HISTOIRE DE LA CSF SOUS L'OCCUPATION, « l'enfance de Thales »

Radio-France sous l'Occupation


(Création novembre 2012

Modif décembre 2013)

 

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Accueil Histoire de la CSF sous l'occupation

L'auteur

Le livre suit particulièrement l'histoire de la SFR, la filiale historique du groupe, et qui reste à la fin des années trente le navire amiral de la flotte CSF. Parmi les sociétés cousines, Radio-France occupe une place particulière: après que la CSF ait été créée avec l'intention de couvrir le marché de l'exploitation radiotélégraphique, Radio-France, avec ses antennes géantes de Saint-Assise, devint le fleuron du groupe sur le versant de l'exploitation. Voir aussi les pages des autres sociétés cousines sous l'occupation: la SIF et Radiotechnique.

Les origines  Entrée en guerre et repliement Sombres perspectives
La Kriegsmarine est intéressée
Sabotages ? Changement de locataires


Les origines

An début des années 1920, la toute jeune CSF réussit une percée dans le domaine de la radio-télégraphie grâce à l'excellence technique de l'alternateur Bethenod-Latour produit par la SFR. Cet avantage technique lui permit d'emporter un appel d'offres lancé par les PTT . De l'accord signé en 1920 entre Girardeau et le sous-secrétaire d'état aux PTT Deschamps résulte la création de Radio-France et la construction de la station de Sainte-Assise remarquable par sa gigantesque antenne de 1400 mètres de long soutenue par huit pylônes de 250 mètres de haut.1

La première pierre fut posée en janvier 1921. On doit à l'ingénieur Bouvier d'avoir mené à bien, en dix-huit mois, ces travaux pharaoniques. Radio-France avait acquis la propriété du château de Sainte-Assise avec un terrain de 600 hectares, sur la commune de Seine-Port, près de Corbeil, à une trentaine de kilomètre de Paris. Deux émetteurs de 500 KW, accordés respectivement sur 14250 m et 19710 m de longueurs d'onde furent mis en service dès 1922. Il s'agissait donc d'ondes très longues, meilleur choix en 1922 pour communiquer sur des distances intercontinentales. Mais dans l'histoire de la radio, 1922 est aussi l'année où des radio-amateurs, de plus en plus nombreux, parviennent à communiquer entre continents par ondes courtes (10m à 100m.). Appleton montra en 1925 que la la réflexion des ondes courtes (OC) sur l'ionosphère rendait possible leur propagation sur des longues distances. Les progrès de l'électronique, avec le perfectionnement des tubes électroniques et l'introduction de quartz pour stabiliser la fréquence permirent de réaliser des émetteurs qui remplaçaient avantageusement les alternateurs de Bethenod-Latour. En 1924, une liaison OC sera établie entre Paris et Djibouti sur des ondes de 45 mètres, avec seulement 5 KW de puissance. la SFR développa des émetteurs à ondes courtes dont s'équipa Radio-France à partir de 1925. Les nouveaux émetteurs n'occupaient qu'une surface de 6000 mètres carrés. En plus du centre émetteur de Sainte-Assise, la Compagnie Radio-France (CRF) comprenait des services administratifs et commerciaux installés à Paris au 166 rue Montmartre, et un centre récepteur à Villecresnes, entre Sainte-Assise et Paris2. Des lignes télégraphiques et téléphoniques spéciales reliaient les trois centres.

Les communications commerciales formaient l'essentiel du chiffre d'affaires de Radio-France qui subit de ce fait de plein fouet les contrecoups de la crise de 1929. Le situation ne se redressa qu'à la fin des années 1930, et dans l'ensemble, Radio-France était, pour la CSF, une affaire moyennement rentable. Les deux émetteurs ondes longues (OL) de 500 KW continuaient d'être utilisés comme roue de secours aux émetteurs ondes OC car la transmission des ondes courtes est très sensible aux conditions atmosphériques et aux conditions d'éclairage solaire du trajet de la transmission3. Leurs indicatifs FTT et FTU étaient connus de nombreux marins navigant au bout du monde. Le centre de Sainte-Assise, avec ses immenses pylônes haubanés, était un lieu de visite où le président de la République accompagnait, pour les impressionner, les souverains étrangers comme le négus d'Éthiopie, les rois du Siam ou de Roumanie4.

