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Sonia Olschanezky
Mise à jour 07/07/19
1923-1940
Fastes et déclin du père de Sonia.
Juifs étrangers dans la France occupée 1940-42
|
Sonia Olschanezky dans le réseau Robin (Juggler) |
Les origines et l'histoire de la famille de Sonia Olschanezky ont été rapportées dans le livre d'Elizabeth Nicholas et dans celui de Rita Kramer. La première avait surtout interrogé la mère de Sonia, alors que la seconde avait recueilli le témoignage de son frère Serge. Ce dernier, qui m'avait fait connaître les deux bouquins ne m'a pas fait part de réserves sur les travaux des deux journalistes.
Eli,
le père de Sonia était né à Odessa. Il avait rencontré Helen, la mère de
Sonia, en Allemagne où il faisait des études d'ingénieur chimiste. Les deux
jeunes gens se fiancèrent le 1er Août 1914, le jour où l'Allemagne
déclarait la guerre à la Russie, et Eli ne put trouver de travail de chimiste
en Allemagne, Il devint représentant de commerce dans le secteur des bas pour
dames.
Mariés en 1916, établis à Chemnitz, Eli et Helen eurent 3 enfants:
Enoch (1917), Tobias (1919) et Sonia (1923). Tobias prit le nom de Serge au
cours de la seconde guerre mondiale. Eli devint directeur général de la société
de bonnetterie qui l'employait et put faire vivre sa famille sur un grand pied:
Chauffeur, cuisinier, gouvernante, grandes fêtes, séjour en villes d'eaux...
Par
la suite, bien qu'elle suivit assidûment ses cours de danse, Sonia révéla un
certain tempérament de garçon manqué par ses pour les petits soldats et pour
le bricolage. Les Olschanezky donnaient à leurs enfants une éducation que l'on
pourrait qualifier de laïque et altruistes. Non religieux, ils ne mangeaient
pas casher et n'observaient pas non plus le Sabbat, mais célébraient quand même
les principales fêtes juives
La période Chemnitz, fastueuse et insouciante prif fin en 1926. Eli
avait été invité à mettre sur pied une usine de bas de soie en Roumanie. Au
lieu d'y faire fortune, il se fit escroquer par les Roumains et perdit tout ce
qu'il avait investi et même davantage. Néanmoins, arrivés à Paris en 1930,
les Olschanezky n'étaient pas encore complètement ruinés:
Les 2 garçons, alors agés de 13 et 11 ans furent inscrits à la très
bourgeoise Ecole Alsacienne, près du jardin du Luxembourg. Eli trouva un associé
pour monter une boutique de lingerie. Cet associé profita de ses déplacements
professionels en Allemagne pour le duper et le plumer. Cette dernière mésaventure
le laissa malade, démoralisé et définitivement abattu.
L'heure de l'austérité
avait sonné pour la famille Olschanezky qui dut déménager vers un quartier
plus modeste. Helen ne se plaignait pas mais vendait ses bijoux. A quinze ans,
Tobias quitta l'école et se mit à la recherche d'un emploi dans l'hôtellerie,
dans le quartier des Champs-Elysés. L'hôtellier qui lui donna sa chance
engagea également son frère Enoch.
Quant à Sonia, elle était la meilleure élève de la famille, mais en
marge de ses études, elle avait commencé dés l'age de 10 ans une carrière de
danseuse quasi-professionnelle. Elle était douée et avait été remarquée par
le directeur d'un théatre d'enfant. En 1937, on la vit apparaitre sur l'écran
de télévision en démonstration à l'exposition universelle. Son nom de scène
était Sonia Olys. Les séances de photos publicitaires lui procurait de petits
revenus. Elle s'y produisait en tutu vaporeux ou en robe du soir, ou encore en
danseuse de claquettes avec pantalon et baguette, tous ses costumes étaient
confectionnés par sa mère.
Alors que les années 30
tiraient sur leur fin, il était clair pour tout le monde en Europe, et pour les
juifs, plus que tout le monde, que le pire restait à venir. La guerre semblait
imminente, mais aucun des Olschanezky n'avait la nationalité française. Eli
Olschanezky avait perdu sa nationalité russe en 1927, date limite décrétée
par les Soviétiques pour le retour des réfugiés. Ils avaient le statut de réfugiés
protégés par la France, mais n'avaient pas, à proprement parler de nationalité
précise. La solution semblait être le service militaire: Enoch s'engagea dans
l'armée en 1938, et Tobias en fit autant en 1939.
