HISTOIRE DE LA CSF SOUS L'OCCUPATION, « l'enfance de Thales »

Les camouflages du commandant Labat 


(Création  11 novembre 2012, mise à jour 2019)

 

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L'auteur

Les heureux lecteurs de l'Histoire de la CSF sous l'Occupation auront tôt fait de découvrir l'omniprésence du commandant Labat. Dans la page sur l'histoire  des débuts de la CSF, nous avons vu que le général Ferrié fut l'homme orchestre de tous les développements pionniers de la radio débutante en France. Le commandant Paul Labat fut son héritier. Il devient le maitre d'œuvre de tous les systèmes radars développés en France pour équiper les armées et l'homme-clé de la coopération franco-britannique en la matière. Pendant l'occupation tous les anciens de la radiotélégraphie militaire, devenus dirigeants d'entreprise, le considèrent comme leur chef naturel. Sur cette page, nous parlons de ses efforts pour «civiliser» à tour de bras, c'est-à-dire camoufler en administrations civiles les administrations militaires que l'armistice interdit à la France de conserver. Indépendamment de la CSF, il fut à l'origine du GCR avec son adjoint Gabriel Romon. Leur histoire commune est racontée dans ce pdf.

En mars 2019, je publie sur le site de l'HSCO un article de 30 pages sur Paul Labat: Paul Labat dans la Seconde Guerre mondiale. (pdf)
Edmond Combaux, un des adjoints de Paul Labat fut la cheville ouvrière de la "Source K" complètement inconnue du monde anglophone, ce qui me conduisit à créer cette page: Source K, French Legend or British Denial ? 
Et finalement, le texte étendu d'une présentation au colloque HSCO d'octobre 2019  Paul Labat et la vichysto résistance  (pdf), article qui met à mal le concept de "vichysto-résistance".

 

De nombreux officiers de l'Armée de Vichy, voulant limiter autant qu'il était possible, la diminution de la France et de son armée, entreprirent de tourner la convention d'armistice en cachant des armes qu'ils auraient dû livrer au vainqueur et en déjouant les contrôles des trois divisions de Kontrollinspektion dont une était dévolue à l'industrie de guerre. Basées en zone occupée, les différentes commissions d'inspecteurs pouvaient évoluer en zone libre comme bon leur semblait. A partir de 1941, des équipes d'inspection allemandes s'installèrent même dans les ports de la Méditerranée1. Les sentiments anti-allemands des officiers les poussaient rarement à rejoindre de Gaulle à Londres. Henri Frenay, le fondateur du mouvement de résistance Combat, est l'un des premiers officiers à envisager de sortir du cadre de l'armée de Vichy pour continuer à se battre et à préparer la reprise du combat contre les Allemands. Il demandera à être mis en congé du deuxième bureau de l'État-major de l'Armée mais ne ne ralliera à de Gaulle que tardivement, pas avant 1942. La majorité des officiers que Paxton appelle les « résistants » de l'Armée de Vichy2 ne reconnaissent pas la légitimité de la France Libre de de Gaulle et restent dans l'Armée de Vichy, et tout en restant dans ce cadre, un petit nombre, gravitant souvent autour des services de renseignements, maintient des relations clandestines avec les alliés anglais. Tel est le cas du commandant Labat, cheville ouvrière de la coopération franco-britannique en matière de radar (Voir le chapitre 4 du livre), et qui sera, à Lyon, l'homme orchestre du camouflage des Transmissions militaires.

