Enquête sur Monseigneur Piguet (1)
Les Catholiques sous l'occupation
Introduction L'énigme Piguet (Emmanuel de Chambost, Avril 2003)
En 2000, Monseigneur Piguet, évêque de Clermont pendant l'occupation et emprisonné par la Gestapo en Mai 44, puis déporté à Dachau, reçut la "Médaille des Justes" de la part de l'association Yad Vashem.
3 ans plus tard, au cours d'une discussion sur un forum, il s'avéra qu'il n'était pas possible, en consultant les sites Internet appropriés de connaitre les raisons détaillées aui avaient conduit à l'attribution de la médaille posthume. Ce fut le départ de l'enquête, une enquête qui ne vise pas à savoir si Mgr Piguet fut vraiment juste, ce qui dépasse ma compétence, mais une enquête de simple curiosité qui donne l'occasion de découvrir des choses que l'on connaissait plus ou moins auparavant, comme par exemple, le sujet des catholiques sous l'occupation. J'en ai fait une page web en piquant à Jacques Duquesne sa préface à son bouquin de 86. Les Catholiques sous l'occupation .
Je me suis procuré également le petit livre Prison et Déportation que Mgr Piguet avait publié en 1947 . Ce livre qui raconte surtout, comme l'indique son titre la prison en France et la déportation au Struthof et à Dachau, revient néanmoins sur les circonstances de l'arrestation. Je fus surpris de constater qu'en 1947, Mgr Piguet s'interrogeait encore sur les raisons qui motivèrent son arrestation.
J'en suis là (19/04/03). J'espère recevoir bientôt le livre de Randanne "Mgr Piguet, un évêque discuté". [En Mai, c'est chose faite, je l'ai lu et reçu. Compte-Rendu dans Le livre de Randanne et Roquejoffre]
Si vous avez des informations sur Mgr Piguet, vous pouvez m'écrire: (Contact)
Mgr Piguet et l'historiographie avant 2000 (1): Les relations avec la Légion.
1. Jacques Duquesne, Les catholiques sous l'occupation, Grasset, 1986, p.72
L'une des institutions du nouveau régime à laquelle les catholiques accordaient le plus volontiers leur concours est sans conteste la Légion des combattants. Il s'agit d'un regroupement des anciens combattants des deux guerres, mais l'ambition de ses fondateurs, - parmi lesquels Xavier Vallat, député catholique d'extrême-droite, joue un grand rôle - est d'en faire le soutien du régime et si possible l'embryon d'un parti unique. Quand elle se crée, en 1940, c'est dans un climat de quasi-unanimité. Dans certaines communes, 95% des anciens combattants y adhèrent... Elle n'a pas de doctrine bien définie, et son rôle, alors, se limite surtout à la diffusion des thèmes de propagande élaborés à Vichy. Peu à peu, elle en viendra à dénoncer les "mauvais Français", c'est-à-dire, les opposants au régime, et fera le plein de haine. Elle est surtout encadrée par des officiers que la défaite a fait mettre "en congé d'armistice", et par des notables conservateurs assez étonnés d'entendre toujours parler de Révolution mais rassurés par le qualificatif "nationale". Tous prononcent un serment conforme à l'idéal du régime. Dés la fondation de la légion, les prêtres y adhèrent en grand nombre. Quelques évêques également. De la même manière, après la Première Guerre, ils étaient massivement rentrés dans les associations d'anciens combattants, estimant que leur participation aux combats leur permettait de retrouver dans la société française un droit de cité que les luttes anticléricales du début du siècle leur avait enlevé. Ils pensent que leur adhésion à de telles associations en est le signe et en perpétue le souvenir. On les voit donc défiler avec la Légion. certains y occupent même des postes de responsabilité, deviennent dirigeants communaux, cantonaux, départementaux. La Légion fait sonner les cloches des églises pour ses principales cérémonies, et celles-ci commencent généralement par des messes, de préférence sur des places publiques, et ne présence d'un grand concours de foule. Ainsi, à Clermont-Ferrand, le 30 Août 42, trente mille légionnaires assistent à une messe célébrée sur la place de Jaude devant les autorités religieuses et le chef du gouvernement, Pierre Laval. Ce genre de "messes légionnaires" - comme on les appelle - est très répandu et ces manifestations qui provoquent l'agacement jusque dans les rangs des hommes de Vichy, seront un des signes sur lesquels s'appuieront ceux qui vont dénoncer le cléricalisme du régime... |