La guerre éclata, et, comme on sait, après cette période d'attente que
l'on appelle la "drôle de guerre", les Allemands déferlèrent sur la
France. Enoch avait été fait prisonnier en Belgique en Mai 1940 et envoyé en
Allemagne. Tobias fut pris un mois plus tard et dirigé sur un camp de
prisonniers de guerre, le Stalag 51. Quant à Sonia, elle fut heureuse de
trouver un emploi comme fille au pair. Non seulement les Olschanezky étaient
juifs, mais de la pire espèce qui soient, les juifs étrangers.
En zone occupée, les juifs durent se faire recenser dés septembre 40 et
les rafles de juifs étrangers commencèrent en mai 1941, mais ne furent généralisées
qu'après la décision allemande d'appliquer la solution finale, début 42, décision
qui se traduisit d'abord par l'obligation de porter l'étoile jaune en Mai 42.
Ne parlons même pas des lois d'aryanisation économique, qui ne touchaient pas
trop le pauvre Eli, déjà ruiné.
En Juin 42, la police française vint arrêter Eli et Sonia. Eli avait décédé
en Avril. Le statut légal de Sonia avait été celui de "protégée française",
mais cette protection tombait à présent. Le statut de sa mère qui figurait
encore sur ses papiers étant celui de "protégée roumaine", elle n'était
pas concernée par cette même rafle. Sonia seule fut prise, pour être internée
au camp de Drancy.
Quand Sonia arriva à Drancy, la durée moyenne du séjour était de
trois à quatre semaines avant la déportation. Sonia parvint à rester plus
longtemps en se portant volontaire pour s'occuper des enfants qui avaient été
séparés de leurs parents. Pendant ce temps, sa mère faisait des efforts désespérés
pour trouver un moyen de la sauver. Helen Olschanezky contacta des cousins
qu'elle avait dans le milieu de la fourrure. Bien qu'ils fussent juifs, on les
avait laissés en paix jusque là, parce que produisant des manteaux de fourrure
utilisés par la Wehrmacht sur le front Russe, ils étaient considérés comme
économiquement utiles. Par leur truchement, un fonctionnaire germano-alsacien
fut persuadé d'établir, pour une modique somme, les papiers attestant que
Sonia était une "Wirtschaftswertvolle Jüdin", une juive avec une
compétence professionnelle précieuse, employée pour les Allemands dans
l'industrie de la fourrure. Une fois le certificat établi, Sonia fut libérée,
une des rares à sortir de Drancy par une autre issue que celle qui conduisait
directement à la mort. Elle avait dix-huit ans, elle aurait deux ans de plus à
vivre.
D'après son frère Serge (Tobias), elle dit à sa mère qu'elle devait
"faire quelque chose pour nous défendre . Les autres ne veulent pas le
faire pour nous. Nous devons le faire pour nous-mêmes". C'est alors
qu'elle rencontra Jacques Weil par l'intermédiaire
d'une famille chez qui elle avait travaillé.
Comme cela est expliqué dans la partie consacrée à Jacques
Weil, la date exacte du contact entre Sonia et Weil est peut-être antérieure
à Juin 42. C'est une divergence entre le récit que Weil fit à Wighton
et celui que la famille Olschanezky fit à Rita Kramer.
D'après
Rita Kramer qui recueillit le témoignage de Serge-Tobias Olschanezky, en
automne 42, après que Sonia ait été relâchée de Drancy, elle se rendit avec
sa mère à Annecy pour rendre visite à Enoch qui, comme son frère, s'était
évadé de son stalag en Allemagne. Sonia réussit à le convaincre qu'il serait
plus utile à Paris. Il retourna donc à la capitale où il trouva un emploi de
barman dans un cabaret près de l'Opéra, tout en travaillant pour le réseau juggler. Tous les membres de la famille vivaient maintenant
à une adresse séparée pour ne pas risquer de se compromettre mutuellement.
Comme Suzanne Ouvrard, Sonia vivait dans le 9eme arrondissement, et Enoch avait
pris une chambre dans un autre arrondissement sous le nom d'emprunt de Robert
Ouvrard. Serge n'a jamais su quelles avaient été leurs adresses précises.
Leur mère, qui s'occupait des enfants d'une famille française dans la banlieue
parisienne, servait de boîte aux lettres.
