La direction du Parti pendant la guerre | Grèves, maquis, guérilla urbaine... |
HISTOIRE DU PCF (Août-Dec 1939)
Cette page
est constituée d'extaits du livre "La Direction du PCF dans la Clandestinité (1941-44)"
Plan de la page | Voir aussi |
Munich, le pacte, l'entrée en guerre Les débuts de la clandestinité |
De
Munich à l'entrée en guerre en passant par le pacte
Le 30 septembre 1938, Daladier
et
Chamberlain
signaient
avec Hitler
les
accords de Munich qui consacraient le démembrement de la Tchécoslovaquie. A
son retour à l'aéroport du Bourget, Daladier était acclamé par la foule, la
guerre était écartée. A la Chambre, avec seulement trois autres députés,
les soixante douze communistes rejetèrent les accords. Depuis l'Anschluss,
quelques mois plus tôt, les communistes se sentaient bien seuls à dénoncer le
danger nazi. Cette fois-ci, ils étaient persuadés que la France et
l'Angleterre avaient voulu détourner vers l'URSS les foudres hitlériennes, et
c'est vrai qu'ils étaient nombreux, à droite, tant à Londres qu'à Paris,
ceux qui pensaient que la moins mauvaise guerre serait celle qui aurait opposé
le nazi au bolchevique. Pour les communistes, les choses étaient encore
simples, l'antifascisme et la défense de l'URSS étaient un seul combat.
On comprend d'autant mieux le désarroi des communistes lorsque, par la
radio et les journaux, ils prirent connaissance du pacte germano-soviétique le
23 août 39: Après l'Autriche et la Tchécoslovaquie, les nazis lorgnaient
maintenant du coté de la Pologne, faisant valoir des droits sur le couloir de
Dantzig. Des négociations se croisaient, entre Londres, Paris et Moscou, en vue
d'une alliance militaire de nature à contrer la menace allemande. Mais Staline
avait
décidé que l'heure n'était pas venue de la confrontation avec Hitler
, et il
faisait aux occidentaux le coup de Munich à l'envers, il leur montrait qu'il
serait toujours le plus cynique. Dés le mois de mai 39, les diplomates soviétiques
à Berlin avaient commencé à prendre langue avec leurs homologues allemands.
Des pourparlers secrets furent engagés, qui devaient permettre à l'URSS de
rester à l'écart d'un conflit jugé inévitable. Le pacte fut signé le 23 août,
des accords secrets prévoyaient le partage de la Pologne. Le 3 septembre, la
France déclarait la guerre à L'Allemagne.
Le
Parti reste fidèle... à l'URSS
Il y eut quelques jours pendant lesquels les communistes français essayèrent
de concilier leur fidélité à l'URSS et leurs convictions antifascistes. Car
il semble bien viscéral, l'antifascisme de ces communistes qui se sont engagés
en masse pour l'Espagne. Mais elle est carrément aveugle, leur fidélité à
l'URSS. Staline
peut
bien massacrer des communistes russes par dizaines de milliers, les communistes
français le considèrent comme un Dieu. Ils ne savent pas, croient que ce sont
forcément des racontars de la presse bourgeoise, ou pire, des trotskistes. Tous
ces délégués au Komintern qui font la navette entre Paris et Moscou,
peuvent-ils ignorer que sur un effectif de 492 personnes comptabilisées au
Komintern, 112 ont été arrêtées en 37 ou en 38, et dans la plupart des cas,
fusillées ? Oui, ils le peuvent. Les hommes de foi n'ont d'yeux et d'oreilles
que pour ce à quoi il croient.
Donc, les communistes sont troublés, et à la base, il y a bien quelques
défections, mais dans l'ensemble ils ne mettent pas en doute le bien-fondé du
pacte, car Staline
doit
bien avoir ses raisons. Pas question de désavouer le pacte, mais aucune
explication, aucune consigne ne leur est parvenue par les canaux habituels de
l'Internationale. Alors, ils envoient à Moscou, pour recevoir des explications,
Arthur
Dallidet,
qui part accompagné d'un de ses adjoints, Georges Beaufils
. En
attendant les explications, ils votent à l'Assemblée les crédits de guerre le
2 Octobre et Thorez
, mobilisé,
rejoint son unité à Arras.
Mais la rupture était déjà consommée avec le premier ministre de l'époque,
Daladier
, une
vieille connaissance des communistes. Dés 1934, c'est lui, radical de gauche,
que Thorez
était
allé chercher pour amorcer des pourparlers au-delà des socialistes et jeter
les bases du Front Populaire. En 1938, au retour de Munich où il avait signé
avec Chamberlain
et
Hitler
le
fameux traité, il retrouve les communistes, mais cette fois-ci, contre lui. En
août 39, il attaque et interdit la presse communiste dés le 26 août, et
dissout le Parti le 26 septembre. Ainsi agressé, le parti peut-il plus
facilement faire taire les états d'âme. On serre les boulons et on défend la
forteresse assiégée. Comme tout corps vivant, le Parti lutte pour sa survie.
