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La déposition de Paxton au procés Papon et les commentaires EdC

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Août 2011

Le point sur les Landesschützen, Loïc Bonal

Novembre 2011
A propos de l'article de Paxton et Lieb:
Il faut sauver le soldat Paxton

Il faut sauver le soldat Paxton (28 Novembre 2011)


Dans le dernier numéro de la revue "Vingtième siècle, Revue d'Histoire", Robert Paxton et Peter Lieb publient un article pour répondre à ceux qui ont contesté les chiffres des effectifs des militaires allemands en France pendant l'occupation, 40,000 à 60,000 selon diverses publication de Paxton. C'est ce débat qui est à l'origine des pages de ce site consacrées à Paxton et créées en 2007 (40 000 soldats allemands en France ?) .  Peter Lieb, le co-auteur de Paxton est un historien allemand, auteur d'un livre sur la guerre menée par les Allemands contre les maquis français en 1943-44:  "Konventioneller Krieg oder NS-Weltanshauungskrieg ? Krigführung und Partisanen bekämpfung in Frankreich 1943/44", Oldenbourg Wissenschaftsverlag, 2007. Il est donc parfaitement qualifié pour faire les décomptes des divisions et des bataillons présents en France pendant l'occupation. Sa mission est simple: pour sauver le soldat Paxton, il faut rédiger 10 pages historiquement correctes et trouver finalement un chiffre compris entre 40,000 et 60,000. La vocation de ces pages étant d'être anti-paxtoniennes, je vais évidemment donner un point de vue différent des auteurs, ce qui ne m'empêche pas d'être tout à fait ravi de trouver publiés dans une revue très accessible un certain nombre de chiffres qui pourront faire référence.

L'article de Paxton et Lieb

 "Maintenir l'ordre en France occupée, combien de divisions ?" ,

(XXeme siècle, revue d'histoire, 2011/4 n°112, pp.115-126  Résumé et Téléchargement sur le site XXe siècle)


L'article de Paxton et Lieb

Fiche de lecture

La critique EdC

   Sur le dénombrement des effectifs

   Lutte contre la Résistance, l'omission de l'Abwehr ?       

   Des chiffres pour quoi faire ?

      Rapport de forces entre l'Allemagne et la France de Vichy ?

      Lutte contre la Résistance et contre les maquis .

      La France vaincue mise au pas par les vainqueurs 

    Et la MBB ? (2 décembre 2012)


Fiche de Lecture 

Les auteurs annoncent explicitement que la question posée est celle de la controverse du chiffrage:
Il y a vingt ans, Rita Thalmann se demanda comment la « mise au pas » d’une nation de 40 millions d’habitants avait pu atteindre de telles proportions en si peu de temps avec des effectifs ne dépassant pas 40 000 hommes, même après l’occupation de la zone dite libre. Robert O. Paxton a cite ce chiffre à plusieurs reprises, estimation vivement contestée par quelques-uns qui le jugent sous-estimé. Pierre Laborie a ainsi déclaré que l’on peut regretter que le respect légitime a l'égard de Robert O. Paxton] […] conduise à rester silencieux devant un point contestable de son travail."  
Les auteurs brossent ensuite l'évolution de l'état des effectifs des armées allemandes en Europe de l'ouest entre 1940 et 1944. Ces chiffres sont, en gros, compatibles avec le décompte de Loïc Bonal : un niveau d'étiage de
380,000 en 1941 et ensuite, une progression jusqu'à 1,5 million, en juin 1944. Une distinction est ensuite judicieusement faite entre les unités de combat qui n'ont pas vocation à faire du maintien de l'ordre et les troupes qui dépendent de la MBF et qui ont vocation, elles, à assurer la sécurité. Les unités de combat n'ont donc pas vocation à lutter contre la Résistance, mais elles doivent riposter lorsqu'elles sont attaquées. Les auteurs rappellent ensuite que Hitler entendait initialement confier le maintien de l'ordre aux Français. C'est le sens, par exemple des accords Oberg-Bousquet, motivés, du côté français par le fait que Vichy ne voulait pas renoncer à assurer sa sécurité. Ainsi, le maintien de l'ordre est-il, autant que possible laissé, à la charge du gouvernement français qui dispose pour cette mission de la gendarmerie (37 000 hommes), de la Garde mobile (6 000), des GMR créés en avril 1941 (6 600) et de la Milice, armée à partir de janvier 1944 (30 000).