D'après
Charles Wighton, C'est Enoch qui faisait déjà partie du réseau robin
qui présenta sa sœur à Weil avant la fin de l'année 42.
D'après son biographe, Weil aurait eu le coup de foudre pour Sonia dés
leur première rencontre. Quels étaient les sentiments de Sonia pour Weil ?
Elle était attirée à la fois par l'homme d'affaires et par l'homme mûr, écrit
Rita Kramer qui ajoute également, pour expliquer l'entrée de Sonia dans le réseau
Weil, qu'elle était impatiente de prendre part à la résistance clandestine.
Elle a probablement voyagé régulièrement entre les sommets d'un triangle
constitué par Paris, Saint-Quentin, vers le Nord et Châlons-sur-Marne, vers
l'Est. D'abord agent de liaison dans le réseau, elle assuma de plus en plus des
tâches organisationnelles et des responsabilités administratives. Weil laisse
entendre qu'après le départ de Worms pour le midi, c'est Sonia qui le seconda.
Après le départ de Weil pour la Suisse, elle dirigea, de fait ce qui restait
du réseau. "Forte, discrète, intelligente,
ne connaissant pas la peur" sont les mots qui viennent à la bouche
de Jacques Weil en 1958 losqu'il est contacté par la journaliste anglaise
Elisabeth Nicholas.
Au cours de l'hiver 1943, le réseau robin
fut investi dans des formes de résistance plus actives et participa à des
actions de sabotage en liaison avec le réseau prosper,
dans la perspective d'un débarquement prévu pour l'été. L'ouverture
longtemps attendue d'un second front était en tous cas espérée au plus tard
pour l'automne, un espoir nourri tant par l'intensification des parachutages
d'armes que par certaines insinuations émanant de Londres. Le sabotage fut
intensifié également au cours du printemps. Une fois, Sonia prit part au
dynamitage d'un train de munitions à Melun, sur le Seine, au Sud de Paris.
Persuadé que le réseau prosper
prenait l'eau de toutes part, Jacques Weil décida
de gagner la Suisse. Sonia décida de ne pas le suivre et de rester en France,
probablement pour continuer à subvenir aux besoins de sa mère. A partir de
l'automne 43, laissée seule parmi les ruines de l'organisation, Sonia utilisait
maintenant Guy Bieler comme contact avec Londres. Guy Bieler et Yolande Beekman
furent arrêtés à la mi-janvier 44, juste après l'exécution d'un sabotage
sur le canal de Saint-Quentin, au cœur du système de transport de la région
industrielle du Nord dont les usines fournissaient aux Allemands des
sous-ensembles pour les blindés, l'artillerie et l'aviation.. Le SD semble
avoir été bien informé de leurs projets. C'est facile de dire pourquoi. Guy
et son opérateur radio avaient conservé des horaires de transmission tout à
fait réguliers, émettant depuis le même lieu, des mois durant, en dépit de
tout ce qu'on avait pu lui apprendre pendant sa formation et, il faut bien le
dire, en dépit du plus élémentaire bon sens. Dés lors que les très
efficaces systèmes de détection avaient permis aux Allemands de les localiser,
le réseau musician était perdu.
Au printemps 44, de nouveaux agents écumèrent les Flandres et la Picardie pour
essayer de reconstituer le réseau. Ils entendirent parler d'un officier
Canadien qui était déjà passé par là, enrôlant des recrues en promettant
des armes et des munitions de la part des Anglais. C'était Joseph Placke,
l'adjoint de Goetz à la section radio de l'avenue Foch, jouant le rôle de
l'infortuné Pickersgill que l'on avait chargé de mettre sur pied un réseau
connu sous le nom d'archdeacon.
La tâche de Placke n'était pas bien difficile. Non seulement la radio
de Macalister qui avait été prise dans le coffre de la voiture de Culioli était
en parfait état de marche, mais les codes et les "security checks" étaient
gracieusement mis par écrit, en clair. De plus, il n'y avait pas
d'enregistrement de transmissions antérieures pour caractériser le doigté de
l'opérateur. Pendant la plus grande partie de l'année, des parachutage à
grande échelle destinés à archdeacon,
dans le nord de la Lorraine, furent récupérés par des comités de réception
constitués de résistants locaux organisés par Placke qui avait un Français
correct et un Anglais assez correct pour des Français. Placke fournissait également
les camions qui subtilisaient les armes et les munitions des mains des locaux.
