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Les Catholiques sous l'occupation

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La préface de Jacques Duquesne

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Avertissement (Emmanuel de Chambost, Avril 2003)

    J'ai été époustouflé par le livre de Jacques Duquesne Les Catholiques sous l'occupation, dont je ne connais que la 2eme édition (Grasset, 1986). J'ai trouvé que ce livre révélait, mieux qu'aucun autre les proximités idéologiques d'hommes qui se sont pourtant engagés dans des voix opposées. Tout simplement, sans doute, parce que tous avaient en commun de vivre à la même époque, et surtout d'avoir vécu le même drame.

    Pour donner envie de lire l'ouvrage, je reproduis ici la préface que Jacques Duquesne a rédigé pour l'édition de 1986

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La préface de Jacques Duquesne

La première édition de ce livre parut en 1966... Tout au long de ces vingt ans, de nouveaux témoignages ont été publiés, des archives mises à jour et des historiens professionnels ont poursuivi leurs recherches et leurs analyses... Paxton... Amouroux ... Noguères ... Latreille... Bien entendu, j'ai tenu compte de tous ces travaux...

Mais relisant cette histoire des catholiques français sous l'occupation, j'ai été frappé, bien davantage que je ne l'avais été il y a vingt ans, par ce qu'elle a d'étrange. Et c'est sur ce point que je voudrais insister, c'est ce qui justifie, plus que les explications et précisions qui précèdent, à la fois cette réédition et cette nouvelle préface.

Je m'explique, on est toujours tenté d'aborder l'histoire de cette époque en justicier ou en examinateur, de ranger d'un coté ceux qui ont vu clair et se sont bien comportés, et de l'autre ceux qui ont été aveuglés par la passion, la sottise, l'inexpérience, la naïveté, la vénération envers tel ou tel personnage d'exception, ou qui se sont révélés tout simplement lâches ou couards. Je ne soutiens pas qu'il soit anormal d'opérer de telles classifications, l'histoire juge, comme on dit. Et, le temps passant, l'attitude et les déclarations de nombreux responsables de l'Eglise surprennent plus encore aujourd'hui qu'hier. Même s'il faut les replacer dans leur contexte, préciser qu'on pouvait alors vénérer Pétain et haïr le nazisme, apprécier la politique intérieure de Vichy et détester sa politique extérieure, c'est-à-dire, la Collaboration, réelle ou prétendue telle. Même s'il faut ajouter, comme on l'a beaucoup fait (et parfois trop, au grès de l'historien) que s'ils le pouvaient, la plupart des Français se cantonnaient, ces quatre années dans une peureuse et prudente expectative.

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Tout cela est vrai. Mais la plupart des évêques et des prêtres se voulaient alors des guides, hors du commun, et se prévalaient de leur autorité sans nuance. Or, certains, surtout parmi les plus élevés dans la hiérarchie, se compromirent avec un régime politique, celui de Vichy, comme ils ne l'avaient plus fait depuis la Restauration, et distribuèrent les blâmes aux chrétiens qui ne partageaient pas leur orientation politique ou leur interprétation du devoir civique, allant jusqu'à les accuser de pêcher. A l'égard de lois et de règlements qui violaient les droits de l'homme, ils n'émirent pas, à la différence de la plupart des épiscopats européens, de sérieuses et nombreuses protestations. Heureusement, les cœurs, comme je l'écris dans ce livre à propos des persécutions antisémites, étaient plus chrétiens que les esprits: autrement dit, ceux qui s'abstenaient de protester contre les lois, et jugeaient parfois normal que le gouvernement de Vichy s'attaque au "problème juif", les mêmes, donc, se préoccupaient de sauver les hommes, les femmes et les enfants que poursuivaient pour les déporter les polices françaises et allemandes.

Mais, je le répète, à la relecture de cette histoire, ce ne sont pas seulement ce cruel rappel des manquements ni, en sens contraire, l'inventaire du discernement et des héroïsmes sui m'ont le plus frappé. J'ai employé tout à l'heure un qualificatif: "étrange". Et j'y viens. Oui, voici l'étrange: Ces évêques qui se font photographier à Vichy entre Pétain et Laval, qui se retrouvent encore, en 1944 autour du cercueil de Philippe Henriot, propagandiste de la Collaboration, mais s'abstiennent d'assister aux funérailles du jeune résistant jéciste Gilbert Dru, qui ne veulent pas donner des aumôniers aux maquis mais admettent presque toujours le STO, ces évêques-là ont l'audace de lancer les premiers prêtres-ouvriers et la Mission de France, décident qu'il faut réformer le vieux catéchisme national, et mettent en train la réforme liturgique. Alors que la contre-révolution catholique semble l'emporter à Vichy, c'est en réalité le "virage à gauche" de l'appareil de l'Eglise[1] qui se prépare. Et ces mêmes évêques qui bénissent et encensent Vichy commencent à prendre ce virage. Ou plutôt - Il faudrait en une telle matière nuancer chaque mot - à le faire prendre par leurs prêtres, et leurs successeurs.

