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L'Affaire Paxton (2007) L'auteur, contact

Le soupçon

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Déportation des Juifs

L'entêtement

Robert Aron: le vrai et le fabriqué

Conclusion

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"L'affaire Paxton"

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L'Affaire Paxton

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La déposition de Paxton au procés Papon et les commentaires EdC

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Commentaires sur ces pages, 3 ans après

Août 2011

Le point sur les Landesschützen, Loïc Bonal

Novembre 2011
A propos de l'article de Paxton et Lieb:
Il faut sauver le soldat Paxton

La suite ( décembre 2014)  De l'affaire Paxton à l'affaire Zemmour en passant par le livre d'Alain Michel

 Conclusion

L'heure est venue de faire le tri dans le Vichy de Paxton, de garder ce qui représente un apport historique et de rejeter ce qui ressort du dogme. Paxton a conduit la première génération d'historiens qui peut vraiment prendre du recul face à l'événement, ce qui lui permet d'aller au-delà de la chronique et de tenter de faire ressortir des dominantes. Du côté de la politique étrangère, par-delà les fluctuations, une constante, celle de la recherche de la collaboration avec l'Allemagne dans la neutralité militaire. Du coté de la politique intérieure, la Révolution nationale. En prime, ce constat que le principal bénéfice de la politique de collaboration est de pouvoir mener une politique intérieure.

 

Peu importe que les thèses historiques soient révolutionnaires ou antériorisées. Venons-en au dogme: Vichy est une entité condamnable et qui doit être reconnue pleinement coupable. Quelles sont les conditions pour que la culpabilité soit totale:

1. Que Vichy soit pleinement responsable

2. Que Vichy soit constamment coupable

3. Que Vichy ne soit jamais bénéfique.

4. Que tous ses chefs soient solidaires, responsables et également coupables.

 

Quand on prend le négatif de ces propositions, le portrait robot de Robert Aron apparaît. Pas le vrai Robert Aron de l'Histoire de Vichy, mais le bouc émissaire qui a été fabriqué pour les besoins de la cause, avec les thèses du diktat, du double-jeu, du bouclier et des deux Vichy, le bon de Pétain et le mauvais de Laval. Défendre la mémoire de Robert Aron n'est pas mon propos; même si je souhaite qu'à l'avenir, on parle - aussi - de Robert Aron sans le falsifier.

 

La présentation par le Paxton de 1990 de son argumentaire contre les quatre « piliers » de l'interprétation aronienne représente à son tour les fondements du dogme paxtonien. Cette présentation reste dans la lignée d'autres historiens qui se revendiquent comme paxtoniens. Il  faut avoir le courage de dénoncer ce dogme pour faire sauter cet oppressant carcan qui nous oblige plus ou moins à considérer encore en 2007 que la vérité paxtonienne est reconnue comme scientifiquement valide par les meilleurs historiens du domaine.

 

Ce sont dans les écrits même de ces meilleurs historiens que l'on trouve facilement de quoi faire sauter le carcan. Il y a longtemps que les historiens ne suivent plus Paxton, mais ils le protègent. On peut évidemment se demander pourquoi, mais auparavant, je voudrais résumer quelques considérations simples complètement contradictoires avec le dogme:

 

La domination allemande est bel est bien une dominante de l'histoire de la France sous le régime de Vichy. En première approche, les Allemands qui ont vaincu l'armée française, détiennent entre un et deux millions de prisonniers et occupent les deux tiers d'abord, l'intégralité du territoire ensuite et ponctionnent de substantiels frais d'occupation. Désigner la domination allemande comme une dominante n'évacue pas la question de la collaboration mais n'est pas compatible avec la position du Paxton de 1997 sur le Diktat (p.10-12).

 

La soumission dont fait preuve la France en demandant l'armistice en juin 1940 et en se dotant ensuite d'un exécutif compatible avec cette soumission est d'abord une démarche pour alléger ses souffrances et ses souffrances sont évidemment, dans un premier temps, allégées: Une partie de l'armée échappe à la capitulation, l'administration remet rapidement le pays en ordre. Dans un processus de domination/soumission, les intérêts du dominant ne sont pas forcément opposés à ceux du soumis: En l'occurrence, les intérêts du dominant sont, dans le désordre, la mise hors d'état de nuire d'une France en tant que puissance européenne, l'exploitation de la France pour la poursuite de la guerre et la mise en place de la politique raciale nazie. Le soumis est bien fondé à croire qu'en cédant sur un certain nombre de points au dominant, il échappera à la répression violente. Il n'y a que des mauvaises raisons à prétendre que les gouvernements de Vichy échappent à ce cadre, que de douteuses arguties qui prétendent démontrer que la soumission ne saurait conduire en l'allègement de la peine. Ceci, qui n'est pas glorieux pour la France et ne préjuge pas d'une analyse plus approfondie de l'évolution dans le temps des rapports dominant/soumis est résolument contradictoire avec la position du Paxton de 1997 sur le «Bouclier » (p.12-14)

 

