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2007-2020 Après l'affaire Paxton et l'affaire Zemmour,
Laurent Joly, une certaine idée de la science

(décembre 2020)
Mise à jour 30/04/2023
L'auteur, contact

C'était en 2007
L'Affaire Paxton

C'était en 2014
Alain Michel et l'affaire Zemmour

Quelques mois plus tard 2021

20 août 1941: la grande rafle dont on ne parle pas avril 2021 (Sur le site de l'HSCO )

Vichy, Zemmour,Joly, saison 2021 décembre 2021


Laurent Joly, une certaine idée de la science
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Lire aussi: Raymond Aron,, Après l'évènement, avant l'Histoire, Les Temps Modernes  cotobre 1945.

Laurent Joly : bidonner pour bétonner

Rions un peu avec Dallaire

Bénédicte Vergez-Chaignon plaide contre Isorni

Jacques Semelin aligné sur Alain Michel ?

Culte de Vichy, culte du grand Salaud

Références

Annexe : le dossier Hilberg, le marchandage, le bouclier et le moindre mal

Ce que Hilberg a écrit

Jalons chronologiques des négociations de juin-juillet 1942

Paxton et Hilberg

Hilberg et Joly

Le marchandage de Laval selon Renaud Meltz

Marchandages tous azimuts

Raymond Aron, le bouclier et le moindre mal


En 2007, évoquant comment le récit historique dominant de l’histoire de France sous l’Occupation qui se revendiquait héritier de Robert Paxon était sombré dans le dogmatisme en n’ayant jamais esquissé la moindre critique de chiffres douteux produit par l’historien américain, j’écrivais : « Dans le peloton des historiens de Vichy, le maillot jaune se dope donc depuis 35 ans et personne ou presque ne dit rien ». En 2012, Alain Michel me faisait remarquer qu’en ce qui concerne la mise en œuvre de la solution finale en France, le dogme paxtonien avait muté vers le dogme klarsfeldien selon lequel « « Vichy a contribué efficacement à la perte d'un quart des Juifs de France, les Français ont puissamment aidé au salut des trois quart des Juifs de France ». En 2020, la Revue d'histoire de la Shoah, a sorti un numéro spécial où Laurent Joly s'en prend avec une grande violence à Jean-Marc Berlière et Alain Michel. Ce numéro spécial est à l'origine de ce texte.

2023 La plupart des articles de ce numéro spécial 212 de RHSHO sont repris  dans un livre La France et La Shoah: Vichy, l'occupant, les victimes, l'opinion, sous la direction de Laurent Joly, Calmann Levy, mars 2023. mais cette page ne concerne que partiellement cette édition de 2023 en ce sens que les aspects les plus caricaturaux du numéro 212 que je dénonçais ont été retirés ou modifiés. J'ai donc marqué en rouge dans le texte les remarques propres à l'édition de 2023.

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Laurent Joly: bidonner pour bétonner

Le dernier numéro de la Revue d’Histoire de la Shoah (RHSHO) vient de sortir un numéro 212 qui s’intitule Vichy, les Français et la Shoah, un état de la connaissance scientifique. dans une introduction d’une vingtaine de pages , Laurent Joly, se livre à une attaque en règle contre mes amis Alain Michel et Jean-Marc Berlière. On ne pourrait que se réjouir de voir se poursuivre le débat Joly vs Michel qui a commencé au lendemain de la parution en 2012 du livre d’Alain Michel Vichy et la Shoah, comme je l’ai expliqué sur le site HSCO . (2023: L'introduction de >Joly est complètement remaniée).

En fait, l’heure n’est plus au débat, la science a tranché, nous dit Joly qui veut apparaître comme l’arbitre suprême des débats historiques relatifs au thème de ce numéro 212 : «Suivant l’exemple de Benoit XVI qui s’est retiré avant sa mort, les papes Paxton et Klarsfeld prennent pension en EPHAD, un nouveau pape est appelé à régner et il s’appelle Laurent Joly, fumée blanche», tel est le message principal de cette l’introduction où l’on voit le nouveau pape procéder à l’excommunication de deux hérétiques, Alain Michel et Jean-Marc Berlière. Pour disqualifier ses collègues, Joly donne l’artillerie lourde : des thèses « caduques sur le plan scientifiques », une « falsification de la Shoah », « offensive révisionniste », rancœur irrationnelle à l’égard des chercheurs plus reconnus », « naïveté et légèreté » pour Alain Michel, et Jean-Marc Berlière qui soutient Alain Michel « ne semble pas avoir pris le temps de maîtriser la littérature sur le sujet, de lire les archives et d’en comprendre le sens ».