Pour occuper le terrain, les Allemands déploient des bataillons territoriaux (Landesschutzenbataillone), rebaptisés, pour la plupart, bataillons de sécurité (Sicherungsbataillone), en 1943, et qui sont globalement inaptes au combat. On apprend que les unités de combat en France comprenaient aussi plus de 60,000 volontaires et conscrits de l’Est, dont certains provenaient de nationalités non russes comme des Géorgiens, des Azerbaïdjanais, des Kazakhs et similaires (Ostlegionen). D’autres étaient des volontaires de nationalité russe (Osttruppen). De plus 3 000 volontaires indiens, la légion Subhas Chandra Bose furent stationnés en Gironde. Ces unités de l'Est commencèrent à arriver en France à l'automne 1943. A partir du début 1944, plusieurs milliers d'entre eux participèrent à la répression de la Résistance. 

La description à la fois synthétique et assez détaillée des différentes unités engagées contre les maquis occupe une bonne partie de l'article, et notamment le rôle de la 157eme division et de la division Brehmer. Les bataillons territoriaux ne sont pas investis dans cette lutte contre la Résistance, mais sont confinés dans des tâches plus routinières comme la surveillance des ponts et lignes de chemins de fer. Ce n'est qu'après le 6 juin 1944 que les troupes de combat allemandes ne sont employées dans la lutte contre la Résistance, comme la célèbre division Das Reich, responsable du massacre d'Oradour et des pendaisons de Tulle.

Pour conclure, les auteurs posent la question : « Au total, combien de soldats allemands furent employés pour tenir en bride la population française entre 1940 et 1944 ? » et y répondent en donnant d'abord les effectifs des bataillons territoriaux dépendant de la MBF et ensuite une estimation des effectifs des unités de combat engagées contre la Résistance. Concernant les effectifs de la MBF: 80,000 au début de 1941, un niveau d'étiage de 35 000 au début de l'été 1942 et quelque 55 000 hommes au début de 1943, après l'occupation de la zone libre pour remonter à 95 000 à la fin de 1943. L'effectif total des unités de combat engagées simultanément dans les opérations contre les maquis ne dépassa jamais 30 000 hommes. Au passage, lorsqu'est évoqué le niveau d'étiage des bataillons territoriaux, 35 000,  le Paxton du XXeme siècle s'est vu crédité par celui du XXIeme d'une surestimation. En termes littéraires, les auteurs avancent que « jusqu'au début de l'année 1944, moins de forces allemandes furent assignées au maintien de l'ordre en France que ce que l'on croit souvent » et que si les Allemands étaient en mesure de faire souffrir la population et de nuire aux forces de la Résistance, « ils n'eurent jamais assez de troupes pour maintenir seuls l'ordre en France ». 

Inévitablement, dans ce petit résumé, j'ai pu laisser passer des choses intéressantes. Mais, pour ceux qui veulent avoir accès au texte original, je répète qu'il est en ligne ici à condition, bien sûr d'être prêt à débourser la somme très raisonnable de 5 euros.

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La critique EdC

Sur le dénombrement des effectifs

Je suppose que les différents chiffres de dénombrement sont corrects. Les spécialistes de la question y verront peut-être matière à discussion. Cela dépasse en tous cas mon domaine de compétence.

Lutte contre la Résistance, l'omission de l'Abwehr

Concernant l'investissement des Allemands dans la lutte contre les maquis, j'apprécie beaucoup la publication de cet article de synthèse, mais j'attire néanmoins l'attention du lecteur sur une ambiguïté et sur une assez grosse lacune: Le texte concerne essentiellement la lutte contre les maquis, mais les termes « maquis » et « Résistance » sont employés de façon indistincte, ce qui revient à passer à la trappe toute la première période de l'occupation où la Résistance ne s'exprimait pas encore sous forme de maquis. Comme on sait, au cours de cette période, la lutte contre les Résistants fut en partie déléguée à la police française, mais la répression de cette dernière ne s'exerça vraiment de façon efficace qu'à l'encontre des communistes. Ceci nous conduit à la lacune: Pour démanteler les premiers réseaux, souvent liés aux Anglais, les Allemands eurent recours aux services de  l'Abwehr, toujours très efficace (Sur le site EdC, voir, par exemple cette page). On comprend bien que Peter Lieb ait tendance à recycler ses précédents travaux dans l'article co-écrit avec Paxton, mais du coup toute la réflexion concernant la période 1940-1942 s'en trouve très affaiblie. La prise en compte de l'Abwehr n'aurait pas changé grand-chose au dénombrement global des effectifs. L'efficacité de l'Abwehr tient à sa qualité plus qu'à la quantité de ses effectifs. Ceci me conduit à contester, encore une fois, la manipulation incohérente que Paxton fait des chiffres.

