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LES FRERES DALLIDET (Arthur et Raph)

Cette page est constituée d'extaits du livre "La Direction du PCF dans la Clandestinité (1941-44)"  + note EdC Mars 2010

 

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Voir aussi sur d'autres pages

Les années 30

1936, le Front Populaire

La guerre d'Espagne

Le pacte, l'entrée en guerre

La démobilisation de Raph

1940-41 Arthur responsable de l'appareil

Raph responsable du dispositif technique

L'arrestation d'Arthur

L'arrestation de Raph 

Evasion de Raph

Arthur fusillé

Mounette Dutilleul

 

La direction du PCF pendant la guerre

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Les années 30            

        Au début de l'année 1930, Arthur  Dallidet est un ouvrier de 24 ans originaire de Nantes. Il fait le maximum d'heures dans les usines de la région Parisienne, Renault, Hispano-Suiza, pour payer la pension de son jeune enfant, dont la mère vient de mourir. Il se voit proposer un emploi de chaudronnier plus qualifié à Saint-Denis chez Sulzer, une entreprise qui fabrique des moteurs diesel pour les navires de haute mer. Il y rencontre des ouvriers Communistes.

            Le petit frère d'Arthur, Raymond, 19 ans, est encore à Nantes. Comme son frère Arthur, Raymond jouera pendant l'occupation, un rôle de premier plan dans le fonctionnement du dispositif clandestin de Palaiseau-Limours, nous parlerons souvent de lui. Garçon-boucher de profession, il a envie de changer d'air, de monter à Paris rejoindre son frère, et pour se constituer un petit pécule afin de ne pas arriver dans la capitale les poches vides, il travaille la nuit comme Docker. Un soir, il se prend le pied dans la roue d'une grue qui se déplace sur ses rails. Son pied est sauvé miraculeusement par l'habileté d'un chirurgien, mais sa montée à Paris est différée.  

    Revenons à Arthur, il avait adhéré au Parti fin 1930. Il commença naturellement à militer sur son lieu de travail où il créa deux cellules. Il eut bien des ennuis avec sa direction, mais les temps avaient changé depuis les années 20 où le militant syndicaliste sitôt repéré se faisait jeter comme un domestique indélicat. Pour une entreprise comme Sulzer, les ouvriers qualifiés sont une denrée précieuse, et ils sont souvent communistes. Arthur n'est pas renvoyé, il est muté aux essais en mer. Mais il est irréversiblement accroché au Parti et à la pratique militante. Il démissionnera donc et retournera à Boulogne-Billancourt chez Renault. La cellule communiste de l'île Seguin ne compte alors que six militants. Il est vrai que Renault pratique une politique beaucoup plus répressive que Sulzer, et Arthur le sait bien, qui en a déjà été licencié deux fois, mais il est déterminé, il revient avec une fausse identité. Il serait sans doute exagéré, même s'il y eut un rôle prépondérant, d'attribuer au seul Arthur l'implantation du PCF aux Usines Renault. Mais le fait est là que la police interne de Renault, le "saigneur" de Billancourt, comme l'appellent ses ouvriers, ne pourra contenir la formidable progression des communistes, syndicalistes et autres "mauvais éléments", dans ses ateliers. Après la victoire du Front Populaire, en 1936, les cellules de Renault compteront 6500 adhérents recrutés parmi 20000 syndiqués.

