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BENOIT FRACHON
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est constituée d'extaits du livre "La Direction du PCF dans la Clandestinité (1941-44)"
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La guerre de1914-18 et la démobilisation Congrès de Tours et débuts du PCF Les années 30 et le front populaire |
Frachon à Forges les Bains (1) |
La grande guerre (1914-18) et la démobilisation
Avec
trois ans de plus que Jacques Duclos, Benoît Frachon avait déjà un passé de
militant anarcho-syndicaliste lorsqu'éclata la guerre. Métallurgiste de
Chambon-Feugerolles, une vallée de mineurs près de Saint-Etienne, c'est dans
un arsenal de la Nièvre qu'il fut mobilisé. Syndiqué à la CGT depuis l'âge
de seize ans, la guerre ne constitua pas vraiment une rupture pour lui,
puisqu'on le retrouve délégué d'atelier en Janvier 1918. Le jeune libertaire
avait été hostile à la participation de la CGT à l'union Sacrée, il
applaudira à la Révolution d'Octobre.
Benoît est démobilisé en Août 1919, et il adhère à la SFIO. Il s'agit bien d'une rupture avec son passé anarchiste, mais d'une continuité dans l'engagement au sein de la classe ouvrière. Le père de Benoît était mineur. Après l'école qu'il quitta à treize ans, jeune ouvrier, Benoît fréquentait assidûment la "Maison du Peuple" de Chambon, où il participait au "groupe artistique de la maison syndicale". Avec son groupe anarchiste, à seize ans, il cisaille des lignes électriques et télégraphiques pour protester contre un lock-out patronal. Dix ans plus tard, toujours ouvrier métallurgiste , délégué d'atelier dans une usine marseillaise, il a définitivement choisi de s'inspirer des bolcheviques russes pour pratiquer la lutte des classes.
Le congrès de Tours et les débuts du PCF
Benoît Frachon, comme d'ailleurs Jacques Duclos, adhère au jeune parti communiste dés sa fondation. Il ne quitte pas le syndicalisme, mais il revient vers sa région natale. Il sera même maire-adjoint à Chambon-Feugerolles, mais l'action municipale ne lui convient guère, c'est encore vers le syndicalisme qu'il concentre son énergie. Il devient permanent comme secrétaire de l'union départementale de la CGTU.
Jusqu'en 1928, Benoît Frachon reste surtout investi dans le syndicalisme. Une
grève de la métallurgie qu'il a dirigée en 1924 dans son département de la
Loire lui a valu une condamnation à quatre mois de prison. L'action
antimilitariste lui vaudra encore d'autres condamnations. En 1928, après
plusieurs séjours à Moscou, ses responsabilités ont migré du syndicat au
Parti où il devient membre du Bureau Politique, d'où il continue à suivre le
mouvement syndical. Depuis 1924, il est marié à une jeune fille de
Chambon-Feugerolles. En 1929, à 36 ans, il devient le doyen du secrétariat,
aux cotés des 2 dirigeants des JC, Barbé et Célor
, tous
deux âgés de 27 ans, et de Thorez, 29 ans.
Les années 30 et le front populaire
A partir de 1934, Frachon fut, parmi les dirigeants français, l'un des principaux artisans de la politique unitaire qu'il avait sentie se manifester, irrésistible, à la base. Il sut convaincre Fried , en 1934, d'accepter la manifestation commune avec les socialistes.
La nouvelle politique unitaire se concrétisa en 1936, par la réunification de
la CGT et de la CGTU, d'abord, en Mars, puis, en mai, par la victoire électorale
des forces de gauche unies dans le Front Populaire. Jouhaux
, ex-CGT,
restait secrétaire général de la CGT réunifiée, mais Frachon, qui avait conduit
habilement les négociations de réunification pour le compte de la CGTU,
entrait au Bureau Confédéral. Les nouveaux statuts de la CGT prévoyant
l'incompatibilité entre des mandats syndicaux et politiques, il dut démissionner
du Bureau Politique du Parti. Cette démission fut purement formelle. On le
considéra toujours comme membre de la direction.
A la suite de la victoire du Front Populaire, il y eut un vaste mouvement de grèves, avec occupation des usines. Frachon fut l'un des principaux négociateurs de la CGT aux accords Matignon qui débouchèrent sur l'institution des 2 semaines de congés payés, la semaine de 40 heures, l'instauration des délégués du personnel et une augmentation massive des salaires. Il s'était présenté aux négociations sans aucun dossier, mais il sortait de son veston des feuilles de paye au montant dérisoire.
