizaine de minutes. »

La réparation des ingénieurs de la SFR avait dû être efficace, car lorsqu'une réunion eut lieu près de la place de l'Alma, à la fin du mois d'août pour désigner le remplaçant de Jean Moulin à la tête du CNR, la pénurie d'opérateurs radio n'avait pas cessé et Paul Arrighi avait dû emmener Noor avec lui. Installée dans l'arrière-cuisine, elle envoya à Londres le message informant Londres du choix de Georges Bidault comme nouveau président.23

En septembre 1943, l'étau se resserra autour des dirigeants de CDLR. Charles Vaudevire est amené à plonger complètement dans la clandestinité: il abandonne à la fois son poste à la SFR et son domicile pour se réfugier dans un petit appartement proche de l'avenue Wagram. Il vient un jour retrouver sa femme qui promène les enfants sur une terrasse du jardin du Luxembourg. Sa femme se rend compte qu'il est suivi. Robert Gieules, arrêté le 29 septembre, est utilisé par la Gestapo pour tendre un piège à Noor dont il est clair qu'elle et maintenant traquée. Gieules a réussi à faire comprendre à Noor qu'il se passe quelque chose d'anormal. Viennot accompagne en voiture la jeune femme au rendez-vous près de la place de l'Étoile, à l'angle de l'avenue Mac-Mahon et de la rue de Tilsitt. Gieules est là, mais une demi-douzaine d'individus rôdent dans les parages.

« Marie-Jeanne, que j'avais déposée plusieurs centaines de mètres avant le lieu de rendez-vous, m'attendait et avait pu observer le manège. Nous avons été prendre un café et je lui ai demandé de changer sa coiffure et sa tenue. Elle m'avoua alors qu'elle avait très peur mais qu'elle ne possédait pas les moyens financiers pour procéder à tous ces changements. Une amie de l'usine (Claudie ou Antonia) s'est occupée d'elle. Le lende­main j'ai failli ne pas la reconnaître. De rousse elle était devenue brune, elle portait une jupe plissée et un chapeau à larges bords rabattus en avant, mais toujours vêtue en bleu, et un manteau avait remplacé le trench coat. D'Anglaise, elle était devenue une vraie "mademoiselle de Paris", hormis son accent anglais. Je lui ai aussi conseillé de ne pas traîner sa valise et le cahier dans lequel elle notait et décryptait les messages. Elle a refusé catégoriquement, n'obéissant qu'à sa conscience professionnelle. »24

Dans le courant du mois de septembre et jusqu'au 13 octobre, Viennot devient le principal interlocuteur de Noor. Depuis leur première rencontre, il a décidé d'utiliser son canal pour transmettre les informations qu'il communiquait autrefois à divers groupes de résistance susceptibles d'avoir une liaison avec Londres. Il bénéficie en quelque sorte d'une opératrice radio personnelle par laquelle il peut faire transiter les renseignements qu'il recueille depuis son réseau relationnel. Pour glaner des renseignements d'une qualité encore meilleure, il va intensifier ses rencontres avec les milieux Allemands. Il fait appel aux mauvais garçons de Montmartre qu'il sollicite habituellement pour les coups durs de CDLR, pour recruter des prostituées de luxe, remaquillées en demi-mondaines pour passer avec les officiers d'agréables soirées dans les cabarets et généralement au-delà. Les dames rapportent ensuite les confidences qu'elles ont pu soutirer sur l'oreiller. Viennot lui-même déjeunait ou dînait quatre à cinq fois par semaine avec les Allemands. Il avait réussi à devenir l'ami de Kieffer qu'il décriera plus tard comme quelqu'un de pas désagréable, aimant les plaisirs de la vie et cherchant à passer inaperçu25.

A ces festivités avec les amis allemands, Viennot doit rajouter les séances de travail avec Jeanne-Marie qu'il appelle Marie-Jeanne depuis qu'elle a changé son look.