2. Renée Bédarida, Églises et Chrétiens , in La France des années noires, Seuil, 1993
"Toute dissidence, à l'intérieur comme à l'extérieur, camouflée ou avouée, en quelque place qu'elle se trouve, est un malheur et une faute." affirme en chaire Mgr Piguet, évêque de Clermont-Ferrand lors d'une messe à l'intention de la Légion en septembre 41. |
3. Jacques Duquesne , Les catholiques sous l'occupation, Grasset, 1986, p.323
Le lorrain François Valentin, qui a été un des dirigeants les plus actifs de la Légion choisit le 29 Août 1943, troisième anniversaire de la Légion, pour lancer un appel à la Résistance: "Jusqu'au retour au pouvoir de Pierre Laval, j'ai été directeur général de la Légion. A ce titre, et quelles qu'aient été mes intentions, j'ai pu contribuer à tromper sur leurs devoirs de bons Français, légionnaires ou non. C'est à eux spécialement que je veux adresser cet appel pour libérer enfin ma conscience. Et puisque mon action passée s'est exercée en France et publiquement, c'est aussi, c'est aussi en France, et publiquement que je dois aujourd'hui encore prendre position. Un cri de colère monte de nos coeurs quand nous jetons un regard sur le chemin parcouru depuis trois ans at que, nous rappelant nos espérances d'alors, nous constatons à quelles réalités nous avons été conduits de chute en chute, de combinaison en combinaison, de mensonge en mensonge, de lâcheté en lâcheté. Pourtant, il ne pouvait en être autrement: notre erreur a été de croire qu'on pourrait relever notre pays avant de le libérer. On ne reconstruit pas une maison pendant qu'elle flambe. La France nous supplie de vivre dans la Résistance afi que nous soyons unis dans la victoire... Préparons maintenant l'heure où, contre tous les totalitarismes et toutes les dictatures, nous ferons revivre une France libre et fraternelle dont nos fils pourraient être fiers." François Valentin est entré dans la clandestinité et, à la radio de Vichy, Philippe Henriot lui reproche d'avoir trahi la confiance du Maréchal en prétendant savoir mieux que lui où était l'intérêt de la France: "Vous avez disparu, happé par les ténèbres opaques qui baignent les dissidences larvées..." |
4. Jacques Duquesne , Les catholiques sous l'occupation, Grasset, 1986, p.330
Au cours d'une messe en mémoire des victimes des deux guerres, Mgr Piguet tient des propos analogues devant les autorités légales et ce qui reste de la Légion: "A l'heure actuelle... toute désunion trahit nos morts... Si aujourd'hui, nous, Français, nous étions un seul peuple obéissant à son chef au lieu de prendre des mots d'ordre intéressés, suspects et criminels de l'étranger, bien que vaincus, tous nos espoirs seraient permis." |
Mgr Piguet et le STO
1. Jacques Duquesne , Les catholiques sous l'occupation, Grasset, 1986, p.296
27 Juin 1943 "Vos évêques ont parlé, mes frères... Qu'on oppose leur attitude à celle d'évêques d'autres pays, c'est une audace malhonnête étant donné les différences radicales des situations comparées. Ce qui est plus étrange encore, c'est que des soi-disant théologiens, sans mandat, au nom de leurs principes, osent donner des consultations circulantes, différentes des directives des évê ques. Voilà qui situe l'absence de toute autorité de pareils avis dissidents, par ailleurs si pauvres en théologie et en rupture avec le bon sens..." |
Mgr Piguet et la l'historiographie avant 2000 (2): Les Évêques emprisonnés.