Etaient-ils donc, en se montrant à la fois, et au sens propre, réactionnaires et révolutionnaires, doublement inconscients ? On ne peut se satisfaire d'une telle réponse, que leurs noms - Suhard, Gerlier, Liénard, parmi d'autres - suffisent à démentir, même si nombre de leurs faiblesses de jugement apparaissent dans ces pages de façons évidente. Mais ils n'étaient pas inconscients, il nous faut tenter de comprendre. Et pour comprendre, replacer ces quatre années dans une plus longue histoire.

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L'Eglise de France, depuis deux siècles, était nostalgique. Nostalgique du temps où elle se confondait avec la société française. Nulle part ailleurs qu'en France, la rupture a été si brutale. Comme l'écrit Emile Poulat, l'un des meilleurs analystes du catholicisme français[2]: " La situation française de laïcité doit être prise très au sérieux: elle fait de la France en Europe, sur le plan religieux, un pays à part, de pointe, si on veut, mais sûrement d'exception. Le prêtre français rêve de la masse parce qu'il mesure la distance qui l'en sépare: le prêtre italien, belge ou allemand, lui, peut sans complexe s'appuyer sur cette masse."

Pour combler cette distance, pour reconquérir cette masse, l'Eglise de France a, depuis deux siècles, fait fond sur trois stratégies:

-         la stratégie de "chrétienté": grâce à de bonnes lois, et avec l'aide d'un pouvoir redevenu chrétien, l'Eglise pourra enfin, pense-t-on, rechristianiser la société. Elle a cru ce temps revenu sous la Restauration, un peu moins sous le Second Empire, et beaucoup plus, à l'époque de Vichy, les déclarations d'hommes comme le cardinal Suhard en témoignent;

-         la stratégie des "institutions chrétiennes": Il s'agit de rechristianiser la société grâce au rayonnement des institutions catholiques - écoles, patronages, organisations charitables, etc. - tout comme, sous les Mérovingiens et au Moyen-Age, le rayonnement des monastères contribuait à christianiser les campagnes. Cette stratégie des institutions chrétiennes fut notamment utilisée dans les débuts de la IIIe République.

-         la stratégie de la "conquête": L'Eglise, alors, fait appel au militantisme de ses fidèles (l'Action Catholique) ou de ses clercs (les prêtres ouvriers, et ainsi de suite) priés de se mêler au monde, comme jadis les apôtres parmi les pêcheurs et les dockers de la Méditerranée.

 

Sous l'occupation, l'Eglise va utiliser les trois stratégies à la fois. Elle demande à Vichy de faire de bonnes lois et - avec quelle insistance! - de financer ses écoles et ses organisations de jeunesse, elle fait aussi de quelques-uns de ses prêtres des clandestins pour évangéliser les travailleurs français en Allemagne. Elle le fait avec une rare ardeur, parce que depuis la Première Guerre Mondiale, depuis qu'il a partagé la vie du peuple dans les tranchées, le clergé français a découvert l'étendue et la profondeur de la déchristianisation. 1914-18 fut le grand choc, et 1940-44 s'explique par ce grand choc. Les cardinaux et les évêques de 1940 sont d'anciens poilus de 1914, affolés, obsédés par la déchristianisation.

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Mais ce sont aussi des isolés, des hommes enfermés dans un mode de vie désuet, des règles hiérarchiques d'un autre âge, des palis épiscopaux parfois délabrés et presque toujours coupés du monde. Alors, on va le voir dans les pages qui suivent, il ne comprennent guère les évolutions - complexes, il est vrai, et rapides - de l'opinion.

Un épisode étonnant en témoigne. La date: le 26 août 1944, le jour où Paris fête sa libération toute neuve. Le lieu: l'archevêché de Paris, rue Barbet-de-Jouy, où le cardinal Suhard est enfermé; les résistants (les résistants catholiques au premier rang) lui ont interdit d'aller accueillir De Gaulle à Notre-Dame. Arrive un jeune prêtre, André Depierre, futur prêtre ouvrier.