            Le petit frère Dallidet est arrivé à Paris. Le bureau d'embauche lui propose une place boulevard Sébastopol chez un boucher en gros. La viande qu'il fournit à ses clients est de qualité médiocre, mais celle qu'il offre à ses commis, franchement exécrable. Le quatrième jour, Raymond dégoûté découpe une tranche de rumsteck et demande à la cuisinière de la lui préparer. Il est renvoyé. Tel fut l'aboutissement de sa carrière de boucher. Bientôt viendra le début d'une carrière de révolutionnaire communiste, mais Raymond est encore un petit provincial anarchisant. Embauché chez Renault, il  ne supporte pas le travail à la chaîne - c'est l'époque des temps modernes - demande son compte au bout de trois mois et se retrouve chômeur à Boulogne, prend ses repas à la soupe populaire. C'est là que Raymond rencontre un certain Garcia qui organise des ventes de l'Huma dans la rue, car curieusement, ce n'est pas Arthur  qui fera entrer Raymond au parti. Voilà donc Raymond vendeur de l'Huma. Il lui arrive une aventure un peu rocambolesque: un gardien de la paix fou, en slip, le menace d'un pistolet. Il va raconter son histoire au siège de l'Humanité où il est reçu par Emile Dutilleul , administrateur. C'est en lisant l'Huma du lendemain qu'Arthur apprit que son petit frère était membre du parti.

Le milieu communiste était encore relativement restreint. La fille de l'administrateur de l'Huma, Mounette  Dutilleul, 20 ans, avait connu Arthur  en 1930 dans le dix-huitième arrondissement. Après vingt heures, ils suivaient ensemble les très scolaires cours de formation marxiste chez le dentiste Astouin. Après son service militaire, en 1932, Raymond sera un militant communiste accompli.

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1936, le Front Populaire

    Si les révolutionnaires hésitent à procréer, ils ne sont pas à l'abri des coups de foudre: Arthur , qu'on avait laissé veuf, un enfant à charge, avait ensuite contracté, geste internationaliste banal, un mariage blanc avec une camarade lithuanienne menacée d'expulsion. Mais ils se retrouvent chez Renault, militent ensemble et se marient pour de vrai. Vers 1937, il retrouve Mounette . Ils ne résistent pas l'un à l'autre "Quand je voyais passer dans une manifestation ce grand type brun qui avançait avec une dignité que je n'avais jamais vue chez un homme, c'était pour moi... la classe ouvrière en mouvement."

             Entre 1934 et 1936, Raymond Dallidet a pu profiter d'un petit bonheur tranquille avec Micheline, une Normande, vendeuse au Monoprix de la rue Barbès, qu'il avait épousée en avril 34. Ce n'est pas que le Monoprix paie bien Micheline pour ses six journées de travail hebdomadaires, mais Raymond gagne assez bien sa vie en livrant des bâtons de glace aux bourgeois du 16ème arrondissement. Installés dans un appartement tout confort à Montrouge, deux pièces, salle d'eau, cuisine, chauffage, ils restent des militants. Elle est plutôt "anarchisante", ce qui veut dire qu'elle n'éprouve pas le besoin de devenir membre du Parti. Au cours des grèves de Juin 36, elle  a occupé son Monoprix. 

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La guerre d'Espagne

            Arthur  Dallidet n'avait pas connu les premiers départs en congés payés. On l'avait envoyé à Moscou suivre les cours de l'école léniniste. Il ne connut pas non plus les brigades internationales dans lesquelles il aurait bien aimé s'engager, car à son retour de Moscou, fin 36, il avait été nommé à la section des cadres, adjoint de Maurice Tréand . Maurice Thorez  et Jacques Duclos le chargeront personnellement de rechercher des cadres susceptibles d'assurer la continuité du Parti en cas de situation politique difficile. Autrement dit, il est impliqué dans ce qu'il est convenu d'appeler l'appareil illégal. Tréand, le supérieur de Dallidet avait également en charge l'aide à l'Espagne. Mounette  Dutilleul avait été pressentie en 1937 pour être la secrétaire de Tréand. Fille du trésorier du Parti, elle présentait les garanties de sécurité requises pour occuper ce poste particulièrement sensible.