Ces camions étaient naturellement conduits par des Allemands en civil et dirigés
vers des entrepôts Allemands. Londres envoya un instructeur en sabotage et six
agents dans les mains de Placke avant que des soupçons ne naissent finalement
à Baker street du fait que les nouveaux agents n'envoyaient pas à leur arrivée
des messages de sécurité qui avaient été convenus verbalement. C'était en
Mai 44.
Quand Weil s'était réfugié en Suisse, en Automne 43, il avait donné
à Sonia toutes les informations sur les contacts du réseau et lui avait dit
que Londres enverrait un agent au pseudonyme de Tiburce pour remplacer Guy. Il
devait arriver en février, et une fois qu'il l'aurait contactée et qu'elle lui
aurait transmis toutes les affaires du réseau, elle pourrait partir.
Baker street envoya bien un remplaçant pour Guy, mais il fut reçu par
un comité de réception contrôlé par Placke. Sonia fut contactée à la
mi-janvier et donna rendez-vous au nouvel agent le 21 janvier. Elle dit à sa mère
qu'ils pourraient bientôt mettre sur pied un plan de fuite, mais Madame
Olschanezky trouvait bizarre que Londres envoyât quelqu'un avant la date
convenue. Elle insista pour que Sonia n'honorât point le second rendez-vous
sans prendre les instructions de Londres. Mais Sonia n'avait plus personne dans
son entourage, à qui elle put demander
d'envoyer un message. Aussi déclina-t-elle donc la proposition de sa mère et
lui dit qu'elle avait maintenant assez d'expérience pour déceler ce qui ne
collait pas. Elles se mirent d'accord pour que la mère accompagnât la fille
jusqu'à proximité du restaurant où la rencontre devait avoir lieu et
l'attendit à un café voisin.
Le 21 janvier, Sonia arriva comme convenu au Soleil d'or, place de la
Trinité. C'était une journée printanière et elle attendit l'homme sur la
terrasse. Il arriva avec 3 acolytes dans une traction noire.
Quand une heure se fut passée sans que Sonia ne revienne, Madame Olschanezky alla au restaurant et demanda à un garçon
s'il avait vu une jeune femme dont elle donna la description. Oui, il se
souvenait, elle était partie avec plusieurs messieurs. Madame Olschanezky
comprit que cela ne pouvait signifier qu'une seule chose. Elle se précipita
pour prévenir Enoch et lui conseilla de ne pas aller travailler ce soir. Il
avait laissé des papiers importants dans son casier, au club et il promit qu'il
ne ferait que récupérer ces papiers et qu'il rentrerait sitôt après. Mais il
ne rentra pas. Lorsqu'il arriva au
cabaret, le patron lui dit que quelqu'un l'avait cherché, n'avait pas laissé
de messages, mais rappellerait plus tard. Enoch pensa que ce quelqu'un avait
peut-être des nouvelles de Sonia, et, après réflexion, il décida de rester
encore un peu. A une heure du matin, les Allemands firent irruption, pistolets
aux poings et l'embarquèrent. Il ne revint jamais d'Auschwitz. Les conditions
de transport de son convoi étaient telles que sur 1500 hommes, femmes et
enfants, seulement soixante quinze arrivèrent vivants à Auschwitz.
Selon Serge Olschanezky, un vieux copain d'école d'Enoch avait aussi
travaillé dans le réseau juggler.
Quand Enoch fut arrêté au cabaret et embarqué dans la voiture de la Gestapo,
son ami était déjà sur la banquette arrière, et ils furent menottés
ensemble. Après la guerre, Serge rencontra Weil et l'ami de son frère que Weil
accusa d'être responsable de l'arrestation de Sonia et d'Enoch. Il avait été
au premier rendez-vous de Sonia avec l'envoyé de Londres, et Weil l'accusa
d'avoir mentionné des noms, entre autres celui d'Enoch, pour se faire mousser
auprès de l'officier anglais et lui faire croire que c'était lui, et non pas
Sonia qui était le chef après le départ de Weil. Le fait que l'ami ait survécu
et qu'il n'ait pas été déporté semblait plaider définitivement contre lui
aux yeux de Weil. L'homme mettait l'accent sur le fait qu'il s'était échappé
du camp à Compiègne. Finalement, aucune action ne fut engagée contre lui.