Jacques Duquesne, Les catholiques sous l'occupation, p.343
...Au printemps de 1944, les Allemands et la Milice multiplient les représailles contre les populations civiles. Le 2 Avril 1944, à Asq, dans le Nord ... 90 hommes assassinés ... protestation cardinal Liénart... Le 10 Juin 1944, Oradour-sur-Glane ... protestation Mgr Rastouil, évêque de Limoges... Le 20 Août 1944, à St-Genis-Laval ... 100 personnes assassinées ... protestation cardinal Gerlier. Le 2 Mai 1944, à Montpezat (Tarn-et-Garonne), les Allemands ont incendié plusieurs bâtiments, dont le presbytère et tué plusieurs personnes. L'évêque de Montauban, Mgr Théas, écrit le 6 mai à la Kommandantur une lettre de protestation: "Défenseur de la justice, gardien du droit naturel, je manquerais gravement à mon devoir si en face de tels actes de terrorisme et de barbarie je ne faisais entendre la voix indignée de la conscience humaine et chrétienne. L'occupation d'un pays ne supprime ni les devoirs du vainqueur ni les droits du vaincu..." Le commandant allemand ne lui répond que le 14 Mai que des terroristes ont attaqué les soldats Allemands... Le 9 Juin à deux heures du matin, des policiers allemands arrêtèrent l'évêque de Montauban, l'enferment dans une cellule à la caserne Pomponne jusqu'au lendemain matin. Il est alors transféré à Toulouse, puis au stalag 122 à Compiègne. Il y restera jusqu'au 22 Août, date à laquelle il sera libéré... Le motif de l'arrestation de Mgr Théas n'avait pas été précisé. Il est vrai que du point de vue allemand, on avait de nombreux reproches à faire à l'évêque de Montauban: Outre ses protestations vigoureuses sur le problème juif ou la répression, il est en liaison avec des réseaux de passage en Espagne et avec les maquis. Il est probable cependant que les Allemands l'ont toujours ignoré. Ils ont seulement voulu frapper dans cette région les trois prélats qui symbolisent dans cette région la résistance des chrétiens. En effet, le même jour, à neuf heures du matin, Mgr Saliège, archevêque de Toulouse , reçoit la visite de policiers de la Gestapo venus pour l'arrêter. Constatant qu'il s'agit d'un grand infirme, ils repartent sans lui. Le 9 Juin, encore, ils arrêtent Mgr Bruno de Solages, le recteur de l'Institut catholique de Toulouse, ainsi que tris de ses professeurs, Mgr Carrière, l'abbé Decahors et le chanoine Salvat. Ils sont amenés à Compiègne en compagne d'une autre personnalité toulousaine, Albert Sarraut, puis envoyés en Allemagne au camp de Neuengamme. Ces arrestations du haut clergé ne sont pas les premières ni les dernières. Le 28 Mai 1944, jour de la Pentecôte, a été emmené par la Gestapo, après sa messe principale, Mgr Piguet, l'évêque de Clermont-Ferrand, celui-là même qui avait qualifié d'"esprits étroits" les "théologiens anonymes", recommandé le départ pour le S.T.O. et affirmé en maintes circonstances sa totale fidélité au régime de Vichy. On lui reproche d'avoir donné un "celebret" (c'est-à-dire une pièce administrative permettant à un prêtre de dire sa messe partout où il passe) à un ecclésiastique étranger au diocèse, muni d'une fausse carte d'identité civile et qui est employé comme vicaire dans la commune de Saint-Genès-Champanelle. Emprisonné à Clermont, Mgr Piguet est ensuite transféré au camp de Struthof où il est particulièrement insulté et frappé. A la place de ses vêtements épiscopaux, il porte désormais un pantalon rayé, une veste civile bariolée de couleurs et frappée au dos des lettres K.L. et des sandales en bois. Le 4 septembre, il est envoyé à Dachau où il est enfermé d'abord au bloc 28 occupé par huit cents prêtres polonais, puis au block 26 où il retrouve des prêtres allemands et de diverses nationalités parmi lesquels des français représentant 56 diocèses... Le matricule 103.001 est souvent vu discutant en se promenant bras dessus bras dessous avec un militant communiste, Gabriel Machardier. Quelques mois après son arrivée, il ordonnera prêtre - clandestinement - un jeune diacre allemand également enfermé et qui va mourir tuberculeux. A son retour, en 1945, Mgr Piguet sera accueilli triomphalement par la population clermontoise. Deux autres évêques sont encore arrêtés par les Allemands au printemps de 1944. Mgr Rodié d'Agen, sera interné quelques semaines. Mgr Moussaron, d'Albi, est arrêté le 15 juin et maintenu en prison huit jours; motif: il a refusé de prendre les mesures demandées par la Gestapo contre un curé doyen qui avait présidé les funérailles d'un officier de l'Armée Secrète tué par les Allemands. |
