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Histoires de falsifications de l'Histoire de 1947 à nos jours

Emmanuel de Chambost (1997 et 2004)

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Avertissement

Le principe de falsification

Thorez, premier résistant

Tillon effacé de l'Histoire

La vitrine de Fabien au métro Barbès

Bibliographie, liens

Biographie Fabien

Biographie Brustlein

L'appel du 10 Juillet

Manuel d'Histoire du PCF, 1964

 

Avertissement

En 1995, quand je commençais à m'interesser aux planques des dirigeants du Parti dans le Hurepoix, je fus étonné que personne, tant chez les militants communistes que chez les érudits locaux, n'était capable de les localiser Après mon enquête, il me restait à comprendre pourquoi et comment fut occultée une réalité aussi simple que le lieu de résidence des dirigeants pendant une période somme toute glorieuse du Parti. J'ai finalement consacré un chapitre, à la fin de mon bouquin publié en 1997, à montrer comment le PCF avait, par habitude, occulté et falsifié cette histoire, non pas tant par intérêt, pour garder au secret quelque énorme scandale, mais plutôt par habitude. Dans un premier temps, je n'avais pas jugé utile de reproduire ces pages sur ce site, et puis, c'est en découvrant, en Novembre 2004, avec stupéfaction, que la vitrine mise en place sur les quais du métro Barbès en 81 pour honorer, en principe, Fabien et son attentat du 21 Août 1941, s'inscrivait en droite ligne dans la tradition falsificatrice des années 50 et 60, que j'ai décidé de faire précéder mon commentaire sur cette vitrine par quelques bonnes feuilles sur le même thème.

EdC, 15 Novembre 2004

Le principe de falsification

            En 2005, l'histoire de l'occupation et de Vichy est encore en chantier. A fortiori, la vérité n'était pas simple à établir au lendemain de la guerre, dans un monde imprégné cinq ans durant de propagande et contre-propagande. On connaît bien le raccourci fameux de De Gaulle  "Paris par soi-même libéré", sa volonté de restaurer un état fort et, par conséquent, de passer rapidement l'éponge sur le comportement des dizaines de milliers de fonctionnaires qui avaient poussé le service de l'Etat jusqu'à la servilité. Les plus illustres personnalités mirent davantage en lumière leurs faits de résistance que les services rendus au gouvernement de Vichy. Par exemple, François Mitterand, futur président de la République se garde bien de signaler au très complaisant  "Dictionnaire Biographique Français Contemporain"[1]  ses états de services dans l'administration avant son entrée en résistance, en 1943, et encore moins la francisque dont il fut honoré. Les biographies de Chaban-Delmas mettent en avant son entrée en Résistance en décembre 40, mais ne s'étendent guère sur ces activités qui n'ont pas entravé sa carrière de haut-fonctionnaire et sa réussite au concours de l'Inspection des Finances.

            Beaucoup de militants communistes publièrent dans l'immédiate après-guerre des livres de souvenirs honnêtes. Mais l'histoire officielle du Parti fut efficacement contrôlée par ses plus hautes instances. Dans le monde stalinien, l'histoire avait cessé d'être la discipline fondamentale sur laquelle Marx  avait voulu fonder un socialisme scientifique. On ne laissait à l'histoire qu'un rôle utilitaire dans le combat communiste, On produisait l'histoire qui convenait pour étayer la ligne politique du moment.

            Le principe de falsification était donc normalement admis dans le monde communiste. En URSS, lorsque de vieux bolcheviques furent disgraciés, on retoucha les photos officielles où ils côtoyaient de trop près Lénine  ou Staline ,  ils furent purement et simplement effacés. En France, des pratiques très similaires se développèrent, sans doute moins aisément, puisque n'importe qui était quand même libre de raconter n'importe quoi en dehors du Parti, mais le monde communiste étant un monde clos, il fut parfois possible d'élaborer en son sein une construction historique totalement factice.

