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Vichy et les juifs :

Zemmour/Klarsfeld/Paxton au(x) risque(s) de l’Histoire ?

(Jean-Marc Berlière, janvier-avril 2015, Télécharger le pdf)
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Site EdC, l'Affaire Paxton

Site EdC, Paxton après l'affaire Zemmour

[Ce texte de Jean-Marc Berlière a été publié le 5 janvier 2015 dans la lettre « Lettre aux amis de la police (et de la gendarmerie!) » que l'auteur, historien spécialiste de l'histoire des polices publie régulièrement et dont on trouve la collection pas forcément complète sur le site CriminoCorpus. Le texte de janvier a subi des modifications marginales en avril 2015]

Le débat passionnel qui agite le monde politico-médiatique depuis la publication par un polémiste d’un livre dans lequel il reprend — en 9 pages et sans déformation — les conclusions d’un historien israélien (Alain Michel, Vichy et la shoah, le paradoxe français, 20121), s’il reflète les enjeux idéologiques et politiques du moment – déclin français, roman national, xénophobie, montée du Front national… — démontre surtout un naufrage de l’histoire scientifique et un curieux penchant téléologique2 : il est toujours plus facile de commenter les faits et de dire ce qu’il fallait faire quand on connaît la fin.

L’histoire n’est pas une science exacte.

Elle est avant tout une éthique – la recherche obstinée de la vérité et des faits quels qu’ils soient et aussi différents qu’ils puissent être de l’histoire officielle et des légendes, fussent-elles véhiculées par des auteurs dont personne n’ose même relever approximations ou erreurs tant leur parole est sacralisée depuis des décennies au point de devenir l’histoire officielle.

L’Histoire est aussi une méthode qui consiste à rechercher, à exploiter — de façon scrupuleuse et critique — les archives contemporaines des faits tout en respectant ce temps essentiel de l’histoire qu’est le futur du passé pour éviter toute téléologie : en1940, on ignore évidemment ce qui se passera en 19423. Oublieuse de ces principes, fondée sur des affirmations manichéenne et sans nuance, l’histoire n’est qu’un instrument au service de causes politiques, mémorielles ou idéologiques.

À la lumière de ces deux principes, reprenons quelques aspects d’une question largement polluée par les idées reçues, le « prêt à penser », les imputations de « pétainisme », un manichéisme réducteur et simpliste qui représentent la négation de la pensée et du débat.


Quels sont les faits ?

En n’oubliant jamais que nous parlons d’êtres humains, de familles entières, femmes, enfants, vieillards compris, de drames que rien, jamais, n’effacera, les chiffres sont les suivants4 : sur une communauté estimée à 300-320 000 personnes en France au début de l’Occupation, environ 76 000 ont été déportées parce qu’elles étaient juives.5 De ces « déportés raciaux », entre 3% et 5% ont survécu au meurtre de masse perpétré dès leur arrivée dans les centres de mise à mort (essentiellement Auschwitz) puis, pour ceux qui avaient été « sélectionnés » pour le travail, aux mauvais traitements, à la faim, à l’épuisement, à la maladie, au sadisme des SS et kapos, enfin aux marches de la mort qui ont accompagné l’évacuation des camps. 76000 déportés cela représente environ 25% du total. Ce qui signifie donc que 75% des juifs de France — entre 230 000 et 250 000 personnes — ont échappé au génocide perpétré par les nazis. C’est cette proportion de 25% de victimes — qui contraste fort avec les autres pays vaincus comme la Belgique (40%) et les Pays-Bas (75%) qui constitue le « paradoxe français ».

Pourquoi « paradoxe » ?6

Parce que ce résultat concerne le seul pays vaincu par l’Allemagne ayant signé un armistice avec le vainqueur, un armistice qui eut pour conséquence de mettre l’administration française de la zone occupée – préfets, policiers, gendarmes — à la disposition des autorités d’occupation dont les ordonnances avaient force de loi (art.3 de la convention d’armistice). Qu’il s’agisse du recensement imposé aux juifs en octobre 1940, du port obligatoire de l’étoile jaune (8e ordonnance, 29 mai 1942), de l’arrestation et de la livraison aux autorités allemandes — aux fins de déportation — de dizaines de milliers de Juifs à la suite de ce que l’on appelle improprement des « rafles », notamment celles de juillet 1942 : à chaque fois ce sont donc les Français (bureaucrates de préfectures, policiers, gendarmes) qui ont préparé et accompli la « sale besogne » en lieu et place d’Allemands insuffisamment nombreux, ne parlant pas la langue, ne connaissant pas le pays…

