L'Affaire Paxton (2007) | L'auteur, contact |
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(2007) L'Affaire Paxton | Avril 2009 La déposition de Paxton au procés Papon et les commentaires EdC | Avril 2010 | Août 2011 | Novembre 2011 A propos de l'article de Paxton et Lieb: Il faut sauver le soldat Paxton |
40000 soldats allemands en
France ?
1 Janvier 2006, je m'interroge 2.1 1993, La France des années noires 2.2 1997, Avant propos de la France de Vichy |
Me souvenant que le sujet avait déjà été débattu, le 8 janvier 2006, je formulais la question suivante sur les "histoforums" (http://histoforum.org/)
"Quels
ont été les effectifs allemands présents en France entre 1940 et 1944 ?
Dans l'avant-propos de l'édition de 1997 de "La France de Vichy",
Paxton articule une partie de son raisonnement autour de ces chiffres:
"Aucune évaluation raisonnable du Diktat nazi ne saurait passer sous silence la relative faiblesse des troupes d'occupation" écrit-il après avoir parlé de 30-40000 hommes après Août 41."
Comme
Paxton est un historien connu et spécialiste de la période, a priori ce
chiffre fait foi. En tous cas, il peut être repris par des historiens de
seconde main ou vulgarisateurs de bonne foi.
Ce qui pose les questions suivantes:
- Le chiffre de 30-40000 après Août 41 est-il exact ? Sinon, quel est le vrai
chiffre ? A-t-il été déjà publié ?
- Quelle est l'évolution des effectifs entre 1940 et 1944 ? "
Parmi les intervenants qui prennent part aux débats,
Bruno Roy-Henry, qui déclare avoir mis le doigt sur l'erreur en 2000 et Loïc
Bonal qui avait déjà réussi à faire une estimation des troupes allemandes en
2004, pour conclure que les effectifs de l'armée allemande n'avaient jamais été
inférieurs à 400 000 hommes entre 1940 et 1944. J'ai recopié ces données
chiffrées dans l'annexe: présence militaire
allemande en France.
J'en
profite pour citer et remercier encore Thierry Decool, Loïc Lilian et Evelyne
Py, Eric Denis et Denis Parpaillon qui avaient également apporté leur
participation positive à la recherche de la vérité. Comme je regrettais que
les chiffres qui résultaient de cette enquête coopérative étaient
introuvables dans la littérature francophone, certains ont recopié sur leur
site personnel les contributions les plus substantielles.
Revenons à Paxton et à l'objet du délit.
L'estimation des troupes allemandes en France à 45000 d'abord, puis à 60000
n'est pas une erreur que se serait glissé accidentellement dans une édition de
1972, mais une affirmation sans cesse répétée dans diverses publications et
interventions tout au long de sa carrière..
Dans son article "la collaboration d'état", in "La France des années noires", p.357 de l'édition de poche Points-Seuil, Paxton écrit ceci:
"... Il est vrai que les Allemands
disposaient de la force pour s'emparer de ce qu'ils voulaient, même
quand le gouvernement de Vichy n'était pas d'accord... L'absurde (sic)
coût de l'occupation dont le montant avait été fixé à 4 Millions de
francs par jour... ...Mais les avantages tirés de l'armistice par le vainqueur ne reposaient pas sur le seul droit du plus fort. L'Allemagne réalisait une sérieuse économie puisque la France, bien qu'occupée, avait l'autorisation de s'auto administrer, maintenant l'ordre elle-même, produisant pour l'économie de guerre allemande, protégeant son empire et sa flotte contre les alliés sans que Hitler qui s'en réjouissait eut à débourser un seul mark, et en n'immobilisant qu'une très modeste force d'occupation constituée de troupes de second ordre [Note: Selon Rita Thalmann, la Mise au Pas, Paris Fayard, 1991, p.11, les effectifs des autorités d'occupation ne dépassaient jamais 40000 personnes. L'age moyen des troupes d'occupation était de 48 ans. Bernd Kasten, "Gute Franzosen": die französische Polizei..., Jan Thorbecke Verlag, 1993, p.56] Vichy s'était vu accorder en échange la permission de maintenir la France hors de la guerre ..." |
Avant-propos de "La France de Vichy", Le Seuil, édition de 1997, .collection Points-Histoire, p.11
"...Après
le départ des unités massées en France pour l'opération Seelöwe, il
n'y aura plus de forces d'occupation considérables, qu'elles soient
militaires ou policières: la plupart des Allemands en état de
combattre qui restaient sur le sol français furent envoyés sur le
front russe à l'été 1941, ne laissant derrière eux que 60 bataillons
de Landesschätz (30 à 40000 hommes trop âgés pour le front) 1
Et les troupes allemandes qui revinrent au front en 1943 pour parer à
la menace d'un débarquement allié ne furent déployées que sur les
cotes. Rita Thalmann avait donc quelque raison de se demander, en 1991,
comment la "mise au pas" d'une nation de 45 millions
d'habitants "avait pu atteindre de telles proportions en si peu de
temps avec des effectifs ne dépassant pas 40000 hommes, même après
l'occupation de la zone dite libre" 2.
