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A propos de la réédition de Vichy et les Juifs en 2015

Marrus et Paxton, Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, 2015 (1ere édition, 1981)

 
(décembre 2015)
L'auteur, contact
C'était en 2007  L'Affaire Paxton
Et en 2014 De l'affaire Paxton à l'affaire Zemmour en passant par le livre d'Alain Michel (2007-2014)

1. Pourquoi une nouvelle édition de Vichy et les Juifs ?

2. Vichy et les Juifs, 1981, vu par Alain Michel

3. Suggérer Zemmour, ignorer Alain Michel
4. Il y a bien eu marchandage Juifs français/Juifs étrangers en 1942.
Le déni
L'aveu

5. Liens


A propos de la réédition de Vichy et les Juifs en 2015

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Voir aussi sur ce site, la réaction de Jean-Marc Berlière, Vichy et les Juifs, Zemmour/Klarsfeld/Paxton ..., janvier 2015


Pourquoi une nouvelle édition de Vichy et les Juifs ?

En 2015, les éditions Calmann-Lévy publient une nouvelle édition de Vichy et les Juifs, un ouvrage cosigné par Paxton et un autre historien, canadien, Marrus, et dont la première édition remonte à 1981. Quelques jalons historiographiques pour situer les deux éditions dans leurs contexte : En 1966, Paxton, jeune historien américain publie en anglais un ouvrage sur l'Armée de Vichy correspondant à son travail de thèse et qui ne sera connu du lectorat francophone qu'en 2004. Poursuivant sur sa lancée, le jeune historien publie sa France de Vichy, traduite en Français en 1973 et devient la tête de file d'une génération d'historiens qui n'ont pas vécu comme adultes la Seconde Guerre mondiale et qui revendiquent une totale absence de complaisance vis-à-vis de Vichy et qui privilégient les archives aux témoignages. A la même époque, l'extermination des Juifs d'Europe par les nazis s'affirment comme un élément majeur que les historiens et les enseignants retiennent de la Seconde Guerre mondiale, et assez logiquement, Paxton se tourne vers l'aspect le plus sombre du régime de Vichy, sa politique vis-à-vis des Juifs. Ainsi sortit Vichy et les Juifs, en 1981, qui sera bien reçu par la presse spécialisée, personne ne relevant les divergences avec d'autres ouvrages sur le même sujet (Poliakov, Le bréviaire de la haine, 1951 et Raul Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, 1961). Le négationnisme fait alors parler de lui et tous les ouvrages d'historiens authentiques touchant de près ou de loin à la Shoah sont bons à prendre.

Paxton sera pourtant avant tout perçu comme l'auteur de la France de Vichy, Klarsfeld lui volant la vedette pour les questions touchant aux Juifs. Selon les mots de Michèle Cointet, « En 1983, Klarsfeld a révélé, analysé et publié les comptes-rendus des autorités allemandes sur toutes ces négociations dans Vichy-Auschwitz, le rôle de Vichy dans la solution finale, un ouvrage dense et austère, un commentaire de documents nombreux et pas toujours faciles à décrypter pour les lecteurs qui n'ont pas l'habitude de lire des sources brutes.1 » dont le deuxième tome sort en 1985 et qui devient la référence pour tous les auteurs travaillant sur la mise en œuvre de la Shoah en France. En marge de ses travaux d'historiens, Klarsfeld devenu homme d'influence œuvra ensuite pour populariser la doctrine qu'il avait formuler dés 1983 dans le Tome 1 de Vichy-Auschwitz « « Vichy a contribué efficacement à la perte d'un quart des Juifs de France, les Français ont puissamment aidé au salut des trois quart des Juifs de France » et qui fut plus ou moins adoptée ben au-delà des cercles d'historiens. Alors que Marrus et Paxton ne s'étendaient guère que sur les Français coupables, l'histoire du sauvetage des Juifs et l'hommage rendu aux « Justes » sortirent de la marginalité avec des auteurs comme Asher Cohen (Persécutions et sauvetages : Juifs et Français sous l'Occupation et sous Vichy, Cerf, 1993.), Renée Poznanski (Être juif en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Hachette, 1994) ou Jacques Sémelin (Persécutions et entraides dans la France occupée. Comment 75 % des Juifs de France ont échappé à la mort, Paris, Le Seuil, 2013) qui traitèrent la question de l'exécution de la solution finale en France aussi bien du point de vue de son succès que de celui de son échec relatif. Plus tard, d'autres auteurs comme Tal Brutmann (Au bureau des Affaires juives, l'administration française et l'application de la législation antisémite, La Découverte, 2006) ou Laurent Joly (Vichy dans la solution finale, 1941-44, Histoire du commissariat général aux questions juives, Grasset, 2006) revinrent sur le terrain de Marrus et Paxton, celui du rôle de l'administration française.

