HISTOIRE DE LA CSF SOUS L'OCCUPATION, « l'enfance de Thales » La SIF de Malakoff sous l'Occupation (Création 11 novembre 2012)
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Les hasards de l'histoire des entreprises ont fait coexister à la fin des années trente, au sein du même groupe CSF, la SIF (Société Indépendante de Télégraphie Sans Fil) aux côtés de la SFR. Les deux entreprises sont dans le même créneau, elles produisent du matériel, mais ne sont guère intégrées l'une à l'autre. Il faudra attendre l'après-guerre pour que la SIF, implantée à Malakoff devienne une pièce maitresse dans le développement de la CSF dansle domaine des radars. Voir aussi l'histoire des autres sociétés cousines: Radio-cinéma et Radiotechnique.
La SIF avant 1939 | La guerre et le repliement | Travailler pour les Allemands | L'épuration |
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La Société Indépendante de Télégraphie Sans Fil, que l'on abrège en SIF, est une société cousine de la CSF créée en 1919 avec des capitaux belges par des amis d'Émile Girardeau, sur le même créneau que celui de la SFR: matériels radioélectriques pour l'aviation et la marine et radiodiffusion. Elle produit également des tubes électroniques. En 1936, la CSF prend la majorité du capital, mais la SIF demeure en position de concurrence interne par rapport à la SFR et les membres de son conseil d'administration ne se retrouvent pas dans les conseils des autres filiales de la CSF. Disons tout de suite que d'un côté, l'usine de Malakoff prendra après la guerre une importance de premier plan dans l'histoire de la CSF et donc de ce qui deviendra le groupe Thales, d'un autre côté, l'histoire de la SIF reste extrêmement mal connue depuis ses origines jusqu'à 1939. Quant à la période de l'occupation, les archives que j'ai pu retrouvées reste très parcellaires.
Les usines sont situées à Malakoff, près de la porte de Vanves, de part et d'autre de la route de Chatillon devenue plus tard avenue Pierre Brossolette, avec deux activités principales, les matériels, à l'Est, route de Chatillon, et les tubes, à l'Ouest, route de Montrouge rebaptisée ultérieurement avenue Gabriel Péri. L'usine des tubes est un peu moins vétuste que celle des matériels, avec ses bâtiments en bois. Il y a également une annexe à Boutigny, dans le sud de l'actuelle Essonne, pour la formation des gros tubes d’émission1. A Malakoff, sur un terrain de 5720 m2 sont édifiés 9000 m2 d'ateliers, laboratoires et bureaux pour un effectif de 400 ouvriers et employés. L'administrateur délégué est Raymond Belmère, ingénieur Arts et Métiers et Supelec; après la loi du 16 novembre 1940, il deviendra directeur, le PDG étant M.Fresson. André Delasalle est directeur administratif. Paul Gault est responsable de l'activité tubes électroniques.
En juin 1940, la SIF fabrique du matériel émetteur-récepteur radioélectrique et des lampes d'émissions pour les principales administrations françaises (AIR, Aéronautique Maritime, Marine, PTT, Radiodiffusion nationale, Guerre) 2. De même que l'usine SFR de Levallois s'est repliée en juin 1940 à Cholet, l'usine de Malakoff fut repliée à Saint-Jouin dans les Deux-Sèvres, dans une usine acquise en 1939 où travaillaient déjà 100 ouvriers.