Salle du trafficSalle du traffic du bureau central radiotélégraphique à Paris,
166 rue de Montmarte, dans les années 1930,



Aimablement communiquée par Jean Durot


Entrée en guerre et repliement

En 1938, Radio-France, complètement contrôlée par la CSF qui ne détient pourtant que 12% du capital, est une petite société qui compte 317 employés dont 231 sont basés à Paris, 59 à Sainte Assise et 27 à Villecresnes5. Une quinzaine de dames téléphonistes, employées des PTT travaillent aussi avec quelques collègues dans les locaux de Radio-France. Les employés travaillant au centre de Sainte-Assise habitent généralement sur place dans un petit lotissement près de la station, mais l'intérêt stratégique du centre est grand puisque l'essentiel du trafic international de télégrammes mais aussi une partie du trafic téléphonique transite par ses antennes. Le centre est classé établissement de première catégorie, ce qui lui vaut de n'avoir que 9 employés mobilisés et d'être protégé par une compagnie de territoriaux, soit environ une centaine d'hommes qui assure la sécurité, ce qui laisse beaucoup de temps libre pour défricher une partie de la pelouse Nord et y planter des pommes de terre. Les territoriaux affectés à la garde de Sainte-Assise ont le statut de soldats et éprouvent forcément une certaine jalousie vis-à-vis des affectés spéciaux qui bénéficient à la fois de leurs salaires et continuent à mener une vie de famille confortable 6.

Malgré son intérêt stratégique, le centre ne fut pas visé par les bombardements ennemis, car les émissions hertziennes étaient utilisées en radioguidage par les avions de la Luftwaffe. Le 21 mai 1940, alors que les Panzerdivisionen atteignaient la Manche, il fut décidé de mettre en œuvre le repliement du centre sur la localité d'Auray, dans le Morbihan. Tout était à faire, le chef d'exploitation Bonoure fut envoyé en avant-garde, il acheta deux fermes, une pour l'émission, une autre pour la réception pendant que le personnel resté sur place préparait le démontage d'une partie du matériel. Le matériel, comprenant 5 émetteurs OC de 15 watts et un petit alternateur OL de 25 kW furent chargés sur les camions d'un transporteur de Melun. Entre le 10 et le 13 juin, l'ensemble du personnel, avec femmes et enfants s'embarqua dans des voitures particulières et une camionnette Unic. Il était prévu qu'une unité de génie de la 7e armée détruise les pylônes et le matériel restant à l'explosif, mais par précaution, avant le départ pour Auray, le 13 juin, une équipe de Radio-France sabota elle-même les émetteurs, de façon à ce que les Allemands ne puissent pas les utiliser7. L'unité du génie prévue pour le sabotage ne parvint jamais à Sainte-Assise.

À Auray, les employés de Radio-France travaillèrent jour et nuit et ils avaient presque remis le matériel en état lors de l'arrivée de l'avant-garde allemande le 22 juin8. Le retour du personnel à Sainte-Assise s'effectua entre la fin du mois de juin et la fin du mois de juillet, laissant sur place une petite équipe pour achever de démonter une fois encore les appareils. qui furent finalement rechargés dans des camions, direction Sainte-Assise.

Beaucoup d'appartements du lotissement de Sainte-Assise avaient été pillés par les derniers détachements de tirailleurs sénégalais, ou par des réfugiés de Paris bloqués devant le pont de Seine-Port détruit à l'explosif, ou par les premiers détachements allemands qui n'étaient pas si corrects que ça. L'autre mauvaise nouvelle qui attendait les résidents de Sainte-Assise était que leurs contrats de travail étaient suspendus. Il faut dire qu'en août 1940, les perspectives de Radio-France étaient plutôt limitées. Les ressources de Radio-France provenaient à 85% des communications extra-européennes (New-York, Nagoya, Buenos-aires...)9. Même en supposant que l'on puisse remettre la station en état, le chiffre d'affaires de Radio-France ne serait jamais qu'à l'image du commerce mondial, c'est-à-dire en-dessous de son niveau de 1930.