 

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Thorez , premier résistant

            L'histoire de Maurice Thorez  a constitué l'une des plus flagrantes falsifications du stalinisme à la Française. Rappelons les faits: En 1939, mobilisé dans le Nord, près de Chauny, Thorez reçoit de l'Internationale l'ordre de déserter, de se replier sur Bruxelles, puis de regagner Moscou. Discipliné, il s'exécute, comme l'auraient fait tous les cadres du Parti qui était à l'époque la Section Française de l'Internationale Communiste. Du point de vue de l'élaboration de l'histoire officielle, en 1945, les données du problème étaient les suivantes:

1. Le Parti Communiste est le premier parti de la Résistance.

2. Maurice Thorez , dirigeant du Parti, est le premier résistant communiste (donc le premier résistant Français.)

3. Il est de notoriété publique que Thorez  est fraîchement arrivé de Moscou après de laborieuse négociations avec de Gaulle . Il a d'ailleurs fréquenté à Moscou les émissaires de la France Libre dés le début de 44.

            Solution du problème: Thorez  est resté à son poste de combat jusqu'en mai 1943. A cette date, en tant que membre du bureau de l'Internationale, il dut se rendre à Moscou pour participer à sa dissolution.

            Cette version officielle, esquissée dés 44, lors des premiers contacts avec la France Libre à Moscou, fut exprimée et imprimée noir sur blanc dans la première édition d'après-guerre de "Fils du Peuple", les mémoires de Thorez .

            "La police me recherchait. Le 26 septembre 1939, le gouvernement avait décrété, illégalement, l'interdiction du Parti communiste... Par une exception qui confirmait la règle que j'avais moi-même appliquée: "Les communistes vont à la guerre en cas de mobilisation", la direction du Parti prit la décision juste de me faire passer à l'activité clandestine... Le 4 Octobre, je repris ma place de combat à la tête des militants communistes traqués et persécutés... [suivent 25 pages qui développent l'action du Parti jusqu'en 1943] En 1943, en ma qualité de membre du Bureau de l'Internationale, je participai, à Moscou, aux délibérations d'où sortit la dissolution de l'Internationale Communiste..."[2]

            Pour consolider le bel édifice, on eu recours à la caution scientifique et morale du professeur Marcel Prenant. C'était en Juin 45, au congrès de Paris. Prenant, qui s'était engagé dans le Parti avec l'ardeur d'un néophyte, n'eut pas les scrupules qu'il eut plus tard, en biologie, vis-à-vis des thèses de Lyssenko : Il dit ce que le Parti lui demandait de dire, et sans doute ne savait-il même pas que c'était faux:

            "Le dernier jour, la parole est donnée à Marcel Prenant; pâle, encore terriblement éprouvé, marchant péniblement en prenant appui sur sa canne, vivant symbole de l'héroïsme des communistes, le professeur prend place derrière le micro. Il parle en tant qu'ancien chef d'état-major des FTP... Il salue "Maurice Thorez , secrétaire général du Parti communiste français, inspirateur, guide et chef véritable de nos formations militaires"... Arrivé au terme de ce texte longuement mûri par la direction, l'universitaire résistant lance "Salut à Maurice Thorez, le premier en date des combattants sans uniforme contre le fascisme hitlérien et les traîtres ! Salut à Maurice Thorez, le premier des francs-tireurs et des partisans français!"[3]

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Tillon effacé de l'histoire

            C'est anecdotique, mais tellement révélateur des manipulations en vigueur au cours de la grande époque stalinienne, que je ne peux m'empêcher de revenir à ce monument historique de falsification que constitue "Fils du Peuple". Dans l'édition de 47, les responsabilités au sein des FTP y sont présentées ainsi: "La lutte armée des Francs-Tireurs et Partisans français, recrutés, organisés, dirigés par notre parti, par ses militants, Charles Tillon, le colonel Rol-Tanguy, Marcel Prenant, Laurent Casanova, Pierre Villon , Léon Mauvais, Victor Michaut, a été particulièrement efficace."[4]

            Passons sur l'aspect très sélectif de l'échantillon, qui intronise Rol-Tanguy, responsable FTP authentique mais subalterne et oublie Hénaff  et Ouzoulias. Laurent Casanova, malgré sa brillante évasion, ne joua, on le sait qu'un rôle minime et tardif dans les FTP, mais il est un proche de Thorez . Du coup, pour ne pas faire de peine à Michaut, le mari de la compagne de Casanova pendant les années FTP, le voilà élevé lui aussi au rang de dirigeant FTP, lui qui fut arrêté en Juin 41, six mois avant la création des FTP. Quant à Léon Mauvais, responsable du Parti en zone sud, il ne fit jamais partie non plus des FTP.