Des chiffres pour quoi faire ?

Comme en toute matière comptable, il n'est pas nécessaire de savoir ce que l'on va faire des chiffres au moment où l'on opère un dénombrement. C'est de la saine organisation que de commencer par compter juste avant de savoir comment on va faire parler les chiffres. Il y a trois questions qui ne sont pas indépendantes, mais que l'on peut traiter séparément

- Quel est le rapport des forces militaires entre l'Allemagne et la France de Vichy ?

- Avec quels moyens les Allemands ont-ils lutté contre la Résistance et contre les maquis ?

- Comment la France vaincue a-t-elle été mise au pas par les vainqueurs ?

Quel est le rapport des forces militaires entre l'Allemagne et la France de Vichy ?

Hitler, vainqueur, fait le choix de laisser en place un gouvernement français doté d'une certaine autonomie. C'est pour lui le meilleur moyen de ne pas précipiter l'empire français et la flotte française dans le bras des Anglais. Comme il n'a guère confiance dans la loyauté les Français, il impose  un affaiblissement drastique de l'Armée de Vichy et s'assure qu'à tout moment les forces allemandes sont en mesure de frapper un grand coup, c'est-à-dire de réaliser l'opération Attila. C'est le sens de son instruction du 8 décembre 1941.« Dans tous les cas,  la puissance des armées de l'Ouest doit être maintenue de manière à assurer la défense des côtes et l'exécution de l'opération Attila » (Eberhard Jäckel, La France dans l'Europe de Hitler, Fayard, 1968, p.336). A ce propos, le chiffre pertinent serait donc celui des forces armées basées à l'Ouest, soit  380,000 à leur niveau le plus bas dont une partie peut participer à l'invasion de la zone libre sans risquer d'être mise en échec par une armée de Vichy réduite à 100,000 hommes dotés d'un armement très médiocre. Pour éviter que cette opération ne soit mise en œuvre, Vichy donne mission à son armée d'Afrique de s'opposer à tout débarquement anglais ou américain, ce qui sera fait avec zèle et succès, à Dakar et avec un zèle discutable et sans succès, en novembre 1942. Le basculement probable de l'Armée d'Afrique du côté des Alliés représenta alors un échec pour Hitler qui sanctionna logiquement le gouvernement de Vichy par le déclenchement de l'opération Attila mise en œuvre par 4 divisions soit 60,000 hommes (Paxton, l'Armée de Vichy ed.2004, p.405) 

Avec quels moyens les Allemands ont-ils lutté contre la Résistance et contre les maquis ?

Comme je l'ai écrit plus haut cette question est relativement bien traitée dans l'article. Je ne m'étendrais pas sur le partage des tâches entre le gouvernement de Vichy et les autorités d'occupation, celui-ci évolue au cours des années. S'il faut retenir un chiffre ce serait celui, donné dans l'article,  de 30,000 hommes des unités de combat engagées par les Allemands en 1944.


Comment la France vaincue a-t-elle été mise au pas par les vainqueurs ?

C'est bien la problématique adressée par le livre de Rita Thalmann dont il est souvent question dans cette controverse sur les chiffres. Dans l'avant-propos de son livre La mise au pas, Fayard, 1991, Thalmann écrit en effet pour expliquer dans quel esprit elle a dépouillé aux Archives nationales  les cartons de la MBF: « J'ai tenté ensuite de comprendre pourquoi et comment la mise au pas d'un pays de 45 millions d'habitants avait pu atteindre de telles proportions en si peu de temps, avec des effectifs ne dépassant pas 40,000 hommes, même après l'occupation de la zone libre. pourquoi et comment aussi le contrôle du territoire et de son administration, l'épuration et la surveillance de tous les secteurs de la vie publique ont pu s'effectuer sans difficultés notables alors que l'emprise idéologique et culturelle n'a pas abouti aux résultats escomptés. » Pour répondre à cette question, Thalmann explore les rouages de la MBF et de ses technocrates qui s'organisent au mieux pour connaitre et contrôler l'administration française, mais l'essentiel de l'intérêt de Thalmann est dirigé vers les questions idéologiques et culturelles.