Le cardinal: "Expliquez-moi ce qui se passe, ce que représente la Libération pour le monde ouvrier des banlieues au milieu desquelles vous vivez. Leur joie du départ des Allemands, je la partage tout à fait. Mais le reste ? Le maréchal Pétain est prisonnier. Il n'y avait plus de gouvernement en France. Le général de Gaulle assure et forme un nouveau gouvernement. Son gouvernement remplace l'ancien."

Ainsi, alors que - fait extraordinaire - des catholiques viennent de lui interdire de se rendre dans sa propre cathédrale, ce qui devrait ouvrir les yeux de ce grand prélat sur le formidable ébranlement qui accompagne la Libération, celui-ci se réduit, pour lui, au remplacement d'un gouvernement par un autre. Alors, le jeune prêtre explique : "ce n'est pas un changement de gouvernement, c'est une révolution!" Et comme il s'étend, ensuite, sur "l'espérance de plus de justice et de dignité" qui anime le peuple, le cardinal finit par répondre: "je n'avais pas compris cela... Si c'est une révolution, bien des choses vont changer... Il faut aussi annoncer l'Evangile à une révolution: Qu'est-ce que nous allons faire ?"

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Une scène poignante par ce qu'elle manifeste d'incompréhension de ce qui vient se passer la veille, d'ardeur missionnaire et de volonté d'adaptation, mais aussi peut-être d'incompréhension de ce qui va se passer le lendemain.

Ne vont-ils pas, bientôt, ces prélats, adopter une image mythique ou dépassée de la classe ouvrière, plus fidèle à la réalité des années trente ou du temps de Zola qu'à celle des années d'expansion qui vont bientôt commencer ? Ils multiplieront, en tous cas les déclarations révolutionnaires dont le ton surprend aujourd'hui: "Nous allons délivrer la classe ouvrière de l'esclavage capitaliste" dira Mgr Théas. Mgr Saliège: "La plaie du prolétariat doit disparaître. Il faut qu'elle disparaisse. Cette plaie est due au régime capitaliste libéral." Et le père Dillard, jésuite dont les sermons étaient très courus à Vichy: "Nous vivons en capitalistes, malgré nous, sans le savoir, nous pensons capitaliste. Je m'en suis aperçu pour ma part maintes et maintes fois. Combien de jugements ouvriers sur les évènements et sur les hommes sont au rebours des nôtres, souvent même choquants, dont on s'aperçoit, à la réflexion qu'ils sont plus pénétrés que les nôtres de sens chrétien." Autrement dit, capitalisme et christianisme ne sont guère compatibles[3]. Tous n'utilisent pas un vocabulaire aussi précis et aussi révolutionnaire, mais la plupart des prélats n'éprouvent aucune difficulté à se dresser contre le capitalisme libéral. Pour une raison bien simple: que celui-ci ait été l'adversaire de l'Eglise catholique et l'agent de la déchristianisation, c'est ce qu'on leur a toujours appris, et c'est pourquoi, un siècle plus tôt, le Syllabus a condamné le libéralisme.

En vérité, l'Eglise et le capitalisme, l'Eglise et la bourgeoisie, contrairement à ce qu'on a souvent dit et beaucoup pensé, ont rarement fait bon ménage. C'est parce qu'ils détestaient le capitalisme que tant de responsables catholiques se sont tournés avec passion vers Vichy qui leur promettaient une Révolution Nationale et un Ordre nouveau. Et c'est pour cette même raison que beaucoup prendront ensuite, sans trop de peine, des positions "de gauche". René Rémond l'a justement noté: "Somme toute, ce que les chrétiens auront le moins assimilé, ce sont les pratiques de la démocratie libérale; ce qu'ils auront le moins aimé, ce sont aussi les valeurs du libéralisme: l'acceptation du pluralisme, la reconnaissance de la relativité des choix, l'idée de s'en remettre à la règle de la majorité. Peut-être que passer de positions conservatrice à la critique socialiste de la société démocratique demandait une conversion moins radicale que le ralliement aux principes de la démocratie politique[4]." Il dit aussi: "Une bonne partie du catholicisme a comme enjambé l'expérience libérale et démocratique[5]."