            Il y a peu de différences entre l'édition de 1954 et l'édition de 1947, le passage cité ci-dessus se trouve à la même page 187, mais le nom de Charles Tillon a purement et simplement été supprimé.



[1] Dictionnaire Biographique Français Contemporain, Agence Internationale de documentation contemporaine, deuxième édition, Paris, 1954.

Mitterand avait été haut fonctionnaire au Commissariat général aux prisonniers, jusqu'en 1943.

[2] M.Thorez , Fils du Peuple, Editions Sociales, 1947, p.166 et p.192

[3] P.Robrieux, Histoire Intérieure du Parti Communiste Français, Tome 2, p.121

[4]M.Thorez , Fils du Peuple, Editions Sociales, 1947, p.187

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La mémoire de Fabien prise en otage au métro Barbés

En ce Vendredi de pont de 12 novembre, j'avais le projet d'aller visiter l'exposition Pharaons à l'Institut du Monde Arabe, mais un ami m'avais conseillé de faire le détour par la station de Métro Barbès, où l'on peut découvrir les vestiges, m'avait-il dit d'une époque que l'on croyait close avec la mort de Duclos en 1975, la volatisation de l'URSS en 1990 et le remplacement de Georges Marchais par Robert Hue en 1994. Bien protégé dans son abri souterrain des vents de la liberté, un échantillon de l'Histoire stalinienne à la française a été conservé intact. On peut encore le visiter sur les quais de la ligne 4 du métro parisien, direction Porte de Clignancourt. C'est en ce lieu qu'assisté de son camarade Brustlein, Pierre Georges, plus connu sous le nom de Fabien, assassina l'aspirant Moser le 21 Août 1941, premier attentat commis et revendiqué contre un officier des troupes d'occupation. C'est en ce même lieu que fut installée, en 1981, si j'en crois Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre[1] une vitrine-exposition sur le thème de Fabien en particulier  et de la Résistance en général. La vitrine-exposition porte la signature de l'ANACR, association de résistants autrefois contrôlée par le PCF.

L'idée était a priori tout à fait excellente, mais on aurait pu faire une vitrine consacrée au parcours de Fabien, on y aurait appris tous les faits d'armes de ce communiste fidèle, son passage aux Brigades Internationales, son activité intrépide dans le parti clandestin, son rôle de premier plan dans la résistance communiste qui devint les FTP, ses évasions, ses blessures, sa participation à la Libération de Paris, sa rencontre fraternelle avec l'avant-garde de la 2eme DB, et enfin, la formation de la "colonne Fabien" qui poursuivra sous une autre forme, aux côtés de Patton, le combat contre les armées allemandes; On aurait mis également dans un petit coin un petit mot et une petite photo de Gilbert Brustlein; la jeunesse aurait été instruite et édifiée, et le peuple communiste, les descendants de FTP, auraient été satisfaits que l'un des leurs soit justement célébré.

Mais ce n'est pas ça qu'on voit dans la vitrine: L'hommage à Fabien est entremêlé d'une Histoire de la Résistance, une Histoire, hélas, comme le PCF en produisait dans les années 50, 60 et même 70, c'est-à-dire une Histoire maquillée, complètement fabriquée pour faire avaler les plus gros mensonges, comme celui d'un Thorez dirigeant avec Duclos la Résistance dés Juin 40, alors que même en 81, avant l'ouverture des archives de Moscou, aucun historien, même communiste, ne pouvait ignorer qu'à cette date-là Thorez était à Moscou et que les émissaires de Duclos négociaient avec les autorités allemandes, la reparution officielle de l'Humanité. Eh bien, pour illuster les Résistants de la première heure, on peut voir, dans la vitrine du métro Barbés, une photo de De Gaulle avec un extrait de son discours du 18 Juin, une photo du général Delestraint avec un extrait d'une note adressée, à la même date, aux officiers de son unité dissoute, et une photo où Duclos et Thorez sont assis, côte à côte, avec un extrait de "l'Appel du 10 Juillet", le fameux passage "Jamais un peuple comme le nôtre ne sera un peuple d'esclaves" . On sait que ce tract a bien existé, qu'il était une charge contre toutes les forces politiques non communistes, qu'il ne mettait pas en cause les Allemands mais prenait violemment à partie les impérialistes anglais, y compris dans le passage cîté, à condition qu'on aille jusqu'au bout de la phrase :" Jamais un peuple comme le nôtre ne sera un peuple d'esclaves et si, malgré la terreur, ce peuple a su, sous les formes les plus diverses, montrer sa réprobation de voir la France enchaînée au char de l'impérialisme britannique, il saura signifier aussi à la bande axtuellement au pouvoir sa volonté d'être libre"