Vichy et les Juifs semblait donc voué à rester un livre important au moment de sa parution mais devenu obsolète. Sa réédition ne s'imposait pas. En 1997, les éditions du Seuil avaient publié une nouvelle édition de La France de Vichy qui s'articulait sur un principe très simple et particulièrement efficace pour le lecteur : Le texte de 1972 était reproduit dans sa forme originale, mais précédé d'un copieux avant-propos de 30 pages et suivi d'une notice bibliographique, copieuse, elle aussi, permettant de faire le point sur les nouveautés historiographiques. Tout était donc clair, on savait ce qui datait de 1972, et l'auteur pouvait expliquer comment il avait évolué depuis et quel regard il portait 25 ans plus tard sur son travail de jeune historien.

De la réédition de 2015 de Vichy et les Juifs, on ne sait pas trop s'il s'agit d'un ouvrage de 2015 ou de 1981. Il faut avoir les deux éditions sous la main pour comprendre qu'en gros, jusqu'à la conclusion, les différents chapitres ont été très peu modifiés, mais que l'essentiel de la mise à jour a porté sur la conclusion et sur le chapitre « Le tournant de l'été 1942 » qui a subi de sérieuses modifications

Pourquoi donc cette réédition ? Il est à peu près clair que l'éditeur et les auteurs ont voulu profiter de l'effet Zemmour pour revenir en vogue. Une bonne partie de la critique étant convaincue d'avance que Zemmour n'est qu'une graine de facho et que par conséquent Paxton mis en cause par Zemmour, est l'ennemi de mon ennemi, donc un ami, et qui plus est l'autorité scientifique de référence. La critique n'a donc pas lu la réédition, mais elle a bien pris cette réédition comme une réponse à Zemmour « Paxton enfonce le clou » titre Annette Levy-Willard sur son blog de Libé. Et personne n'a rappelé à cette occasion que Zemmour n'avait fait que recopier, en le citant explicitement, l'historien Alain Michel qui s'en était pris de façon vigoureuse à Paxton et Klarsfeld.

1Michèle Cointet, Nouvelle histoire de Vichy, Fayard, 2011, p.550 . Le deuxième tome de Vichy-Auschwitz est sorti en 1985.

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Vichy et les Juifs, 1981, vu par Alain Michel

Après avoir pointé l'aspect strictement réquisitorial des appréciations de Paxton dans la France de Vichy, Alain Michel en vient au Marrus et Paxton de 1981 :

Alain Michel, Vichy et la Shoah, 2012, p.90

« Ce constat de la négativité absolue de Vichy est repris et amplifié dans le livre […] Vichy et les Juifs. Il s'agit bien entendu d'un livre majeur, qui a contribué à mettre sous les feux de l'histoire le rôle actif joué pendant toute la période par Vichy dans le domaine de la politique antisémite. S'il y a un rôle actif, il ne peut être que négatif aux yeux des des deux historiens nord-américains. Le livre part en effet d'un présupposé systématique concernant Vichy […] Vichy n'a pas pu, n'a pas su, et n'a pas voulu agir pour protéger les juifs. Bien plus encore : en contribuant aux arrestations en vue des déportations, Vichy a amplifié les résultats de la Solution finale en France, qui auraient été moindres si les nazis avaient dû agir par eux-mêmes […] Vichy et les Juifs, répétons-le, est un livre extrêmement important. Cependant, comme La France de Vichy, il souffre d'être tout entier consacré à la démonstration d'un a priori qui nous semble contestable, à savoir la négativité absolue du régime de Vichy. »