Le paradoxe tient également au fait qu’à la faveur du désastre militaire, « l’État français » qui succède à la république vaincue, est un régime autoritaire, anti-démocratique, porteur d’un projet idéologique – la « Révolution nationale » – fondé sur l’exclusion et la répression de « l’antifrance » — notamment les Juifs et les étrangers—, un régime qui partage un certain nombre de « valeurs » avec le vainqueur dont le mépris des droits de l’homme, l’antisémitisme et la xénophobie. Ces « valeurs » expliquent les mesures prises contre les juifs en toute autonomie par le gouvernement de Vichy : dénaturalisations (qui ne visent pas les seuls juifs) ; interdictions professionnelles ; décrets « portant statut des Juifs » du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941 les excluant de la fonction publique et d’un grand nombre de secteurs économiques ; abolition (8 octobre 1940) du décret Crémieux qui accordait la pleine citoyenneté française aux juifs d’Algérie. Mesures auxquelles il faut ajouter l’internement — qui s’inscrit dans la prolongation des mesures xénophobes déjà adoptées par le gouvernement Daladier avant-guerre — de milliers de juifs étrangers, notamment ceux qui avaient fui l’Allemagne nazie ou que les Allemands avaient expulsés. Mesures auxquelles il faut encore ajouter : la création d’un « Commissariat Général aux Question Juive » (29 mars 1941) et celle, subséquentes, d’une « Police aux Questions Juives » (PQJ, octobre 1941, non publiée au Journal Officiel) ; une spoliation systématique, sous prétexte d’aryanisation, à partir de juillet 1941 quand le gouvernement de Vichy a repris à son compte une mesure imposée par la 2e ordonnance allemande du 16 octobre 1940, etc…

Il ne saurait donc être question de nier ou de minimiser l’antisémitisme actif de Vichy — très marqué par la xénophobie — qui vise à exclure les Juifs de la communauté nationale, de la société, de la vie économique, culturelle, mais pas à les assassiner en masse, même si cette idée n’avait rien pour déplaire à certains fanatiques et si on doit aussi poser la question du devenir de gens que l’État venait de priver de leurs emplois et de moyens d’existence7.

Dans ces conditions particulières et très défavorables comment expliquer que 75% des juifs de France aient échappé au destin tragique qui a touché une majorité de ceux de Belgique ou des Pays-Bas, pour ne rien dire des Polonais ?

Les interprétations divergent à ce sujet et les crispations mémorielles actuelles tournent autour d’une question « scandaleuse » : « le gouvernement de Vichy8 » aurait-t-il une part dans ce résultat paradoxal et contribué « à sauver9 » les juifs français ?

En effet, comme l’avait très tôt relevé Léon Poliakov, cette proportion de 75% recouvre en fait une disparité importante entre juifs français (plus de 90% de non déportés) et juifs étrangers (un peu plus de 50%). La question devient alors : « Vichy » a-t-il « sauvé » les juifs français au détriment des juifs étrangers ou « apatrides » — notamment ceux qu’il a dénaturalisés à partir de l’automne 194010 — en d’autres termes, comme l’affirma René Bousquet, ancien secrétaire général à la police lors de son procès en Haute Cour, l’État français a-t-il sacrifié et livré aux nazis les juifs étrangers pour sauver ses nationaux ? L’action la plus noire, imputable au seul État français, sans pression, ni présence allemandes — la livraison de plus de 10 000 juifs étrangers réfugiés ou internés en Zone non occupée, fin août 194211 — semble s’inscrire dans cette logique essentiellement xénophobe : la France n’était pas « la poubelle de l’Allemagne » comme le signifia un chef du gouvernement dont on peut légitimement penser qu’à cette date, il ignorait l’assassinat systématique des juifs déportés, même s’il ne pouvait pas ne pas se poser des questions sur leur devenir.

