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JACQUES DUCLOS
Cette page
est constituée d'extaits du livre "La Direction du PCF dans la Clandestinité (1941-44)"
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La guerre de1914-18, la démobilisation Congrès de Tours, début du PCF |
Duclos à l'Oasis, Villebon/Yvette, (1) |
La grande guerre (1914-18), la démobilisation
Dix-neuf
ans en 1915, Jacques Duclos se trouva plongé dans l'enfer de Verdun. Selon
l'expression consacrée, il se battit bravement, comme des millions d'autres
poilus, fils de paysans et d'ouvriers. Père charpentier, mère couturière,
d'un village des Hautes-Pyrénées Jacques était, lui, ouvrier pâtissier. Il
connut les horreurs de cette guerre. Son mètre quarante-neuf ne lui fut pas une
protection suffisante contre les éclats d'obus. Blessé, vite réparé, redirigé
vers le Chemin des Dames où il fut fait prisonnier. Son frère aîné aura eu
moins de chance, il laissa sur les champs de bataille un nez et un oeil.
Jacques avait quitté l'école à douze ans, mais était resté, pendant
l'adolescence, avide de culture et de lectures. Hospitalisé, nous l'avons vu,
après sa blessure de Verdun, il dévore Balzac. Après la guerre, ayant repris
son métier d'ouvrier pâtissier, c'est le
Feu, d'Henri Barbusse qui le fait passer de la lecture à l'engagement
politique. L'impact de ce livre sera énorme, sur bien des ouvriers, comme
Jacques, qui nourriront leur révolte de ce sentiment d'avoir servi de chair à
canon à une bourgeoisie qui a bien
su tirer son épingle du jeu de la guerre. Jacques fréquente les socialistes et
adhère à la CGT. Il adhère également à l'ARAC (Association Républicaine
des Anciens Combattants)
Le congrès de Tours et les débuts du PCF
Jacques Duclos, comme d'ailleurs Benoît Frachon, adhère au jeune parti communiste dés sa fondation. Un an plus tard, Jacques devient le secrétaire de la section du 10eme arrondissement de Paris tout en prenant des responsabilités à l'ARAC. Il exerce son métier de Chef Pâtissier jusqu'en 1924, où il suit la première école des cadres du Parti, à Bobigny.
Aux élections de 1928, le PCF obtient 11% des voix, mais, en raison de son
isolement, ne compte que 14 élus contre 25 sortants. Jacques Duclos, vainqueur
de Léon Blum
dans
le 20ème arrondissement de Paris, est l'un des 14 rescapés. Il a fait son entrée
au Parlement en 1926 en battant Paul Reynaud
. En
fait, les succès parlementaires n'entrent pas dans les priorités du Parti:
Duclos ne siège pas au Parlement; à l'avant-garde de la lutte antimilitariste,
il n'arrête pas d'être condamné pour divers délits liés à son action. En
1928, le total de toutes les condamnations qui l'ont frappé se montent à
quarante sept ans d'emprisonnement. Il vit donc dans la clandestinité, mais séjourne
souvent à Moscou, assume des responsabilités pour le compte de
l'Internationale ou du Profintern, l'Internationale syndicale Rouge. Au gré des
circonstances politiques, la République sait aussi se montrer bonne fille. En
1932, le radical Edouard Herriot étant
premier ministre, Duclos bénéficie d'un non-lieu et peut reprendre des
responsabilités officielles dans le Parti.
Jacques Duclos devient le numéro deux du Parti. Aurait-il été numéro un, sans sa petite taille ? Membre du comité excécutif de l'IC (Internationnale Communiste), membre du secrétariat du PCF, député de Montreuil en 1936.
1939-40, l'entrée en guerre, la clandestinité
Lorsqu'après le pacte germano-soviétique et la déclaration de guerre, le Parti est dissous par Daladier en Septembre 39, Jacques Duclos fait partie du groupe de l'équipe dirigeante qui se rassemble à Bruxelles autour de Fried, le délégué de l'IC.
Témoignage de Ceretti, autre représentant de l'IC, présent à Bruxelles à la même époque:
"Au début de toute action clandestine, une exigence s'impose: trouver à chacun un travail utile sinon tout le monde finit par faire la même chose, c'est-à-dire écrire. Le parlementaire ne pouvant plus parler ou discuter avec l'adversaire, écrit. Le militant qui n'a plus de cellule à fréquenter ni meeting à suivre, écrit. Jacques Duclos écrivait naturellement tout le temps. De café en café, il sortait papier et stylo et il écrivait. Il n'y avait que Tréand qui, ne se sentant pas doué pour l'écriture, courait de droite et de gauche pour trouver du matériel... Un seul homme était toujours semblable à lui-même: C'était Jacques (Duclos). Pas de barbe, aucun déguisement vestimentaire. Il avait son air de marchand de bière, pas du tout d'un conspirateur. Son accueil n'avait pas changé depuis Paris:" Qu'apportes-tu comme bonnes nouvelles ?" Il ne pensait qu'aux nouvelles."