            Ce qui est tout à fait remarquable, c'est que le général Delestraint, futur responsable de l'Armée Secrète arrêté quelques jours avant Jean Moulin, n'est pas particulièrement un résistant de la première heure, mais il est particulièrement représentatif d'un groupe que l'on ne peut suspecter d'avoir des sympathies communistes, celui des officiers très chrétiens. C'est une grosse et vieille ficelle: Le flou artistique et le parfum œcuménique créé avec Delestraint permet de glisser discrètement Thorez et Duclos dans la wagon des résistants de Juin 40..

            Un peu plus loin, sur la vitrine, on retrouve une photo de l'inévitable Rol-Tanguy. C'est le résistant vedette du PCF, il ne faut qu'aucun autre ne lui vole la première place. Ainsi, à Aubervilliers où l'on va inaugurer une rue Charles Tillon le 27 novembre (Tillon, chef des FTP, ancien maire d'Aubervilliers, tombé en disgrace en 1952, exclu du Parti en 1970), on va aussi inaugurer une rue Rol-Tanguy. Il doit s'agir d'un compromis local entre les communistes d'ouverture et communistes traditionnalistes.

            J'invite donc tous ceux qui veulent honorer Fabien et son copain Brustlein, à aller lui rendre une petite visite dans sa tombe du métro Barbés, en espérant que ces visites finiront par  libérer sa mémoire de la vigilance de ses gardiens staliniens. Pour ceux qui aiment rigoler, ne pas louper, dans la vitrine ce commentaire qui accompagne ue photo d'Hitler sur un quai de gare (Montoire ?) où l'on entrevoit une locomotive en mauvais état: "Hitler et son état-major viennent vérifier l'efficacité de la Résistance française".

            Que des historiens staliniens tiennent en 2004 le métro parisien sous leut contrôle me laisse songeur. Fabien, devenu colonel à 25 ans, a été tué le 27 décembre 1944 par une mine qu'il essayait de désamorcer. Un de ses hommes s'appelait Alphonse Boudard. C'est lui qui aura le mot de la fin: " Que serait-il devenu, Fabien, s'il n'avait sauté en démontant une mine antichar dans son P.C. en fin décembre ? serait-il resté docile, dans la ligne ? Aurait-il fait les autocritiques voulues par le Comité central ? Au bilan, bien peu de leurs héros de l'ombre ont échappé à la machinerie broyeuse du Parti. il est mort vraiment au bon moment, le colonel, on ne peut plus lui dévisser sa plaque de métro... il n'aura jamais eu le temps de se ternir l'auréole, de grossir du bide, de se compromettre, de trahir d'une façon l'autre, d'encourir les sarcasmes de la contestation. Comme Jeanne d'Arc, il fallait qu'elle se consume sur le bûcher de Rouen"

            Il faut libérer Fabien de sa vitrine, certains veulent lui faire prendre du bide !

EdC, Novembre 2004

 

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Bibliographie

Albert Ouzoulias, les Bataillons de la Jeunesses, Editions Sociales, 1972

Albert Ouzoulias, Les Fils de la Nuit, Grasset, 1975

Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Le Sang des Communistes, Fayard, 2004

 

Liens

http://www.ftpf.net/pages/histoire/plan.html



[1] Le Sang des Communistes, Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Fayard, 2004

 

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