À fréquenter des archives accessibles depuis plus de 20 ans, il apparaît clairement que si près de 250 000 Juifs ont échappé à l’arrestation et à la déportation, alors que la plupart n’ont pas quitté leur domicile et qu’ils ont porté – en zone occupée – l’étoile jaune, ce n’est pas parce qu’ils avaient pu se réfugier dans le Massif central ou passer en Suisse ou en Espagne, mais parce que, contrairement à ceux qu’on arrêtait, ils n’étaient pas « sur les listes » comme le disaient laconiquement les policiers chargés des arrestations. Et s’ils n’y figuraient pas, alors qu’ils étaient bel et bien dans les fichiers constitués dans les préfectures (à la préfecture de Police pour le département de la Seine) à partir du recensement imposé en zone occupée par les Allemands en octobre 1940 et, en zone libre, par le gouvernement de Vichy en juillet 1941, fichiers qui ont servi à élaborer les listes d’arrestations, c’est qu’ils appartenaient à la catégorie des Juifs « non déportables ».

Il convient donc de s’interroger sur ce curieux statut : qui en a négocié, discuté les modalités avec l’occupant ? Ce distinguo essentiel résulte du compromis arrêté le 2 juillet et confirmé le 4 juillet dans les négociations menées par Bousquet avec les autorités allemandes et notamment Oberg et Knochen aux termes desquelles l’État français accepte d’effectuer les arrestations de juifs sur l’ensemble du territoire — jusqu’alors le gouvernement refusait la participation de la police française aux « rafles » projetées en zone occupée — à condition que celles-ci ne concernent que les juifs apatrides (ex-allemands, autrichiens, polonais, russes, lituaniens, Dantzigois et tchèques). Très « embarrassés » (Klarsfeld), voire « acculés » (Steinberg), les responsables SS acceptent par « opportunité politico-policière »12, mais il est clair que dans leur esprit cette discrimination qui immunise pour l’instant les juifs citoyens français ne confère à ces derniers aucun statut privilégié : « la poursuite des opérations qui doivent libérer les pays d’Europe de la juiverie le[s] fera disparaître de toute façon13. »

Dès lors, quel critère essentiel faisait qu’un juif était ou non « déportable » ?

Pendant plus d’un an (juin 1942 –automne 1943) c’est la nationalité qui sera le facteur déterminant et discriminant.

Les Juifs français, du moins ceux qui n’ont pas été dénaturalisés, ceux qui n’ont pas été victimes de représailles après un attentat, ni arrêtés pour des délits tels que marché noir, infraction aux lois et ordonnances antisémites – défaut ou dissimulation d’étoile (8e ordonnance du 29 mai 1942), non-respect des heures de couvre-feu, fréquentation de lieux publics (9e ordonnance du 8 juillet 1942)… — ont ainsi, à plus de 90%, échappé aux déportations, même si l’on ne doit pas oublier que beaucoup d’enfants de Juifs étrangers ou apatrides, nés en France, étaient français par le droit du sol, ce qui ne les a pas empêchés d’être arrêtés et déportés avec leurs parents.

Ont également échappé aux arrestations et déportations, du moins jusqu’à l’automne-hiver 1942, les Juifs ressortissants de pays alliés de l’Allemagne – Hongrie, Bulgarie, Italie… - ou de pays neutres – Turquie, Espagne, Portugal…

Ce sont ces « dispenses » ou « exonérations » qui ont contribué à sauver les Juifs entrant dans ces catégories en différant leur arrestation et déportation. La solidarité de beaucoup de Français, le rôle des organisations d’entraide, et des organisations juives dont J. Sémelin ou S. Klarsfeld soulignent le rôle, essentiel selon eux14, n’a concerné qu’une partie des juifs, une minorité sur 250 000 : essentiellement ceux qui ont fait le choix de se cacher ou de gagner la zone non occupée et qui avaient la possibilité de le faire (argent, relations, pratique du français…). Cette solidarité, incontestable, ne saurait faire oublier le sabotage forcément discret mais réel et efficace de la répression par ses acteurs — pas toujours ceux qu’on attendrait dans ce rôle — : il est plus facile de saboter le processus de l’intérieur de la machine répressive que de l’extérieur15.