Vers le 20 juillet, une inspection dans les Deux-Sèvres est effectuée par le Capitaine Wutzler, des services économiques de l'hôtel Majestic (MBF, Wehrwirtschaf und Rünstungsstab). Une réquisition portant sur tout le matériel existant est signifiée à Belmère. Wutzler indique de façon formelle que la société doit renvoyer au plus tôt ses ouvriers à Malakoff et rouvrir l'usine dans les plus brefs délais. La remise en marche des ateliers demanda plusieurs mois. L'usine de Saint-Jouin sera fermée purement et simplement. Le 17 décembre, un ordre écrit prescrit d'achever la fabrication de certains matériels en cours de construction. A la Libération, Gault expliquera que, confrontée à l'exemple de Radiotechnique chez qui les Allemands avaient emporté la moitié du matériel de fabrication, la SIF considéra qu'elle n'avait pas les moyens de s'opposer frontalement aux exigences allemandes.3
En 1941, l'usine de Malakoff occupe environ 400 personnes dont une majorité de femmes4. Son destin pendant les années d'occupation sera semblable à celui de la SFR en ce sens que la société sera amenée à produire du matériel pour l'armement allemand, mais présente des différences notables. Alors qu'en termes de chiffre d'affaires et d'effectifs, la SFR connait une expansion tout au long des années 1941-1943, la SIF connait plutôt un contraction5. On aurait pu imaginer que les deux sociétés cousines soient chapeautées par le même Büro parisien de Telefunken, mais il ne semble pas que Telefunken fut Patenfirma de la SIF. Un seul Allemand aurait été présent à la SIF6. Bien que la SIF ait pu recevoir des commandes directes de certaines administration allemandes comme l'OKH (Armée de Terre), Siemens & Halske est le client de référence de la SIF. Dans le groupe Siemens, Siemens & Halske est à cette époque la société spécialisée dans les télécommunications. Autre différence, enfin, avec la SFR, la part du chiffre d'affaires allemand. n'y sera jamais aussi importante: Pour la SFR, cette part était de 66% en 1942, puis 86% en 1943, alors qu'elle reste pour la SIF de 51% seulement en 1942 et 66% en 1943.
Que la SIF ait, toutes proportions gardées, moins travaillé pour les Allemands que la SFR signifie qu'elle a plus travaillé pour les administrations françaises, civiles et militaires, et que ces activités se faisaient, comme pour l'usine de Lyon de la SFR7 avec des officiers ou des fonctionnaires qui se situaient sur une posture anti-allemande caractérisée par la tentative de vouloir tourner les clauses de l'armistice qui imposaient la réduction drastique des forces militaires. Avant-guerre, déjà, les relations étaient plus étroites et sans doute plus cordiales entre certains services comme la télégraphie militaire et les entreprises plus modestes que la SFR, les ingénieurs militaires ayant avec ces petites entreprises les coudées plus franches qu'avec l'arrogante SFR. A la Libération, pour prouver son attitude patriotique, la SIF mettra en avant un nombre impressionnant de chargements camouflées acheminés vers Toulon ou l'Afrique du Nord dès la fin de 1940.
La
SIF n'a pas conservé le souvenir de ses ingénieurs vedettes comme
le fit la SFR qui entretint longtemps la légende des Chireix, Ponte,
Gutton, Warnecke etc... Les activités d'études y étaient
pourtant, dès l'origine, relativement importantes, souvent en
connexion avec de grands noms de la science française, comme
Brillouin et Beauvais pour les amplificateurs, Holweck pour les tubes
de puissance. Pendant l'occupation, des recherches se poursuivirent
avec le soutien des administrations, notamment de la « Direction
de la Recherche et du Contrôle Technique » des PTT. Il
s'agissait d'études de tubes électroniques nouveaux pour la
téléphonie à câbles coaxiaux et pour la téléphonie sous-marine
avec relais amplificateurs sous-marins. A la Libération, il sera
naturellement mis en avant que beaucoup de matières premières
obtenues grâce aux commandes allemandes avaient été détournées
pour ces études françaises. Le responsable des tubes électroniques
Paul Gault évoquera également les pressions allemandes pour que
soient abandonnées toutes les études qui n'étaient pas
indispensables pour la production. Il évoquera également des
incitations à mettre le potentiel études de la SIF au service de
l'Allemagne. Ainsi, Siemens & Halske aurait exprimé la demande
qu'un ingénieur et plusieurs dessinateurs viennent à Berlin
participer à l'étude d'un récepteur à bande latérale. Dans ce
cas, la SIF réussira à n'envoyer qu'un seul dessinateur. Des
« enquêteurs » allemands seraient intervenus à
plusieurs reprises pour demander à la société si elle avait étudié
des tubes pour la détection électromagnétique, c'est-à-dire pour
les radars. La SIF qui avait été impliquée par la télégraphie
militaire dans ces problèmes ne donna pas suite8.