Pour illustrer son propos, Alain Michel prenait comme exemple un passage de la conclusion de Vichy et les Juifs :


Marrus et Paxton, Vichy et les Juifs, 1981, p.331-332, cité par Alain Michel, 2012 p.92

« Lorsque commença la mise en œuvre de la « Solution finale », le régime de Vichy offrit volontairement de traquer et de livrer aux Allemands les juifs étrangers de la zone non occupée. Une telle démarche n'a pas beaucoup d'équivalents. un seul autre régime européena livré des Juifs aux Allemands, hors de la région occupée militairement par eux. ; il s'agit de la Bulgarie qui a déporté systématiquement les Juifs de Macédoine et de Thrace, pays récemment conquis, tout en refusant de déporter les Juifs du territoire de l'ancien royaume.

Ces exemples rappellent à quel point la distinction entre Juifs nationaux et juifs étrangers était essentielle dans la détermination de la politique antijuive des États alliés ou occupés. Là où les Juifs réfugiés étaient en nombre, les gouvernements étaient plus que désireux de se débarrasser d'eux »


Alain Michel conteste d'abord l'emploi de l'expression « offrit volontairement » alors qu'à son sens, la déportation des Juifs étrangers de la zone non occupée s'inscrit dans une négociation dans laquelle Vichy a imposé de son côté la non-déportation des Juifs français. Il constate ensuite la contradiction pour Marrus et Paxton à souligner d'un côté (à juste titre) que la discrimination entre Juifs nationaux et juifs étrangers est essentielle pour comprendre la politique antijuive bulgare et à gommer cette discrimination dans le cas français.


Alain Michel, 2012, p.92

« En refusant de se poser la question, poursuit-il, on se réfugie dans le mépris pour tenter de démontrer l'inanité des affirmations selon lesquelles Vichy aurait sauvé une partie des Juifs français. »



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Suggérer Zemmour, ignorer Alain Michel

Dans les trois pages de la préface de cette édition de 2015, les auteurs font allégeance à Klarsfeld en reconnaissant « des actions importantes de sauvetage » sous-entendu accomplies par la population française et dont il n'est guère question dans le reste du livre, pas plus dans la nouvelle édition que dans l'ancienne, mais, affirment-ils «... le bilan final est plus lourd qu'il ne l'aurait été sans la participation de l'administration et de certains citoyens français. », belle incantation paxtonienne !

Les auteurs poursuivent « Nous nous élevons contre l'idée qui se répand actuellement que Vichy a essayé d'épargner les juifs anciennement établis en France. » On ne sait pas trop qui est visé. La majorité des lecteurs penseront à Zemmour. Le nom d'Alain Michel n'est cité qu'en conclusion, au hasard d'une note de bas de page qui relève de la falsification pure et simple :


Édition 1981, Conclusion, p.315

« Quant à la théorie du « bouclier », qui consistait à envoyer certains Juifs à une mort certaine afin d'en sauver un grand nombre d'autres, elle suppose une connaissance beaucoup plus claire des intentions à long terme des Allemands que ne l'indiquent les témoignages contemporains »

« Il ne fait pas de doute que Vichy ait espéré sauver certains Juifs français de ce que pouvait signifier le « travail » à l'Est. »

Édition 2015, Conclusion, p.484,

« Il reste la théorie du « bouclier » qui prétend que Vichy a essayé, dés le début de sauver les Juifs français aux frais des Juifs de nationalité étrangère (Note de bas de page : Telle est l'hypothèse d'Alain Michel, Vichy et la Shoah, 2012).

Compte-tenu des mesures prises par par le régime de Vichy entre juillet 1940 et la fin de 1941 [Exclusions, expropriations], cette hypothèse tient difficilement debout. »


Cette note de bas de page est mensongère : certes Alain Michel, comme Hilberg, Kupfermann, Asher Cohen et tant d'autres, a bien soutenu qu'il y avait eu un marchandage ayant abouti à la livraison de Juifs étrangers et de leurs enfants et à la protection relative des Juifs français, mais il n'a jamais soutenu que par cette protection des Juifs français aurait commencé « dés le début », c'est-à-dire avant même que les Allemands n'aient le projet de déportations massives.