Là encore, les archives sont claires : ces exonérations ont été négociées pied à pied par des fonctionnaires de « Vichy » même si cette évidence choquera les tenants de l’histoire officielle qui prévaut depuis 1995. Ce marchandage, quasi quotidien, est lisible dans des archives que ni R. Paxton ni les Klarsfeld père et fils ni J. Semelin, ne citent jamais. Parmi ces dernières, celles de la commission d’armistice de Wiesbaden montrent des choses inattendues comme l’opposition de l’amiral Darlan, alors chef du gouvernement, au port de l’étoile que veut imposer le MBF depuis décembre 1941. Elles montrent surtout les récriminations récurrentes des Allemands contre des fonctionnaires français (sous-préfets, secrétaires généraux de préfecture, commissaires de police…) qui prétendent s’opposer — certains l’ont payé cher — à l’arrestation et à la déportation de Juifs en invoquant que les intéressés n’étaient « pas déportables » en raison « des accords passés ».

Cette notion de Juifs « non déportables », rappelée par Laval à ses interlocuteurs SS en septembre 1942 — « Il n’en va pas de la livraison des juifs comme de la marchandise dans un Prisunic où l’on peut prendre autant de produits que l’on veut toujours au même prix16 » — est d’ailleurs un tel obstacle à la mise en œuvre de la « solution finale » en France qu’en bons juristes, « respectueux du droit jusqu’à l’écœurement » (Alain Bancaud), les responsables nazis ont exercé de nombreuses pressions sur le gouvernement de l’État français pour qu’il annule les naturalisations postérieures à 1927, ce qui aurait eu pour résultat de permettre l’arrestation de milliers de Juifs français ainsi déchus de leur nationalité protectrice. Cette proposition, qui reçut un accueil enthousiaste du Commissaire général à la question juive, Darquier dit « de Pellepoix », a débouché sur un projet de décret en juin 1943 qui ne fut jamais promulgué. Et si ce décret ne fut pas promulgué, c’est du fait du refus de Pierre Laval, chef du gouvernement qui, après consultation des représentants de l’épiscopat français (Asher Cohen 1993), a fait valoir aux occupants qu’une telle mesure provoquerait une réaction très défavorable dans le pays. En dépit de nouvelles demandes allemandes formulées en août et septembre 1943, Laval ne céda pas. La conséquence de ce refus est l'annonce, début août, par Karl Oberg chef des SS et de toutes les polices en France que les Allemands ne respecteraient plus la différence entre Juifs français et Juifs étrangers même si, pour lui — le camp allemand est loin d’être homogène — la livraison de quelques milliers de Juifs supplémentaires était moins importante que la crédibilité d’un gouvernement français garant du calme et de la production française qui représentait une part importante des besoins allemands tant industriels qu’agricoles.

Même si Bousquet et l’administration française refusent à l’automne 1943 l’accès aux fichiers juifs et la mise à disposition de policiers et gendarmes français au commando du Viennois Aloïs Brunner opérant dans l’ex zone d’occupation italienne, la fin de 1943 et surtout le printemps 1944 voient se réduire considérablement la protection relative qu’offrait la nationalité française. Les Nazis et leurs collaborateurs français17 — membres du PPF, « mangeurs de juifs » et antisémites fanatiques de la SEC qui a succédé à la PQJ, mais aussi truands, voyous et malfrats agissant par intérêt18 — ne respectent plus ni accords, ni ces asiles relatifs que constituaient hôpitaux, prisons, orphelinats et protégeaient jusqu’alors les Juifs19.

Désormais, c’est le cours de la guerre, les défaites allemandes, le manque d’effectifs, de trains disponibles, puis la libération de la France qui sauvent des Juifs qui, pour les nazis, étaient évidemment tous déportables. Mais les années gagnées ont eu une valeur irremplaçable dans ce contexte.

Quelle qu’en soit la cause réelle, quelle que soit l’intention des hommes de « Vichy », cette distinction juifs étrangers/juifs français a donc constitué un réel obstacle à la déportation des seconds jusqu’à l’été 1943 et en différant leur statut de déportables, elle a ainsi, objectivement, contribué à la survie de plus de 90% des juifs français.20

Il est facile, aujourd’hui, de dire « il eût suffi de dire non… », « la meilleure défense des juifs aurait été… ». L’historien n’est ni un juge, ni un avocat. Il doit contribuer -- par ses recherches, la mise au jour de faits et de réalités complexes -- à éclairer le débat, en se gardant de tout manichéisme réducteur, de toute condamnation morale de principe et surtout de toute téléologie facile.