        En septembre, Raymond se voit proposer par son secrétaire de rayon de partir combattre en Espagne. Il accepte, mais Duclos, l'ayant convoqué lui propose de servir la cause en aidant Marcos , un camarade Espagnol basé en France, qui s'occupe d'approvisionnement en armes. C'est tout un trafic qui s'organise: récupération de matériel dans des casemates de la guerre de 14-18, acheminements clandestins en provenance de la Belgique et de la Suisse vers Marseille ou Lézignan ou d'autres hommes se chargeaient de faire pénétrer les armes en Espagne. Raymond cessera ses activités avec Marcos en Mai 38, mais restera permanent du Parti, pour toujours. Sa prochaine mission sera d'être chauffeur d'un dirigeant de la CGTU, Racamond . Cela paraît très surprenant qu'un militant déjà chevronné, digne de confiance pour des missions délicates se retrouve à un poste que l'on qualifierait volontiers de très subalterne. Une disgrâce ? Certainement pas, Fried  lui-même avait reçu Raymond pour lui confier cette mission essentiellement politique. Racamond était considéré comme un syndicaliste valeureux, certainement meilleur orateur que Frachon, mais au léninisme peu sûr. On redoutait ses tendances réformistes, qu'il s'agissait d'étouffer par un fond sonore politiquement correct. Raymond et Racamond restèrent de très bons amis.

        En 1939, après la guerre d'Espagne, quand le Parti sent venir la nécessité de se doter d'un réseau de planques clandestines, on confie à Arthur la recherche de planques dans les HLM des boulevards de ceinture et les pavillons de banlieue. Il sacrifia avec Mounette  bien des dimanches pour sillonner à vélo toute la région parisienne et bien au-delà. C'est ainsi qu'Arthur et Mounette furent les premiers "cyclistes du Hurepoix".

        Responsable des cadres, Arthur Dallidet,  avait élaboré avec son adjoint Beaufils et un ancien des Brigades, Gustave Guéhenneux, des listes d'anciens volontaires des brigades, prêts à servir le Parti en cas de coups durs. Arthur et  Beaufils  avaient retranscrit ces listes précieuses sur de petits carnets dont un jeu fut confié à Gustave Guéhenneux (Victor) et l'autre jeu à Beaufils. Victor avait découpé ses carnets en deux. Il avait rangé la partie contenant les noms dans la cave de son oncle, rue Reulos à Villejuif, alors que la partie contenant les adresses avaient été  confiée à la camarade Moronval  de Bagneux.

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Le pacte, l'entrée en guerre

    Après l'annonce du pacte germano-soviétique, en Août 39,  Arthur  Dallidet fut envoyé à Moscou pour recevoir des explications. Il est accompagné accompagné d'un de ses adjoints, Georges Beaufils. De retour à Paris, il fait partie de l'entourage de Benoît Frachon, qui assure la direction du Parti à Paris.

   Le 12 Juin 1940, ce goupe proche de Frachon se scinde en 3 équipes: Une équipe de cyclistes est emmenée par Arthur Dallidet. Frachon et Mounette font partie des 2 autres équipes. Arthur retrouve Frachon et Mounette à Fursannes, près de Limoges et a l'occasion de participer une réunion avec d'autres responsables, Cadras et Michaut, au sujet de la démarche que les camarades de Paris, sous la direction de Duclos et Tréand avaient faite auprès des autorités allemandes pour la reparution de l'Humanité. D'après Mounette, Arthur s'était violemment élevé contre cette démarche. 

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La démobilisation de Raph

            Raymond, que nous allons maintenant appeler Raph, le nom sous lequel il sera connu quand il assurera les liaisons internes au secrétariat dans la vallée de Chevreuse, avait été normalement incorporé en 39. Le 16 juin, jour de l'armistice, il eut la chance de se trouver en mission de ravitaillement en zone Sud, à Vichy, précisément. Il put ainsi regagner la région parisienne dés la fin juin, mais retourna se faire démobiliser légalement dans l'Allier au mois d'août.

