Accueil site EdC          

Le Programme du CNR dans le best-seller de Stéphane Hessel:
Mythes et réalité
(2011)
L'auteur, contact

Introduction

Réalité Historique

Le programme du CNR, mythe ou drapeau ?

Résister, c'est créer, slogan débile

Liens

Pierre Villon et le programme du CNR

Projet Villon de Novembre 1943

Pierre Villon dans le texte

Télécharger (pdf)

"Le programme du CNR et Stéphane Hessel"


Introduction

Au moment où j'écris ces lignes, Indignez-vous, de Stéphane Hessel caracole encore en tête des classements des meilleures ventes, et cela dure depuis la sortie du livre. La présentation des indignations du vieux diplomate s'articule autour du Programme du conseil national de la Résistance, ce qui donne une bonne raison de s'intéresser à ce programme du CNR et restituer quelques vérités historiques, que je suis allé chercher, pour l'essentiel, chez de bons auteurs, Claire Andrieu ou Jean-Pierre Le Crom

C'est que ce programme du CNR n'est pas vraiment un intrus, sur ce site. Mythe pour mythe, je peux revendiquer pour la naissance du CNR, la planque de Beaudreville, à Gometz-la-ville, puisque c'est là, les heureux lecteurs de mon livre le savent, que Duclos et Villon ont jeté sur le papier sous le regard bienveillant de Frachon, les premières lignes de ce programme.

Une bonne raison d'ailleurs de s'intéresser à Pierre Villon, le héros trop peu connu de cette aventure, une aventure qui se situe bien entendu entre 1943 et 1945, car la situation historique de 2011 constitue un terrain où doivent s'inventer d'autres aventures.

Emmanuel de Chambost, 3 mars 2011

Les bons auteurs:

 Ci dessous, des liens permettent d'accéder à différentes informations utiles, le texte d'Hessel, le programme du CNR etc...

Ajout mars 2013

Extrait d'Olivier Wieviorka, Histoire de la Résistance, 1940-1945, Perrin, janvier 2013, p.499

« Si la France entame sa reconstruction en se fondant sur des bases radicalement nouvelles, les réformes emblématiques furent largement inspirées par les solutions ébauchées durant les années 1930, et le programme du CNR ne joua qu'un rôle modeste dans le New-Deal qui structura les 30 Glorieuses »

Haut

Quelle est la réalité historique du programme du CNR ?

Dans les passages d'Indignez-vous ! qui concernent le programme du conseil national de la Résistance, il y a des erreurs manifestes et d'autres passages qui sont pour le moins, historiquement contestables. Les citations d'Indignez-vous sont en italique, et mes remarques sont en caractères droits.

Commençons par les erreurs manifestes, ce ne sont pas forcément les plus graves.

« Ce programme est remis solennellement au Général de Gaulle par le CNR le 25 août 1944, à l'hôtel de Ville de Paris »
(note 1)

Faux: Sur proposition de Daniel Mayer, Il était effectivement prévu de remettre solennellement le programme au général de Gaulle, mais personne ne remit le programme, et de Gaulle ne proclama pas la République, puisque, selon lui, elle n'avait jamais cessé d'exister (Claire Andrieu, p.94)

« Ce programme fit l'objet de plusieurs va et vient entre le CNR et le gouvernement de la France libre, à la fois à Londres et à Alger, avant d'être adopté le 15 mars 1944, en assemblée plénière par le CNR. »

Non, le texte ne résulte pas d'une navette entre Paris et Londres. Il est bien exact, si l'on en crois Pierre Villon qu'il y a bien eu un texte de Londres, le « rapport Laffon » qui a déclenché la rédaction d'un projet rédigé par Villon, mais entre décembre 1943 et mars 1944, c'est au sein des membres du CNR que le texte circule, ce qui en fait l'originalité car il ne s'agit pas d'un texte de compromis entre la résistance intérieure et le CFLN d'Alger. Ceci n'empêche pas que Jacques Bingen, qui représentait le CFLN de de Gaulle après du CNR, informait Londres de ce qui se passait au sein du CNR. De toutes façons, le texte proprement dit était assez indifférent à de Gaulle qui n'était pas un homme de programme et qui n'a par ailleurs jamais reconnu le programme du CNR pas plus qu'il n'a jamais reconnu aucun autre programme.

Contrairement à ce qui est écrit dans le préambule du programme, il n'y a pas eu d'assemblée plénière le 15 mars 1944 (Andrieu, p.62-63), mais le programme avait bien circulé auprès de tous ses membres et il était parfaitement légitime pour une organisation clandestine de faire état de réunions fictives.