Sans céder aux malfaisantes et stupides caricatures qui ont présenté, dans les années soixante-dix, l'ensemble du clergé français comme un bataillon de militants marxistes, ne trouve-t-on pas, dans l'histoire de ce qui se passa entre 1940 et 1944 une des explications, ou du moins un certain éclairage de ce qui s'est passé ensuite ?

Mais en vérité, ce n'est pas seulement l'évolution vers la gauche d'une partie de l'appareil catholique qui trouve dans cette histoire une part de ses origines et ses explications. C'est l'autonomie politique désormais acquise des laïcs et le ralliement définitif des catholiques à la République. C'est la crise de l'autorité dans l'Eglise qui annonce la rébellion future d'une partie des prêtres. C'est aussi la recherche passionnée et passionnante, tâtonnante aussi, de nouvelles stratégies de reconquêtes de la société.

Dans cette période riche en lâchetés et en héroïsme, en dramatique bêtises et en géniales intuitions, tout est réuni et concentré, tout est en germe, tout se bouscule comme dans un film soudain accéléré. Les illusions et les désillusions du lendemain. La crise de l'Eglise. Son progrès peut-être.

Jacques Duquesne, Pâques 1986

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Notes 

[1] Non de tous les catholiques, contrairement à ce qu'on a parfois dit et écrit: seulement de l'appareil.

[2] Une Eglise ébranlée, Casterman, 1980

[3] Le même père Dillard, le 1er février 1942, dans l'église Saint-Louis de Vichy, déclare, ce qui ne va pas sans risques: "La religion que Lénine a attaquée fut avant tout la religion des possédants, la religion des riches (...). C'est contre une forme de religion au service d'un système social que la Russie s'est révoltée."

[4] Conclusions du colloque "Politique et Foi", Strasbourg,

[5] Christianisme et Démocratie, Editions ouvrières.

 

 

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Autres ouvrages

LES CATHOLIQUES PENDANT LA GUERRE (1939-1945), Renée Bédarida, Hachette, 1998

La traversée de la Deuxième Guerre mondiale a-t-elle vécue différemment par les Français qui se reconnaissaient comme catholiques ? Peut-on, au-delà de la diversité des comportements, tracer une histoire commune pendant la guerre ?. Après un bref rappel des années trente, l'auteur décrit dans toute sa complexité l'évolution du monde catholique pendant l'occupation. Les catholiques, qui se sentait exclus politiquement sous la IIIème République deviennent personna grata à Vichy. Dans leur majorité, les autorités spirituelles font preuve d'un loyalisme et d'une docilité allant bien au-delà de l'obéissance aux lois de Vichy. De son côté le maréchal Pétain multiplie les gestes de bonne volonté envers une Eglise qui bénéficie d'un véritable regain d'adhésion, en ces temps troublés.Parmi les chrétiens, clercs, religieux ou laïcs, l'indifférence l'emporte largement sur l'indignation et, devant les mesures antisémites, le silence est de règle.C'est seulement à partir de 1942, que les prélats s'élèvent contre les persécutions nazies, mais ils ne condamnent pas pour autant Pétain. Rien n'est changé à l'allégeance au pouvoir établi. En revanche certains fidèles, syndicalistes, simples citoyens ou prêtres ont dit non très tôt au vainqueur et ont rejoint les rangs de la Résistance. Leur nombre s'est accru au fil des ans. Si bien qu'à la Libération, malgré ses graves compromissions, l'Eglise non seulement ne rencontre aucune difficulté pour retrouver sa place dans la société, mais bénéficie incontestablement du rôle et du sacrifice de tant de ses fils et filles dans la lutte contre l'Allemagne. 

LES CHRETIENS FRANCAIS ENTRE CRISE ET LIBERATION (1937 1947), Etienne Fouilloux, Le Seuil, 1997

Les compromissions de l'Eglise catholique au temps de la Seconde Guerre mondiale, les silences de Pie XI, le soutien apporté par les évêques français au régime de Vichy, ont provoqué une abondante littérature. L'entreprise d'Etienne Fouilloux est de replacer ces épisodes brûlants dans une plus longue séquence chronologique - de 1937 à 1947 -, pour mieux saisir l'évolution profonde du monde catholique dans ses aspects religieux, culturels et sociopolitiques. Vingt années de travaux et de recherche permettent à l'auteur de faire l'état d'une question dont l'actualité est sans cesse réactivée; d'éclairer des paradoxes; de resituer le cas français dans la comparaison avec la situation romaine et avec d'autres contextes confessionnels ou nationaux.

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