            Raph retrouva son épouse Micheline à leur domicile de Montrouge. Sitôt réinstallé dans ses foyers, il fut confronté à la fois à la vague de retour à l'activité légale qui secouait l'ensemble du Parti et à l'appel à la clandestinité totale. Micheline l'informa d'abord que son secrétaire de rayon, un ancien Térion , voulait le voir au siège local du parti. La confusion était totale.  Dès son installation à Paris, la Kommandantur avait édité un journal, La France au travail qui reprenait le ton de l'Humanité, et Térion pensait sincèrement que ce journal était la nouvelle mouture de l'Humanité. Il voyait dans la réoccupation des municipalités par les communistes une conséquence heureuse du pacte germano-soviétique. Il avait d'ailleurs fait libérer par les Allemands une trentaine de détenus communistes de la prison de Tours. C'étaient des internés de la période Daladier . D'autres libérations semblables eurent lieu, mais Vichy parvint rapidement à convaincre les Allemands de ne pas laisser échapper de si mauvais Français.

            Mais Micheline, agent de liaison dans l'équipe d'Arthur , avait gardé des contacts avec la direction du Parti si bien que Duclos fut rapidement mis au courant de la disponibilité du frère d'Arthur, qu'il ne connaissait pas encore personnellement, mais dont il savait qu'il était un militant de confiance. La politique de légalisation mise en oeuvre sur l'ensemble de la région parisienne n'excluait pas de faire courir les racines d'un appareil clandestin solide. Raph rencontra donc Duclos le 3 juillet dans sa planque du 88, boulevard Mortier. La préoccupation dont Duclos fit part à Raph ce jour-là était de reconstituer le parc d'imprimeries clandestines. Le départ précipité de l'équipe Frachon vers le Sud avait dû se faire sans que la transmission fut réellement assurée vis-à-vis des responsables restés sur place. D'après Duclos, Tréand  était à la recherche de Jean Jérôme qui devait savoir où trouver papier et imprimerie.

            Raph et Micheline quittèrent leur appartement de Montrouge, pour plonger dans la clandestinité, dans le 12ème arrondissement. Dans les mois qui suivirent, Raph, rattaché directement à la direction du parti, s'attela à reconstituer l'imprimerie centrale. Maurice Prigent , typographe de métier, en fut la cheville ouvrière. Avec comme couverture une entreprise de récupération de rognures de papier, cette imprimerie clandestine fonctionna jusqu'en 44 et assura, en plus de la sortie régulière de l'Humanité, de la Vie Ouvrière organe de la tendance communiste de la  CGT et plus tard, de France D'abord, journal des FTP, la fabrication d'innombrables faux-papiers: cartes d'identité, ausweiss, certificats de travail, etc...

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1940-41 Arthur Dallidet prend en charge l'appareil du Parti

        A partir de Septembre 1940, Arthur fut l'artisan de la réorganisation du parti. Au mois de novembre, Tréand était déjà presque totalement évincé, à la suite de la grave erreur politique que constituèrent les démarches auprès des autorités allemandes pour la reparution de l'Humanité. C'est donc Arthur qui couvre le terrain, alors que Duclos et Frachon ont pour consigne de sortir le moins possible de leurs planques.  Arthur s'occupe de tout, trouver les planques, prévoir les déménagements, organiser les rendez-vous. Heureusement pour lui, il a la chance de garder auprès de lui Mounette qui travaille également dans les sphères de la direction. Arthur jette les bases du futur, mais gère d'abord le quotidien. Il s'agit d'assurer la subsistance d'un certain nombre de révolutionnaires professionnels qu'on appelle permanents en temps de paix et clandestins en temps de guerre.