Parmi les quelques 40,000 hommes de la MBF, il aurait été intéressant de connaitre le nombre de ceux qui sont rattachés à la section économique (Wirtschaftsabteilung) et administrative (Vertwaltungsabteilung). Probablement quelques milliers, ils sont bien plus intéressants que les militaires des bataillons territoriaux qui n'ont qu'une valeur militaire très faible. Les membres des sections économiques et administratives sont généralement qualifiés pour le travail qu'on attend d'eux: contrôler l'administration française. Une des grosses faiblesse du livre de Thalmann est de délaisser les questions économiques, mais elle annonce la couleur dans son avant-propos: le dépouillement  des cartons ayant trait à l'exploitation économique de la France est l'affaire des spécialistes de l'histoire économique. Autant dire que la question de la Mise au pas n'est donc pas vraiment traitée, puisque dans l'Europe hitlérienne, le rôle dévolu à la France était de produire pour participer à l'effort de guerre allemand. Si l'on parle d'effectifs allemands dévolus à cette tâche, ils débordent très largement ceux de la Wirtschaftsabteilung. Pour marquer à la culotte les entreprises françaises, les autorités allemandes ont institué un réseau d'entreprises tutrices dont les représentants en France n'émargent pas à la MBF. Pour assurer la liaison avec le groupe de la CSF (Compagnie générale de TSF) sur laquelle je travaille actuellement, j'ai dénombré un peu plus d'une vingtaine de personnes rattachées au bureau parisien de Telefunken à mettre en regard des quelque 4,000 personnes travaillant dans l'entreprise française. On peut trouver que c'est beaucoup ou pas beaucoup, mais en tous cas, ce sont eux qui font en sorte que la société française travaille au mieux des intérêts allemands et s'il faut compter des Allemands présents en France pour la tenir en bride, il ne faut pas les oublier.

Un dernier mot pour la fin. A maintes reprises Paxton et Lieb s'attachent à démonter le « Mythe de l'omniprésence allemande en France ».  Ni Laborie, ni ma très modeste personne, ni même aucun internaute que Google permet de localiser en quelques clics, ni, il me semble, aucun ouvrage publié ces trente dernières années, mais, bien sûr, je ne lis pas tout, n'ont jamais défendu une telle thèse. Il 'est pas contesté par les historiens que je lis qu'après sa victoire de juin 1940, Hitler a voulu affaiblir et exploiter la France en économisant autant que se faire se peut ses ressources militaires, en essayant de tirer le maximum de profit de la collaboration de l'administration française, mais en prenant aussi le risque que les choses ne soient pas forcément faites comme il le désirait. S'il faut compter quelque chose pour mesurer le poids de l'occupation, ce ne sont pas les  Landesschutzenbataillone, mais les centaines de milliards de francs ponctionnés et les dizaines de milliers de déportés et fusillés.

Commentaire sur la MBB (2 décembre 2011)

Sur le Forum de Livres de guerre, j'écrivais le 2 décembre 2011, le commentaire suivant:

Dans mon premier commentaire, écrit un peu rapidement après la parution de l'article de Paxton et Lieb, il m'était passé inaperçu que les auteurs ne font aucune mention de la MBB (Militärbefehlshaber in Belgien und Nordfrankreich). C'est pourtat elle qui est impliquée dans la première opération de répression d'importance, menée en France, contre la grève des mineurs de mai-juin 1941, 244 déportés vers Sachshausen selon le très intéressant article en ligne de Thomas Fontaine.

Les 40 Millions d'habitants cités au début de l'article sont un peu supérieurs au chiffre réel de l'hexagone non amputé. Rita Thalmann, dans son fameux prologue parlait de 45 millions d'habitants, c'est dire qu'elle n'avait jamais ambitionné de faire un chiffrage précis. Les 40 millions d'habitants qui ne sont pas une citation de Thalmann mais un chiffre introduit par Paxton et Lieb ne sont, à aucune époque à mettre en regard avec le périmètre de la MBF.

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