Fin politique, Laval mesure la place qu'a prise l'Eglise dans la France de Vichy. Il ne tient pas à voir cette puissance se tourner contre lui. AFélix Olivier-Martin, qu'il nomme secrétaire général de la jeunesse, il donne pratiquement une seule consigne:" Soyez prudent. Surtout ne me faites pas avoir d'embêtements avec les curés."... Quand en 1944, Gessler, chef de la Gestapo pour la zone Sud, fait arrêter Mgr Piguet, évêque de Clermont-Ferrand, Pierre Laval lui dit: "Vous avez tort. Et puis, je tiens à vous le déclarer, ça porte malheur d'arrêter un évêque." Laval se trouve confirmé quelques jours plus tard dans cette croyance superstitieuse: Gessler est tué à Murat où il dirige une opération contre le maquis du Cantal. |
Mgr Piguet par lui même: "L'Homélie du 20 Mai 45"
Mgr Gabriel Piguet, Prison de Déportation, SPES, 1947
Chapitre premier "Ma déclaration à la Messe Pontificale de la Pentecôte, le 20 mai 1945"
[ Mgr Piguet, de retour de déportation, était arrivé à Clermont le 13 Mai, Note EdC] Bien Chers Diocésains, Il y a un an, en cette même fête de la Pentecôte, à la sortie de notre cathédrale, après la messe Pontificale, nous étions arrêté par la police allemande. Notre dessein n'est pas de vous faire, en ce jour, le récit de notre captivité ou de vous communiquer toutes nos impressions. C'est à une première mais importante déclaration que nous nous bornerons aujourd'hui. Dans l'impossibilité absolue, jusque là, de faire entendre nos sentiments d'indignation contre la violence sacrilège qui nous fut faite, au mépris du droit des gens et des garanties spirituelles des ministres de Dieu, nous élevons, aujourd'hui que nous sommes rendus à la liberté, une protestation énergique et publique contre cet odieux abus de force dont nous fûmes victime, et contre cette intrusion d'un pouvoir étranger dans notre ministère spirituel rendu ainsi impossible. Les griefs allégués étaient l'hospitalité donnée par nous, dans notre diocèse, à des prêtres réfugiés, suspects à une police habituée à traiter tout homme en criminel, comme nous en avons eu la terrible expérience durant toute la période de l'occupation de notre pays. Simple prétexte ou véritable cause que ce motif d'accusation ainsi invoqué ? Il importe peu. La vérité est que les circonstances tragiques de 1940 à 1944 nous ont constamment placé en face de devoirs essentiels de la charité paternelle et fraternelle devant lesquels, comme Évêque et comme Français, nous ne pouvions et ne voulions à aucun prix nous dérober. Notre réponse à nos accusateurs fut telle qu'il leur aurait été bien difficile de nous faire condamner par quelque tribunal que ce fut, et c'est sans jugement, sans possibilité de défense juridique, commune à toutes les nations civilisées, par la seule action d'une police tyrannique et d'un système de cruauté dépassant l'entendement et l'imagination, que nous avons été arrêté, emprisonné, déporté hors de France, grossièrement insulté, frappé, mis dans un camp de concentration, dépouillé de tout ce que nous possédions sur nous, soumis à un traitement odieux pour tout homme libre et outrageusement opposé à la dignité épiscopale dont nous sommes revêtu. Enfin, aux derniers jours de notre captivité, nous avons été emmenés comme otage dans le dernier et éventuel repli de la défense allemande, quand très brusquement, avec la victoire des Alliés, notre libération par l'armée américaine, le 4 mai dernier, nous a rendu la liberté. Vous le savez, chers diocésains de Clermont, dans notre ministère religieux auprès de vous, nous nous sommes toujours tenus à l'écart de la politique et, dans la mesure de nos moyens et avec la grâce de Dieu, nous nous sommes efforcés d'être sans cesse et pour tous le pasteur de vos âmes, le docteur de la vérité catholique, l'apôtre de la charité. Nous faisons ces remarques, parce que, dans les poursuites engagées contre nous, il nous semble à peu près évident que c'est notre personne même qui a été spécialement visée. C'est également l'opinion de ceux qui ont été à même de s'intéresser à notre affaire. Nos fréquentes prédications d'ordre pourtant évangélique, notre protection donnée aux faibles et aux persécutés, notre entière indépendance dans le soutien des intérêts temporels et spirituels dont nous avions la charge sont-elles demeurées étrangères à ce qui s'est passé ? En tous cas, nous ne regrettons rien des nombreux services que nous avons pu rendre. En pareille circonstances, nous serions prêts à agir de même, car nous ne saurions nous incliner devant l'injustice ou l'iniquité, ni rester sourd à l'appel des opprimés et des malheureux, ni négliger nos devoirs impérieux de chef spirituel. Notre captivité nous a permis de vérifier dans les moindres détails ce que nous savions précédemment, à savoir l'opposition irréductible