« Je retrouve Marie-Jeanne un matin dans le quartier Saint-Lazare, elle semble morte de fatigue. Nous devons travailler ensemble, je lui propose une halte dans un café; non, elle n'en peut plus, il faut qu'elle dorme, elle a travaillé et erré toute la nuit. Je lui propose l'hôtel, je la prends par la taille et, comme des amoureux, nous demandons une chambre. Dès la porte fermée à clef, elle s'écroule sur le lit et dort tandis qu'assis sur une chaise, je lis. Deux heures après, elle se réveille, se passe de l'eau sur le visage et nous nous mettons au travail. Au moment de refermer la porte, Marie-Jeanne me suggère de mettre un peu de désordre dans la literie, pour faire vrai, et nous repartons bras dessus-bras dessous, chacun sagement à nos affaires. »26

Dans les premiers jours d'octobre, il semble qu'il y ait eu des dissensions entre Arrighi, Vaudevire et Viennot au sujet de l'opératrice radio. Arrighi voudrait convaincre Noor, qu'il considère comme grillée, de quitter Paris, et il lui offre de la mettre au vert dans une ferme de Normandie. De plus, la section française du SOE, complètement désorganisée, n'a plus aucune mission à lui confier. Avec l'aide de Vaudevire, il parvient à la conduire à la gare Saint-Lazare et à la faire monter dans un train. Deux jours plus tard Arrighi revoit Noor à Paris. Elle avait repris contact avec Viennot 27. Vaudevire pourtant partisan de la retraite à la campagne continue de travailler avec elle. Le jour de son arrestation, le 13 octobre, il avait rendez-vous avec la princesse et Simone Truffit pour une mystérieuse histoire de sabotage. Il s'agissait de faire sauter un hangar abritant des instruments de précision pour sous-marins28.

« Tout ceci ne servira à rien. Les Allemands avaient repéré la petite radio. Un samedi matin, je reçois un coup de fil de Marie-Jeanne, il était 9 h 30, j'étais dans mon bureau à l'usine. Elle me fixait rendez-vous au métro Pont de Levallois, c'était une tête de ligne et nous nous y étions déjà rencontrés à plusieurs reprises. On pouvait distinguer d'un quai à l'autre les présences insolites. Je me suis rendu sur les lieux et n'ai trouvé personne. »

Viennot doit ensuite partir de Berlin. A son retour, il avait encore espoir de donner à Marie-Jeanne la liasse de documents que Claude M. lui avait remis, mais il ne l'a plus jamais revue. Selon le témoignage de Vogt, l'interprète de Kieffer, une certaine Renée aurait proposé à Kieffer de lui donner « Madeleine », le nom de code de Noor utilisée pour les émissions de radio. Kieffer put prendre livraison de Noor et de son carnet où, à la suite d'un malentendu sur les règles de sécurité, elle notait tous les messages cryptés, reçus et envoyés, ainsi que leur traduction en clair. Le collègue de Kieffer Goetz put ainsi se livrer à un funkspiel avec Londres qui enverra au groupe Phono supposé fiable, jusqu'au printemps 1944, plusieurs agents qui tombèrent directement aux mains de l'ennemi. Noor restera neuf mois au secret, enchaînée, à la forteresse de Pforzheim avant d'être transférée à Dachau où elle sera exécutée d'une balle dans la tête après avoir été rouée de coups29.

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L'arrestation de Vaudevire

A peine rentré de Berlin, Viennot assiste, impuissant, à d'autres catastrophes. Paul Arrighi et Charles Vaudevire sont arrêtés à leurs domiciles le 30 octobre. Garry, le responsable du réseau Phono était tombé deux jours avant. Vaudevire restera interné en France, dans les locaux de la Gestapo avenue Foch, puis à Fresnes, jusqu'au 15 août 1944 date à laquelle il sera envoyé en Allemagne par le dernier convoi de déportés. Dans les jours qui suivirent son arrestation, Viennot déploya tous les moyens dont il disposait pour faire libérer son patron et ami.

« Il fallait tout faire pour essayer de tirer mes amis des griffes de la Gestapo ou du moins avoir de leurs nouvelles. J'ai eu recours à deux agents doubles dont je connaissais depuis de longs mois l'efficacité. L'un, Bonvallot, était employé à l'usine; sa connaissance parfaite de l'allemand et les relations importantes qu'il avait nouées dans les sphères dirigeantes allemandes, y compris dans les différents services de la police, avaient fait de lui l'homme des situations délicates. L'autre était un policier français affecté à la brigade spéciale à Levallois. (Ils seront tous les deux incarcérés à la Libération). Bonvallot, me fait connaître deux policiers allemands du 84 avenue Foch, Ernst et le commandant Kieffer, Sturmbannführer. Grâce à ces complicités, je peux pénétrer dans l'immeuble, voir Charles Vaudevire. alors qu'on le fait descendre par un petit escalier intérieur dont les marches et la rampe étaient blanc couleur ivoire et qui faisait communiquer les quatrième et cinquième étages. J'ai trouvé un homme qui paraissait relativement serein et ne semblait pas avoir subi de tortures physiques. J'ai pu discrètement lui donner un petit paquet et le rassurer quant au sort de sa famille. Il était hors de question de parler d'autre chose. Quant à Odin, le policier français, il a pu maintenir Charles Vaudevire à Fresnes jusqu'en août 1944, mais il n'a pu éviter que quelques jours avant la Libération, il ne soit envoyé au camp de concentration dont il n'est jamais revenu. J'ai perdu un "grand monsieur" et un ami. »30