1939, Frachon reste en France
Après le pacte germano-soviétique, la déclaration de guerre et la dissolution
du Parti par Daladier, Une parti de la direction se retrouve à Bruxelles avec
Fried. Le 8 Octobre, Frachon est convoqué pour une réunion à
Bruxelles. Il part avec Mounette
et
un autre camarade, Montel
.
Témoignage de Mounette Dutilleul
"Arrivés à Lille, on rencontre Martha Desrumeaux
...
Le père Colette, donc, nous dit: "A minuit, on ferme toutes les
frontières, il y aura un renforcement de toutes les gardes, on va mettre des
gardes mobiles et des militaires, au total, quatre cordons à passer".
Autrement dit, comme nous étions arrivés très tôt le matin, c'était facile
de passer dans un sens, mais le retour après la réunion, donc, tard le soir,
s'annonçait beaucoup plus problématique.
Frachon n'a rien dit, il a beaucoup fumé. On était dans une telle
tabagie qu'on ne le voyait presque plus. Les deux institutrices ne disaient
rien, Martha était contre le passage en disant "tu ne reviendra pas"
et Benoît ne disait rien. C'est au dernier moment, sans s'adresser même aux
autres, qu'il m'a dit: "Tu vas passer, toi, et voilà ce que tu leur
diras... Mais moi, je ne passe pas, car ma place est ici. C'est en France qu'on
va demander aux ouvriers, ils ont déjà tant donné, et on va leur demander
encore plus, ma place est là, je reste. Les camarades comprendront! tu leur
expliqueras!"
Et les camarades ont compris. Maurice a fait une lettre que j'ai rapportée
à Benoît le soir même, où il disait, entre autres "Fais attention au
Parti comme à la prunelle de tes yeux". Clément (Fried
)
avait approuvé tout de suite. Il avait même dit cette phrase qui m'avait frappée
"C'est un chef !".
Benoît ne parlait pas, il avait dit ce que je devais répéter, et c'est tout. Il se décidait brutalement, mais ce n'était pas sur un coup de tête. Je n'ai jamais connu de coup de tête avec Benoît. Il a toujours été très calculé. Il donnait d'ailleurs l'impression d'être à la fois un ouvrier et un paysan, parce qu'il avait les pieds sur terre."
1940, représentant la direction à Paris
Alors que Thorez est parti pour Moscou via Bruxelles, que Fried, Duclos et quelques autres sont à Bruxelles, que d'autres responsables, encore, sont envoyés en province comme Tillon à Bordeaux, Frachon, lui, reste à Paris entouré d'une poignée de militants. Il ne semble pas qu'il ait eu d'état d'âme particulier vis-à-vis de la ligne de l'IC. Le choix communiste que Benoît avait fait en 1920 était irrévocable, et ce choix impliquait la fidélité à l'URSS. Ce qui est bon pour l'URSS est bon pour les communistes. Au travers de la correspondance qu'il fait parvenir à l'Internationale, il manifeste souvent son inquiétude vis-à-vis d'un certain nombre de parlementaires, tels Renaud Jean, le vieux responsable du secteur agricole, qu'il sent réticents à appliquer la ligne officielle. Pour Frachon, le maintien de la discipline et la loyauté vis-à-vis de l'IC représentent la garantie de ne pas déraper vers les tristes souvenirs de l'union sacrée. Il se sent bien seul et réclame qu'on lui renvoie Ramette, membre du Comité Central, et surtout Mounette , arrivée à Moscou, en train depuis Berlin, au terme d'un voyage épique.
Juin 40 la débacle
En Juin 40, au moment du déferlement des troupes allemandes sur le Nord de la France, des contacts entre le ministre De Monzie et Frachon pour constituer une sorte d'union sacrée pour la défense de Paris, mais Paris ne fut pas défendu et tant le gouvernement que la direction durent prendre leurs dispositions pour se replier vers le Sud.
Le 12 juin, avant que les Allemands ne rentrent dans Paris, Louis Montel , ferrailleur à Villejuif, conduit dans sa voiture Frachon, Marguerite Montré et sa soeur. Ils gagnent directement la Haute-Vienne et sont hébergés à la ferme des parents des soeurs Montré à Fursanne. Ils font la jonction avec l'équipe d'Arthur Dallidet qui avait quitté Paris à vélo et celle de Mounette Dutilleul qui était passée par Bordeaux pour contacter Tillon.