Dans l'édition 1981, les auteurs faisaient peuve d'un certain sens de la nuance en reconnaissant que « Il ne fait pas de doute que Vichy ait espéré sauver certains Juifs français de ce que pouvait signifier le « travail » à l'Est. » mais dans l'édition 2015, cette phrase a été supprimée.

En décortiquant les deux éditions, celle de 1981 et celle de 2015, c'est à dire en relevant les suppressions et les nouveautés, je tente de montrer que l'historien Paxton s'aligne tant ben que mal sur les positions de Hilberg-Michel tandis que le doctrinaire Paxton bétonne : Vichy n'a sauvé personne, le marchandage Juifs Français/Juifs étrangers n'a pas eu lieu.

Le principal emprunt à Alain Michel (Vichy et la Shoah, 2012, p.343-348 ) se trouve à la page 513 de la nouvelle édition

Marrus et Paxton, édition 2015, p.513

« L'existence d'une zone « libre » aurait dû servir de recours pour les Juifs de France, autant citoyens qu'étrangers. Elle n'a joué ce rôle que partiellement, et pas du tout pour les malheureux de la zone sud livrés par Vichy aux Allemands en été 1942. Les Juifs de la zone non occupée, autant citoyens qu'étrangers, ont subi un régime de discrimination et d'appauvrissement unique parmi les pays occupés de l'Europe occidentale. Et cela à un moment où les Allemands ne pensaient pas encore faire de la France un pays  « judenrein » comme l'Allemagne. Quand la Solution finale fut étendue à la zone dite « libre » en novembre 1942, les Juifs y habitant avaient été rendus beaucoup plus vulnérables par les restrictions et les spoliations adoptées spontanément par le régime de Vichy. Il est vrai que la tolérance de Vichy pour les organisations de secours comme l'Organisation de secours aux enfants OSE, la HICEM, ou les Quakers dans la zone non occupée a aidé à la survie des Juifs traqués après juin 1942 »


Ce paragraphe était absent de la première édition. Curieusement, il est bourré de coquilles que je n'ai pas reproduites ci-dessus : « … les organisations de secours comme le Organisation de secours avec enfants OSE ... »

Ce n'est pas un hasard si Alain Michel a été le premier à faire le lien entre les actions de sauvetage des organisations juives et le régime de Vichy qui avait permis à ces organisations d'exister. Il s'en est très bien expliqué : les éléments d'informations qu'il avait glanés sur ces organisations tout au long de son travail de thèse sur les éclaireurs juifs étaient incompatibles avec la vision dominante, ce qu'il appelle la doxa klarsfeldo-paxtonienne qui postule que l'existence du régime de Vichy avait systématiquement empiré le sort des Juifs.

Si l'historien Paxton emprunte à son contradicteur, le doctrinaire Paxton bétonne à la dernière page de la conclusion :

Édition 1981, Conclusion, p.338

« On peut se demander comment, dans ces conditions les trois quarts des Juifs de France ont pu échapper à la mort ... »


« les Juifs français bénéficièrent parfois de la préférence du gouvernement de Vichy pour le départ des étrangers. »

Édition 2015, Conclusion, p.513

« En fin de compte, le régime de Vichy a alourdi le bilan au lieu de se demander comment tant de juifs ont survécu en France, il faudrait se demander pourquoi tant ont péri, étant donné le potentiel qu'avait le pays pour aider ou cacher ses victimes. La perte de 25 % des Juifs de France n'est pas un bilan dont on peut se vanter. »

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Il y a bien eu marchandage Juifs français/Juifs étrangers en 1942.

La série des contacts ayant eu lieu dans la période juin-juillet 1942 est bien un marchandage politico-diplomatique à l'issue duquel un accord a été trouvé : La police française agit de façon autonome pour le maintien de l'ordre en zone occupée, les autorités allemandes s'interdisant d'intervenir aux niveaux subalternes. Dans ce cadre, elle prend en charge l'arrestation des Juifs étrangers, elle les remet aux Allemands afin qu'ils puissent mener à bien leur projet de déportation « vers l'Est ». Les Juifs français ne sont pas touchés par ces déportations.