Par sa stupide répression, Daladier a largement contribué à cette survie. Il
était temps, car les nouvelles directives qui commencent à filtrer de Moscou
auraient pu provoquer une dislocation intérieure, un effondrement des
charpentes de foi qui soutiennent tout l'édifice communiste.
Il semble que Dallidet et Beaufils
n'aient
pu rencontrer à Moscou que des personnalités de second plan qui leur ont
raconté que l'URSS n'avait fait que se défendre, qu'on ne désespérait pas de
conclure une alliance avec la France et l'Angleterre. On a baladé Beaufils à
Stalingrad avec force visites d'usines. Dallidet avait pu rentrer à Paris à
temps, le 4 septembre, jour de la déclaration de guerre, mais Beaufils sera
surpris à Stalingrad et mettra trois bonnes semaines pour regagner son bureau
de recrutement à La Rochelle. C'est à la fin du mois de septembre que Dimitrov
fait
parvenir à Paris des directives beaucoup plus sérieuses, transmises par
Raymond Guyot
, en
poste à Moscou en tant que secrétaire général des jeunesses de l'IC.
Maintenant, il n'est plus possible de biaiser, ordre est donné de cesser les
attaques contre les Allemands et de ne plus dénoncer que la "guerre impérialiste"
des Anglais et des Français. Grâce à Daladier
, le
Parti pourra assumer toutes les abjections auxquelles l'IC contraindra ses
dirigeants jusqu'à la fin 40, et les communistes qui quitteront le Parti pour
cause de désaccord avec le pacte seront l'exception plus que la règle. Dans le
groupe parlementaire où les défections sont particulièrement nombreuses, on
ne compte finalement sur les 72 députés du groupe que 23 démissions, dont 2
membres du Comité Central.
Mobilisés,
clandestins ou internés
Pour la vie quotidienne des communistes, le fait majeur à partir du 26
septembre 1939 est qu'on ne peut plus être communiste que mobilisé, clandestin
ou emprisonné. Cette règle restera en application jusqu'à la Libération, en
août 44, à ceci près qu'à partir de juin 40, le choix se réduira à la
dernière alternative, clandestin ou emprisonné, et on ne parle pas des fusillés.
En septembre 39, tous les hommes jusqu'à 40 ans sont mobilisés. Thorez
, donc,
en est, Raymond Dallidet également, mais pas son frère Arthur
, qui est
réformé. Duclos, Frachon et Tillon ont passé la limite d'âge. Sentant venir
la répression, Tillon avait décidé de ne plus dormir chez lui dès le 4
septembre. Duclos en fera autant le 2 octobre. Un bon nombre de responsables,
moins prudents, se feront cueillir. Ainsi, La moitié du Comité Central et
trois membres du Bureau Politique, Cachin
, Sémart
et
Billoux
se
retrouveront incarcérés
En septembre 1939, Auguste Lecoeur n'est pas encore un dirigeant
national, mais il est quand même secrétaire fédéral du Pas-de-Calais. Voici
comment il se rappelle cette époque: "Rien
n'était plus naturel pour un militant communiste comme moi que de défendre la
politique de l'Union Soviétique. Voilà un aspect psychologique de ce
comportement qui demande à être expliqué... Mon attachement au Parti résultait
avant tout de mon enthousiasme pour
la Révolution Russe et de ma confiance dans l'Union Soviétique et le Parti
bolchevik... Aussi aberrant que cela puisse paraître, sur un stade, j'était
rempli d'aise qu'un Soviétique l'emportât sur un Américain, un Anglais ou même
un Français. En 1939, pour un communiste, les choses étaient toutes simples.
Les pays capitalistes avaient voulu entraîner l'URSS dans un guet-apens, et
l'URSS, à temps, avait retourné contre eux leurs propres armes. Si l'intérêt
supérieur de l'Union Soviétique exigeait qu'elle traite avec l'Allemagne
fasciste, en quoi cela pouvait-il me gêner ?..." Auguste poursuit donc
la diffusion de "l'Enchaîné", le journal communiste du Nord, et
participe à des réunions pour la défense du pacte. C'est pourquoi, lorsqu'il
fut mobilisé, il se retrouva dans une "prison départementale
militaire", gardé par des gendarmes débonnaires, jusqu'au mois de
janvier. Ensuite, il fut affecté dans une compagnie qui tenait position sur la
ligne Maginot.