Sombres perspectives

La station sera réparée, mais l'opération prendra plusieurs mois. Il faudra que le ministère des PTT ait donné des instructions en ce sens à Radio-France qui, en vertu des accords de 1920, doit assurer une sorte de service public. En octobre 1940, des travaux sont initiés pour reconstruire deux émetteurs à l'usage de l'administration des PTT. La décision est ensuite annulée, car l'État Français n'a pas vraiment intérêt à investir pour des émetteurs en zone occupée. Il faudra que les Allemands fassent valoir les conditions d'armistice dont l'article 14 soumet la reprise d 'émissions TSF à une « réglementation spéciale », mais dont l'article 13 oblige le gouvernement français à maintenir en état de fonctionnement l'ensemble des réseaux télégraphiques et téléphoniques. Toujours est-il qu'en février 1941, le ministère des PTT donne son accord pour que démarrent le 17 février une série d'essais concernant 6 émetteurs OC. pour rétablir les liaisons hertziennes avec les États-Unis, la Syrie, l'Argentine, et le Brésil10.

Cette remise en état des émetteurs ne signifiait pas la reprise de l'ensemble du personnel. Les employés suspendus devaient travailler deux à quatre heures par jour pour la mairie de Seine-Port s'ils voulaient toucher les indemnités de chômage. D'autres étaient employés au gardiennage du centre. Certains employés partaient travailler à la SFR. Pour assurer leur survie, le personnel de Radio-France entreprit également d'exploiter les ressources du centre: Une coupe dans la forêt du parc permit de disposer de bois de chauffage réparti entre le personnel de Sainte-Assise, celui de Paris et de Villecresnes. Une part spéciale était même prévue pour le PDG et les administrateurs. Du gasoil fut échangé avec les agriculteurs locaux contre des pommes de terre. Les lopins où chaque employé cultivait des légumes ou élevait de la volaille et des lapins furent agrandis.

La Kriegsmarine est intéressée

Une partie du matériel emporté à Auray revint par chemin de fer et fut remis à sa place initiale. Un employé, eut l'idée de cacher dans une grange l'autre partie qui avait été retournée par camion. Il resta dans la grange six mois, jusqu'au mois d'avril 1941. Dés le début de l'occupation, des soldats allemands de la Luftwaffe s'étaient installés à Sainte-Assise pour surveiller le centre et rétablir les balises lumineuses sur les pylônes. Le centre cependant n'était pas encore occupé militairement comme l'étaient à Paris tous les centraux téléphoniques en activité. Les choses changèrent en mars 1941 avec la visite d'un lieutenant de la Kriegsmarine, Hoke. Ce dernier avait navigué un moment de sa vie entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, et les seuls signaux radio qu'il pouvait capter dans cette zone était ceux des deux émetteurs OL, dont les indicatifs étaient FTT et FTU. Mobilisé dans les services des sous-marins de l'amiral Dönitz, il avait compris que ces deux émetteurs pouvaient être d'un grand intérêt. Le ministère des PTT lui avait indiqué l'emplacement des émetteurs.

Ni les brillants ingénieurs de la SFR, ni les non moins brillants ingénieurs militaires de la marine française n'avaient imaginé que ces ondes longues, reléguées à partir de 1925 par l'irruption des ondes courtes, étaient le moyen idéal pour communiquer avec les flottes de sous-marins éparpillés à travers le monde. Jusqu'à 80 mètres de profondeur, les sous-marins peuvent capter ces ondes longues alors que les ondes courtes ne pénètrent pas une couche d'eau salée de plus d'un centimètre d'épaisseur. on n'a jamais su qui exactement avait glissé cette idée à la Kriegsmarine, mais dés le mois d'avril, ordre fut donné de remettre en marche les émetteurs OL, ce qui ne prit pas beaucoup de temps, car personne n'avait jugé utile de les saboter.

Au conseil d'administration du 26 juin 1941, en présence de Girardeau, vice-président, le président et directeur de la société Garnier signala que le contrat de location des installations de Sainte-Assise était en cours de signature avec la Kriegsmarine. Un loyer minimum de 30000 francs quotidiens était garanti, auquel s'ajoutait une redevance proportionnelle au trafic,ce qui permettait à Radio-France de rester dans son métier, en quelque sorte. Il était attendu de façon imminente un règlement de 1,255 MF de la part de la Kriegsmarine pour les prestations passées11.