        A lire et à entendre l'ensemble des témoignages, il semble bien qu'Arthur  ait fait l'unanimité autour de lui. Il sert le Parti, sert les dirigeants qu'il côtoie quotidiennement, sans jamais en retirer le moindre bénéfice au niveau de ses ambitions. Véritable plaque tournante au sein de la direction, il est d'un niveau assez élevé pour pouvoir discuter avec chacun. Ainsi, Tillon, convoqué par Frachon au mois d'octobre est pris en charge par Arthur à plusieurs reprises, et il lui parle beaucoup plus librement qu'à "l'oncle" Frachon dont il est pourtant assez proche. Au jour le jour, au travers de toutes ses rencontres, Arthur est l'homme qui colporte les nouvelles, tire les conséquences des événements, comme "la connerie de l'Huma, la tactique erronée de l'IC". Ouzoulias, un des futurs dirigeants des FTP, qui l'a rencontré en août 41, est surtout impressionné par sa capacité à brasser mille affaires à la fois, "les réglant avec un minimum de mots". Même son de cloche de Louis Gronowski , le responsable des étrangers de la M.O.I. "Dallidet, c'était la rigueur même, issue de la conscience qu'il avait de la difficulté de sa tâche. Mais on sentait en lui la bienveillance, la camaraderie, la bonté. Sa grande qualité: la rapidité de décision; on réglait les problèmes en quelques mots, et en même temps, il entrait dans le détail des choses, il aurait voulu connaître tous nos cadres; il se faisait décrire tous ceux qui avaient une responsabilité, expliquer nos méthodes de travail, s'assurait de la solidité de notre système de cloisonnement". Arthur est "responsable aux cadres", et à ce titre, il doit toujours faire remplir une biographie par tous les camarades promus à de nouvelles responsabilités. Normalement, une commission des cadres examine la biographie et fait une enquête. Mais dans la clandestinité, Arthur sait se montrer souple. Lors de la rencontre d'août 41, Ouzoulias vient d'être nommé responsable des "Bataillons de la Jeunesse", et il devrait normalement remplir une bio, mais Danielle Casanova, dirigeante des JC, présente à l'entretien, coupe court à ces survivances bureaucratiques: "Il ne fera pas de bio. C'est une paperasserie inutile en ce qui le concerne... Je prends la responsabilité totale de sa mise en place." Arthur acquiesce. Arthur a porté le Parti à bout de bras jusqu'au début 42. C'est vrai qu'il a la capacité à prendre en charge une quantité de choses incroyables. Quand Tillon s'installera  à Palaiseau, en février 41, c'est lui qui apportera quelques meubles pour les Tillon et les Covelet .  

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Raph responsable du dispositif technique

        Un des moyens pour assurer la subsistance de tous les permanents clandestins, un  moyen  fut de monter des fermes dans la région parisienne. C'étaient des lieux où l'on pouvait également entreposer du matériel et loger des clandestins en cavale. C'est à son frère Raymond, ou plutôt Raph, comme on l'appelle maintenant, qu'Arthur a confié la gestion de toutes ces implantations. Une telle ferme fut installée dans l'Oise, par Henry, l'oncle de Guy Môquet. Dans une autre fermette de Gometz-La-Ville, hameau de Beaudreville, maintenant en Essonne,  on installa un couple d'imprimeurs, les Neunlist, qui se retrouveront, sans le savoir, en plein coeur du dispositif clandestin de la direction. En région parisienne, il y avait également à Crépy-en-Valois une autre ferme tenue par Robert Le Maout. Pour la logistique, Raph dispose de tous les moyens de l'entreprise Teulet qui dispose, en plus du cheval de Victor, d'une camionnette gazogène qu'il avait lui-même achetée en Août 40 à un maraîcher de Suresnes. Les responsabilités de Raph englobent à la fois le dispositif technique, c'est-à-dire les imprimeries et les planques pour le papier et le matériel, et cet ensemble de petites exploitations.

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L'arrestation d'Arthur

En Mai 41, les Brigades spéciales avaient mené à bien des arrestations dans les milieux proches de la direction du Parti  (Voir Histoire du PCF 1940-41) : Jean Catelas, puis Gabriel Péri et Mounette Dutilleul furent arrêtés. Jean Catelas était avec Arthur  Dallidet et Félix Cadras, l'un des principaux responsables de l'organisation, juste au-dessous de Duclos et Frachon.