N'ayant plus aucun contact avec CDLR, Viennot se rapproche du groupe Vengeance où il a quelques amis. Il est incorporé à ce mouvement, d'ailleurs très semblable à CDLR, par son importance, plusieurs milliers d'affiliés, son fonctionnement et sa composition. Malheureusement, Vengeance était également infiltré par des agents doubles. Un des derniers projets de Viennot dans le cadre de CDLR aura été une tentative d'évasion du mathématicien Marc Zamansky de la prison de Rennes. L'opération ne réussit pas. Viennot retrouvera Zamansky à Mauthausen et ils resteront très liés. Lorsque Zamansky, doyen de la Faculté des Sciences de Paris, créera la nouvelle faculté de Jussieu Viennot quittera la CSF pour prendre en charge l'administration de la nouvelle faculté.

« Je nageais en plein drame, sinon en eau trouble, j'arrivais à ne plus trouver invraisemblables les situations équivoques au milieu desquelles je naviguais, j'étais très (ou trop) sûr de moi et j'avais peur, mais il fallait continuer et durer car nous étions persuadés que la Libération était proche.

 Un autre membre de CDLR, Georges Cayeux, adjoint de Pierre Arrighi, est aussi arrêté au début du mois de décembre. Cette nouvelle m'arrive pendant que j'enterre mon beau-père. Après l'arrestation d'Arrighi, de Vaudevire et de Marie-Jeanne, je sens la pression allemande qui se resserre autour de moi. Si j'avais eu et la sagesse et les moyens financiers, j'aurais fuir. Je ne pensais pas courir de grands risques à l'intérieur de l'usine car j'y avais beaucoup d'amis, pouvais être averti d'un quelconque danger et me sauver ou me cacher dans cette immense bâtisse. Par contre, les précautions que j'ai prises ont été parfaitement inutiles. Je porte des lunettes, me coiffe avec la raie au milieu et laisse pousser une petite moustache, je me coiffe d'un chapeau à bords roulés. Je n'habite plus guère chez moi. Un cousin de ma femme ... m'héberge fréquemment...

Un ami, ingénieur de l'usine, m'offre aussi l'hospitalité dans son studio proche de l'avenue de la Grande Armée. Nous nous rendons à l'usine en vélo, lui, très grand, pédalant, moi, assis sur le guidon, jambes pendantes. Les week-ends il partait dans sa famille et nous pouvions nous retrouver Élisabeth et moi. Nous vivions dans une inquiétude permanente. Élisabeth était venue me retrouver à l'usine le 24 décembre pour que nous puissions assister ensemble à la messe de minuit qui était célébrée à 18 heures à l'église de Levallois. Il y a foule mais on ne peut guère chanter la joie de Noël lorsque toute la tristesse du monde pèse sur nos cœurs  »

Pierre Viennot est finalement arrêté le 13 janvier 1944, à son domicile, rue de Hautefeuille lors d'une visite épisodique qu'il faisait encore chez lui. Deux membres du groupe auquel Viennot était rattaché avaient été arrêtés et retournés par la police allemande.31

Déportation

    Pierre Viennot sera déporté à Compiègne puis Mauthausen dans le même convoi que Paul Arrighi et Marc Zamansky. Il sera transféré ensuite à Melk, une extension de Mauthausen. A son retour, il gardera la conviction qu'Erich von Henk s'était occupé d'adoucir son sort lorsqu'il était à Melk. Il rentra donc de déportation affaibli, mais vivant. Vaudevire, plus âgé, et affaibli par une blessure datant de la Première Guerre n'a pas cette chance. Transféré au camp de Dora, puis à l'annexe d'Ellrich, il décède le 26 février32.