Dans une situation de domination, quelque soient les bénéfices retirés par les plus hautes instances des soumis, la question n'est pas de savoir si ces instances mènent un double jeu, mais de savoir quel double jeu elles mènent. Par définition, tous les gouverneurs, les gauleiters, et autres représentants de l'autorité dominante, exécutent des ordres et jouent un jeu unique  alors que les instances représentatives des vaincus, des colonisés, des asservis, sont amenées à jouer un jeu au moins double. C'est pour cela qu'ils sont en place. On peut présumer qu'en tant qu'homme de pouvoir, l'une des premières préoccupation de Laval est de se maintenir au pouvoir, mais pour réaliser cet objectif, il doit faire face à la fois aux exigences des Allemands et aux exigences de ceux des Français qui ont quelque influence sur son destin: Pétain, le milieu politique de Vichy, l'opinion publique française en général. Il ne devrait y avoir aucune honte pour un historien à se demander comment Laval joue son double jeu. Ceci n'exclue pas ensuite de contester des propositions émanant d'autres historiens, ceci n'implique certainement pas que les dirigeants de Vichy aient joué le jeu des Alliés, et encore moins que Pétain ou Laval se seraient joués des Allemands, mais sort complètement du cadre limité aux relations avec les Allemands et les Alliés présenté par Paxton aux pages 14-16, alors même qu'il prétend réfuter Aron, qui, lui a évoqué toutes sortes de double jeux.

 

Enfin, mais ce point est un détail, il n'est pas incongru lorsqu'on traite un sujet de s'intéresser de près aux acteurs les plus importants, et, le cas échéant d'établir entre eux des nuances sur les choix tactiques, les orientations politiques, et les responsabilités dans les différentes prises de décision. Constater que non seulement Pétain avait 84 ans en 1940 et 88 ans en 1944, mais qu'il avait très fréquemment toutes les caractéristiques d'un homme très avancé en âge n'est pas une incongruité et cela mérite d'être dit si les éléments sont là pour étayer ce point de vue. Est-ce que cela risque de minimiser la responsabilité globale de Pétain ? C'est une autre affaire qui concerne ceux qui ont à juger ou ceux qui veulent juger. Vouloir expurger l'histoire de tous les éléments pouvant entraver la condamnation finale et globale à laquelle on a décidé de ne pas pouvoir échapper, cela fait aussi partie de l'édifice dogmatique paxtonien.

 

C'est bien là le sens du dogme paxtonien: Tous les coups sont permis à condition d'arriver à la conclusion moralisatrice que Paxton assène à la dernière page de son livre de 1972 et qu'il confirme en 1990 en ces termes: "Quand je relis aujourd'hui certains jugements prononcés par moi à l'époque (comme ceux des pages 62-63 et 288), je concède qu'ils sont bien trop totalisants et parfois féroces. Ils étaient influencés, je le reconnais, par ma répulsion devant la guerre menée au Vietnam par mon propre pays. Mais à mes yeux, il et toujours légitime de dire que le régime de Vichy aura été de bout en bout souillé par son péché originel de juin 1940…"

 

Je n'ai pas vraiment compris ce que venait faire le Vietnam dans l'affaire et il semble qu'il y ait une erreur dans les numéros de page. Peu importe, Paxton a le droit de suivre son chemin et de condamner dans la même charrette Thieu, Nixon et Pétain à condition que son propre cheminement ne devienne pas parole d'évangile.

 

Pourquoi et comment la posture moralisatrice de l'historien de Virginie a été adoptée par toute une génération d'historien pour devenir une vulgate, pour reprendre le terme de Pierre Laborie, un des rares historiens, semble-t-il, à remettre ouvertement en cause la place de Paxton en des termes à peu près explicites ? Je n'ai pas la réponse, je ne peux que me risquer à émettre des hypothèses. Il y avait peut-être dans ces années qui ont suivi 68, un désir très fort de faire la révolution, surtout peut-être de la part de ceux qui étaient trop jeunes en 1944 et trop vieux en 1968. S'il était difficile pour un Robert Aron qui avait vécu ces années-là et y avait survécu immergé dans le milieu qu'il dépeint, de prendre ses distances et de condamner globalement tous ceux qu'il avait côtoyés sans faire preuve d'une certaine empathie, il est difficile également pour la génération d'historiens d'après-guerre de ne pas positionner Vichy exactement à l'opposé des valeurs des années soixante-dix ou de Mai 68 pour faire plus court. Vichy est le repoussoir idéal d'autant plus que l'extermination des juifs et l'implication de la police française commence à être perçue comme le fait majeur de la Seconde Guerre mondiale.. Comment résister à l'envie de meurtre d'un père aussi caricatural que le Pétain de la Révolution nationale ? 

 

Il y a de bonnes raisons pour déboulonner Paxton et en finir avec le dogme paxtonien. Je vais donner 2 exemples. En vertu du dogme paxtonien du bouclier ou plutôt du non-bouclier les propos suivants sont hérétiques.