Malgré le petit nombre de défections au sein de l'appareil, le Parti,
dans son ensemble, était complètement désorganisé. Aussi surprenant que cela
puisse paraître, il semble bien que l'hypothèse de la mobilisation n'ait pas
été envisagée dans la mise en place de l'appareil clandestin. C'était, on se
souvient, une condition de l'adhésion à l'Internationale, de maintenir en
place un appareil clandestin avec des planques, des caches de rechange, des
imprimeries. Ainsi, même si le Parti pouvait mener une vie légale, ce qui était
le cas avant septembre 39, il devait pouvoir supporter l'instauration d'une
dictature de type fasciste ou plonger de lui-même dans l'action illégale. Mais
la plupart des responsables étaient des hommes jeunes qui s'en allèrent
peupler les casemates de la ligne Maginot. La conjonction de la mobilisation et
de la dissolution du Parti provoqua cette désorganisation que
la mise sur pied d'un appareil clandestin avait précisément pour
vocation d'éviter.
Il faut également dire quelques mots de l'affaire Gitton. Gitton
était secrétaire à l'organisation, et à ce titre, partiellement responsable
de l'appareil clandestin. Mais Gitton fait défection et se présente à un
commissariat de police. Le 12 septembre, Duclos informe Tillon que Gitton était
un indicateur de Police. Léon Blum
en
avait discrètement informé Ceretti
dès
38, mais on avait cru à une intoxication. En fait, une grosse partie de la
responsabilité de l'appareil illégal échappait sans doute à Gitton et était
déjà confiée à son remplaçant, Maurice Tréand, mais
celui-ci est mobilisé, et quand il parvient à se faire réformer au mois de
novembre, c'est pour s'occuper de l'organisation du groupe de Belgique et des
liaisons entre Paris et Bruxelles.
Pour tout arranger, l'Internationale avait décidé de regrouper l'appareil du Komintern et l'essentiel de la direction française en Belgique. Fried y était déjà installé le 23 août 39, Ceretti reçut le premier l'ordre de le rejoindre, et par la suite Thorez , Duclos, Ramette et Tréand. Ceretti qui avait fait une première visite à Thorez, en garnison à Chauny, pour le convaincre de déserter, était rentré bredouille. Il s'agissait en effet d'un acte politique d'une portée considérable, et Thorez ne franchit pas le Rubicon ce jour-là. Il fallut qu'un ordre officiel de Dimitrov lui soit transmis par Mounette Dutilleul pour qu'il finisse par obtempérer. Voilà comment les choses se sont passées.
La
désertion de Thorez
Pour Mounette
,
l'histoire de la désertion de Thorez
commence
le 27 septembre au lendemain de la dissolution du parti, à son domicile du 15ème
arrondissement où se tient une réunion secrète entre Duclos, Frachon et Marc
Dupuy
, membre
du Comité Central et futur député de la Gironde. Mounette, Marie-Claude
Vaillant-Couturier et Gilberte Duclos sont également présentes dans
l'appartement mais ne participent pas à la réunion, elles sont aux prises avec
un magnifique poulet que Dupuy a apporté de sa province.
A l'issue de la réunion, Mounette est chargée de remettre un message à Fried . Elle est à Bruxelles le 29 septembre, et Fried lui demande d'apprendre par coeur un message de 20 lignes qu'il vient de recevoir, crypté, de Moscou. C'est la ligne officielle qu'il conviendra désormais de suivre. "Cette guerre est une guerre impérialiste avec laquelle nous n'avons rien à faire..." Mounette communique le message le lendemain à Duclos et Frachon, et le soir même, Arthur Dallidet lui confie la mission de transmettre le message à Thorez . Le 2 octobre, elle arrive à Chauny, en compagnie de Jeannette Vermersch , dans une 11CV conduite par Pelayo . Ils parviennent à trouver le logement "en ville" que Maurice Thorez occupait en qualité de chauffeur du capitaine, et Mounette lui débite son message. Thorez, raconte-t-elle ne la laisse même pas terminer et lui demande "Qu'en pensent Jacques et Benoît ?" Elle lui répond "Qu'il est temps que tu reprennes ta place à la direction du parti." Et Thorez décida de partir sur le champ. Les filières de passage de la frontière belge étaient parfaitement rodées, un diplomate Chilien fut mis à contribution. Maurice, Jeannette et leur fils de trois ans voyagèrent séparément, mais se retrouvèrent quelques jours plus tard.