S'il n'était pas glorieux pour les Français d'apprendre des Allemands que leurs antennes kilométriques installées sur leurs pylônes géants étaient le moyen idéal pour communiquer avec les sous-marins, au moins les alternateurs de Bethenod-Latour qui n'avaient pas eu que des admirateurs dans les années vingt eurent-ils droit à l'automne de leur vie, à une deuxième reconnaissance: Les alternateurs de Telefunken, intermittents, ne fonctionnaient que deux heures sur six. La première idée de la Kriegsmarine avait été de réquisitionner purement et simplement le centre et de substituer des techniciens allemands aux techniciens français, mais le colonel Garnier, directeur de Radio-France, sut convaincre ses interlocuteurs allemands que l'exploitation des alternateurs était extrêmement délicate et nécessitait du personnel spécialisé. Un ingénieur de Radio-France reconnut par la suite qu'il s'agissait simplement se surveiller certains organes. Radio-France reprit tous ses employés, et aucun Allemand ne pénétrait normalement dans les salles de machines12. Les 24 opérateurs radio allemands présents sur le site étaient commandés par un Oberfunkmeister lui-même supervisé par Hoke promu Korvettenkapitän et responsable des transmissions de la Kriegsmarine à Paris-Molitor. Hoke supervisait également les opérateurs de Villecresnes. Les sous-marins avec lesquels le contact était établi étaient normalement basés à Lorient, mais ceux de la Méditerranée recevaient aussi les messages de Sainte-Assise. On a parlé de liaison jusqu'au cap de Bonne Espérance, mais les sous-marins allemands étaient plus souvent envoyés en mission dans l'Atlantique. La qualité d'écoute était excellente aussi bien dans les eaux territoriales américaines que dans la zone de Terre-Neuve. Les employés de Radio-France s'occupaient uniquement de la maintenance du matériel et n'avaient pas le droit d'entrer dans le bureau d'arrivée des lignes. Les O.C. ne furent utilisés qu'en septembre et octobre 1941. Le Großadmiral Dönitz vint en personne visiter le centre d'émission à la fin de l'année 1943 13

Sabotages ?

A la suite d'une tentative de sabotage de la station d'Allouis, dans le Cher, au début du mois de juillet 1941, la sécurité fut renforcée autour de tous les centres d'émission et une section puis une compagnie, soit 250 hommes, de Landesschutzen assura la surveillance du centre qui fut entouré d'un champ de mines. Avant l'installation de la Compagnie de protection, des résistants de Libération-Nord avaient tenté de faire sauté l'un des pylônes. D'après Céline Chambon14 qui a interrogé en 1971 un certain nombre de témoins, trois employés de Radio-France faisaient partie de la Résistance, mais aucune action de sabotage n'a jamais été tentée à l'intérieur de la station. Selon les dires des témoins, rapportés par l'étudiante en histoire « C'était une chose impossible à faire et d'ailleurs parfaitement inutile sinon nuisible pour la cause française. Les émissions étaient captées, non seulement par les Allemands, mais également par la Résistance, les services de Londres et les sous-marins alliés. le problème n'était pas d'arrêter les émissions, mais de posséder le code des messages ». L'argumentation est contestable: il n'est pas impossible qu'après les premières tentatives de faire sauter des antennes, cibles toutes désignées aux groupes de sabotage naissants, des instructions aient été envoyés pour dissuader les résistants de faire sauter les antennes s'ils n'avaient pas reçu d'instruction à cet égard. Les émissions hertziennes pouvaient être utilisées pour le radioguidage des avions anglais comme ils l'avaient été par les avions allemands en 1940. Même lorsqu'ils étaient décodés par les spécialistes de Bletchley Park, les messages envoyés depuis Sainte-Assise étaient plus utiles aux sous-marins allemands qu'aux services anglais. De toutes façons, les Anglais n'ont pas toujours été en mesure de décrypter les messages de la Kriegsmarine, notamment pendant la période février-octobre 1942, lorsqu'un rotor supplémentaire fut ajouté aux machines Enigma. La raison pour laquelle les Anglais n'ont pas essayé de mettre hors d'état la station vient plus probablement de l'expérience qu'ils avaient sur les radars de la Chain Home, dont les antennes ressemblaient un peu à celles de Sainte-Assise: difficiles à endommager et relativement faciles à réparer. D'ailleurs, lorsqu'en novembre 1943, un bimoteur allemand perdu dans le brouillard accrocha et coucha un pylône de 250 m, les émissions ne furent pas perturbées pour autant.