Je montrerai comment on trouve tous les éléments de ce marchandage dans Paxton historien, mais l'idéologue Paxton était dans le déni en 1981, il reste dans le déni en 2014 et 2015

Le déni

Article du Monde, Paxton, 18/10/2014

« Pierre Laval, le chef du gouvernement, n’obtint qu’un report de l’arrestation des Juifs français. Les Allemands acceptèrent de déporter en priorité les Juifs étrangers, pourvu que la police française assure un nombre suffisant pour remplir les trains. Ils dirent toujours très clairement à Laval qu’ils finiraient par s’occuper des Juifs français aussi. Il n’y eut jamais aucun accord, ni écrit ni oral, sur cette question. »

Alain Michel lui-même a très rigoureusement réfuté ce paragraphe dans la deuxième édition de Vichy et la Shoah (éditions Elkana, 2015). Cette réfutation est en ligne sur le blog des éditions Elkana . Il n'y a donc pas lieu de la reproduire ici, mais remarquons que le déni existait déjà dans l'édition de 1981

Marrus Paxton, édition 1981, p.219 ou Édition 2015, p.337

« Laval a peut-être cru qu'en renvoyant à plus tard la déportation des Juifs de nationalité française il avait obtenu une concession réelle. Mais il n'a jamais obtenu aucun semblant d'accord des autorités allemandes concernant ce que l'on considère généralement comme le point fondamental de sa réponse à la Solution finale : sauver les Juifs français en livrant les Juifs apatrides et les étrangers. »


Dans l'édition 2015, les auteurs resserrent les boulons en introduisant à la suite un nouveau paragraphe :

Marrus Paxton, édition 2015, p.337

«  Les défenseurs de Vichy ont toujours porté cet acte à son crédit. Mais Laval n'a rien obtenu de plus que les pays totalement occupés. En Belgique, où aucun gouvernement autochtone n'existait pour intervenir, les Allemands ont décidé de prendre d'abord les Juifs étrangers afin de ménager l'opinion publique (ref Steinberg, 1993). Même dans les pays à l'est de l'Europe occupés par l'Allemagne ou alliés avec elle, les gouvernements ont essayé d'empêcher la déportation de leurs propres concitoyens. Ce fut une question d'honneur national plutôt qu'une question morale. En fin de compte, Laval n'a obtenu qu'un sursis. Et finalement, la police allemande prit tous les Juifs qu'elle pouvait dénicher sans distinction de nationalité. »

Les propos sur la Belgique sont globalement erronés. S'il est vrai qu'en Belgique les Allemands ont commencé par arrêter les Juifs étrangers, en septembre 1942, très vite, assistés des polices locales, en Belgique ou dans les départements français rattachés à la MBB de Bruxelles, ils ont arrêté des Juifs de nationalité belges, par ailleurs beaucoup moins nombreux que les juifs étrangers.

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L'aveu

On ne peut accuser Paxton et Marrus d'avoir dissimulé le marchandage qui s'est instauré entre Laval et ses interlocuteurs allemands. L'édition de 1981 ne connaissait pas les accords Oberg-Bousquet, ils sont très opportunément introduits dans l'édition de 2015 (337-341). Dans Pour suivreIl suffit de mettre un peu d'ordre dans la confusion avec laquelle sont décrits les événements de l'année 1942.


p. 333 de la nouvelle édition, dans un paragraphe qui n'existait pas pour la première édition, on trouve ces annotations d'un compte-rendu du Conseil des ministres du 26 juin 1942.