    Au début de l'année 42, la filature d'un certain Pican, responsable de la région Rouennaise permit au commissaire David d'opérer à nouveau un coup de filet dévastateur qui aboutit à l'arrestation d'Arthur, le 27 Février,  à l'angle du boulevard Diderot et de la rue de Reuilly. Il avait rencontré dans un café Marguerite Lamy, l'agent de liaison de Jean Jérome.   Quatre ouvriers s'étaient installés au zinc, une situation ordinaire de fin de journée. Il avait bavardé avec elle, prenant des nouvelles de sa famille; Marguerite avait un fils [Mars 2010: affirmation contestée par la petite fille de Marguerite Lamy, Voir note ci-dessous] et une fille, et elle était enceinte. Arthur lui avait ensuite passé discrètement une enveloppe de documents, un paquet de cinq cent mille florins et un peu d'or. Une fois dans la rue, Marguerite vit bondir sur elle deux ouvriers du comptoir, alors qu'un car de police arrivait en trombe. Elle se débattit, roula à terre, aperçut soudain la béance d'une bouche d'égout. Son dernier geste de femme libre fut de balancer le paquet de florins dans la bouche d'égout, les policiers s'étaient déjà emparés de son sac. Arthur, aux prises avec les deux autres faux ouvriers, essayait d'ameuter la foule: "Je suis un ouvrier! Je suis un communiste ! Il vont me livrer aux Allemands !" Mais les consommateurs qui s'étaient d'abord attroupés pour profiter de la bagarre s'éclipsèrent vite lorsqu'ils eurent compris le genre d'affaire dont il s'agissait.    

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Arrestation de Raph

            Raph fut arrêté à son tour, le 6 mars, alors qu'il tentait de renouer avec ce qu'il pouvait connaître du réseau de contacts de son frère. Les deux hommes pouvaient s'enorgueillir d'avoir mis sur pied pour la direction du Parti un dispositif rendu quasiment invulnérable par l'établissement d'un cordon sanitaire qui prévenait le centre de toute contamination au travers de contacts douteux. Or voilà que les deux hommes qui, seuls, connaissaient les trois planques de Villebon, Forges et Limours sont entre les mains de la police.

            En trouvant Arthur  Dallidet dans son filet, le commissaire David  dut maudire l'impatience de ses hommes. En filant Dallidet, la police aurait pu remonter jusqu'à ce fameux centre. Il ne restait plus qu'à essayer de le faire parler. Les hommes de la direction furent rapidement mis au courant de la catastrophe. Ils savaient que les hommes de David et les Allemands savaient qu'Arthur savaient tout, mais ils décidèrent de ne pas bouger.    

            L'arrestation de Raph, qui survint le 6 mars, était pour le centre aussi lourde de dangers que celle de son frère. En se présentant chez un certain Gaulué , Raph eut la désagréable surprise d'y trouver des policiers. Il échoua dans une tentative de fuite et fut conduit à la préfecture de police. Il était détenteur de faux papiers, d'excellente facture, au nom de Huron. Aussi s'en tint-il à cette identité usurpée, tout au long des interrogatoires menés par les hommes de David . La façon dont fut conduit le deuxième interrogatoire le stupéfia complètement. L'inspecteur qui l'interrogeait fit entrer, un par un, six ou sept de ses hommes, et à chaque fois, il demandait au policier qui était le suspect, et tous, sauf un, l'identifièrent comme Léon Dallidet (Léon est le vrai prénom d'état-civil de Raph alias Raymond). Raph prit alors conscience des méthodes des brigades spéciales: les hommes apprenaient à reconnaître tous les militants recensés dans le fichier, et ainsi, parsemés à tous les lieux les plus fréquentés de la capitale, comme les bouches de métro ou les gares, ils attendaient le passage d'une tête connue, comme le chasseur à l'affût guette le gibier.