L'organisation du Parti fin 39
Quel est le fumeux stratège de l'IC qui a eu l'idée de couper le parti,
aux prises aux pires difficultés, de la plus grosse partie de sa direction,
regroupée en Belgique ? Certes, la frontière franco-belge n'est pas la grande
muraille de Chine, et il y a assez de militants parmi les frontaliers, y compris
parmi les douaniers pour établir des liaisons entre le centre de Bruxelles et
le centre de Paris, mais une frontière reste une frontière, surtout en temps
de guerre. Ainsi, le 8 Octobre, Frachon est convoqué pour une réunion à
Bruxelles. Il part avec Mounette
et
un autre camarade, Montel
.
Témoignage de Mounette Dutilleul
"Arrivés à Lille, on rencontre Martha Desrumeaux
et puis les deux petites institutrices, Paule et Marie-Elisa
Nordman
ainsi que le vieux père Colette, qui habitait sur la frontière
et qui était cousin de presque tous les douaniers de la région. Par lui, c'était
donc très facile de connaître toutes les heures de ronde. Il y avait quand même
pas mal de monde bien disposé à nous laisser passer sans trop nous voir.
Le père Colette, donc, nous dit: "A minuit, on ferme toutes les
frontières, il y aura un renforcement de toutes les gardes, on va mettre des
gardes mobiles et des militaires, au total, quatre cordons à passer".
Autrement dit, comme nous étions arrivés très tôt le matin, c'était facile
de passer dans un sens, mais le retour après la réunion, donc, tard le soir,
s'annonçait beaucoup plus problématique.
Frachon n'a rien dit, il a beaucoup fumé. On était dans une telle
tabagie qu'on ne le voyait presque plus. Les deux institutrices ne disaient
rien, Martha était contre le passage en disant "tu ne reviendra pas"
et Benoît ne disait rien. C'est au dernier moment, sans s'adresser même aux
autres, qu'il m'a dit: "Tu vas passer, toi, et voilà ce que tu leur
diras... Mais moi, je ne passe pas, car ma place est ici. C'est en France qu'on
va demander aux ouvriers, ils ont déjà tant donné, et on va leur demander
encore plus, ma place est là, je reste. Les camarades comprendront! tu leur
expliqueras!"
Et les camarades ont compris. Maurice a fait une lettre que j'ai rapportée
à Benoît le soir même, où il disait, entre autres "Fais attention au
Parti comme à la prunelle de tes yeux". Clément (Fried
)
avait approuvé tout de suite. Il avait même dit cette phrase qui m'avait frappée
"C'est un chef !".
Benoît ne parlait pas, il avait dit ce que je devais répéter, et c'est tout. Il se décidait brutalement, mais ce n'était pas sur un coup de tête. Je n'ai jamais connu de coup de tête avec Benoît. Il a toujours été très calculé. Il donnait d'ailleurs l'impression d'être à la fois un ouvrier et un paysan, parce qu'il avait les pieds sur terre."
Les dirigeants qui ne sont pas mobilisés par l'armée et que l'IC ne transfère pas à Bruxelles sont envoyés dans les différentes régions. Ainsi, Tillon sera responsable Régional à Bordeaux, Monmousseau à Marseille et Havez en Bretagne.
Les débuts de la répression
A Paris, le Parti maintient une activité minimum: distributions de
tracts, parution épisodique de l'Humanité
clandestine. C'est à Florimond Bonte
que
revient le redoutable honneur de défendre la ligne du Komintern devant
l'assemblée des députés. Son immunité parlementaire n'est pas encore levée,
mais son arrivée dans l'hémicycle provoque une tempête. Il n'a pas même le
temps de sortir son texte, préparé par Frachon et Monmousseau, que le président
Herriot
ordonne
aux huissiers de l'expulser. 317 municipalités contrôlées par le PC sont
dissoutes, et 2800 élus déchus de leur mandats. Au total, il y aura plusieurs
milliers d'arrestations. La répression s'est installée jusque dans la CGT, réunifiée
depuis 1936, mais toujours tenue en main par Jouhaux
. Dès le
18 septembre, le bureau confédéral excluait de la CGT tous ses membres qui ne
souscriraient pas à sa condamnation du pacte. Dans de nombreux syndicats de
base, les communistes étaient majoritaires, ils seront dissous par le ministre
de l'Intérieur, 620, au total.
Le 25 août, au lendemain de la nouvelle du pacte, interrogé par Damien,
le concierge de la rue Le Pelletier siège du Parti, Tillon lui avait confié:
"ça va être la guerre, peut-être mondiale! Les Munichois l'ont voulue
contre l'URSS qui n'en veut pas pour elle. Je suis sûr qu'en définitive, le régime
des Munichois s'y perdra. Mais nous, en attendant, on va drôlement payer."
Le Parti n'en avait pas fini de payer.