HISTOIRE DE LA CSF SOUS L'OCCUPATION, « l'enfance de Thales »

L'ondulateur Ultrarapid 


(Création  11 novembre 2012)

 

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L'auteur

Le cas de l'ondulateur Ultrarapid est un exemple de produit plutôt civil développé par la SFR pour faire face au blocus imposé par les Britanniques à l'Europe continentale allemande. La SFR s'efforça d'exporter le produit dans la région du monde touchée par le blocus, c'est-à-dire, en tout premier lieu, en Allemagne. Ces velléités ne furent guère couronnées de succés. Dans la pratique, la SFR produisit majoritairement du matériel de conception Telefunken à destination des armées allemandes, et secondairement du matériel de conception interne à destination des administrations françaises.

 



Comme l'appareil de production de la SFR est mis au service de son client allemand qui l'utilise de plus en plus comme un sous-traitant, pour fabriquer du matériel radio assez conventionnel conçu par Telefunken, le bureau de dessin et les laboratoires de la société se retrouvent disponibles et sont investis dans des projets ciblant, en gros, les administrations françaises civiles et quelques études fondamentales. Le projet de radar de tir dirigé par Gutton n'absorbe que de très modestes ressources. D'autres projets moins avancés techniquement, ciblés vers les applications militaires françaises de l'armée de Vichy ont été développées en zone libre, à l'usine de Lyon. A la fin de 1940 et en 1941, il apparaissait que si la société voulait rester, comme avant-guerre, à la pointe de la technique, mais dans un contexte où les ambitieux projets militaires lui étaient interdits, la seule voie possible pour préserver un quelconque avenir était de se replonger dans des projets civils en ignorant les grondements d'une guerre mondiale dans laquelle la France ne jouait plus aucun rôle majeur.

Les services études de la SFR  s'investirent ainsi dans des projets conjoncturels surgis du fait de l'autarcie que devait assumer l'Europe continentale aux mains des Allemands. Les ondulateurs étaient des appareils qui enregistraient sur une bande de papier les signaux électriques codés en morse qui véhiculaient tout le trafic radiotélégraphique. L'appareil faisait aussi l'opération inverse, pour l'émission. Les bandes de papier étaient ensuite déroulés sur la machine à écrire d'un opérateur qui dactylographiait les messages morses qu'il voyait défiler sous ses yeux. Ces appareils qui préfiguraient les futurs téléscripteurs remplaçaient avantageusement dans les centres postaux les émissions manuelles et les réceptions à l'oreille qui se pratiquaient encore sur le champ de bataille ou pour les émissions clandestines. Une société anglaise, CREED avait le quasi monopole de ces appareils et le blocus anglais en empêchait l'approvisionnement sur le continent depuis l'invasion de la France en juin quarante1.

La SFR décida donc de s'attaquer au problème de l'ondulateur et confia à un ingénieur du nom de Chauveau l'étude d'un appareil susceptible de satisfaire les besoins des PTT et de Radio-France. Cet appareil fut dessiné dans le bureaux d'étude de la SFR à la fin de l'année 1940 et un prototype fut fabriqué assez rapidement pour être présenté à la foire commerciale de Lyon en septembre 1941. D'après une communication faite à la société française des électriciens en décembre 1941, la vitesse de l'ondulateur pouvait atteindre 400 mots à la minute, performance tout à fait honorable.

Plan Ultrarapid Brevet horodateur

Plan de l'ondulateur au bureau d'études, mars 1941

Brevet de l'horodateur incorporé à l'ondulateur2

Photo ondulateur Ultrarapid
L'ondulateur « Ultrarapid » de la SFR (Bulletin de la SFE, janvier 1942)

Le 11 juin 1941, la direction commerciale de la SFR informa le Büro parisien de l'existence de ce nouveau produit:

« Nous venons de terminer le développement d'un ondulateur à très grande vitesse d'enregistrement (400 mots à la minute). Nous avons présentement un échantillon que nous tenons à votre disposition, soit pour que vous le présentiez aux autorités allemandes à Paris, soit que vous l'adressiez à Berlin pour essais. »3