Juin 40, le retour à Paris
Duclos aurait également dû rejoindre Thorez à Moscou, mais l'ordre ne lui parvint pas à temps, ils regagnera donc Paris, avec Maurice Tréand, aux alentours du 15 juin, à la suite des Allemands triomphants.
Jusqu'au mois d'Août, les deux hommes assureront la direction du Parti à Paris sur un pied d'égalité, jusqu'à ce que Thorez et les dirigeants de l'IC désignent clairement Duclos comme le seul responsable. Ils assumèrent ensemble les contacts avec les autorités allemandes pour la reparution légale de l'Humanité. Duclos rédigera le tract connu sous le nom d'appel du 10 Juillet. (Voir Histoire du PCF - 1940)
Début 41, Duclos représente tout seul, avec Frachon, la direction du Parti. Il réside à Paris. Nous n'entrerons pas dans le détail de toutes ses planques, car elles changèrent souvent. Le plus souvent, il s'agissait d'immeubles HBM, les HLM d'alors, situés à proximité des boulevard des Maréchaux, et dont le grand avantage était d'avoir plusieurs issues. Fin 40, ol sortait encore fréquemment dans les rues de Paris, mais ils fut obligé d'espacer de plus en plus leurs sorties, et bientôt de les supprimer complètement, car Duclos était vraiment insortable, son physique de caricature lui ayant déjà assuré une petite notoriété. Dans les immeubles où il habite, il n'est ni clandestin, ni légal, il est incognito, il n'existe pas, et à chaque sortie, son premier problème est de ne pas être vu de sa propre concierge. Victor lui a été rattaché directement comme garde du corps et agent de liaison, et vis-à-vis de la concierge, il se fait généralement passer pour le mari de Gilberte Duclos.
Installation à Villebon/Yvette en Décembre 41
PORTRAIT DE JACQUES DUCLOS
Jacques Duclos, 1,49 mètre, numéro deux du Parti en 1930 et toujours
numéro deux en 1960. On pourrait penser que la position d'éternel second découle
de la défaillance en centimètres. Ce serait une erreur d'imaginer de tels préjugés
au sein du Parti. En France, l'aventure napoléonienne a prouvé que l'on peut
être petit et premier. Les gens de ma génération, celle d'après-guerre, ont
découvert Duclos à la télé, en 1969,candidat aux présidentielles, petit pépé
gouailleur que le Parti avait extirpé de son grenier. Une excellente prestation
à la télé lui valut un très bon score, mais cette occasion ne dévoila
qu'une seule facette de son talent vieillissant, car avant de faire des télés,
Jacques s'était produit sur tous les tréteaux de la propagande et de la
communication; galvanisant les camarades aux meetings du parti, clouant le bec
aux "suppôts de la réaction" dans le cadre plus feutré du Sénat,
mais aussi, stakhanoviste de la
production littéraire, fournissant autant de lignes que nécessaire pour
boucler un numéro de l'Huma, laissant
sur son sillage toutes sortes de bouquins, fascicules et opuscules, véritable
arsenal de propagande pour défendre la ligne du moment.
Jacques n'avait rien à voir avec ces orateurs qui savent enflammer des
foules de milliers de personnes, mais se retrouvent paralysés de timidité lors
du moindre face à face,. Il savait mettre à l'aise, expliquer, embobiner. Son
abord était naturellement aimable et bienveillant vis-à-vis de ses compagnons.
Optimiste dans la vie quotidienne comme dans la vie politique, Jacques était
adoré des militants qu'il côtoyait, parce qu'il faisait vraiment attention à
eux, il était sensible à leurs joies et à leurs peines, évitait d'humilier
les sans-grade.
Exceptionnellement doué sur le plan intellectuel, Jacques Duclos ne
suscitait pas forcément autant d'admiration dans la conduite des affaires
politiques. Le Komintern était doté d'une sorte de service du personnel qui
constituait des dossiers pour chacun de ses cadres. Ces dossiers font partie des
kilomètres d'archives appelées communément "Archives de Moscou" et
qui sont théoriquement accessibles depuis l'effondrement du communisme russe.