Je n'ai pas eu connaissance que de telles demandes concernant les
radars aient été adressées à la SFR, pourtant beaucoup plus
reconnue dans le domaine. Il se peut que la SFR ait également été
sollicitée, mais que personne n'ait jamais rapporté les faits, ou
que justement parce que la SFR était reconnue dans ce domaine, les
ingénieurs de Telefunken aussi bien que les militaires allemands
aient résolument écarter la possibilité d'une collaboration avec
la SFR.
Les deux sociétés, SFR et SIF furent traitées de façon à peu près équivalentes en ce qui concerne le travail forcé en Allemagne. Il semble également qu'elles réagirent de façon semblable. 55 employés de la SIF durent partir en Allemagne dans le cadre de la Relève forcée, à partir d'octobre 1942. Cela représente un peu plus de 10% des effectifs alors que la proportion était inférieure à 10% pour la SFR. La direction tenta de s'opposer à ces réquisitions en utilisant le même genre de subterfuges que la SFR, ce qui ne sera pas contesté par le comité d'épuration à la Libération. De la même façon, lorsqu'elle fut classée S-Betrieb, elle engagea des réfractaires et se préoccupa de placer les permissionnaires réfractaires. Ces actions furent d'ailleurs menées en relation avec les responsables de la SFR Vaudevire et Viennot. Un seul cas valut des ennuis au directeur Belmère: Désigné pour la Relève en septembre 1942, Victor F. passa la visite médicale, mais refusa de signer le contrat et fut alors informé par l'administration que la liste de ceux qui refusaient de signer serait communiquée à la Gendarmerie Allemande. Victor F. se fit porter malade avec des certificats médicaux et finalement passa en zone libre. La SIF lui envoya alors des courriers. A la Libération, il reprochera à la direction de la SIF d'avoir essayé d'influencer sa femme pour connaître l'endroit où il était réfugié. Pour sa défense, Belmère répondra que c'est parce que Mme F. renvoyait les lettres à l'usine que l'attention du contrôleur allemand avait été attirée et que la SIF se trouvait dans l'obligation de répéter ses envois9.
Contrairement à la SFR dont les différents bilans présentent toujours une ligne « Avances clients » dont le montant est supérieur aux travaux en cours, dans les bilans de la SIF, les « avances clients » sont inférieures à la somme des travaux en cours et des impayés. De ce fait, le retrait des Allemands en août 44 fut une mauvaise affaire. Beaucoup de matériel, sans doute des sous-ensembles avaient été livrés et restaient impayés. Sans parler des travaux en cours engagés pour différentes affaires allemandes, l'armée allemande se sauvait en laissant une ardoise de 1,2 MF. La SIF devra donc provisionner au bilan de 1944 pour 11,2 MF de risques pour travaux en cours et créances douteuses, ce qui représentera plus de la moitié de la perte enregistrée pour cet exercice.
Notes de bas de page
1 Chroniques radio-électriques, 1919-1944, brochure éditée en décembre 1944 pour le 25eme anniversaire de la SIF, et témoignage de Louis Prunier à la réunion du Groupe Histoire de l'AICPRAT du 18 juin 2009 (Archives AICPRAT)
2 Gault, Note générale sur les activités de la Société Indépendante de Télégraphie Sans Fil pendant l'occupation, 2 août 1945, dossier d'épuration Belmère (AD75, Perotin/901/64/1/2/21). On trouve une version voisine de cette note dans le dossier des profits illicites (AD75,, Perotin/3314/71/1/2/390, 678).
3 Note Gault, déjà cité (AD75, Perotin/901/64/1/2/21)
4 Témoignage Louis Prunier , déjà cté (Archives AICPRAT)
5 Voir annexe 1 (Bilans chiffrés)
6 Louis Prunier (témoignage déjà cité, archives AICPRAT) parle d'un certain « Tabocha, administratif de Telefunken », . L'affiliation de ce « Tabocha » est sans doute erronée, car le nom n'apparait pas dans le livre de comptes du Büro parisien de Telefunken.
7 Voir chapitre 10, (l'usine de Lyon., les camouflages du commandant Labat)
8 Note Gault (AD75, Perotin/901/64/1/2/21)
9 Dossier Belmère, (AD75, Perotin/901/64/1/2/21)