entre la doctrine abominable et le système monstrueux du nazisme d'une part, et, d'autre part, toute religion, et plus particulièrement, notre doctrine chrétienne avec sa morale toute d'amour de Dieu et d'amour de ses frères. Nous dénonçons le piétinement des consciences des détenus civils en Allemagne, le refus impitoyable opposé aux moribonds qui suppliaient d'avoir des secours religieux, l'obligation où nous fûmes placés, nous autres prêtres, de procurer la vie surnaturelle aux âmes par des moyens aussi difficiles, cachés et dangereux, que ceux employés aux époques des persécutions et de l'Église des catacombes. Il est indispensable que le monde civilisé sache les tortures morales imposées aux âmes, comme les douleurs physiques infligées aux corps. Aussi notre témoignage ne nous apparaît-il pas comme le moindre profit de notre épreuve. Nous savons et nous disons que, parmi nos frères d'exil, beaucoup, hélas ! sont morts, que parmi les rescapés, certains ont plus souffert que nous. Nous témoignerons notre fidélité aux premiers par notre souvenir indéfectible et par notre prière, aux seconds, les vivants, par notre amitié qui souhaite, dans la France d'aujourd'hui et de demain, une union de plus en plus étroite, dominée par la largeur d'esprit, la noblesse des sentiments, l'estime et l'affection communes, cimentées par tant de sang et de larmes. Personnellement, vis-à-vis de nos persécuteurs, nous ne conservons dans notre coeur, quant à nous, aucune disposition contraire à la charité du Christ, et nous pardonnons comme nous avons pardonné dés le premier jour à ceux qui nous ont offensé. Mais, représentant officiel de la morale chrétienne, en tant que Ministre de Dieu et Évêque de l'Église catholique, notre conformité à l'esprit évangélique à l'égard des hommes, mêmes coupables, ne saurait nous faire pactiser avec le mal et les crimes atroces des camps de concentration d'Allemagne. La vérité toute de lumière de l'Évangile nous fait un devoir, au contraire, de dénoncer les erreurs, les mensonges et les abominations, qui furent, à la fois, la doctrine, la méthode et la pratique du nazisme. En joignant notre témoignage à celui de nos trop nombreux et chers compagnons, nous aurons pour but de faire triompher la justice, si manifestement outragée, d'apporter notre appoint à la sauvegarde de la civilisation chrétienne, de soutenir les forces spirituelles indispensables à une rénovation et une reconstruction du monde. Les institutions criminelles dont nous avons été témoin et victime, portent, en effet, en elles, tous les témoins de la barbarie et de la servitude antiques, auxquelles elles ajoutent une systématisation et une méthode nouvelle susceptibles d'agrandir le malheur humain de toutes les possibilités scientifiques modernes. Nous considérons donc faire oeuvre de vérité et de charité en luttant de toutes nos forces , et sous l'inspiration des règles de la justice et de l'amour fraternel, pour éviter le retour de pareilles catastrophes et rendre impossible le maintien d'organisations aussi inhumaines que furent ces trop fameux camps de concentration. Nous croyons que des représailles collectives et indistinctes seraient aussi opposées à la vraie justice qu'aux intérêts de tous les peuples, toujours en péril, quand les droits de la conscience et de la personne sont méconnus. Nous estimons que les sanctions méritées par des crimes abominables doivent être précédées des enquêtes et instructions nécessaires... Nous remercions Dieu... Après Dieu, nous remercions Notre-Dame... Nous vous remercions vous mêmes, chers diocésains... Merci... au Souverain Pontife... ... car en-dehors de là, il n'y aura jamais de véritable paix [Les parties à la fin de cette homélie-déclaration que je n'ai pas recopiées - par paresse - représentent 30% environ de l'ensemble, Note EdC] |
Mgr Piguet par lui même: "Son arrestation le 28 Mai 44" (Récit de 1947)
Mgr Gabriel Piguet, Prison de Déportation, SPES, 1947
Chapitre III "Arrestation et interrogatoires",