Sans une administration française pour faire fonctionner le pays et une
police française pour maintenir l'ordre, la tâche aurait été
impossible. Aucune évaluation raisonnable du Diktat nazi ne saurait
passer sous silence la relative faiblesse des troupes d'occupation..."
[Note 1: leur age moyen était de 48 ans: Bernd Kasten, "Gute Franzosen": Die französiche Polizei und die deutsche Bezatzungsmacht in besetzen Frankreich. Sigmaringen, Jan Thorbecke Verlag 1993, p.56. Voir aussi Hans Humbreit, Der Militärbefehlshäber in Frankreich, 1840-44, Boppard am Rhein, Harald Bildt Verlag, 1968, p.46-51] [Note 2: Rita Thalmann, La Mise au pas: idéologie et stratégie sécuritaire dans la France occupée, Paris, Fayard, 1991, p.11] |
D'après Jacques Villette, qui milite pour la réhabilitation de Papon, lors de son audition au procès Papon, le 31 octobre 1997, Paxton aurait déclaré (http://www.maurice-papon.net/paxton.htm):
" Combien d’Allemands étaient présents en France sous l’occupation ? Aujourd’hui, des historiens se le demandent. Le chiffre qui revient le plus souvent est celui de 40 000 : 40 000 hommes dont l’âge moyen était de 48 ans. " |
Je n'ai pas pu trouvé la déposition complète de Paxton lors du procés. Je ne m'avancerai donc pas trop pour interprêter la déclaration. Difficile également de dire si ce pourrait être un témoignage malheureux qui pourrait être à l'origine de la façon dont Paxton s'est par la suite enferré dans sa position.
[En avril 2009, Jacques Villette me dis comment accéder en ligne à la déposition. C'est intéressant. Voir La déposition de Paxton au procés Papon et les commentaires EdC.
Le 4 novembre 2000; Paxton donne une conférence au CHRD de Lyon (Centre d'études sur la Résistance et la déportation. Selon le compte-rendu d'Evelyne Py, publié avec l'autorisation du conférencier, Robert Paxton a déclaré que
"Hitler a fait un calcul astucieux… Un armistice bien pensé empêchera les Français de former un gouvernement outre-mer et permettra de faire des « économies de moyens » en les laissant se gouverner eux-mêmes. Il suffit de se poser la question : Combien d’allemands sont présents en France ? Récemment , les dernières études montrent qu’ils n’ont jamais été plus de 60 000 et d’un âge moyen de 48 ans . On est donc loin de la force illimitée et invincible décrite par Aron. La France de Vichy administre et laisse les allemands libres pour la conquête." |
Dans une conférence donnée en octobre 2006 l'INRP de Lyon, Pierre Laborie aborde le sujet: Selon les notes de Daniel Letouzey, approuvé par l'auteur, ce que Laborie considère comme une bévue est encore présent dans l'avant-propos de La France de Vichy, édition 2005.
"Paxton écrit que jusqu'en 1943, il n'y a eu que 40 000 soldats allemands …C'est une grossière erreur, gênante en raison du commentaire qui l’accompagne, et malheureusement répétée au cours des éditions, en dépit des démarches effectuées (au moins par PL, peut-être par d’autres) pour attirer l’attention de l’éditeur sur la bévue."
Ainsi, alors que les effectifs des troupes d'occupation allemandes ont toujours dépassé les 400000 hommes, Paxton laisse entendre, à plusieurs reprises qu'il n'y avait que 40000 soldats allemands pour occuper la France. Est-il possible qu'un historien spécialiste de la période se trompe d'ordre de grandeur sur un chiffre qui est quand même au cœur du sujet ? Il vient d'abord à l'idée qu'il y a malentendu. C'est ce qu'exprimait Loïc Bonal, le jeune historien qui a su reconstituer rapidement les effectifs allemands en France :
"Plus
je lis Paxton, et plus je pense que son chiffre ne prend en compte que les unités
militaires spécifiquement dédiées aux tâches d'occupation, à l'exclusion de
celles, les plus nombreuses, destinées à défendre la France conquise d'un
retour allié.
