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La déposition de Paxton au procès Papon (31 octobre 1997)
Analyse de texte du 6 avril 2009
Au procés Papon, Paxton soutient qu'il n'y avait que 60000 Allemands en France sous l'occupation, alors qu'à leur plus bas niveau, ils étaient 250000
Le 6 mai 1981, le Canard Enchaîné mettait sur le tapis l'implication de Maurice Papon dans l'organisation des rafles de juifs, alors qu'il était secrétaire général de la préfecture de Gironde, fonctionnaire du gouvernement de Vichy. Maurice Papon avait été plus récemment, de 1978 à 1981, ministre du budget de Raymond Barre. Le Canard produisait notamment des documents signées de Maurice Papon et qui lui avaient été communiquées par un certain Michel Slitinsky, fils d'un déporté à Auschwitz, arrêté par la police française de Bordeaux. Le 15 décembre 1981, un jury d'honneur composé d'anciens résistants « donne acte à M. Papon de ce qu'il fut bien affilié aux Forces françaises combattantes à compter du 1er janvier 1943 et attributaire de la carte du combattant volontaire de la Résistance ».
Entre temps, une plainte avait été déposée le 8 décembre 1981 par Maurice-David Matisson, Jean-Marie Matisson, Jacqueline Matisson et Esther Fogiel pour "crimes contre l'humanité". 8 membres de leur famille avaient été déportés à Bordeaux au cours des rafles de 1942. Papon est inculpé en 1983 de crimes contre l'humanité mais ce n'est qu'en 1997 que débute son procès, après dix-sept années de batailles juridiques. Il est renvoyé, le 18 septembre 1996, devant la cour d'assises de la Gironde par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux. Maurice Sabatier, préfet de la Gironde en 1989 avait été également inculpé, mais il est mort en 1989. René Bousquet, secrétaire général de la police dans le gouvernement de Pierre Laval en 1942, a été inculpé en 1991, mais il est assassiné en juin 1993.
C'est un procès à grand spectacle qui s'ouvre le 8 octobre 1997 à Bordeaux. Pour beacuoup, il s'agit, à travers le cas Papon, de faire le Procès de Vichy. C'est pourquoi un certain nombre d'historiens spécialistes de la période ont été convoqués comme témoins, alors même qu'ils n'avaient rien de particulier à dire sur le rôle de Papon: C'est ainsi que se sont succédés à la barre entre le 31 octobre et le 5 novembre Robert Paxton, Henri Amouroux, Jean-Pierre Azéma, Philippe Burrin, René Rémond, Marc-Olivier Baruch et même Jean Lacouture ! D'autres historiens comme Henri Rousso avaient refusé de comparaître.
Les compte-rendus sténographiques ont été publiés en 1998 (Le Procès de Maurice Papon ; compte rendu sténographique. Albin Michel, septembre 1998, 2 tomes.) Sur le site de Jacques Villette (http://www.maurice-papon.net/paxton.htm), on trouvait un extrait du compte-rendu de la déposition de Paxton: " Combien d’Allemands étaient présents en France sous l’occupation ? Aujourd’hui, des historiens se le demandent. Le chiffre qui revient le plus souvent est celui de 40 000 : 40 000 hommes dont l’âge moyen était de 48 ans." En mars 2009, Jacques Villette m'a prévenu que les extraits qu'il avaient reproduits ne correspondaient pas exactement à l'enregistrement du procès, disponibles, en ligne (en mars et avril 2009 tout au moins), ce sont des archives de l'INA:
http://www.ina.fr/archivespourtous/popup.php?vue=papon&cle=15
J'ai donc fait une retranscription particulièrement fidèle du passage où Paxton aborde le problème des effectifs allemands en France. En fait, l'ensemble de la déposition est intéressant, c'est pourquoi, j'ai débordé, mais je n'ai pas retranscrit en entier.