C'est la fête de la Pentecôte, le dimanche 28 mai 1944. Après la messe pontificale célébrée dans ma cathédrale, au seuil de mon évêché, un policier allemand m'aborde et m'invite à me rendre tout de suite après du chef de la Gestapo de Clermont-Ferrand. - "Je ne suis pas accoutumé à recevoir des convocations de ceux qui désirent me voir: ils ont toute facilité de me trouver ici"telle est ma réponse toute spontanée. Mais sans hésitation sur le sens impératif de pareille notification, je n'insiste pas. Dans ma propre voiture conduite par mon chauffeur, je monte à Chamalières, au siège de la Gestapo, accompagné d'un de mes vicaires généraux et du policier. Fuir n'aurait pas été impossible, mais je ne m'arrête pas à cette idée dont la réalisation me parait pleine de dangers pour mon entourage, prêtres, famille, serviteurs et pour les locaux de mon évêché, comme le savent depuis dix-huit mois les habitants de Clermont, mis littéralement "sous le pressoir" nazi. Dans son bureau, le chef de la Gestapo m'annonce mon arrestation. Sur la demande d'en savoir la raison il me répond que je la connaîtrai bientôt. Le vicaire général, le chauffeur, la voiture sont alors renvoyés. Il n'est pas tout à fait midi. Me voici prisonnier. A 14 heures environ, premier interrogatoire par un jeune homme, un Français, hélas! comme je l'apprendrai après mon retour de captivité. Il est assisté d'une secrétaire, d'une autre femme qui semble être son épouse, de deux Allemands. L'interrogateur, après les déclarations d'usage: nom, prénoms, âge, etc... a la maladresse de m'incriminer tout d'abord au nom du Droit Canon à propos d'un "celebret", c'est-à-dire, d'une pièce de chancellerie épiscopale permettant à un prêtre la célébration de la messe. Ce celebret a été établi sous un nom d'emprunt pour un prêtre étranger à mon diocèse, muni d'une fausse carte d'identité au civil, et employé comme vicaire auxiliaire à la paroisse de Saint-Genès-Champanelle, sur la montagne clermontoise. A mon tour, je demande à quel article du Droit Canonique il est fait allusion afin que je puisse en donner l'interprétation exacte et au besoin l'expliquer à ce juge d'instruction en herbe, qui renonce à s'aventurer plus avant sur un terrain aussi peu sûr pour lui et s'en tient alors au seul fait matériel incriminé. Rien dans la loi ecclésiastique, rien dans la loi française, n'interdit à un évêque d'établir pour un prêtre, muni d'une carte d'identité émanant des pouvoirs civils, un celebret au nom de cette même carte d'identité. La délivrance de cartes d'identité ne relève pas de l'autorité ecclésiastique... Enfin le refus d'un celebret par un évêque n'est légitime que si le prêtre est indigne et mérite d'être privé du droit de dire la messe. Ces diverses explications résument ma défense. Elles paraissent embarrasser mon interlocuteur. La mise au point de la rédaction, en langue allemande, de cet interrogatoire s'avère si laborieuse que les policiers allemands présents viennent au secours de leur agent français. Enfin, le procès verbal est établi et présenté à ma signature. Quoiqu'il en soit, deux jours plus tard, en dépit de l'apparente clôture du dossier par la signature du prévenu, un nouvel interrogatoire m'est imposé. Il sera mené par le chef de la Gestapo clermontoise qui joindra deux nouvelles accusations, plus inconsistantes encore que la première, mais destinée sans doute à corser le dossier en multipliant les affaires. En face de ce chef de police allemand, qui dépend lui-même immédiatement du chef de la Gestapo de Vichy, j'ai l'impression d'être devant un vieux routier de la police nazie et très au courant de "sa manière". Deux heures et demie d'attente dans une antichambre, interrogatoire nocturne de trois heures consécutives... - Trois affaires vous concernent, me dit le chef de la police: Saint-Genès-Champanelle, Médeyrolles, Brassac les Mines. Leur énoncé ne me cause aucune émotion: elles n'ont rien à mon sens de très compromettant pour moi, et je pouvais redouter de pires accusations. Mes lettres pastorales d'avant-guerre, des articles de journaux avant et sous l'occupation, des sermons et directions formulés dans l'ordre doctrinal et pratique, mes interventions constantes en faveur des réfugiés, des opprimés et des Juifs, l'hospitalité donnée à l'Université et au Grand Séminaire de Strasbourg, enfin l'abri assuré dans mon diocèse à tant de traqués, telle la fameuse sœur Hélène, des Filles de Saint-Vincent-de-Paul, pouvaient fournir des bases d'accusation beaucoup plus graves. Mais le silence et la circonspection avaient été de règle chez moi et dans mon entourage autour de mon activité, en cette délicate période. C'est ainsi que j'avais réussi à maintenir dans l'ombre les nombreux services rendus, que n'auraient manqué de me reprocher les Allemands et leurs complices, s'ils les avaient connus. Les griefs, anodins ou inexistants en droit, articulés contre moi par la Gestapo n'auraient pu m'être opposés, si mes conseils et directions avaient été suivis par tous mes protégés, comme ils l'ont été par le plus grand nombre. Mais les règles de prudence ne m'avaient jamais empêché de résister face à face et avec énergie aux empiètements des Allemands, qu'il se soit agi du Grand Séminaire, de l'installation de postes à destination militaire dans les tours de