Jean-Marc Berlière


Pour en savoir plus :

Claire Andrieux et Jacques Sémelin (dir.), La résistance aux génocides : De la pluralité des actes de sauvetage, Paris,Presses de Sciences Po, 2008.

Jean-Marc Berlière, « Mémoires en souffrance : rafles et répression antisémite par la police parisienne (1942-1944) in J.-M. Berlière et R. Lévy (dir.), Le Témoin, le sociologue et l’historien. Quand les policiers se mettent à table, Paris, Nouveau Monde édition, 2010, pp. 87-117.

Jean-Marc Berlière, Policiers français sous l’Occupation, 2e édition, Paris, Perrin/Tempus, 2011.

Asher Cohen, Persécutions et sauvetages : Juifs et Français sous l'Occupation et sous Vichy, Paris, Cerf, 1993.

Ivan Ermakoff, « Police et arrestations » in Pour une micro histoire de la shoah, Le Genre Humain (Paris, Seuil), septembre 2012. (Excellente mise au point — fondée sur ouvrages, articles, archives, témoignages — sur l’attitude des policiers confrontés à des missions et des « délinquants » inhabituels).

Pim Griffioen et Ron Zeller, La persécution des Juifs en Belgique et aux Pays-Bas pendant la Seconde Guerre mondiale, une analyse comparative, CHTP-BEG, n°5, 1998 ; Anti-Jewish Policy and Organization of the Deportations in France and the Netherlands, 1940–1944: A Comparative Study, Holocaust and Genocide Studies, V20 n°3, 2006, p.437-473.

Raul Hilberg, La Destruction des juifs d’Europe, Folio Histoire, 2006. (fondamental)

Serge Klarsfeld, Le Calendrier de la persécution des juifs en France 1940-1944, Paris, Les Fils et filles des déportés juifs de France, 2001. (Un travail mémoriel irremplaçable dont on ne suivra pas forcément les conclusions).

Fred Kupferman, Pierre Laval, Balland, 1987

Léon Poliakov, L'Etoile jaune - La Situation des Juifs en France sous l'Occupation - Les Législations nazie et vichyssoise, rééd.Grancher, 1999.

Alain Michel, Vichy et la shoah, le paradoxe français, 2012 Une prochaine édition enrichie et mise à jour devrait paraître en 2015.

Son blog : http://vichyetlashoah.blog.lemonde.fr/

Enfin, le site d’Emmanuel de Chambost, reprend, décrypte, transcrit… les débats, les interventions, les erreurs des uns et des autres… Indispensable pour la vivacité du ton et la clarté de l’analyse : http://siteedc.edechambost.net/Paxton/Paxton_Michel_Zemmour_EdC.pdf

Notes

1 Un autre historien israélien, Asher Cohen avait avancé 20 ans auparavant dans un livre — Persécutions et sauvetages. Juifs et Français sous l'Occupation et sous Vichy, Paris, Cerf, 1993 — peu commenté à l’époque, des thèses et remarques comparables. Le « paradoxe français » a été mis en lumière au début des années 1990 par l’historien belge Maxime Steinberg (« Le paradoxe français dans la Solution finale à l'Ouest », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, Année 1993, Volume 48/Numéro 3, pp. 583-594).

2 Voir à cet égard les contributions de Robert Paxton et Serge et Arno Klarsfeld, publiées dans Le Monde des 19-20 octobre, respectivement titrées : « Le Zèle de Vichy dans la déportation des juifs français » et « Quand la police de Pétain et Laval (sic) livrait des enfants juifs aux nazis ».

3 Il est ainsi TRES surprenant de voir R. Paxton invoquer le « statut des juifs » (du 3 octobre 1940, soit un an et demi avant le premier convoi de déportation) pour balayer d’un revers de main l’idée d’une différence de traitement entre juifs français et étrangers apparue dans le contexte d’une « solution finale » dont les nazis n’avaient pas même envisagé l’idée en 1940. Par ailleurs, il se trouve que cette différence de traitement existe bel et bien dès 1940 : la loi du 4 octobre que Paxton cite et qui prévoit l'internement des "ressortissants étrangers de race juive " est la preuve d’une politique différente à leur égard dès cette époque.