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Notes de bas de page

1 La SFR, une entreprise française sous la botte allemande, récit autobiographique de Pierre Viennot, rédigée vers 1985, à destination de sa famille.

2 Témoignage de Pierre Viennot auprès de Marie Granet, historienne, mars 1960, (AN 397 AP/4)

3 Le petit Marc, né le 2 septembre 1940, (selon le dossier personnel conservé aux archives) était peut-être un peu plus âgé qu'un an et demi lorsque cette scène s'est déroulée...

4 Voir au chapitre suivant, la section sur Radio-France.

5« maréchaliste » est le terme consacré pour désigner ceux qui sont fidèles au maréchal Pétain sans pour autant épouser nécessairement les idées de la Révolution Nationale.

6 Guillaume Piketty, article Ceux de la Résistance dans le Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006; Marie Granet, Ceux de la Résistance, 1940-1944, Les éditions de Minuit, 1964

7 Notice biographique de Charles Vaudevire rédigée par son petit fils Éric Vaudevire en avril 2010.

8 Pierre Viennot, La SFR, une entreprise française sous la botte Allemande.

9 Voir chapitre 9, Levallois, 55 rue Greffuhle.

10 Marie Granet, Ceux de la Résistance, 1940-1944, Les éditions de Minuit, 1964, p.41-42

11 Pierre Viennot, La SFR, une entreprise française sous la botte Allemande.

12 Témoignage de Pierre Viennot recueilli par Marie Granet (AN 397 AP/4).

13 Pierre Viennot, La SFR, une entreprise française sous la botte Allemande.

14 Marie Granet, Ceux de la Résistance, p.40-41

15 Témoignage de Pierre Viennot recueilli par Marie Granet (AN 397 AP/4).

16 Dans les National Archives de Kew, en Angleterre, (HS 13 Special Operations Executive: Registry: France Nominal Index 1940-1946), Eric Vaudevire a retrouvé une carte où est indiquée le nom des différents agents, et à côté du nom de Vaudevire sont mentionnés entre 100 et 150 réfractaires que Vaudevire aurait eu sous ses ordres, « l'équivalent d'une compagnie d'infanterie ». Cette compagnie est évidemment virtuelle et indicative d'un certain volume d'armes à parachuter.

17 Pierre Viennot, La SFR, une entreprise française sous la botte allemande.

18 Pierre Viennot, La SFR, entreprise française

19 Il est difficile de préciser le degré d'intimité de Viennot avec Kieffer. Il apparaît dans le récit qu'en fait Jean Overton Fuller, p.108 comme un compagnon habituelle des repas allemands festifs auxquels participait Viennot, mais le récit "La SFR, entreprise française", la rencontre entre Viennot et Kieffer a lieu après l'arrestation de Vaudevire le 30 octobre 1943.

20 Pour la thèse de la manipulation par le MI6, par exemple, Jean Lartéguy et Bob Maloubier, Triple jeu, l'espion Déricourt, Robert Laffont, 1992. Contre: Michael R.D.Foot, article Prosper-Physician, dans Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006

21 Dans le livre Madeleine, 1953 (p.138), c'est la formulation de l'auteur Jean Overton Fuller qui a entendu les témoignages de Paul Arrighi et Pierre Viennot.

22 Déposition d'Émile Girardeau, Instruction Girardeau-Brenot, séance du 28/05/49, 17h40 (AN Z/6NL/9910/A)

23 Jean Overton Fuller, Madeleine, p.185

24 Pierre Viennot, La SFR, entreprise française

25 Jean Overton Fuller, p.186-189

26 Pierre Viennot, La SFR, une entreprise française.

27 Jean Overton Fuller, p.200-202

28 Jean Overton Fuller, p.209

29 Jean Overton Fuller, pp.215-229 et Michael R.D. Foot, dictionnaire historique de la Résistance, p.445.

30 Pierre Viennot, La SFR, entreprise française.

31 Pierre Viennot, La SFR, entreprise française

32 Éric Vaudevire, Notice biographique de Charles Vaudevire. Éric Vaudevire que 82% des déportés à Ellrich n'ont pas survécu à la déportation.

33  D'après Éric Vaudevire (Archives de Kew), communication du  30/11/2012

Remerciements à Éric Vaudevire qui a relu cette page le 30 novembre 2012 et m'a signalé quelques erreurs que j'ai rectifiées.

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