la cathédrale ou d'incidents sur lesquels j'avais mon mot à dire. Mon impression est que ma personne était particulièrement visée par la police, comme me le dirent plus tard le Prince Xavier de Bourbon, puis, au cours de ma captivité en Allemagne, un grand chef du socialisme français, prisonnier lui aussi, en se fondant sur des sources différentes et convergentes. Les membres du clergé ou de ma propre famille qui firent des démarches pour obtenir, mais toujours en vain, ma libération, remarquèrent une mystérieuse réticence à mon sujet, chaque fois qu'un chef de police ouvrit mon dossier. Je devais être pointé. En tous cas, ce mardi 30 mai, c'est d'une façon claire et nette que durant cet interrogatoire dans les ténèbres de la nuit, devant le chef de la Gestapo, j'affirme sans forfanterie, mais très catégoriquement ma double position catholique et patriotique découlant de ma double qualité d'Évêque et de Français. Sur les faits eux-mêmes, je m'efforce d'en démontrer le peu de fondement du point de vue délictueux. Je fais remarquer que mon accueil à de très nombreux réfugiés ressortissait de mon ministère de charité chrétienne, qu'en aucune manière il n'entraînait pour moi le devoir ou même la simple possibilité d'exercer une surveillance particulière sur des prêtres, dont la dignité de la vie sacerdotale et la correction dans leurs fonctions professionnelles demeuraient seuls soumises à mes préoccupations et à mon contrôle. Je fais remarquer en outre que les changements d'identité sont devenus très nombreux en France depuis l'occupation étrangère, que personne ne l'ignore, même dans la police allemande; que tous les chefs, religieux ou civils, seront bientôt arrêtés, si l'on prétend les rendre responsables de ces changements d'identité très souvent inconnus d'eux. J'insiste sur l'impossibilité, au plan supérieur occupé par un évêque, d'être renseigné sur tous ces infimes détails recherchés par une police dont les divers points de vue se trouvent si éloignés de mes travaux et soucis quotidiens. L'affaire de Saint-Genès-Champanelle est d'abord évoquée. Je me rends compte que rien jusqu'aux plus petites choses n'est ignoré de la Gestapo. Mes arguments de défense du premier interrogatoire n'ont pas à être modifiés. Je les expose d'après le résumé déjà transcrit dans les pages précédentes. Mais hélas, je m'aperçois qu'il est des Français qui ont trahi leur pays et leurs compatriotes. ils ont payé de leur vie cette indignité. Que Dieu leur pardonne leur crime odieux ! Pour Médeyrolles, l'échec de l'arrestation du prêtre desservant, un réfugié, remontait à une année environ. Des relations fréquentes, dit-on, avec des officiers français lui sont reprochées. Mes réponses sont aisées. A 120kilomètres de Clermont comment être au courant de visites reçues par un curé ? Par ailleurs, jamais je n'ai jugé en opposition avec l'honneur de la vie sacerdotale les relations avec l'armée française. Enfin mes propres et personnelles réclamations à la Gestapo, l'été précédent, au sujet de l'argent paroissial saisi par elle au presbytère de Médeyrolle ne prouvent-elles pas mon absence de toute crainte d'être compromis dans les difficultés soulevées contre le desservant réfugié dans cette commune ? C'est qu'en effet, durant l'été 1943, j'avais réclamé à la Gestapo la caisse paroissiale emportée par elle en même temps que l'argent personnel du curé, lors de la perquisition faite au presbytère. L'affaire de Brassac-les-Mines ne parait pas mieux fondée. Cette paroisse et la région qui lui est annexée se trouvent desservies par des religieux, les "Fils de la Charité". L'Évêque de Clermont s'entend avec le Supérieur Général de cette Congrégation pour le choix et la nomination du curé doyen et ratifie le choix des vicaires proposés par le même supérieur sans les connaître personnellement. Le chef de la police était déjà au courant de toutes ces particularités et n'insiste guère tout en reprochant que l'un des vicaires ait changé de nom pour se soustraire à la police allemande et ait exercé, avant son départ de Brassac, des activités relatives au travail obligatoire en opposition avec les intérêts allemands. La rapidité de l'interrogatoire sur ces deux dernières affaires semble bien laisser à l'affaire de Saint-Genès-Champanelle la majeure importance des poursuites intentées contre moi et en faire la partie maîtresse du dossier. Un peu avant trois heures du matin, je signe à nouveau ce second procès-verbal, avec lequel doit se terminer toute la procédure judiciaire à mon endroit. Jamais plus on ne m'interrogera. Sur le propos du chef de la police "qu'il voulait en finir rapidement avec mon affaire" J'ai attendu et espéré plusieurs semaines ma libération. Vaine illusion !Par la suite, j'ai appris d'un très grand nombre de prisonniers qu'ils avaient été eux aussi, entretenus dans les mêmes espoirs sans que jamais leur élargissement s'ensuivit. C'est là, en effet, un des aspect de la douche écossaise si bien dans les manières de la Gestapo, avec alternances de promesses et de menaces, de perspectives de terreur et de liberté, d'attributions d'avantages et d'usage de cruautés. C'est la méthode de la guerre des nerfs. |