            Raph fut ensuite transféré dans une autre pièce où une dizaine d'autres détenus attendaient leur interrogatoire. Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvrit pour laisser entrer un autre détenu, c'était Arthur , que le policier fit asseoir près de son frère:

            "...Mon frère avait les menottes, il était très marqué par les coups reçus, mais très digne. Il n'avait pas ses lunettes, sans doute détruites au cours d'interrogatoires renforcés, j'étais sûr qu'il m'avait vu. Ce fut un moment d'intense émotion contenue. Je suppose qu'ils observaient, d'un bureau voisin, nos réactions. Un quart d'heure se passa, et le flic qui m'avait amené entra dans le bureau et appela d'une voix forte: Dallidet. Mon frère se leva, le flic l'arrêta en lui disant: "Non, pas toi, ton frère", et comme je ne me levai pas, il reprit et dit:" Il est vrai que ton frère renie son nom"... C'est ainsi que je revis mon frère pour la dernière fois."

         Micheline Dallidet, enceinte de quatre mois, effectuait alors un séjour chez sa belle-soeur au Mans.

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Evasion de Raph

            Le 10 mars 42, Raph eut vraiment beaucoup de chance: toujours retenu dans une petite pièce avec une dizaine de codétenus à la préfecture de police du Quai des Orfèvres, il profite d'un relâchement de la surveillance, à l'heure du repas, pour s'échapper à travers un guichet dans la pièce voisine qui s'était vidée de ses occupants policiers. De là, un peu de sang-froid et de culot le propulse dans la cour d'honneur, puis, sur les quais. Là, il prend les jambes à son cou et s'engouffre dans la station de métro Saint-Michel. Après une brève escale chez le docteur Descomps, sympathisant "légal" du Parti avec qui il avait un contact, Raph se rend chez Jeanne Ecolan, alias Flora, car il sait qu'elle a la clé d'une planque ou il pourrait passer la nuit. En fait, il ne sait pas s'il va pouvoir se réintégrer dans l'appareil, car un terrible soupçon pèse normalement sur les relâchés ou les soi-disant évadés, souvent traités comme des pestiférés. L'accueil que lui réserve Flora est, effectivement, glacial. Flora héberge déjà le syndicaliste Henri Raynaud , évadé de Chateaubriant. Elle ne laisse pas Raph pénétrer chez elle. Il peut tout juste entrevoir Henri Raynaud  pointer un nez derrière Flora qui consent  quand même à donner la clé de la planque. Le lendemain, il regagne l'Oasis pour se remettre de ses émotions et rassurer Duclos.  Heureusement, il bénéficiera de la confiance inébranlable dont le Parti fait preuve à l'égard des Dallidet.

            "... Lorsque Jacques Duclos me vit entrer dans la pièce où il travaillait, alors qu'il savait que j'avais été arrêté, il me serra sur son coeur avec une force et une tendresse que je n'oublierai jamais. Il me répéta l'immense peine qui l'avait envahi depuis les graves et nombreuses arrestations de janvier et février, puis il ajouta : " Il faut pourtant continuer. Tu vas te reposer quelques jours, guérir tes plaies, tenter de te changer physiquement, puis reprendre tes contacts avec prudence et avec ton seul dispositif." Je viens de dire son accueil, j'ajoute qu'il me demanda de rester dîner et coucher, ce que j'acceptai..."

            Dés le lendemain, Raph se présente chez Frachon, à Forges, pour un nouvel examen de passage.