Le dossier Duclos compte parmi les miettes de ce gâteau fabuleux. On y trouve,
par exemple, une note écrite en janvier 1940 par un fonctionnaire du CEIC
(Comité Exécutif de l'Internationale Communiste), le camarade Goulaïev, chef
du service du personnel, et sa collaboratrice Blagoveïa:
"La direction du Parti le caractérise comme un bon et dévoué agitateur
(il a très bien dirigé les campagnes de masse en 1934-1935-1936, il rédigeait
lestement tous les documents du parti: manifestes etc., trouvait les termes
justes), il a été à sa place dans la politique du Front Populaire. Hardi, n'a
manifesté aucune hésitation sur la question du pacte germano-soviétique, mais
dans la lutte intérieur du parti, n'a jamais eu de position nette, ne sait pas
s'orienter dans des circonstances difficiles et les brusques revirements, il a
toujours manifesté des tendances opportunistes et parlementaristes qui se sont
encore renforcées ces derniers temps du fait de sa position au Parlement. Ne
sait pas exposer des questions claires brièvement et clairement."
Les auteurs de la note lui reprochent également son mépris des règles
de conspiration:
"1932-34: Membre du secrétariat du CC du PCF, secrétaire à
l'organisation et responsable de la commission du personnel du CC... Pour
infraction aux règles de discrétion, libéré des ses fonctions de secrétaire
à l'organisation."
On apprend par une autre note que le service international avait fait
suivre pendant quatre jours le malheureux Duclos qui ne s'était pas aperçu,
faute grave, qu'il était filé. Finalement, voici comment les services du CEIC
apprécient la conduite de Duclos depuis qu'il supplée à Thorez
:
"Après que Thorez
,
en présence du député Colin, lui eut fait entendre, le 1er septembre 1939, la
nécessité d'intervenir au parlement avec une déclaration protestant contre la
fermeture de l'Humanité et l'arrestation des communistes, il a commis de grossières
erreurs dans la conduite du groupe communiste (applaudissements de Daladier
,
vote pour les crédits etc.), n'accordant nulle attention aux notes que Thorez
lui faisait parvenir du front et ne les appliquant pas. Il n'a pas su d'après
l'information obtenue au CEIC, exposer clairement et expliquer les directives du
CEIC. Etant chargé de la direction du Parti en l'absence de Thorez, il a laissé
le Parti sans gouvernail pendant un mois et demi, lui substituant le groupe
parlementaire qui a ressassé les
anciennes formules dans la situation diamétralement différente de la guerre
impérialiste... Il a émigré le 10-11 octobre 1939 pour participer à une conférence
avec les camarades belges et hollandais. Là, il s'est dégrisé de l'ambiance
parlementaire, a reconnu ses fautes et a rédigé le manifeste du comité
central du PCF pendant la guerre, qui a été un premier pas important dans le
redressement de la ligne du Parti, a mis au point le premier numéro clandestin
de l'Humanité et sans hésiter, a accepté de se présenter à Paris, en cas de
besoin, pour se faire arrêter et assurer la ligne du Parti dans les procès
contre les députés communistes."
On devine dans cette dernière note, le lourd acharnement dont faisait
preuve Marty
,
à l'époque en poste fixe à Moscou, vis-à-vis de tout ce qui pouvait à
Paris, s'écarter de la ligne fixée par Moscou. Les tendances naturelles de
Marty sont renforcées par le dogme naissant de l'infaillibilité du premier
secrétaire. Pour supporter les changements de cap imposés par Moscou, le Parti
français avait bien besoin du talent que Jacques possédait au plus haut
niveau, pour noyer le poisson et d'amortir les coups de massues assenées par la
machine stalinienne. Mais venons-en à
la conclusion de la note de Goulaïev:
"En qualité de membre du Secrétariat, Duclos supporte la responsabilité
des graves erreurs du Parti au début de la guerre. Son passé au Parti ne donne
pas de garanties pour une direction ferme du Parti. Vérifications complémentaires
nécessaires. Tenir pour judicieux de le laisser en exil pour aider le centre étranger
sans qu'il ait affaire avec l'organisation ni les méthodes clandestines."
Du point de vue de l'IC, c'est donc par erreur que Duclos fut aiguillé
avec Tréand
sur
Paris en juin 1940. Malgré les cafouillages qui accompagnèrent la demande de
reparution de l'Huma, on a vu que Duclos fut confirmé à la plus haute fonction
de l'organisation clandestine en France. Faut-il interpréter cette nomination
comme la preuve que la confiance dont Jacques pouvait se prévaloir tant de la
part de Thorez
que
de celle des services secrets soviétiques, le fameux NKVD, l'emporta sur
l'analyse rationnelle du Komintern. Ou au contraire, faut-il voir là une géniale
nomination à contre-emploi, procédant de l'intuition que ce n'est pas forcément
au principal dirigeant de l'organisation clandestine d'avoir des compétences en
matière de clandestinité. En Janvier 41, la camarade Blagoveïa compléta
soigneusement le dossier de Duclos Jacques:
"Duclos a séjourné clandestinement en Belgique du 10 octobre 1939 au 15
juin 1940, au sein du bureau étranger. Auteur de maints articles, tracts,
manifestes du Parti qui furent diffusés clandestinement dans le pays. A Paris
à partir du 15 juin 1940, sur ordre du CEIC (le lendemain de l'occupation de
Paris par les Allemands). Depuis, à la direction du Parti en zone occupée. A
partir d'octobre 1940, tout le travail se réorganise sur sa personne."