Ainsi, il ne prend en compte que les Landesschützen, vieux territoriaux sans
grand moyen de combat, et les Reserve Divisionen, divisions formées des
conscrits pas encore totalement instruits, sans parler des Infanterie Divisionen
qui garnissent l'Atlantikwall et des Panzer Divisionen qui constituent la réserve
mécanisée de contre-offensive en cas de débarquement.
On ne peut totalement nier la pertinence de cette exclusion, les troupes de
ligne étant utilisées au renforcement des fortifications, à la protection des
côtes et des sites stratégiques et formant une réserve stratégique générale
dont l'OKH se servira à l'automne 1941 et au printemps 1942 pour renforcer le
Front de l'Est.
Cependant, c'est quand même un peu réducteur, car elles ont aussi permis de
"sécuriser" les zones dans lesquelles elles étaient déployées par
leur présence même.
Je pense donc que le chiffre de Paxton est sans doute correct quand il s'agit
des forces militaires purement consacrées à ce que les Américains appellent
aujourd'hui la "counter-insurgency" et plus largement l'occupation
stricto sensu. Mais son chiffre ne prend absolument pas en compte les niveau des
forces militaires allemandes globales déployées en France, bien plus
importants, sinon il est de toute évidence dans l'erreur..."
Mais Loïc ajoutait un peu plus tard
"Effectivement,
il est très réducteur de n'analyser la présence militaire allemande en France
qu'à l'aune des troupes spécifiquement dédiée à l'occupation et au maintien
de l'ordre. Je trouve même cela paradoxal, car il est plus fréquent de se
limiter aux unités de campagne que l'inverse, ces unités de Landesschützen et
même de "Sicherung" n'ayant qu'une valeur militaire dérisoire."
On pourrait penser à un malentendu si ce chiffre de 40 000 ou 60 000 n'était évoqué qu'à une seule reprise, mais le fait qu'il ait été repris au moins quatre fois, et à chaque fois, sans aucune mention du fait qu'il ne s'agissait que d'une partie des troupes allemandes, écarte définitivement la possibilité d'un malentendu. Dans la mesure où l'on donne de l'importance à un chiffre, la moindre des choses est de préciser de quoi on parle, de délimiter le périmètre du comptage. On ne peut pas évoquer dans la même page (la page 357 de "La France des années noires", 1993) les frais d'occupation de 400 millions de francs par jour qui n'étaient pas envoyés en Allemagne mais restaient en France pour payer l'ensemble des frais occasionnés par les centaines de milliers de soldats Allemands et expliquer ensuite qu'il n'y avait que 40 000 vieux Allemands pour occuper le pays.
Autrement dit, il ne reste plus que deux façons de qualifier cette façon de décompter les troupes d'occupation: L'incompétence ou la mauvaise foi.
Qu'un historien que j'ai parfois eu l'occasion de citer comme une autorité éminente, parce qu'il est spécialement reconnu par ses pairs appartenant à la communauté d'historiens professionnels, puisse être taxé d'incompétence ou de mauvaise foi m'a jeté dans une profonde perplexité.
Dans les années 2005-2007, j'ai beaucoup contribué à un certain nombre d'articles de wikipédia, notamment sur le régime de Vichy, sur la Résistance intérieure française, sur l'histoire d'un certain nombre de pays d'Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce travail de vulgarisation, où soit dit en passant, je ne manquais pas de citer abondamment Paxton, a consolidé ma culture sur la période. J'ai fini par accumuler bon nombre d'ouvrages sur les étagères de ma bibliothèque.
De nombreux auteurs se plaisant à faire état d'une "révolution paxtonienne", j'ai entrepris une relecture plus approfondie de Paxton, privilégiant l'avant-propos de 1997, où Paxton prend quelques distances avec l'ouvrage de 1972 et réactualise en quelque sorte le fond de sa pensée.
Et c'est là qu'il m'est apparu que c'était en fait chez Paxton, une pratique courante, de tordre les données chiffrées de la façon la plus spécieuse, chaque fois ou presque qu'il argumente pour défendre une thèse quelconque.
"La Mise au Pas de Rita Thalmann, Fayard, 1991", est un ouvrage fort intéressant qui vaut mieux que sa quatrième de couverture où l'on retrouve ce fameux chiffre de 40 000:
" on comprend mieux pourquoi et comment la mise au pas dun pays de quarante cinq millions d'habitants put atteindre de telles proportions en si peu d'années, et ce, avec des effectifs ne dépassant pas 40 000 hommes"
En fait, l'auteur a dépouillé les archives de l'administration militaire allemande ou Militärbefehlhaber in Frankreich (MBF) dont les effectifs étaient approximativement de 40 000 hommes. En fait, Rita Thalmann s'intéresse surtout aux tâches administratives de la MBF etc'est-à-dire au travail des échelons supérieurs dont les effectifs ne doivent pas dépasser les quelques milliers.