4 Qu’il s’agisse du nombre de juifs présents en France au début de l’Occupation, du nombre de déportés, des rescapés, les chiffres précis sont en réalité très difficiles à établir avec précision. Sur les problèmes notamment méthodologiques — ne considère-t-on que les convois partis vers des centres d’extermination ? Jusqu’à quelle date de décès est-on un « survivant » ? Compte-t-on comme tels les évadés des convois ? Tient-on compte des convois du Nord-Pas de Calais ?— on lira la mise au point la plus récente dans Alexandre Doulut, Serge Klarsfeld, Sandrine Lebeau, 1945 les rescapés juifs d’Auschwitz témoignent, LFFDJF, 2015, pp. 12-23.

5 Nous excluons ici les juifs fusillés ou déportés pour faits de résistance.

6 « C’est la France qui, des trois pays, bénéficiait des conditions politiques les plus propices à sa réalisation optimale. Le résultat y fut des plus médiocres. Dans des conditions bien moins favorables au plan nazi, les autorités allemandes en Belgique et aux Pays-Bas atteignirent un score bien supérieur » (Maxime Steinberg, art. cité). Cette évidence est au centre de la thèse (Amsterdam, 2008) d’un historien néerlandais, Pim Griffioen qui compare la persécution des juifs — similitudes, différences, causes — dans les trois pays (une version très abrégée est parue en anglais : Pim Griffoen, The Persecution of the Jews in the Netherlands, 1940-1945, Amsterdam University Press, 2013).

7 Sur ces questions, on se reportera aux analyses éclairantes de juristes spécialistes du droit du travail, du droit civil, du droit commercial, bancaire, etc… dans les actes d’un colloque organisé par Dominique Gros à Dijon en 1995 et édités sous le titre Le Droit antisémite de Vichy par le Genre Humain (Seuil, mai 1996).

8 Problème : de qui, de quoi parle-t-on ? « Vichy » dont Paxton stigmatise le zèle, dont Klarsfeld père et fils disent ce qu’il aurait dû faire pour sauver les juifs est une expression qui désigne des périodes, des réalités, des individus bien différents : parle-t-on de Pétain ? De son régime ? Des gouvernements de Darlan, Laval ? De Darquier dit de Pellepoix ? De la Milice ? Des fonctionnaires dont l’attitude et les responsabilités furent très différentes et évoluèrent continûment…

9 Le verbe sauver (transitif direct au sens de « mettre quelqu'un ou quelque chose hors de danger ») est à dessein mis entre guillemets car il suppose une intention dont on peut douter qu’elle ait été celle de « Vichy » sans doute plus soucieux d’affirmer sa souveraineté face à l’occupant que préoccupé par le sort de juifs qu’il avait mis au ban de la société.

10 La commission mise en place à cet effet (et « vice présidée » par Mornet qui dirigera le procès Pétain en 1945) dénaturalisa environ 7000 juifs sur un total de 15 000 dénaturalisations prononcées en trois ans.

11 Et notamment des milliers de juifs du Bade-Wurtemberg expulsés par le Reich vers la France en octobre 1940 et internés dans des conditions épouvantables en zone non occupée que l’État français (qui a tenté en décembre 1940 de trouver une solution « américaine » pour leur ré-émigration, solution refusée par les USA) pense alors renvoyer à « l’expéditeur » allemand. Sur l’attitude des USA, Cf David S. Wyman, L’Abandon des Juifs, les Américains et la solution finale, Paris, Flammarion, 1992.

12 Knochen qui a rédigé le 16 juin un rapport sur l’émotion provoquée dans l’opinion par l’obligation du port de l’étoile jaune, ne veut pas prendre le risque de développer davantage le sentiment anti-allemand en engageant publiquement dans des arrestations massives des forces de police allemandes par ailleurs très insuffisantes pour une telle opération. On se gardera d’oublier que l’occupant fut longtemps soucieux de l’état de l’opinion dans un pays qui produisait une part importante de ses besoins industriels et alimentaires.