En 1947, lors d'un entretien à Moscou entre Thorez
et
Staline
,
ce dernier demanda au chef du Parti français si Duclos était un bon second.
Thorez répondit que "Duclos est un
bon travailleur et qu'il travaille beaucoup mais il s'autorise parfois à
prendre la parole au Parlement sans avoir, au préalable, préparé suffisamment
son intervention... Néanmoins, Duclos est un très bon communiste,
intelligent."
Deux témoignages de l'immédiate après-guerre, pour faire ressortir les
différentes facettes du talent de Jacques. D'abord, l'orateur:
"Entendre Duclos pour la première fois, quelle fête pour l'oreille amie
de l'éloquence! Période balancée, formule répétée en refrain, symbiose de
la tradition oratoire du Midi et des rites du langage communiste qui gagne de la
saveur à rouler sur le gravier d'un accent. Rond le petit corps, ronde la
grosse tête, rondes les lunettes; tout rassure, tout fait penser au matou
ronronnant quand soudain cette voix vous emporte et quand soudain le regard, perçant
et froid, vous atteint."
Ensuite, l'homme d'appareil, le politicien:
"Duclos était là merveilleusement dans son élément. Il possédait la
connaissance approfondie des situations locales, tout comme des candidats. Sa sûreté
de diagnostic, sa promptitude avaient quelque chose de fascinant, mais aussi
d'absolument cynique. Il pétillait, même quand il tranchait comme un couperet.
Rien de rondeur comme sa petite silhouette le laissait faussement croire. Au
contraire, une froideur calculatrice, sans regard pour quoi que ce soit d'autre
que la réussite. Cette âpreté balayait brutalement ce que Balzac appelle la
perfide bonhomie du méridional..."
Jacques Duclos a été considérablement marqué par des douleurs
familiales: l'abandon du père, d'abord, alors qu'il était tout jeune enfant,
et les blessures de ses frères. En 1917, alors qu'il sortait de l'hôpital où
il s'était fait soigner une blessure, il retrouve son frère aîné Jean, grièvement
blessé, un oeil et le nez arrachés par un éclat d'obus. A partir de 1931, son
frère cadet Louis sera victime d'une encéphalite léthargique qui le rendra
bientôt entièrement paralysé.
Jacques et son épouse Gilberte formaient un couple assez harmonieux.
Gilberte, bien que manifestant des goûts limités pour la vie publique, était
très admirative de Jacques. Craignant que la maladie de son frère ne fut héréditaire,
Jacques et Gilberte avaient décidé de ne pas avoir d'enfants. Comme il arrive
souvent à ceux dont le coeur a été endurci aux travers des épreuves de la
vie, la tendresse refoulée effectue des résurgences impromptues. Duclos
traversa la clandestinité en compagnie d'une petite boule de fourrure.
"En Décembre 40... j'avais élu domicile dans un logement
de la rue de l'Abbé Groult (XVe)... Emmitouflé dans une grosse veste de laine,
je travaillais, je lisais, j'écrivais, et une toute petite châtonne que nous
avions recueillie venait se pelotonner sur ma table de travail. Un jour, par
l'entrebâillement de ma veste, elle vint s'installer sur ma poitrine, et il
faut croire qu'elle avait trouvé une solution convenable au problème de son
chauffage, car tous les jours, elle revenait à cet emplacement où elle
ronronnait voluptueusement...
... Après avoir quitté mon logement de l'avenue de la Porte de la
Plaine (vers
juin 41), j'étais resté un certain temps
à Bourg-la-Reine... Notre chatte, que nous avions amenée de Paris, se trouvait
dépaysée, elle n'avait pas l'air de se plaire beaucoup dans ce nouveau
logement quelque peu humide et moins lumineux que celui de la Porte de la
Plaine. Elle venait dormir de longues heures durant dans la pièce où je
travaillais, se couchant voluptueusement sur les rapports que j'étais en train
de lire."
Jacques Duclos a évolué dans le monde dur de la guerre, du bolchevisme, de l'appareil. Les décisions qu'il prenait, les sentences qu'il prononçait participaient de cette même cruauté, mais Jacques s'employait sans relâche à évacuer de son environnement les tensions, contrariétés et amertumes qui perturbent l'équilibre des choses.