Témoignage de Mounette Dutilleul:
"Du coté de Limoges, on a appris la nouvelle que des pourparlers s'engageaient avec les autorités allemandes pour la reparution de l'Humanité. La question se posait donc d'un retour immédiat sur Paris. Il y avait là Felix Cadras , Victor Michaut, Arthur Dallidet. Benoît n'a pas répondu tout de suite. Michaut s'est prononcé violemment contre, Cadras aussi, moins violemment, car il n'était pas violent, Cadras. Arthur Dallidet a tout de suite argumenté. Il était criant pour nous que cette demande de reparution était une chose impossible... Et Frachon ne disait rien. En fin de compte, il a dit "Bon, il faut organiser la remontée à Paris, il faut aller voir ce qui se passe." Et c'est tout."
Début 41, la direction du Parti ne comprend personne d'autre que Duclos et Frachon. Fin 40, Frachon et Duclos sortaient encore fréquemment dans les rues de Paris, mais ils furent obligés d'espacer de plus en plus leurs sorties, et bientôt de les supprimer complètement. Frachon résida un moment à Montmorency, chez Eugen Le Moign.
Benoît Frachon établit ses pénates à la villa "Les Roses"
en septembre 41. Il avait quarante huit ans, mais depuis quelques années déjà,
ses jeunes camarades, les militantes qui avaient assuré avec lui la survie du
Parti au temps de la drôle de guerre, aimaient le blaguer en lui servant du
"quinquagénaire". Il protestait, pour la forme, mais c'était un
fait, au sein de la jeune équipe dirigeante, il était largement l'aîné des
quadragénaires, Thorez
,
Fried
et
même Duclos. Les militants l'appelaient affectueusement "le tonton",
et avec la gravité imposée par les événements, on le désignait maintenant
comme "l'Oncle", dans les courriers qui circulaient dans le cercle
restreint où il était accordé de discerner certains détails de
l'organigramme de la direction.
Frachon à Forges les Bains (1)
Frachon à Forges-les-Bains (2)
Frachon est aussi avare de paroles que Duclos est volubile, dans les meetings
syndicaux, il préfère souvent faire parler les autres. Il ne se dérobe pas
aux travaux d'écriture, mais garde en la matière beaucoup de modération. Ce
n'est pas qu'il soit laborieux, mais il écrit vite à condition de réfléchir
longtemps, une heure, une journée, une semaine, le temps qu'il faut pour que
ses idées soient claires.
Dans les réunions, les rencontres, il ne développe pas de discours pour
chercher à convaincre, mais il écoute les uns et les autres, et, finalement,
tranche, après avoir suffisamment réfléchi, tirant sur la bouffarde,
naturellement. Il condense sa pensée en de courtes phrases, souvent lapidaires,
dont l'interlocuteur se souvient facilement. Ainsi, rencontrant Tillon en décembre
39: "Je nous vois un Parti de sous-marin, en croisière de nuit... Pourvu que
l'oncle Joseph se développe sur son sixième de globe...", Car Benoît
restera fidèle à l'URSS, il est l'homme des fidélités au mouvement ouvrier,
au Parti, aux copains.
Les copains d'abord, mais pas trop longtemps... pour laisser la place aux
copines, un peu comme Brassens, autre "tonton" à la moustache et à
la pipe. Benoît d'ailleurs aimait chanter, et il chantait bien. Il aimait les
plaisirs de la vie, quand ils n'étaient pas mondains. Ses rencontres sont généralement
marquées par quelques rites qui manifestent que la simplicité et l'humanité
doivent rester immortelles. C'est un terrien. Avec un copain, même dans les périodes
les plus sombres, on peut toujours prendre quelques minutes pour aller boire un
verre au comptoir. Chez lui, dans toutes ses planques, et Dieu sait qu'il en a
écumé, avant de s'installer à Forges, il sait toujours où trouver la dernière
bonne bouteille pour fêter des retrouvailles.
On l'appelait "l'Oncle", car il savait donner confiance à son
entourage. Mounette
,
qui l'a beaucoup connu dans la clandestinité se souvient de lui comme d'un
homme solide et sûr de lui:
"Une fois, on avait une réunion, le soir, et il y avait des barrages
dans la rue, ces fameux peignes, avec deux séries de policiers. On était dans
l'avenue de Clichy, pour monter à la Fourche et retrouver la rue de La
Condamine, il fallait y aller à pied, bien sûr. Benoît me dit
"souviens-toi que c'est toujours le regard qui trahit et rien d'autre,
alors, ne regarde personne dans les yeux, prends mon bras et on va passer."