Après la défaite de juin 1940, un « Comité de Coordination des Télécommunications Impériales » (CCTI) fut créé pour organiser les politiques de communications civiles et militaires. La direction de cet organisme fut confiée au contre-amiral Bourragué dont il est difficile de dire qu'il cherche à poursuivre la guerre aux côtés des Britanniques. Avant de prendre la direction du CCTI, il avait en effet participé à la bataille de Dakar, contre les Forces françaises libres et les Britanniques. Le Groupement des Contrôles Radioélectriques (GCR), créé le 9 août 1940 par une note de du maréchal Weygand, alors ministre de la Guerre du gouvernement de Vichy, fut rattaché au CCTI. Le GCR, service mi-civil, mi-militaire, selon les termes de la note de création de Weygand,  regroupait les services d'écoute et de radio-goniométrie de l'Armée en vue d'assurer, en première urgence, les besoins du 2eme Bureau de l'État-major de l'Armée. Le GCR, qui pouvait aussi fournir des services aux autres départements ministériels avait explicitement vocation à accueillir les spécialistes des transmissions récemment démobilisés. Créé par Weygand, le GCR sera néanmoins rattaché dès sa création, comme le CCTI, au secrétariat aux Communications. Créé le 7 décembre 1940, le Cadre spécial temporaire des ingénieurs des Transmissions de l'État (CSTTE) est une structure de gestion des officiers des Transmissions « civilisés ». En plus de ces organismes, le SERT, Service d'études et de recherches techniques des PTT, établi à Lyon est une couverture du SEMT, l'ancien Service d'études des matériels de transmission de l'Armée dirigé jusqu'en 1939 par le capitaine Labat3.

Labat, devenu le « commandant Labat », ingénieur civil des PTT est au centre de tout ce dispositif: Il coiffe à la fois le CSTTE et le GCR, et, au sein de ce dernier, le réseau d'écoute et de radio-goniométrie. Avec un effectif total de 400 personnes, le GCR a un site principal à Hauterive, dans l'Allier et quatre centre secondaires, tous en zone libre. L'adjoint de Labat, le commandant Gabriel Romon, directeur technique du CGR fournit donc aux services de renseignements les informations captés par les services d'écoutes. Les messages codés par la machine Enigma sont dirigés sur le centre Cadix, près d'Uzès où le colonel Bertrand dirige une équipe de Polonais qui décryptent les messages et les envoient aux Anglais.

La SFR de Lyon ne sera évidemment pas impliquée dans les écoutes clandestines, mais les organismes dirigés par le commandant Labat seront les principaux donneurs d'ordres de marché d'études ou de matériel. Lorsqu'à la Libération sera venu le temps des procès, les dirigeants de la SFR mis en accusation mettront en avant ces livraisons effectuées en trichant avec les commissions de contrôle allemandes. « Ces documents montrent comment une aussi grande quantité de matériel pour les armées de la France Libre et la Résistance a pu être construite à Lyon et Alger. » sera-t-il écrit dans le mémoire de défense de Girardeau qui, du coup, prend ses aises avec la réalité car si certains matériels furent effectivement mis à disposition de réseaux de résistance (Voir chapitre 17, Résistances), jamais la SFR n'a effectué de livraison à la Résistance ou à la France Libre, si ce n'est l'usine d'Alger, une fois que les contacts furent rompus avec la métropole. Que beaucoup de destinataires de ces matériels se soient engagés dans une démarche anti-allemande, c'est certain. Le commandant Labat et son adjoint Romon, tous les deux exécutés par les SS en 1944 avec d'autres membres du réseau Alliance n'ont malheureusement jamais été en mesure de livrer leurs souvenirs. Les historiens de la période, dans leurs tentatives de distinguer différentes catégories de résistants ont forgé le concept de « vichysto-résistants » qui désigne selon les auteurs des fonctionnaires de Vichy, comme Mitterrand, qui ont basculé dans la résistance à partir de 1943 ou des résistants plus précocement engagés, mais qui partageaient les valeurs de la révolution nationale4. S'il est clair que les sentiments anti-allemands de Labat l'ont poussé très tôt à poursuivre sa collaboration avec les Anglais en même temps qu'il œuvrait pour maintenir élevé le potentiel technologique français, on ne connait rien de ses sympathies idéologiques, et l'intérêt de les connaitre paraît d'ailleurs mince, s'agissant de quelqu'un qui a eu un rôle essentiellement technique et dont les seules convictions connues sont celles qui l'ont mené à poursuivre son combat même lorsque les conditions de son exercice étaient devenues terriblement risquées.