Résumé du début de la déposition Au président Castagnède qui lui demande simplement de faire sa déposition, Paxton
se présente comme
historien de Vichy, non spécialiste de la Gironde, et sans
information particulière sur Papon. Sans aucune note (je crois
d'ailleurs qu'un témoin n'a pas le droit de lire des notes), Il parle
ensuite sans être
interrompu et suit le fil de l'Histoire depuis l'armistice. Il en
vient à parler des accords Oberg-Bousquet, prélude aux
rafles en zone occupée. Je laisse maintenant parler Paxton. Je n'ai corrigé qu'exceptionnellement son langage parlé (qui peut donc paraître un peu incorrect, lourd et redondant, d'autant que Paxton n'est pas si à l'aise que ça en français) |
Déposition Paxton |
«...On en vient ensuite à un point qui va à l'encontre de beaucoup d'idées reçues, il faut dire que les nazis avaient besoin de l'administration française. Je crois que nous sommes tous en France et à l'étranger sous le coup de la victoire allemande de mai-juin 1940. De là à supposer que les nazis étaient en 1940-42, des surhommes capables de faire appliquer leur volonté dans le dernier village de France et dans tous les pays occupés simultanément... |
Commentaires EdC |
En 1997, il y a longtemps que Paxton est au centre du courant dominantL Les idées qui sont bien reçues au moment où il parle, ce sont les siennes. |
Déposition Paxton |
...Une des questions les plus
intéressantes, c'est de savoir exactement combien d'Allemands
il y avait en France sous l'occupation. C'est un élément
crucial pour la compréhension de la politique de
collaboration, mais c'est une information très difficile à
trouver parce que personne n'a pensé poser la question.
Justement, il y a maintenant des historiens qui y pensent. J'ai
trouvé chez un historien allemand et chez une historienne
française des chiffres concordants, d'à peu près
60000 Allemands dévoués au maintien de l'ordre. Du point de vue des forces armées, après le départ des forces allemandes en décembre 1940, après l'abandon par Hitler du projet de débarquement en Angleterre, après le retrait de ces troupes, il n'y avait en France que 60 bataillons de ce qu'on appelle les Landesschützen comme forces militaire et 17 bataillons de plus pour le gardiennage des prisonniers. Un bataillon allemand, à cette époque, c'est entre 400 et 800 hommes. Les Landesschützen Bataillon, ce sont des compagnies de réserve, leur âge moyen est de 48 ans, ce ne sont pas des hommes aptes au combat, ce n'est pas le surhomme nazi qu'on imagine... |
Commentaires EdC |
Si
l'on suit le fil de la déposition, la question intéressante serait de
se demander combien d'Allemands étaient à même de se substituer à
l'administration française pour poursuivre leurs objectifs, par exemple
les rafles des juifs, mais pour des raisons qui sont les siennes, Paxton pose la question des effectifs
des forces armées, et la réponse qu'il donne à cette question est erronée. Il est piquant que l'historien qui a fait une thèse sur l'armée de Vichy prétende ne s'être jamais intéressé aux forces qu'il y avait en face. Il s'y est quand même un peu intéressé, puisqu'on peut lire à la page 405 de l'édition 2004 de l'armée de Vichy que 4 divisions allemandes franchissent la ligne de démarcation à l'aube du 4 novembre. 4 divisions, cela représente environ 60000 hommes, bien distincts des 60000 Landesschützen, peu aptes au combat. Ces 4 divisions ne tombent pas du ciel, Hitler avait voulu qu'elles soient là pour pouvoir mener à bien à tout moment l'opération Attila, c'est-à-dire l'invasion de la zone Sud, et ceci a intéressé les historiens, par exemple, Jäckel, quand lui-aussi rédigeait sa thèse dans les années soixante « Dans tous les cas, écrivait Hitler dans une instruction datée du 8 décembre 1941, la puissance des armées de l'Ouest doit être maintenue de manière à assurer la défense des côtes et l'exécution de l'opération Attila » (Eberhard Jäckel, La France dans l'Europe de Hitler, Fayard, 1968, p.336). Rita Thalmann, l'historienne française évoquée Paxton ne s'intéresse en aucune façon aux forces armées capables d'envahir la zone Sud. Elle ne prétend même pas avoir fait le décompte des Landesschützen, dépendant de la MBF (Militärbefehlshaber in Frankreich), dont elle a étudié les archives. Elle n'a par conséquent établi aucun chiffre susceptible d'être recoupé avec un autre. Son sujet, ce sont les quelques centaines de cadres de la MBF dont la mision est de faire tourner la France au profit de l'Allemagne. Pour des données précises pour les effectifs allemands en France, voir sur une autre page du site EdC (Les effectifs allemands en France): A leur niveau d'étiage, en mai 1942, les effectifs allemands en France étaient de 250000 hommes. |
Déposition Paxton |