J'ai pris le bras de Frachon, on a parlé, et on est passé comme des gens très
occupés à régler des affaires de ménage et on est arrivés sans problème
rue de La Condamine. Il n'avait pas tressailli, je lui tenais le bras, il ne
pouvait rien arriver. Il était très maître de lui."
Benoît aime se ménager des moments de détente avec les amis, parties
de pêche ou parties de cartes. Il ne peut s'empêcher de tricher, comme s'il
cultivait la triche comme l'art de vivre du syndicaliste, qui doit transgresser
les règles du jeu de monopoly que les classes possédantes prétendent imposer
sans vergogne aux partenaires ouvriers.
Benoît est fidèle en amitié, et depuis son adhésion au communisme et
aux principes de la révolution russe, il reste fidèle à l'Union Soviétique
et à l'Internationale, ce qui ne l'empêche de rédiger à l'usage des
apparatchiks de l'IC une biographie dont le laconisme frise parfois l'insolence:
"...Mes connaissances marxistes sont
assez limitées. J'ai lu assez, mais sans méthode et un peu de tout. Je n'ai
jamais fréquenté d'école marxiste..."
Surtout, que l'on ne prenne pas la simplicité et l'effacement de Benoît pour
de la modestie. "Il avait tout à
fait conscience de sa valeur, et son autorité est naturelle. Tout en restant maître
de lui, il pouvait laisser échapper des colères réelles, savait être cassant".
Invité à témoigner sur la personnalité de Frachon, Auguste Lecoeur évoquera
d'abord "l'homme le plus accomodant... qui avait l'esprit le plus large...
pratiquement en accord avec tout le monde" avant d'ajouter "mais
Frachon, c'était la main de fer dans le gant de velours" Benoît est
reconnu comme un grand dirigeant dans les plus hautes sphères du mouvement
communiste. L'estime que Thorez
lui
voue est inconditionnelle, comme en témoigne cette note qu'il rédigea en 1943
à l'intention de l'IC:
"...Dés le début de la
guerre, s'est montré ferme. A pris, en fait, le travail de direction en mains,
dans la période où Jacques se confinait à la Chambre, puis lorsqu'il était
à l'étranger. Depuis, Frachon, à notre connaissance, a continué à
travailler excellemment, et peut-être considéré comme le véritable
organisateur du Parti illégal."
Quelques années plus tard, au cours de l'entretien avec Staline
ou
Thorez
avait
gentiment égratigné Jacques, l'inconditionnalité est encore de mise à propos
de Benoît; Il le présente à Staline et Molotov comme "un
communiste remarquable".
Benoît est communiste, mais déteste la vie en communauté. Sa vie privée
ne regarde que lui, il la conçoit en solitaire. Pour les camarades du Parti,
c'est un "anar", qualificatif ambigu mais non péjoratif, qui évoque
à la fois ses origines, plus proudhoniennes que guesdistes, son éducation
vierge de toute formation religieuse.
Il faut savoir se quitter vite pour goûter aux joies des retrouvailles. Benoît n'a aucune envie de vivre avec des hommes, mais y est parfois contraint. Faute de pouvoir dire "Maintenant, casse-toi, mon vieux, je t'ai assez vu !", il se réfugie dans un mutisme vite exaspérant pour le compagnon qui doit faire les questions et les réponses face à une statue qui serre les dents sur sa pipe, autant qu'il le peut, de peur de laisser échapper un mot. On a déjà compris que Benoît restera fidèle à ses copains pour les siècles des siècles, mais qu'il préfère passer les heures de sa vie avec les copines. Benoît aime la compagnie des femmes, leurs conversations, et plus encore si les inclinaisons convergent, et elles convergent souvent, les grands amateurs n'ont pas besoin d'être des Apollons. Benoît respectaient les femmes, polygame peut-être, mais pas Don Juan Dans le monde communiste d'avant 1936, la norme du militant n'était pas le bon époux et bon père de famille. Ce n'est que tardivement qu'émergera une morale de la vie quotidienne. Quand Benoît a jeté les bases de son installation à Forges, pour une période qui pouvait être longue, il n'a pas envisagé de supporter de vivre cette réclusion dans un cadre familial, la solitude lui apparut comme un sort plus enviable; femme et enfant furent expédiés dans la Loire. Jusqu'à la Libération, Benoît s'est soumis sans aucune réserve aux règles de sécurité édictées par de moins gradés que lui. Mais sous le dirigeant discipliné, sommeille toujours l'homme libre à qui il n'est permis de se manifester que lorsque passent à proximité des confidentes privilégiées.