Pendant qu'Enoch attendait des nouvelles de sa sœur, Sonia avait déjà
été emmenée à Fresnes où elle avait retrouvée Andrée Borrel qu'elle avait
déjà rencontrée, ainsi que les six autres femmes avec lesquelles elle ferait
le voyage à Karlsruhe. Kieffer qui avait reçu des instructions de Berlin pour
les transférer en Allemagne avait opté pour Karlsruhe parce que c'était sa
ville natale où il avait été membre de la police normale et où il avait
encore de la famille. Peut-être a-t-il pensé à les sauver, ou à se servir
d'eux comme otages quand le vent tournerait. Si c'est le cas, alors ils n'avait
pas compté sur le zèle des fonctionnaires de la prison à attirer l'attention
de ses supérieurs du RSHA à Berlin. Ils demandèrent des éclaircissements sur
la situation irrégulière de ces femmes en "détention préventive"
dans ce qui était une prison civile ordinaire. La réponse tomba: Elle devaient
être transférées à Natzweiler pour "traitement spécial".
Il
n'était pas clair pourquoi les agents féminins de la section F avaient été
transférés de Fresnes à la prison de femmes de Karlsruhe, bien qu'il apparut
plus tard que le transfert avait pu être une commodité pour celui qui les
avaient en charge à Paris: Il avait une maison et de la famille à Karlsruhe.
En tous cas, la Gestapo de Karlsruhe reçut des instructions du quartier général
de Berlin (RSHA) de prendre livraison de huit prisonnières militaires
britanniques et de les garder en "détention préventive" dans des
cellules séparées. Ce n'était pas très régulier, car la prison en question
était une prison civile, et après plusieurs semaines, le directeur de la
prison, pour des raisons d'efficacité et de régularité demanda à son supérieur,
le gouverneur de la prison, des éclaircissements sur ce qu'il convenait de
faire de ces prisonniers atypiques. Ce dernier s'adressa à la Gestapo locale,
et de là partit une lettre au RSHA demandant ce qu'il fallait faire de ces
femmes. En réponse, un télex donnait des instructions à la suite desquelles
quatre de ces femmes furent envoyées à Natzweiler. Environ une semaine plus
tard, une autre femme fut envoyée à Ravensbrück et deux mois après, les
trois dernières furent envoyées à Dachau (Yolande Beekman, Madeleine
Damerment et Eliane Plewman). Un des hommes de la Gestapo qui convoyait les
femmes à Natzweiler déclara plus tard qu'il leur avait dit qu'elles étaient
dirigées sur un camp pour faire des travaux agricoles.
C'était
le 6 juillet, un mois après le jour J. Pendant le voyage, les femmes
discutaient en anglais. Elles avaient de bonnes raisons d'espérer que la fin de
la guerre était proche et qu'elles seraient alors libérées. Aussi
accueillirent-elles favorablement la perspective d'aller à la campagne pour
travailler dans des fermes avant d'être rapatriées.
C'est
à Vera Atkins, une proche collaboratrice de Buckmaster, le chef de la section F
du SOE que l'on doit d'avoir mener l'enquête en 1946 sur les 4 femmes du SOE
qui terminèrent leurs jours à Natzweiler: Andrée Borel, Vera Leigh, Diana
Rowden et Sonia Olchanezsky, mais Vera Atkins n'identifia que les 3 premières.
Ce n'est qu'en 1956 que deux journalistes anglais, Anthony Terry et Elizabeth
Nicholas identifièrent la quatrième victime comme Sonia Olchanezsky. Vera
Atkins s'était mise sur la piste des agents disparus et avait interrogé nombre
d'anciens fonctionnaires des camps de concentration. La piste l'avait conduite
successivement des geôles françaises aux prisons allemandes, et finalement
jusqu'aux camps qui avaient été la destination finale des agents disparus:
Mathausen, Dachau, Buchenwald, Natzweiler, Ravensbrück. A Natzweiler, Vera
Atkins recueillit notamment les témoignages d'Albert Guérisse, un mèdecin
belge prisonnier politique employé à l'infirmerie et Frantz Berg, un
prisonnier de droit commun, préposé à l'entretien du four crématoire.
A
Nüremberg, on avait jugé les principaux architectes de la terreur systématique
qui avait submergé l'Europe et de l'holocauste qui avait détruit des millions
d'innocents, hommes, femmes et enfants. Et puis d'autres procès plus spécifiques
eurent lieu, pour juger les individus accusés de l'exécution des crimes qui
faisaient partie des procédures de routine pour les SS. Un de ces procès
concerna les hommes qui avaient dirigé le camp de Natzweiler à l'époque où
les quatre femmes du SOE y furent
conduites. Le procès de Natzweiler se tint au jardin zoologique de Wuppertal.