...Il y a un thème qui se retrouve partout dans la correspondance des autorités allemandes avec Berlin, c'est le manque de peronnel. C'et une demande continue: « nous n'avons pas assez de personnel, nous sommes très à court, il faut nous aider, il faut nous envoyer du personnel supplémentaire ». Mais dés juin 1941, quand Hitler envahit l'Union Soviétique, c'est tout le contraire qui arrive, le dernier homme apte au combat est retiré de France et même lorsque fin 1943 début 1944, les Allemands sont obligés de renvoyer en France des troupes pour défendre contre un débarquement allié, ces troupes sont stationnées sur la côte et non pas à l'intérieur. Pendant toute cette période, pendant toute l'occupation, il y a un manque considérable de personnel. Dans les documents allemands, on trouve par exemple, en juillet 1942, c'est le moment des rafles, la demande de l'envoi de 150 hommes. Ils n'en recevront que quatre. Il y a donc un manque de personnel chez les Allemands, ils ont besoin de l'administration française, ils ne sont pas capables de tout faire eux-même, ils ne connaissent pas bien le terrain, ils sont en terre étrangère. Ils sont beaucoup moins nombreux que les forces françaises de maintien de l'ordre et on peut voir l'effet de ce manque si on regarde les chiffres de la déportation... |
Commentaires EdC |
Paxton
maintient encore la confusion entre le personnel combattant, qui
est transféré, en partie sur le front Russe et le personnel
administratif et policier. Ce faisant, il énonce une contre-vérité par
ailleurs bien inutile dans ce procés : « Le dernier homme apte au
combat est retiré de France. » Il aurait été plus clair de lire ce
court pasage de Hilberg: |
Raul Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, Tome 2, Gallimard, 2005 p.1177 (1ere édition française, Fayard, 1985) |
Dans
toute la France occupée, la Police régulière allemande n'avait que
trois bataillons à sa dispositions, soit 3000 hommes en tout. On peut
se faire une idée de l'insuffisance de ces effectifs en songeant que la
Hollande disposit de plus de 5000 hommes... pour la garde des trains,
qui ne demandait que de faibles effectifs, le RSHA s'était assuré le
concours de la Feldgendarmerie; pour les arrestations en revanche,
d'une ampleurnettement plus considérable, les SS durent faire appel à
la police française. En zone occupée, les forces de la police française
se montaient à 47000 hommes... |
Déposition Paxton |
...Il y a un autre tournant qui a lieu en juin 1943, quand le régime de Vichy commence à prendre ses distances, un petit peu, avec ces opérations qui ont un effet si négatif sur l'opinion publique. L'administration participe en 1943 avec beaucoup plus de réticences à ce genre d'opérations. Un bon exemple, c'est, le 8 août 1943, le refus par Laval du projet de dénaturalisation des Juifs français. Les Allemands avaient demandé à la France de dénaturaliser un certain nombre de Juifs qui avaient obtenu la nationalité française à partir de 1927. Laval a négocié, mais le 8 août 1943, il dit non. En même temps, René Bousquet commence à être un peu plus réticent, et le comportement de l'administration et de la police devient plus réticent dans certaines régions de France et on commence à voir dans les rapports allemands un ton un peu différent. Jusqu'alors, les Allemands se sont félicités du comportement de l'administration et de la police française. Fin 1943, les nazis envoient des rapports à Berlin disant que ça devient de plus en plus difficile. Il y a ce tournant, et on voit le résultat sur les chiffres de la déportation. La première année, avec la coopération brutale de la police française, ce sont 42000 Juifs qui partent. En 1943, ça tombe radicalement à 16000 à peu près. Il y a un ralentissement considérable et cela, pour plusieurs raisons: Problèmes de transport et réticence de l'administration. En 1944, avec 17000 déportions, les chiffres remontent légèrement sous l'impulsion de Joseph Darnand. Cela ne veut pas dire que l'attitude de l'administration française est le seul facteur, mais on voit le résultat... |
Commentaires EdC |
Ces
chiffres jetés incidemment ruinent le paxtonisme courant: si l'inertie
ou la «réticence» du gouvernement français, pour reprendre les termes
employés ici par Paxton, peuvent être un frein aux demandes allemandes,
cela veut dire que le maintien d'un gouvernement français pouvait, le cas échéant, être également un moyen de freiner les exigences allemandes. |
Déposition Paxton |
...76000 sur 300000, on entend souvent dire que ce résultat n'est pas si mauvais. C'est une logique qui semble très puissante, et on croit très généralement en France que c'est le régime de Vichy qui a limité les dégâts. Ce genre de raisonnement par chiffres bruts, globaux, qui semble facile à comprendre, n'est pas forcémment logique. On pourrait citer un cas analogue: J'ai entendu des concitoyens de mon pays dire: « S'il y a aujourd'hui davantage d'Indiens qu'il n'y en avait au temps de Christophe Colomb, ça prouve que ce n'était pas si mauvais que ça ! ». Vous voyez le genre de réultat auquel on peut arriver en prenant des chiffres globaux et en supposant que ça prouve quelque chose... |
