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Commentaires sur ces pages Paxton, avril 2010
J'ai récemment relu ces différentes pages "Affaire Paxton" écrites en 2007. En gros, je suis rassuré, personne n'y a trouvé de très grosses bêtises. Le but principal est donc atteint: ceux qui ont cherché sur la toile des éléments d'information concernant les effectifs allemands présents en France ont pu les trouver. J'espère avoir contribué à rendre moins légitime l'utilisation de chiffres faux en se couvrant d'une haute autorité.
Personne n'a trouvé de grosses bêtises, cela ne veut pas dire qu'on ne m'ait pas critiqué. Je vais y revenir. Que l'objectif principal soit atteint et que j'en assume le contenu trois ans après n'implique pas que je sois pleinement satisfait de ces pages: Les longs développements sur Aron laissent un sentiment d'insatisfaction. En fait, au départ, mon intention était aussi de démontrer que Jäckel (La France dans l'Europe de Hitler) était souvent cité, mais rarement lu et encore plus rarement explicité, et qu'il était erroné de se revendiquer de Jäckel pour proclamer le fameux credo paxtonien: « La collaboration est une demande française ». Ce qui est bien expliqué par Jäckel, c'est le refus de Hitler de voir dans la France un possible allié. Ce que je conteste chez Paxton et ses suiveurs, c'est de qualifier la collaboration (de la France de Vichy) de la façon la plus définitive sans avoir jamais cherché à définir a priori ce qu'était la collaboration dans une situation dissymétrique.
Les pages de l'affaire Paxton sont donc bancales, je le confesse, mais c'est comme ça, c'est un truc que j'ai rédigé et mis en ligne en vitesse. L'immodestie apparente n'en n'est pas une. Je n'ai fait qu'exercer mon droit de lecteur exigeant. Dans la pratique, en 2010, disposant de plus de temps, je décide de cesser la critique et d'apporter beaucoup plus modestement ma pierre à l'édifice historique. Mes projets sont ici.
S'en prendre à Paxton, est-ce défendre Pétain ?
Sur le forum Le Monde en Guerre, J'ai lu ça : «Il s'agit d'une descente en flammes de Paxton qui est vivement critiqué au sujet de ses chiffres, dont ceux concernant l'armée d'occupation. Attention, la vigueur de ces critiques me laisse penser que l'auteur, Emmanuel de Chambost, est plutôt en train de défendre Pétain, mais ses sources peuvent t'être utiles.»J'ai beaucoup apprécié cet « Attention ». Il montre très bien comment on a pu en arriver à un manque total de sens critique vis-à-vis de certains historiens: Il ne faudrait surtout pas qu'on nous prenne pour des défenseurs de Pétain ! Le principe de précaution appliqué à tort et à travers.
C'est vrai qu'avant d'être du passé, Pétain a été du présent, c'est-à-dire une personnalité politique avec ses partisans plus ou moins fidèles et ses adversaires. Et puis, il a été jugé, et certains de ses partisans lui sont restés fidèles et ont continué à le défendre. Je ne me situe pas dans ce débat-là. Non seulement, on peut essayer de comprendre l'histoire de la France dans les années noires sans se croire forcé de voter pour ou contre Pétain, mais on peut aussi penser que Pétain n'et pas si intéressant que ça et qu'en tout cas, sa culpabilité généralisée ne saurait être le point de départ de toute investigation historique ou réflexion historiographique. Je n'en veux pas à celui qui a écrit ça. Il y a tellement de gens qui me prennent pour un communiste, ça change un peu !
Confidence: Parmi les personnalités de Vichy, je trouve que Laval et Weygand sont beaucoup plus intéressants que Pétain.
Notes de lecturesIl y a six mois, j'ai commencé à accumuler des manuels scolaires pour voir comment la période de l'occupation avait été traitée depuis les année soixante. Pour l'instant, c'est encore un projet inachevé. En même temps que les manuels scolaires, je me suis procuré le Que-sais-je sur "Le Régime de Vichy", édition de 2007. ça tombe bien, il est écrit par Henry Rousso, pas le plus mauvais, donc.