"Dans ces réactions aux pressions allemandes, le gouvernement de Vichy tenta de maintenir le processus de destruction à l'intérieur de certaines limites. Celles-ci eurent essentiellement pour objet de retarder l'évolution du processus dans son ensemble. Les autorités françaises cherchèrent à éviter toute action radicale. Elles reculèrent devant l'adoption de mesures sans précédent dans l'histoire. Quand la pression allemande s'intensifia en 1942, le gouvernement de Vichy se retrancha derrière une seconde ligne de défense . Les juifs étrangers et les immigrants furent abandonnés à leur sort et l'on s'efforça de protéger les Juifs nationaux. Dans une certaine mesure, cette stratégie réussit. En renonçant à épargner une fraction, on sauva une grande partie de la totalité."

 

Ces lignes n'ont pas été écrite par Xavier Vallat ou par quelque autre défenseur de Pétain, mais par Raul Hilberg (La destruction des Juifs d'Europe, Tome II, p. 1122-1123 de l'édition Gallimard, Folio, 2006). Si j'étais un professeur d'histoire français je n'oserais pas tenir de tels propos dans mon cours, tellement ils semblent hérétiques, en-dehors du dogme. Je ne pense pas que l'on enseigne le régime de Vichy dans un autre pays que la France, mais la légitimité de Paxton est encore plus grande dans le monde anglophone. En vertu de la pensée Paxton, le point de vue d'Hilberg ne passe pas dans la wikipedia anglophone (Voir, par exemple cette discussion sur la page de discussion de l'article "Vichy France").

 

En novembre 1942, en Afrique du Nord,  toute l'administration de Vichy bascule en quelques jours du côté des alliés. Elle est encadrée par quelques hiérarques vichyssois de haut rang: Darlan, Juin, Noguès. L'armée qui pour défendre la neutralité revendiquée par Vichy avait, en certains points, vraiment «résisté» au débarquement américain, va s'engager massivement aux côtés des américains. La grille de lecture paxtonienne est impuissante à appréhender ce magnifique retournement de veste pourtant très similaire à des évènements qui interviendront plus tard, au cours de la guerre, en Italie, en Hongrie, en Roumanie et en Bulgarie.

 

Dans une interview à Libération (9 février 2007) où il est amené à revenir sur le procès Papon, Henry Rousso déclare d'abord:

 

" Il n'a pas permis de mieux comprendre Vichy. Au contraire, il a renforcé une vision de plus en plus répandue qui minimise le rôle de l'occupant : aucun Allemand n'a été appelé à témoigner au cours du procès, ce qui donnait l'impression que l'occupant nazi ne jouait qu'un rôle secondaire dans cette affaire. On a perdu de vue le poids de l'occupant."

 

Et en répondant à une autre question poursuit ensuite:

 

" Robert Paxton et d'autres ont expliqué pourquoi tant de Juifs ont survécu en France : la taille du pays, sa géographie montagneuse où l'on pouvait se cacher, une guerre qui s'est terminée plus tôt qu'ailleurs."

 

Or Paxton n'a jamais rien montré. Il s'est contenté d'avancer des explications qui devraient faire bonne figure dans un réquisitoire qui ne doit laisser aucune chance à Vichy. Rousso semble considérer que ce que dit Paxton vaut démonstration. Avant, il avait regretté qu'on ait "perdu de vue le poids de l'occupant" sans mettre en cause le dogme paxtonien qui nie le Diktat allemand. De la même façon, Azéma cosigne en 2004 " Menant une politique antisémite propre, Vichy, pour sauver les ressortissants français, sacrifie froidement étrangers et apatrides" (Azéma et Wieviorka, Vichy 1940-44, Perrin-tempus, 2004, p.271) semble en opposition radicale avec Paxton qui maintient au procès Papon de 1997 les positions défendues avec Marrus en 1981: "Contrairement aux idées reçues, Vichy n’a pas sacrifié les juifs étrangers dans l’espoir de protéger les juifs français. Dès le début, au sommet, on savait que le départ de ces derniers était inéluctable." Mais le même Azéma dans le chapitre "les évolutions de la mémoire savante" du même livre ne fait preuve d'aucune réserve vis-à-vis de Paxton et de la révolution paxtonienne.

 

Ainsi, beaucoup n'hésitent pas à tenir des propos hérétiques vis-à-vis du dogme paxtonien, mais très peu osent ouvertement remettre en cause sa légitimité. Alors, voilà, je pétitionne, je clame haut et fort sur la grande toile: Il faut en finir, non pas avec Paxton dont le travail a profité à tout le monde, mais avec son dogme étouffant, il faut enfin sortir de la révolution paxtonienne qui va finir par rendre Vichy sympathique. Aron et Paxton partagent l'objectif de vouloir juger globalement Vichy. Une bonne approche pour rompre en douceur avec le dogme paxtonien consiste à sortir du cadre français et à se situer résolument dans celui de l'Europe sous domination nazie. Alors, on ne risque plus d'oublier le poids de l'occupant.

 

Emmanuel de Chambost, 9 septembre 2007

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