13 Télégramme d’Otto Abetz du 2 juillet 1942 cité par S. Klarsfeld, Deutsche Dokumente 1941-1944, Die Entlösung der Judenfrage in Frankreich, Paris, 1977, p.74. Dannecker, représentant de Eichmann à Paris, avait signifié le 26 juin à Leguay, représentant de Bousquet en zone occupée, que « parmi les juifs à appréhender, il fallait que 40% au moins fussent de nationalité française » (S. Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, Paris, Fayard, 1983, T.1, p. 215).

14 « Vichy a contribué efficacement à la perte d'un quart des Juifs de France, les Français ont puissamment aidé au salut des trois quart des Juifs de France. » (S. Klarsfeld, Vichy-Auschwitz. La Solution finale de la Question juive en France, Fayard, édition de 2001 pp. 368-9). Pour l’argumentaire de J. Sémelin Cf son ouvrage, Persécutions et entraides dans la France occupée, Comment 75 % des Juifs de France ont échappé à la mort, Les Arènes, 2013.

15 C’est par exemple, contrairement à une légende tenace et aux idées reçues, le cas de nombreux policiers prudemment restés discrets sur leur action et aujourd’hui anonymes (Cf Berlière 2010 et 2011, Ermakoff, 2012). « À l’évidence, pour un grand nombre de fonctionnaires de police et de l’administration préfectorale, l’arrestation de familles juives étrangères et les souffrances provoquées par ce traumatisme étaient contraires à la conception qu’ils se faisaient de leur rôle. » (Ermakoff, p. 217). Exemple emblématique longtemps passé sous silence tant il allait à contrecourant de l’image noire et sans nuance de « la police de Vichy pire que la Gestapo », la « grande rafle » des 16 et 17 juillet 1942 à Paris. Pour livrer aux Allemands les 22 000 juifs apatrides que Bousquet et Laval avaient finalement accepté de faire arrêter par les policiers français, la sous-direction des affaires juives de la préfecture de Police avait sorti 27 391 fiches du « fichier Tulard ». À l’issue des opérations, le bilan fut de 13152 arrestations. Les autorités allemandes (et la hiérarchie de la préfecture de Police) rendirent, à juste titre, les policiers parisiens responsables de ce « fiasco ». À Nancy, ce sont 8% des juifs prévus qui furent arrêtés. En zone non occupée, le bilan des arrestations de la fin août fut également assez largement inférieur au nombre prévu (de 49% dans l’Hérault, à 74% dans les Pyrénées orientales),

16 Notes de Hagen, du 3/9/1942 au sujet de l’entretien de la veille entre Oberg et Laval au cours d’un repas offert par l’ambassadeur de Brinon (citée par S. Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, Paris, Fayard, 1983, T.1, p.407-409). Dans ce même entretien Laval confirme, que « conformément aux accords conclus, on livrerait d’abord les juifs ayant perdu leur nationalité allemande, autrichienne, tchèque, polonaise et hongroise, puis, également, les juifs de nationalité belge et hollandaise. Ensuite, comme convenu, on livrerait les juifs qui avaient acquis la nationalité française depuis 1933. » On le voit, le marchandage est incessant, les juifs français avant 1933 sont toujours exclus des « livraisons ».

17 Toutefois, comme l’attestent par exemple les témoignages de Jacques Saurel (De Drancy à Bergen-Belsen, 1944-1945: Souvenirs rassemblés d'un enfant déporté, Editions Le Manuscrit, 2006) et de Ida Grinspan (J’ai pas pleuré, diverses éditions de poche), arrêtés respectivement par des policiers parisiens et des gendarmes des Deux-Sèvres en janvier 1944, les forces de l’ordre françaises continuent à participer aux arrestations.

18 Isaac Lewendel avec Bernard Weisz, Vichy, la pègre et les nazis. La Traque des juifs en Provence, Paris, Nouveau Monde éditions, 2013.

19 On le voit bien par exemple avec les rafles de Bordeaux en janvier 1944, mais aussi à Paris.

20 La chronologie des déportations est éclairante de ce point de vue : 42655 juifs ont été déportés de France en 1942 (dont environ 6500 Français, essentiellement des enfants nés en France) contre 33061 pour 1943 et 1944.