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Benoît Frachon au bistrot de Forges les Bains

          

 

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            Benoît Frachon dont on connait le tempérament anarchiste, était très discipliné vis-à-vis de la sécurité. Il se fiait totalement aux conseils du responsable du dispositif clandestin, Raymond Dallidet, dit Raph. C'est ainsi qu'il prit l'habitude de se rendre chaque samedi au petit bistrot de Forges-les-Bains. "Il ne faut pas que tu aies l'air de te cacher lui avait dit Raph."

            Benoit était naturellement à l'aise dans ce genre d'établissement. De telles sorties n'était cependant pas sans risque. Un jour, Raph, qui l'accompagnait dans ce bistrot, fut reconnu par  un cycliste de passage. C'était un ancien copain de régiment.

            Comme il n'était pas là pour jouer au jeune homme, Benoît força délibérément les portes de la cinquantaine pour se présenter aux yeux des citoyens de Forges-les-Bains, comme un retraité usé, et qui plus est, veuf. Il orienta même le trait de sa nouvelle personnalité vers le genre veuf inconsolable, offrant ainsi au voisinage une interprétation facile de son mutisme pourtant naturel. Qu'il n'eut aucune activité apparente ne posait pas problème. Dans cette première moitié du siècle, les inactifs et rentiers de tout poil étaient déjà légion lorsqu'à la suite de la débâcle, des pans entiers de l'économie nationale avaient sombré, laissant s'échouer dans les campagnes une nouvelle vague de retraités prématurés.

            Bien qu'il eut exercé des fonctions de tout premier plan, comme dirigeant de la CGTU d'abord, puis, dans la CGT réunifiée aux cotés de Jouhaux , Benoît Frachon n'était pas très connu du grand public. Si sa présence à la tribune était naturellement requise lors des grands meetings syndicaux, il n'excellait pas vraiment dans les prises de paroles, et cédait volontiers sa place à de meilleurs orateurs, comme Racamond , Monmousseau, ou même Raynaud , ces tribuns dont les envolées lyriques et revendicatives réchauffaient les coeurs des ouvriers sur les pavés parisiens. En outre, les bataillons de travailleurs syndiqués qui défilaient du côté de Nation ne se recrutant pas précisément dans le secteur de Forges-les-Bains, il était tout à fait jouable d'y évoluer sous une fausse identité. Pour parfaire son grimage, Benoît cultivait une belle paire de bacantes qui encadrait sa bouche jusque vers le menton. Il espérait ainsi, en marquant son visage d'une l'allure quelque peu rastaquouère, brouiller l'image du père tranquille de la Loire dont pouvaient se souvenir les fidèles du Front Populaire. Benoît Frachon était officiellement Monsieur Teulet, entrepreneur de transport à la retraite, doublement en deuil, de Madame Teulet, d'abord, de son fils aîné, ensuite, mort pour la France. Micheline, l'épouse de Raph, qui vint tenir compagnie à Benoît et lui faire son ménage, était officiellement la veuve de ce fils aîné, alors que Raph, visiteur régulier de la villa Les Roses, était André Teulet, le second fils, dont la présence fréquente au volant du gazogène, suggérait qu'il avait succédé à son père pour assurer la bonne conduite des affaires de la société de transport Teulet. De Micheline, Mounette  Dutilleul dira qu'elle était "très belle, secrète mais avec un franc-parler, sûre d'elle, intelligente".

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