Trois jours plus tard, les Allemands répondaient par courrier que dès qu'ils les recevraient, ils feraient suivre les prototypes aux services compétents de Berlin, mais trois mois plus tard, à la fin du mois de septembre, croyant que Telefunken n'avait donné aucun retour sur cette affaire, la direction commerciale prit prétexte du fait que des notices avaient été rédigées pour relancer le büro parisien4. Herr Zabus transféra les notices à Berlin, mais fit remarquer que le prototype de l'ondulateur reçu à Berlin ne marchait pas, car son stylet était avarié et le nouveau stylet expédié à Berlin au cours du mois d'août s'était avéré d'un diamètre intérieur trop grand, et que par conséquent l'encre coulait. Ce n'était pas tout, l'une des bobines de commandes du stylet était cassée. Des contacts directs avaient été pris avec Chauveau, l'ingénieur responsable de l'étude, qui n'avait pas hésité à passer voir le jour même Herr Zabus pour lui dire que c'était normal, que le diamètre du stylet était trop grand, parce qu'il n'y avait pas en stock de stylets disponibles identiques à celui du prototype, et d'ailleurs que c'était la même chose pour la bobine de commande. Mais Chauveau donne des conseils pratiques pour réparer la bobine et réparer la fuite d'encre: « On doit pouvoir diminuer l'écoulement d'encre en cherchant le meilleur réglage [...] cette molette pouvant se déplacer.... Pour la bobine, refaire le bobinage avec du fil de cuivre rouge émaillé de 5/100e.. ». Chauveau rappelle ensuite Zabus par téléphone pour préciser certains détails: Le diamètre intérieur du stylet est celui utilisé dans les appareils Creed et le nombre de spires de la bobine est d'environ1500 spires.

Herr Zabus qui commence à être un peu agacé par ces Français qui travaillent comme des cochons fait remarquer un peu fielleusement au service commercial « Nous sommes très étonnés que lors de sa visite, Monsieur Chauveau nous ait dit qu'il n'y avait pas de pièce de rechange disponible, l'appareil expédié à Berlin étant un prototype, il n'y avait pas d'autre modèle de ce genre à la SFR. Par la suite, nous avons appris que quelque temps après, la SFR a expédié à Lyon un appareil de ce genre en état de marche.... Salutations distinguées»

La SFR avait effectivement exposé à la foire internationale de Lyon de septembre un autre prototype de l'ondulateur, qui avait été remarqué par Herr Hauptmann (capitaine) Wutzler, descendu des services de l'hôtel Majectic (Wehrwirschafts und Rüstungsstab) à Paris pour faire ses emplettes dans la capitale des Gaules. Les services de l'hôtel Majestic avaient fait part de leur intérêt à Telefunken. Du coup, l'affaire quitte les mains de Herr Zabus pour remonter au niveau de Voigt et Schultz qui demandent aux services commerciaux de la SFR une nouvelle description et un devis pour respectivement 20, 100 et 500 exemplaires. La SFR envoie le devis le 24 novembre avec une liste de matières premières destinée au capitaine Wutzler.

Cette affaire d'ondulateur nous est connue par sa correspondance consignée dans le dossier de l'instruction menée après la guerre contre la SFR. C'est une pièce à charge, car elle tend à montrer que la SFR est allée au-devant des demandes allemandes. Nous n'en tirerons aucune conclusion hâtive et complètement inutile puisque de toute évidence, en 1941, la SFR n'a qu'à se baisser pour ramasser autant de commandes qu'elle veut. Dans cette affaire, au sein d'une SFR repartie dans une spirale ascendante, on trouve un service commercial qui joue tous les coups, selon les préceptes du métier, un ingénieur de base qui semble zélé pour assurer à son bébé un avenir commercial, une organisation certes quelque peu « bordélique » mais qui n'a rien à voir, semble-t-il avec un quelconque sabotage organisé. Dans le paysage de la SFR, ce nouveau produit, civil, de fraiche conception, semble être une exception si l'on se réfère à l'ensemble des publications de la SFR au cours des années d'occupation (Annexe 5) ou au tableau des autorisations allemandes (Annexe 3)


1 M.L. Chauveau, L'ondulateur SFR « ULTRARAPID », bulletin de la société française des électriciens, 6eme série, Tome II, janvier 1942, p.9-12.

2 Plan n°519, décembre 1940, archives du bureau de dessin de la SFR (CAMT Roubaix, 130J380)

3 Lettre à Telefunken, du 6 juin 1941 Annexe A38 au rapport DGER, 10 février 1945 , Instruction Girardeau (AN Z/6 NL/9910-A)

4 Annexe 39 au dossier DGER, 10 février 1945 , Instruction Girardeau (AN Z/6 NL/9910-A)