On peut comprendre facilement que les employés de Radio-France, par crainte de représailles, n'aient pas mis à profit leur accès au centre pour se livrer à des sabotages. Peu nombreux, ils auraient été les premiers suspects. Le dimanche 2 août 1942, une violent orage d'été provoqua la chute d'une branche d'arbre sur la ligne aérienne 15 kV et la station cessa d'être alimentée. Le chef des radio-opérateurs allemands prévint immédiatement l'électricien d'entretien qui contacta le chef de centre Paty alors qu'il se rendait à la messe. Ce dernier estima qu'il n'entrait pas dans ses attributions d'avertir le chef mécanicien pour qu'il mette en route le diesel de secours, si bien que les les émissions furent interrompues pendant deux heures. Paty, accusé de sabotage, put produire tous les enregistrements fournis par les voltmètres, baromètres et anémomètres pour prouver que la rupture de courant était bien due à l'orage. Néanmoins, l'Oberfunkmeister Inkes exigea que Radio-France mette à disposition un mécanicien de plus pour faire face à ce genre d'évènement. Radio-France dut accepter une embauche supplémentaire pour assurer un service de garde à la centrale thermique 24 heures sur 24. Un soir, de l'automne 1943, vers minuit, un problème technique empêcha la transmission de messages entre Villecresnes et Sainte-Assise. Cunault, un des trois techniciens français de garde cette nuit-là, se mit à rechercher la panne et appela l'opérateur allemand de garde dans la salle de contrôle. Ce dernier se lassa et partit se coucher. Le Français, qui n'avait pas de raison de se monter plus zélé que l'Allemand, pensa que l'équipe de jour serait plus à même de régler le problème et arrêta ses recherches. Le lendemain, il fut convoqué dans le bureau de Paty devant une sorte de conseil de guerre composé de Hoke et Inkes, très contrariés par l'interruption des communications entre le Quartier Général et la flotte de Méditerranée de 1 heure à 8 heures du matin. Cunault parvint à charger l'opérateur allemand qui aurait été envoyé sur le front russe dés le lendemain. Ces anecdotes rapportées par Céline Chambon15 montrent que les interruptions du service fourni par Radio-France étaient exceptionnelles.

Cette qualité de service fut justement récompensée par un loyer généreux qui permit, en 1942 et 1943, de distribuer aux actionnaires des dividendes du même niveau que celui de l'année record 1938. En fait les résultats des exercices 1942 et 1943 furent tellement exceptionnels que les bénéfices durent être amputés de provisions, directement reversés au fisc, à la Libération, lorsque la société dut rendre des comptes à la commission des profits illicites16.

Au début de 1943, il se trouva que l'ancien directeur commercial du centre de Lyon Jean Fleury, déjà très engagé dans la Résistance17, fut nommé directeur des services techniques de Radio-France (Voir sur ce site, la page consacrée à Fleury). Il avait donc en charge les réparations des émetteurs et voulut mettre en œuvre toute la réglementation compliquée pour obtenir les matières premières, pensant ainsi ralentir les opérations, mais on lui expliqua qu'on procédait différemment. Comme le service des transmissions de la Kriegsmarine voulait que les réparations soient exécutées extrêmement rapidement, Radio-France devait déjouer la réglementation allemande en vigueur et se procurer les matières premières et pièces détachées dans le secteur privé ou chez des « intermédiaires »18. En fait, Fleury n'était que très moyennement préoccupé par les problèmes des émetteurs de Radio-France. En février, il effectua une mission à Londres et dés le mois de mars, il plongea dans la clandestinité avant de s'installer définitivement à Londres19.

Changement de locataires

Pendant l'été 1944, les opérateurs allemands, plus tendus, ne se séparèrent plus guère de leurs armes alors que l'espoir renaissait du côté du personnel français. Les activités de la Kriegsmarine se poursuivirent jusqu'à la mi-août, et le centre de Sainte-Assise ne fut pas une cible prioritaire des bombardements alliés, nombreux en région parisienne. Il semble bien que celui du 13 août qui endommagea la station fut accidentel. Les Allemands présents sur le site commencèrent leurs préparatifs de départ le 16 août. Le 17 août, le personnel reçut l'ordre d'évacuer les stations pour permettre aux unités du Génie de faire leur travail de sabotage. Des bâtiments furent rasés à l'explosif ou incendiés, les groupes d'émetteurs détruits à la masse, mais les pylônes furent laissés en état. Ce même jour, des résistants de Radio-France dérobèrent un fusil mitrailleur et une caisse de munitions20.