            "Chez Frachon, à Forges, je n'ai pas eu à sonner, il n'y avait pas de cadenas sur la grille. Benoît était dans la salle à manger, près du poêle, il lisait en fumant sa pipe, je lui ai dit "ne t'inquiète pas, il n'y a personne derrière moi" et je lui ai raconté mon évasion de la P.J. "C'est pas possible! C'est formidable! répétait Benoît, tu sais, nous nous interrogions, Victor est venu m'apporter une correspondance pour me dire que tu étais disparu, donc arrêté. Qu'est-ce qu'on allait devenir ?... Frachon m'embrassa, écrivit un petit mot qu'il cacheta, et je repartis pour Villebon où je dînai et je couchai, mais Jacques me fit lire le mot de Benoît qui lui disait combien il était heureux et sans inquiétude sur l'authenticité de mon évasion, à peu près ce que Jacques m'avait dit en me serrant sur son coeur."

            A cette époque, Raph ne connaissait pas encore la maison de Tillon, à Limours. Duclos la lui fournit pour qu'il aille rétablir le contact. Quand Tillon aperçut Raph, il se cabra, car il savait qu'il avait été arrêté. "N'aie pas peur, il n'y a personne derrière moi." Précise Raph qui doit faire la tournée de tout son petit monde, et à chaque fois, s'efforcer de dissiper l'angoisse que provoque son apparition.

            Désormais Raph s'occupera exclusivement du dispositif clandestin de la direction du Parti. D'autres planques viendront s'ajouter aux trois domiciles de Villebon, Forges et Limours, nous en reparlerons. Il s'agit d'abord d'en assurer la gestion matérielle: trouver les maisons, les acheter ou les louer, affecter un couple de bons camarades à la tenue de la maison, transporter des meubles. Il faut ensuite assurer le courrier plusieurs fois par semaine, c'est un travail qui se fait à vélo. Chaque mois, la paye de tous les habitants de son dispositif est également de son ressort.  

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Nous retournerons à la fête de l'Huma

            Arthur Dallidet fut livré aux Allemands le 19 mars. Les tortionnaires de la Gestapo tentèrent de faire plier celui qui avait su résister à leurs collègues français. A la Santé, entre deux interrogatoires, il est jeté dans sa cellule, les mains derrière le dos nuit et jour. Marguerite Lamy  le vit une dernière fois, place Beauvau, pour une inutile confrontation. Elle n'aurait pas pu reconnaître ce corps déchiré que l'on fouette encore devant elle si elle ne l'avait entendu répéter "Je ne vous dirai rien".

            Ramené à la Santé, il arrive à communiquer avec Marie-Claude Vaillant-Couturier dont la cellule ne doit pas être éloignée de la sienne puisque sa voix lui parvient de la cuvette des tinettes. Mounette  est également à la Santé, mais dans une autre aile. Marie-Claude, son amie très proche, lui transmet les derniers messages de celui qui fut le grand amour de sa vie:  

"Nous retournerons à Garches,

à la fête de l'Huma,

et nous aurons un fils."

              Le 28 mai 1942, au matin, Arthur  est presque sourd et aveugle, mais il peut encore tenir debout. La prison chante quand les soldats l'emmènent vers le Mont-Valérien. Mounette , accrochée aux barreaux de sa cellule, chante aussi. Marie-Claude avait pu la prévenir qu'Arthur serait de la prochaine charrette, mais elle ne réalise pas encore pleinement. "Je l'aime, se dit-elle, il ne peut pas mourir". Ce n'est que dans l'après-midi qu'elle réalise qu'elle a perdu Arthur pour toujours. Elle se met à hurler, les Allemands l'attachent. Dans la nuit, elle entend chanter la voix éraillée d'un vieux militant "Il reviendra le temps des cerises..."

Note Mars 2010 Concernant Marguerite Lamy:

En mars 2010, la petite fille de Marguerite Lamy m'a contacté pour me dire que sa grand-mère n'avait jamais eu de fils. Dans mon livre cette affirmation se réfère à Angeli-Gillet, ce qui pose la question: D'où Angeli-Gillet avaient-ils sorti cette information ?  Probablement du livre d'Hélène Parmelin "Arthur Dallidet", sorti  en 1949, mais que je n'ai pas sous la main - A suivre.

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