Le dossier d'accusation avait été instruit par le squadron officer
(commandant) Vera Atkins et par le major Bill Barkworth du SAS War Crimes
Investigation Team.
Dans
le camp de Struthof-Natzweiler, la chambre à gaz est à part. Elle fut installée
en août 1943, dans une maison rustique, un ancien restaurant, qui avait été
complètement rénové pour cet usage. le gaz mortel fut administré à 87
juifs, 57 hommes et 30 femmes, qui furent sélectionnés pour être transférés
d'Auschwitz en France, pour "expérimentation médicale".
Le
camp de Struthof-Natzweiler est à quelques minutes de là, le long de la route
de montagne. Natzweiler fut un camp pour hommes. Les trois ou quatre mille
prisonniers de Natzweiler étaient des "politiques", Polonais, Russes
ou Français pour la plupart. Les trente femmes qui furent amenées là comme
cobayes humains pour y être
asphyxiées dans la chambre à gaz, à l'extérieur du camp n'ont jamais vécu
dans le camp. L'arrivée des 4 femmes du SOE ne passa pas donc inaperçue aux
yeux des témoins de Vera Atkins.
Vers
six heures du soir les quatre femmes arrivèrent au camp. Straub, l'officier SS
responsable du crématorium, demanda à Berg, un prisonnier de droit commun
chargé de l'entretien du four crématoire, que le four soit chauffé au maximum
vers neuf heures trente et de déguerpir ensuite. Il dit également à Berg
qu'un docteur allait descendre pour faire des injections. A neuf heures trente,
Berg était encore en train de s'occuper du feu quand Peter Straub arriva, suivi
du docteur SS qui était arrivé avec le commandant du camp Hartjensen
d'Auschwitz. Le docteur en uniforme chassa Berg de la salle du fourneau. Ce
dernier alla dans une chambre du crématorium qu'il partageait avec deux autres
prisonniers, et quelques minutes plus tard, le commandant et son adjudant
inspectèrent la chambre pour voir si nous dormions tous. Berg fit semblant de
dormir. Alors la porte fut fermée de l'extérieur. Une petite fenêtre
au-dessus de la porte permettait au prisonnier qui occupait la plus haute
couchette de voir le couloir, à l'extérieur de la chambre. "Ils amènent
une femme par le couloir…" dit-il à ses camarades de chambrée qui
entendaient des voix dans la chambre voisine, ainsi que le bruit d'un corps traîné
sur le sol. Le prisonnier de la couchette supérieure pouvait voir des gens traîner
quelque chose sur le sol qui était en-dessous de son angle de vision. Au même
moment où ce corps était emporté, tous entendaient le bruit d'une respiration
bruyante combiné avec un faible gémissement.
Les
deux femmes suivantes furent aussi observées à travers la fenêtre et les mêmes
bruits, les mêmes gémissements réguliers furent entendus quand les femmes
sans connaissance étaient tirées dehors. Cependant, la quatrième résista
dans le couloir. Elle disait Pourquoi ?
Le docteur en civil répondit Pour typhus.
On entendit le bruit d'une bagarre et les pleurs étouffés d'une femme. On
pouvait deviner que quelqu'un mettait sa main sur sa bouche. La femme fut
finalement traînée dehors, comme les autres. Elle gémissait plus fort que les
autres... Quand les autorités furent parties, Berg et ses collègues allèrent
au four du crématorium, et ils virent à l'intérieur quatre corps carbonisés.
Le matin suivant, dans le cadre de ma besogne quotidienne, Berg alla nettoyé
les cendres du four, il vit une jarretelle rose près du four.
Malgré
l'interdiction sous peine de mort qui était faite, cette nuit là, de regarder
par la fenêtre, , il réussit à voir de la fenêtre de l'infirmerie les quatre
femmes aller vers le crématorium,
l'une après l'autre. La première allait et deux ou trois minutes plus tard,
une autre venait. Chaque fois que la porte du four était ouverte, les flammes
sortaient de la cheminée, cela voulait dire qu'un corps avait été introduit
dans le four. Le docteur vit quatre fois les flammes sortir de la cheminée.