Mise en application du souhait affirmé depuis une dizaine d'années de donner plus de place au poids des occupants, Rousso consacre une section dans le chapitre sur la collaboration à la "politique des occupants" où il conclut: « La politique de collaboration n'est donc pas, comme on l'a souvent écrit, un jeu à sens unique; elle est une négociation inégale et tendue, entre des acteurs poursuivant des objectifs différents - parfois concordants, parfois divergents ».
Tout en maintenant une présentation sévère à l'encontre de Vichy, parfois proche du réquisitoire, Rousso s'éloigne pour l'essentiel des incohérences paxtoniennes, mais il en reste des traces: A la page 36, où on retrouve vers 1942 un niveau d'étiage des troupes "opérationnelles" à 40000 (qui s'ajoutent aux 30000 de la MBF et assimilée). Lorsqu'il discute le nombre des victimes juives et leurs comparaison avec les voisins belges et hollandais, il reprend l'explication douteuse de "l'étendue du pays" sans sombrer toutefois dans le ridicule des "régions montagneuses" qui lui a échappé, à peu près à la même époque, lors d'une interview pour Annette Levy-Willard, de Libé, (19/02/07).
Beaucoup plus récent, le numéro d'Histoire daté d'avril 2010 nous crédite d'un article de Paxton (traduit de l'Anglais) "Vichy a gagné la guerre de la mémoire", où il explique qu'il y a une version persistante, notamment chez les historiens étrangers, de la raison de la victoire française, qui tiendrait, en gros, à un certain déclin de la France après la première guerre mondiale, ce qui renverrait plus ou moins à l'explication pétainiste de la décadence morale. Paxton trouve quand même plein d'historiens pour venir au secours de la thèse inverse: La défaite n'était pas inéluctable. Jusqu'à son dernier souffle Paxton aura besoin d''imaginer que la pensée dominante est pétainiste. Dans le même numéro, Julian Jakson assène en conclusion "Ce sont les généraux, pas les hommes politiques, qui ont perdu la bataille de 1940". Dans le même numéro, Olivier Wieviorka, légèrement plus nuancé pose la question "La défaite était-elle inéluctable ?" mais répond par la négative. Sa conclusion, audacieuse, vaut le coup d'être citée intégralement: "Si Londres et Paris avaient réarmé plus précocement et récusé la tentation de l'appeasement, si Moscou avait plus lucidement mesuré les dangers de la menace nazie, la situation se serait présentée, en 1939, comme en 1940 sous un jour radicalement différent, ce qui invite à récuser les interprétations téléologiques construisant la défaite comme l'inéluctable conséquence du traité de Versailles." Pour couronner le tout, un encart non signé consacré à Marc Bloch enfonce le clou: les "historiens d'aujourd'hui ne donnent pas totalement raison" à Marc Bloch, qui chargeait lourdement les chefs militaires, mais se posait aussi quelques questions sur ce qui s'était passé avant.
Ainsi, l'Histoire rouvre ce débat oiseux sur l'inéluctabilité... et le ferme aussitôt en assénant que les "historiens d'aujourd'hui", Paxton, Jackson, et Wieviorka ont tranché: la défaite n'était pas inéluctable. Et toute opinion inverse, qualifiée de "téléologique", devient hérétique. Il faut quand même remettre les choses d'aplomb: Bien sûr, qu'a priori, pour les contemporains français, la défaite n'était pas inéluctable. Preuve en est qu'ils ont déclaré la guerre. Lorsqu'un historien se pose -légitimement- la question des causes de la défaite, il peut brasser des arguments dans un sens ou dans l'autre, mais la réponse ne ne sera jamais différente des hypothèses implicites inscrites au départ du raisonnement: Si on postule le primat du politique sur le militaire, on va trouver des responsabilités politiques. Au contraire, si on postule l'indépendance du militaire, la responsablité d'une défaite militaire sera évidemment militaire. On peut avoir l'esprit joueur et la fibre stratégique et on verra dans la défaite une partie mal jouée. On peut au contraire récuser la part du hasard, s'inscrire dans une problématique de système complexe et chercher une cause première aussi loin que l'on veut. Dans tous les cas, il ne faut surtout pas donner l'illusion d'avoir démontré quoique ce soit.