Après quelques journées riches en rebondissements, les premières troupes américaines arrivèrent le 24 août et inspectèrent les décombres abandonnées par les Allemands. Le 26 août, jour de la libération de Paris, sans attendre d'ordre de leur direction, les employés de Radio-France entreprirent de restaurer la station pour pouvoir la mettre au service des Alliés. La veille au soir, à 23 heures Girardeau avait reçu une communication téléphonique de David Sarnoff, colonel à l'état-major d'Eisenhower, et vieille connaissance du patron de la CSF puisqu'il présidait depuis le début des années vingt aux destinées de RCA, partenaire américain dans le petit club qui réunissait aussi CSF et Telefunken et qui répartissait le trafic radiotélégraphique sur la planète. Nous avons vu au chapitre 16 que les deux hommes se rencontrèrent le lendemain et que Sarnoff demanda que l'on remit en route les émetteurs de Sainte-Assise de façon à pouvoir décharger le Signal Corps, service de télécommunication de l'armée américaine, des messages entre les combattants et leurs familles. En récupérant du matériel que le personnel avait dissimulé un peu partout dans le parc, mais surtout en puisant dans les abondantes réserves de la SFR, il fut possible de rétablir en un temps record21 les communications avec Londres, le 8 septembre, puis avec New-York, le 15 septembre, si bien que la totalité des messages familiaux purent être acheminés par le canal de Sainte-Assise.

Notes de bas de page

1 Pascal Griset, La Société Radio-France dans l'entre-deux-guerres, Histoire, économie et société, 1983, Vol.2, 1, pp.83-110, Albert Vasseur, De la TSF à l'électronique, Histoire des techniques radioélectriques, Éditions techniques et scientifiques françaises, 1975, p.101-104

2 La Compagnie Générale de TSF et ses compagnies associées, publication interne, 1927

3 25 années de TSF, document interne CSF, 1935, p.77

4 Émile Girardeau, Souvenirs de Longue vie, Berger-Levrault, 1968, p.123

5 État des effectifs de Radio-France (Archives Paribas, PTC-538-4)

6 Céline Chambon, Le centre radio-électrique de Sainte-Assise, 1939-1945, mémoire de maitrise d'Histoire, 1971-1972, dir. J.B.Duroselle, Université Paris I, Sorbonne-Panthéon.

7 Céline Chambon, mémoire de maitrise, et Émile Girardeau, Souvenirs de Longue vie, p.289-290 et 302

8 Note sur l'activité de la Compagne Radio-France pendant la période d'occupation allemande, Comité de confiscation des profits illicites, (AD75, 3314/71/1/8/23)

9 Radio-France, Résultats d'exploitation au 15 janvier 1939 (Archives Paribas, PTC-538-4)

10 Lettre de Laffay, direction de l'exploitation télégraphique au ministère des PTT, 6 février 1941, Instruction Girardeau-Brenot, 3eme partie (AN, Z/6NL/9910-A)

11 Conseil d'administration de Radio-France du 26 juin 1941 (Archives Paribas, PTC-470/5)

12 Séance du 17 mai 1949 à 17H30, Instruction Girardeau-Brenot, 3eme partie (AN Z/6NL/9910-A)

13 Céline Chambon, op.cit.

14 Céline Chambon, op.cit.

15 Céline Chambon (mémoire de maitrise) a eu accés au carnet de notes de Paty et recueilli le témoignage de Cunault.

16 Voir les détails de la comptabilité à l'annexe 1 (Bilans chiffrés).

17 Voir le chapitre 17 (Résistances)

18 Séance du 17 mai 1949 à 17H30, Instruction Girardeau-Brenot, 3eme partie (AN Z/6NL/9910-A)

19 Voir chapitre 17 (Résistances)

20 Céline Chambon, Le centre radio-électrique de Sainte-Assise, 1939-1945, mémoire de maitrise, 1972.

21 Girardeau (Souvenirs de Longue Vie, p.329-330) parle de deux semaines. Selon une note trouvée dans les archives de Paribas (PTC 470/5), la liaison vers Londres fut rétablie un mois après la Libération. Céline Chambon se montre plus précise en parlant du 10 septembre.