Labat a des relations plus étroites avec les laboratoires de LMT qu'avec la SFR. Ses multiples responsabilités ne l'empêchent pas de suivre personnellement les essais de faisceaux hertziens menés à Toulon par Altovsky, l'ingénieur vedette de LMT qui développe les hyperfréquences. Il s'intéresse aussi de très près aux développements radars menés par Lehmann à la SADIR, ou aux études spéciales conduites à l'école normale supérieure par Francis Perrin5. Les marchés d'études que passe en 1943 le CCTI avec les divers industriels montrent l'avantage pris par LMT. Le montant des marchés figure, entre parenthèses, en millions de francs: SFR (6), LMT (14), SADIR (7), Radio-industrie (3), Thomson-Houston (4), SFT (5) soit un total de 39 MF réparti entre les ministères de la Guerre (13), de la Marine (7), de l'Air (9) des PTT (10)6. L'avantage donné à LMT s'explique en partie par le fait que la société est spécialisée dans le téléphone et a donc de bonnes raisons de rafler une bonne partie des 10 MF alloués au titre des PTT. Mais la SFR se fait aussi doubler par la SADIR, plus petite. Tout se passe comme si les administrations préfèrent traiter avec des petites sociétés qu'elles contrôlent mieux, plutôt qu'avec la SFR qui tient parfois la dragée haute aux administrations en autofinançant beaucoup de ses études.

Sous les ordres de Labat, le capitaine Marien Leschi a pris la direction, dès l'été 1940, du service radioélectrique de sécurité du territoire, installé à la ferme Rapine, dans le Puy-de-dôme. Sous couvert d'activité officielle (liaison entre l'État-Major de l'Armée à Vichy d'une part, divisions militaires de la métropole, territoires d'Outre-Mer d'autre part), son service avait une mission de fabrication et d'expédition de matériels pour l'Afrique du Nord, de constitutions de dépôts clandestins de matériels radioélectriques, qui seront mis généralement à la disposition de l'ORA, l'organisation de résistance armée développée par des anciens officiers d'active après l'invasion de la zone libre. De 1941 à 1943, Leschi est en liaison permanente avec la SFR. Celle-ci fabrique pour son compte, dans son usine de Lyon, 8 émetteurs 1 kW commandés au début de la guerre. De nombreux éléments de ces émetteurs fabriqués à Paris avant la débâcle de juin 40 ont été transportés clandestinement à travers la ligne de démarcation. Ces émetteurs lui ont été livrés en 1942. Camouflés par ses soins, certains de ces matériels seront découverts par les Allemands au moment de son arrestation par la Gestapo, en juillet 1943, d'autres seront utilisés à Lyon et Marseille à la Libération7.

En 1943, devant les difficultés croissantes d'augmenter le volume des dépôts de matériels clandestins, Labat et Leschi donnent la consigne à la SFR comme à d'autres constructeurs de freiner au maximum l'exécution de commandes allemandes et de conserver en usine les plus grandes quantités de matériel à 98% de fabrication afin de pouvoir les remettre dans le circuit le moment venu. Marien Leschi devenu colonel après son retour de Dora dira que la consigne a été parfaitement exécutée par la SFR puisqu'à la Libération, des quantités importances d'émetteurs ASP 59 et de récepteurs RU 93 ont été immédiatement mises à la disposition des départements militaires français.

Notes de bas de page

1 Robert Paxton, l'Armée de Vichy, version anglaise, 1966, traduction en français, Tallandier, 2004, collection Points, ISBN 2020679884, pp.307-336

2 Robert Paxton, l'Armée de Vichy, op.cit.

3 Le numéro 59 de la revue La liaison des Transmissions, septembre-octobre 1969, est entièrement consacré au commandant Labat. Voir aussi Michel Atten, La construction du CNET (1940-1965), Chapitre 2 du numéro hors-série 14 n°1 de Réseaux,1996, p. 43-71

4 Sur la question des Vichysto-résistants, on lira avec intérêt Johanna Barasz, De Vichy à la Résistance, les vichysto-résistants 1940-1944, dans Guerres mondiales et conflits contemporains, n°242, 2011, pp.27-50

5 Ingénieur Général Ramon, Le Général Labat et les hyperfréquences, dans Liaison des transmissions n°59

6 Rapport CCTI 1943.

7 Lettre du colonel Leschi, 22 février 1948, Instruction Girardeau 2eme partie (AN Z/6 NL/9910-A)




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