« En ce qui concerne la décision des autorités allemandes de faire arrêter par la police française des milliers de Juifs dans la région parisienne (40 % de Français), Laval répondit : « Je donnerai moi-même une réponse. Elle sera négative. »

p.368

« Laval avait donné son accord, le 4 juillet 1942, à la déportation des Juifs étrangers des deux zones. A vrai dire, le chef de la police Bousquet, avait offert spontanément d'inclure dans les déportations les Juifs étrangers de la zone non occupée. »

p.374

« L'administration française fit de son mieux pour remplir les contingents prévus sans avoir recors à des dénaturalisation »

p.375

« En septembre, le contingent assigné par les nazis avait été très exactement atteint : 13 convois. Mais soudain les transports furent suspendus … Pourquoi cette pause ? »

p.376

« Début septembre, apparemment excédé par les pressions constantes de Röthke pour que les contingents fussent atteints, conscient de l'opposition ouverte d'une partie de la hiérarchie catholique […] Laval mit les freins […] Il parla à Oberg [...] lors d'un dîner donné à Paris le 2 décembre […] il dit qu'il ne pouvait pas livrer les Juif « comme dans un prisunic, où l'on peut prendre autant de produits que l'on veut toujours au même prix » […] Knochen dut informer Eichman que « vu la position de Pétain », on n'arrêterait pas les juifs de nationalité française « pour l'instant », et qu'ils ne pouvaient pas « évacuer des contingents élevés de juifs «  pour le moment. »

p.378-379

« Au milieu du mois de septembre, Röthke, furieux, réagit à l'insuffisance du nombre de juifs déportables en menaçant d'arrêter tous les juifs qu'il pouvait, y compris des citoyens français […] Cette fois-ci il n'avait pas l'accord de ses supérieurs en France. Oberg semblaient avoir écouté Laval. »

On retrouve donc bel et bien l'épisode des marchandages de juin-juillet quarante, mais ceux-ci sont décrits avec une confusion extrême, qui dénote avec la façon dont le traite d'autres historiens :
Asher Cohen, Persécution et sauvetages, pp.258-266,  Fred Kupferman, Pierre Laval, pp.400-410 ou  Hilberg, (La destruction des Juifs d'Europe, 1176-1193 et 1210-1212 édition 2006)

Poursuivons

Marrus et Paxton, 2015

p.386

« Comment expliquer l'attitude de Vichy à l'égard de ces enfants ? […] Peut-être leur déportation aidait-elle Vichy à atteindre les contingents : alors que la pression se faisait plus forte pour trouver des « déportables », le régime a peut-être voulu éviter la déportation des Juifs français en déportant des milliers d'étrangers. »

p.454 (août 43)

« A mesure que les Allemands exerçaient une action policière de plus en plus directe dans la zone sud et arrêtaient de plus en plus de Juifs appartenant à des catégories qui avaient bénéficié d'une certaine protection – des citoyens français ... »

p.457

« C'est dans ce contexte de montée de la Résistance et du déclin de la fiabilité de la police française que les Allemands lancèrent pendant l'été de 1943, un nouveau projet visant à augmenter le nombre de déportés. Ils tournèrent désormais leurs regards vers un groupe de Juifs jusque là exemptés : les Français récemment naturalisés. Si l'on pouvait amener le gouvernement de Vichy à retirer à ces nouveaux venus leur nationalité française, de grandes rafles pourraient être à nouveau opérées. »

p.458

« La dénaturalisation des Juifs de France exigeait évidemment l'aide des Français. Laval lui-même avait confirmé, lors d'une conversation à dîner avec Oberg le 2 septembre 1942, ce qui semble avoir été un accord, selon lequel seraient livrés tous les Juifs qui avaient acqus la nationalité française depuis 1933. Mais les choses en étaient restées là. »

p.460

« Pour la première fois depuis les déportations en masse de Juifs de France, Laval avait dit non. »

p.463

« La dénaturalisation fut la seule question sur laquelle il traça une limite. Ce fut un refus important, et, à l'époque, on pouvait penser que ce refus allait sauver des milliers de Juifs français. »

p.466

« Vichy retira désormais la coopération de la police aux opérations menées contre les Juifs qui étaient citoyens français. Laval dit aux préfets régionaux réunis le 20 septembre qu'ils devaient protester contre les arrestations des Juifs mais ne pas intervenir en faveur des étrangers. »


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Liens

Alain Michel s'exprime en 2015 sur le site Dreuz

Les commentaires d'Alain Michel sur l'article de Paxton dans Le Monde





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