Commentaires EdC |
Pour
échapper à la logique implacable qu'il a lui-même amorcée, Paxton botte
en touche, c'est à dire du côté des Indiens d'Amérique |
Déposition Paxton |
...Pour expliquer ce chiffre de 76000, il faut suivre tout le déroulement du processus, il faut examiner tous les facteurs, et ils sont multiples, qui ont pu influer sur le nombre de juifs déportés: Les possibilités d'évasion, la difficulté de trouver les Juifs, les difficultés de transport, les rapports avec l'administration locale, la nature de la population juive, est-ce qu'ils sont facilement repérables ou pas ? Est-ce qu'ils sont assimilés ou pas ? On voit tout de suite qu'il y a des différences énormes avec la Hollande et la France par exemple. En Hollande, les Juifs sont domiciliés principalement à Amsterdam, ils dirigent le marché des diamants, ils sont souvent des orthodoxes et sont vêtus différemment, ils parlent souvent Yiddish, ils sont très faciles à repérer, ils sont concentrés dans les villes où ils ne sont pas assimilés. Je crois que leur religion est indiquée sur leurs papiers. En France, par contre, il y a de multiples possibilités d'échapper à la déportation. Si on dit qu'il y a à peu près 330000 Juifs en France au début de la guerre, c'est qu'on ne sait pas exactement combien, l'Etat-civil n'indique pas l'appartenance religieuse ou l'appartenance ethnique... |
Commentaires EdC |
Paxton
s'emploie toujours à déminer un terrain qu'il a lui-même miné avec l'ensemble de son œuvre. Il a
en effet coutume de comparer la France aux « autres pays occidentaux occupés par
l'Allemagne » pour montrer que la France s'en tire plus mal que les
autres. Et en fait, « pays occidental », ça se réduit aux Pays-Bas, parce
que l'Italie ou le Danemark sont des cas trop différents et qu'en
Belgique, Hitler a traité séparément le cas des Wallons et celui des
Flamands. Or concernant la déportation des juifs, question centrale du
procés, les chiffres des Pays-Bas sont beaucoup plus mauvais que ceux
de la France. Pour y voir clair, dans cette histoire, on peut se référer, par exemple à Yves Durand, Le nouvel ordre européen nazi, 1938-1945, éditions complexe, 1990. Ce sont les nazis qui assignent à chaque pays la place qu'il doit avoir dans l'Europe sous dominantion allemande. La France n'a pas vocation à être intégrée à l'Allemagne, mais à être exploitée. Elle est donc dirigée par son propre gouvernement et doit verser un tribut au vainqueur. Les Pays-Bas sont un pays qui pourrait être intégré à l'Allemagne. Les Allemands investissent donc plus en fonctionnaires et en police, mais cet investissement a un retour immédiat, puisque des néerlandais servent, en nombre, dans la Wehrmacht ou la Waffen-SS sont beaucoup plus nombreux. En 1944, des juifs très visibles vivent à Paris sans être inquiétés, alors même que les services allemands organisent aussi des convois de déportation juqu'en juillet. Paxton l'ignore-t-il ? Pourquoi tant de juifs visibles ne sont-ils pas inquiétés ? L'explication que donne Asher Cohen (Persécutions et sauvetages, cerf, 1993, p.497) est raisonnable: « En France, du fait de la guerre, la Wehrmacht était l'agent principal du joug allemand et elle ne fut jamais utilisée pour les arrestations. Souvent, et surtout à la fin de l'occupation, même la Feldgendarmerie ne fut pas autorisée à y prêter main-forte. L'Allemagne en guerre avait, en France, des intérêts considérés comme plus importants que la réalisation de la Solution finale: le soutien économique, en produits et en main d'œuvre. » |
Déposition Paxton |
...Les Juifs auraient été difficiles à repérer sous le régime républicain. Les Juifs « citoyens français sont très intégrés, mais le régime de Vichy a rendu cette population beaucoup plus vulnérable, et cela de plusieurs façons: il y a le célèbre fichiers des Juifs de France, et je vous signale, ce sont des citoyens français aussi bien qu'étrangers. Les lois antijuives sont dirigées contre tous les Juifs, y compris les citoyens. Aucun effort pour protéger les citoyens, au début.. Donc, les Juifs de France, les citoyens et les autres sont répertoriés, ils sont marqués.. Il est vrai que le maréchal Pétain, il était parfois capable de dire non, a refusé le port de l'étoile en zone Sud, mais quand même, les cartes de rationnement et les cartes d'identité étaient tamponnées en rouge « Juifs ». Donc, les juifs étaient marqués, pas publiquement, parce que ça faisait offense à l'opinion publique, les Juifs étaient expulsés de leur travail etc...» |
Commentaires EdC |
Rien à redire à ça. Comme j'ai déjà été assez méchant, je m'arrête là. |