Mgr Piguet par lui même: "Sa rencontre avec Léon Blum en Avril 45" (Récit de 1947)
Mgr Gabriel Piguet, Prison de Déportation, SPES, 1947
Chapitre XIII "De Dachau à Innsbrück"
La première impression au départ en autobus du camp de Dachau est pour moi, agréable... Dans cet autobus, se trouvent avec moi plusieurs généraux allemands prisonniers, des personnalités de plusieurs pays et des prêtres allemands... [Arrivée à Innsbrück] Nous nous arrêtons devant un petit camp de vieilles baraques en bois, placé dans le cadre enchanteur des hautes montagnes... Le vendredi 27 [Avril ?], vers la fin de l'après-midi, une nouvelle circule tout à coup. Un troisième groupe vient d'arriver à Dachau. On me signale que parmi les nouveaux venus se trouvent le président et Mme Léon Blum. Quelques instants après, je me présente à mes compatriotes. M. Léon Blum en éprouve une émotion non dissimulée, traduite par de très aimables paroles, au souvenir de son séjour à Boursarolle, entre Clermont et Riom, où, me dit-il "il a connu mon activité et ma protection donnée à ses coreligionnaires". Un moment après, je mets moi-même en relation le prince Xavier de Bourbon-Parme et M. et Mme Léon Blum. Les mots écrits par le leader politique parus en brochure sous le titre "Les derniers jours de ma captivité", expriment qu'il y eut plus qu'une simple courtoisie entre les Français réunis dans une commune épreuve et un commun danger, rapprochés, sinon par toutes les idées, du moins par un certain nombre d'entre elles et en tous cas par d'agréables relations personnelles. |
Mgr Simon, évêque de Clermont en 2000 charge un journaliste d'écrire un livre
D'après http://www.karl-leisner.de/c_f.htm
Un groupe d'Allemands, qui cultiventle souvenir de karl Leisner,
le séminariste allemand ordonné prêtre par Mgr Piguet à Dachau sont invités
à Clermont, en Septembre 2000 pour la sortie du livre "Mgr Piguet, un
évêque discuté. Ils racontent
Les petits ruisseaux font les grandes rivières. Ainsi en est-il du livre "Monseigneur Piguet, un évêque discuté". Le Monseigneur Piguet avait caché beaucoup d'enfants juifs dans plusieurs établissements religieux et leur avait aussi également fourni des certificats de baptême catholiques. Deux enfants juifs, un frère et une soeur qui vivent aujourd'hui en Amérique, ont déclaré à Yad Vashem(*) qu'ils devaient leur salut à Monseigneur Piguet. On va maintenant lui décerner à titre posthume le le titre de Juste parmi les nations (zaddiq hã'ammim). Après cela l'actuel évêque de Clermont, Mgr Simon a chargé un journaliste, Marc-Alexis Roquejoffre de rechercher de la documentation sur Monseigneur Piguet, de monter un dossier et de préparer un discours à l'occasion de la remise de la distinction à titre posthume. A peu près au même moment, le Père Martin Randanne contactait Mgr Simon. Lorsqu'il était curé de Saint-Genès-Champanelle (1982-1986), il avait déjà essayé d'éclaircir les circonstances des événements tragiques de l'année 1944 au cours desquels les Allemands avaient arrêté le maire Jean Baptiste Toury et son fils René, deux prêtres, l'Abbé Bachelard et Jean Gay, alias Jean de Viry, ainsi que d'autres personnes. C'est par l'intermédiaire d'un vieil ami et parent éloigné, Antoine Genestine, exécuteur testamentaire du Père André Bachelard, que le père Martin Randanne a pris connaissance d'une lettre du 10 octobre 1943, écrite à la main par Mgr Piguet. Dans cette lettre, le père André Bachelard était informé qu'on lui envoyait un vicaire, à qui on avait procuré une nouvelle identité, avec des papiers au nom de Jean Gay, sans révéler son vrai nom Jean de Viry, membre d'un réseau de Résistance. (*)L'État d'Israël donne le titre de "Juste parmi les nations" (zaddiq hã'ammim) à des non-juifs qui ont sauvé des juifs pendant le temps du nazisme en Allemagne. Pour chacun d'eux, un arbre est planté sur l'allée des justes quiconduit à la place Yad Vashem. Il se réfère à une citation du Prophete Jesaia: j'établis une monument, à tous dans ma maison et dans mes parois moi leur donne un nom qui vaut plus que des fils et des filles? |
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