D'autres approximations peuvent conduire à des interprétations tendancieuses:

« A partir de 1945, après un drame atroce, c'est une ambitieuse résurrection à laquelle se livrent les forces présentes au sein du Conseil de la Résistance. Rappelons-le, c'est alors qu'est créée la Sécurité sociale comme la Résistance le souhaitait, comme son programme le stipulait : « Un plan complet de Sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail » ; « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours. » »

Vouloir faire remonter la création de la sécurité sociale au programme du CNR est une construction hautement spéculative qui n'est étayée, disons le, par aucune investigation historique connue. On doit avoir à l'esprit que la protection sociale était un chantier sur lesquels beaucoup de gens travaillaient depuis 1930 (Le Crom). «une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours.» est la seule phrase du programme du CNR qui concerne les retraites, un carnet de route bien maigre pour Pierre Laroque appelé en novembre 1944 par le ministre du travail et de la sécurité sociale Alexandre Parodi pour unifier dans un système unique, la sécurité sociale, un certain nombre de dispositions relevant de la protection sociale.

Le CNR n'était que faiblement préoccupé par la protection sociale, on ne doit point s'en étonner: la lutte clandestine et la difficile unification, sans cesse à refaire, des forces qui composaient la résistance, lui donnait d'autres priorités. Plus surprenant, peut-être, le comité d'experts qui gravitait autour du CNR aussi appelé « Comité national d'études » et qui a pondu un certain « rapport Courtin » ne s'en préoccupait guère non plus. l'économique primait sur la protection sociale.

« De ces principes et de ces valeurs, nous avons aujourd'hui plus que jamais besoin... pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l'égard des immigrés, pas cette société où l'on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, pas cette société où les médias sont entre les mains des nantis, toutes choses que nous aurions refusé de cautionner si nous avions été les véritables héritiers du Conseil National de la Résistance. »

Donner des papiers aux sans-papiers et lutter contre certaines expulsions, on met souvent ce genre de combats militants sous l'étiquette de combats pour les droits de l'homme. Ce paragraphe laisse croire que le programme du CNR est une sorte de déclaration des droits de l'homme. Ce n'est pas le cas. Le programme du CNR contient de façon claire et explicite le rétablissement des libertés républicaines, mais n'ambitionne pas d'aller nécessairement plus loin. Ainsi, il n'évoque même pas du droit de vote des femmes. Ce n'est pas que les hommes de la Résistance manquent d'ambition ou d'imagination: ils privilégient l'unité, une unité qui inclut même les radicaux, et, pour contrer le droit de vote pour les femmes, ces derniers se montrent plus efficaces à Paris qu'à Alger, où l'assemblée consultative se prononce pour le droit de vote des femmes.

Dans le programme du CNR, ce qui ressort des « droits de l'homme » est la ligne consacrée aux colonies. Le texte réclame « Une extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales. » Là aussi, le texte est tout juste en phase avec son époque et n'anticipe pas la décolonisation qui interviendra massivement 14 ans plus tard.

« C'est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est aujourd'hui remis en cause »

La Résistance a choisi de ne pas combattre les mesures de protection sociales mise en place par Vichy. Le socle social n'a pas été conquis par la Résistance, mais il été mis en place par les gouvernements issus de la Résistance: le GPRF, en 1945, puis le gouvernement tripartite, en 1946.

Quant à savoir ce qu'il est advenu de ce socle social, c'est une autre histoire que je ne développe pas ici, mais quelqu'un de ma génération, celle qui a eu 20 ans en 1968, se doit d'exprimer sa reconnaissance à l'ensemble des résistants (et parmi eux, bien sûr, Stéphane Hessel) qui ont fait de leur vie autre chose que la défense des « acquis de la Résistance » et qui ont laissé les jeunes générations tenter de développer leurs utopies de façon créative sans leur porter ombrage. Au-delà des utopies, il y a eu les tristes nécessités de l'époque qui ont conduit à imaginer la CMU, le RMI, le RSA. Auparavant, entre 1960 et 1980, la part des prélèvements obligatoires dans le PIB était passée de 32,5% à 42,5% (40,7% en 2010). Chaque génération s'efforce d'inventer des solutions aux problèmes qui lui sont posés.

Haut

Le programme du CNR, mythe ou drapeau ?

    Peu importe, finalement que le programme du CNR qui est invoqué dans le texte soit plus un mythe qu'une réalité. La construction d'un mythe n'est pas illégitime lorsqu'on veut brandir un drapeau. L'histoire ne date pas d'hier. Claire Andrieu a bien repéré qu'après avoir été plus ou moins passé sous silence après son adoption, le programme du CNR a revêtu une grande importance symbolique à la Libération. Après quoi, il a plus ou moins sombré dans l'oubli jusqu'à ce que L'Humanité ne le remette à l'honneur à partir de 1993. « Figure de l'union nationale démocratique  », au lendemain de la guerre, il devient « symbole d'une économie fondée sur le service public » selon la formulation de Claire Andrieu en 2006.

    En 2004, le mouvement ATTAC a mis le paquet pour organiser une célébration du soixantième anniversaire annoncé par un appel solennel de treize « grands résistants »:

« ...

.... »


Et l'appel se termine par le lancement du slogan

« Créer, c'est résister. Résister, c'est créer »

Slogan qui est repris à la fin de notre Indignez-vous !

Haut

"Créer, c'est résister. Résister, c'est créer" : un slogan débile

    Miguel Benasayag et Florence Aubenas. avaient publié en 2002 un essai intitulé Résister, c'est créer , empruntant ce titre à Gilles Deleuze pour qui la Résistance était plus ou moins synonyme de ce qu'il appelait une « contre-effectuation » qui est, si j'ai bien compris, l'esquive de l'actualisation d'un événement qui permet d'en sauver le caractère d'évènement pur. Ce n'est pas très clair pour moi. Je doute que ce soit plus clair pour le cheminot qui défend ses avantages acquis, son régime spécial de retraite Soit dit en passant, en 1945, Laroque aurait bien aimé faire rentrer dans le rang les régimes spéciaux, mais le réalisme a conduit alors à fermer les yeux sur ces exceptions au socle social mis en place, car sinon, le cheminot aurait demandé une augmentation de salaire, avec risque d'inflation.

    J'imagine que Benasayag qui a résisté à la dictature Argentine et qui est psychanalyste comprend Deleuze mieux que moi. La résistance dont il parle, c'est contre le néolibéralisme:

« Résister. Le terme revient tout seul, sans cesse... ce mot a un passé. Il reste intimement lié à une situation d'exception, à ces accidents de l'Histoire qu'on tente d'abolir, comme l'établissement brutal d'une dictature ou l'occupation d'un pays par un autre. Ceux qui s'engagent alors dans la résistance n'ont en généralement qu'un souhait pour programme: que le monde redevienne comme avant la catastrophe...

...identifier la résistance contre le néolibéralisme à celle contre une dictature a quelque chose d'artificiel qui nous plonge dans la virtualité: un régime d'oppression ou d'occupation est un élément qui tente de s'imposer dans une situation pour devenir hégémonique, mais qui ne la constitue pas en soi. Alors que le capitalisme n'est pas un soubresaut historique.

  C'est là tout le problème. Certes la mondialisation implique des zones dévastées par la famine sur une planète en surproduction..» (§ qu'est-ce que la Résistance, p.68-70)

    Plus loin, Benasayag et Aubenas (pour qui le résistant est tout simplement un militant), renvoient dos-à-dos les tristes militants qui organisent des manifs et occupent la rue et les technocrates qui veulent occuper le pouvoir pour « changer la vie ». Ils plaident pour une nouvelle radicalité qui, en gros, privilégie le « changer sa vie ». Ces militants du troisième type, en mettant en œuvre des projets locaux qui s'écartent radicalement du néolibéralisme, échappent ainsi au problème de virtualité souligné auparavant. Je comprends un peu ce que veut dire leur « Résister, c'est créer ». Très bien !

    Par contre, lorsqu'on fait de toute opposition au pouvoir en place une « résistance » et que l'on accole automatiquement « créer », alors « Résister, c'est créer » devient un stéréotype vide de tout sens précis ou, ce qui revient au même, un slogan débile.

    Un slogan débile qui autorise à dire tout et n'importe quoi, à juxtaposer parmi les tares de la société qui indignent Hessel, la situation des sans-papiers, qui est une réalité, et une soi-disant remise en cause des retraites qui n'existe, en 2010, que dans la tête de certains, et j'ai du mal à imaginer qu'Hessel pense vraiment ce qu'on lui a fait signer.

Haut

Liens

Pour les radins qui n'auront pas voulu débourser les trois euros et qui n'auront pas eu la chance de trouver l'ouvrage dans leurs petits souliers pourront trouver le texte en ligne ici (http://www.millebabords.org/IMG/pdf/INDIGNEZ_VOUS.pdf)

Le programme du CNR, on peut le trouver sur les wikisources: http://fr.wikisource.org/wiki/Programme_du_Conseil_national_de_la_R%C3%A9sistance

Sur l'élaboration du programme du CNR, un article de wikipedia sur lequel j'ai beaucoup travaillé, en février 2010, et qui doit beaucoup à Claire Andrieu: (http://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_du_Conseil_national_de_la_R%C3%A9sistance).

Sur l'histoire des retraites en France, un autre article pour lequel j'ai donné de ma personne: http://fr.wikipedia.org/wiki/Retraite_en_France

Indispensable pour accéder au mythe, l'appel du 60e anniversaire (2004), patronné par ATTAC http://www.france.attac.org/spip.php?article2583

Sur les retraites http://www.senat.fr/rap/r09-461-1/r09-461-11.html

Haut