Pour excommunier ses deux rivaux, Joly les met en sandwich entre l’historien d’extrême droite François-Georges Dreyfus qui n’a jamais effectué la moindre recherche sur la période 1939-45 mais a commis quelques ouvrages grand-public et l’inévitable Zemmour qu’on ne présente plus. Voilà constituée une « école révisionniste française » où les deux historiens dévoyés Michel et Berlière apporteraient leur caution scientifique « à une entreprise politique régressive et ouvertement raciste ». (2023: Joly ne fait plus état d'une
« école révisionniste française ». François-Georges Dreyfus n'est plus cité dans l'introduction et Jean-Marc Berlière n'est plus mentionné que dans une note de bas de page. Il est vrai que cette note de bas de page remplit une page entière. Dans cette note debas de page, Joly  attaque aussi - c'est de bonne guerre- le livre que nous (Jean-Marc Berlière, moi-même et René Fiévet) avions publié en janvier 2023: Histoire d'une falsification, Vichy et la Shoah dans l'histoire officielle et le discours commémoratif, (L'Artilleur). Voir sur la page concernant notre livre Histoire d'une falsification)

De fait, Michel et Berlière présentent un danger pour Joly. Michel parce qu’il a la compétence pour critiquer avec perspicacité les écrits de Joly et Berlière parce qu’il est reconnu comme le spécialiste de la police de Vichy, ce que Joly voudrait devenir. Alain Michel et à sa suite Jean-Marc Berlière ont constaté que la doxa klarsfeldienne est incompatible avec le constat opéré par Hilberg, que le gouvernement de Vichy qui avait complaisamment livré les juifs étrangers aux nazis tout en protégeant les Juifs français avec une certaine constance et que la livraison des uns a facilité la protection des autres.

Pour tenter de prouver que le débat historique est clos, qu’Alain Michel a été réfuté et que des auteurs étrangers ont déboulonné Hiberg, Joly aligne une série impressionnante de références dont l’examen attentif montre que Joly s’est bel et bien livré à une opération de bidonnage des références.

Ainsi, la courte recension du livre de Michel que Jean-Marc Dreyfus livra à la revue Vingtième siècle
1 n’est en aucun cas, ni sur la forme ni sur le fond « une percutante réfutation ». Ni Friedländer, ni Longerich ni Gerlach ne prennent le contre-pied du point de vue de Hilberg, ni explicitement, ni implicitement. Je n’ai pas vérifié la dernière référence invoquée, Deborah Dwork, mais je ne serais pas étonné si cette référence était tout aussi bidon que les trois autres. En lisant les qualificatifs associés à chacune de ces quatre références : « Denses et sombres pages de Friedländer », « analyses serrées et cinglantes de Peter Longerich » « (pages) originales et tout aussi accablantes, de Christian Gerlach » quel lecteur n’imaginera pas que les différents auteurs se livrent à une descente en flamme de Hilberg. Joly a misé sur la méconnaissance de ces auteurs étrangers de la part du lectorat français. (2023: dans la nouvelle intro de Joly, les références dont il question ne sont plus présentées comme des réfutations de Hilberg. Le bidonnage que je dénonçais est donc absent de l'édition de 2023, ce dont je me félicite.) Il n’a pas osé se livrer au même genre de bidonnage pour la recherche française. Il se contente d’un passage en force qui tient du gros mensonge: « comme on le sait, cette analyse (de Hilberg) a très rapidement été démentie par la recherche française ». Or ce qu’on sait, c’est qu’aucun auteur français n’a jamais attaqué Hilberg avant 2007, année du décès de l’auteur de la Destruction des Juifs d’Europe. C’est à l’occasion de la parution du livre d’Alain Michel que Joly s’en prit à Hilberg dans sa recension de Vichy et la Shoah dans les Yad Vashem Studies, en 2013. pour prouver que Hilberg n’avait qu’une connaissance superficielle du cas français, Joly citait en exemple un certain nombre de confusion de termes. Michel n’eut aucun mal à montrer que tous les exemples cités par Joly étaient des erreurs de traduction de la version originale, en anglais à la version française. Si l’on intègre Paxton dans la recherche française, il faudra attendre 2018 pour que le Paxton de 86 ans ait l’idée de contester Hilberg.

Tout aussi grave que le bidonnage des références, la falsification des thèses d’Alain Michel qui fait de l’historien franco-israélien un orphelin de Vichy qui fonderait « l’essentiel de son argumentation sur les justifications d’après-coup de Pétain, Laval, Bousquet », comme si Alain Michel avait pris pour argent comptant l’argumentaire des avocats des uns et des autres. Deuxième et dernier élément que Joly rapporte du livre de Michel, un certain pourcentage de 8 % sur lequel Joly fait une fixation et qu’il présente comme plus ou moins truqué. Il s’agit de la proportion de juifs français d’origine française qui ont été déportés, pourcentage parfaitement explicité dans le livre, qui figure à coté de bien d’autres pourcentages et qui montre que les juifs français d’origine française ont été mieux protégés que l’ensemble des Juifs français.

Avec l’anathème prononcé contre les « révisionnistes français », Joly accorde sa bénédiction à une cohorte d’historiens qui contribuent à ce dossier dont l’ambition n’est autre que de constituer l’état des connaissances scientifiques sur le sujet « Vichy, les Français et la Shoah ». Ces auteurs ont généralement publié un ouvrage récent touchant plus ou moins au sujet .

Le problème est qu’un certain nombre de contributions, notamment celles de Daniel Lee, Bénédicte Vergez-Chaignon et Jacques Semelin confortent la thèse d’Alain Michel selon laquelle l’existence d’un gouvernement français disposant d’une certaine autonomie a été l’un des facteurs à prendre en compte pour expliquer le taux relativement élevé de survie chez les Juifs de France.

Joly donne également sa caution scientifique à une très surprenante contribution, celle d’Adrien Dallaire sur les Juifs du Vaucluse. (2023: L'article de  Dallaire  a été supprimé dans  le livre de 2023)

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Rions un peu avec Adrien Dallaire

(2023: cet article a été supprimé dans le livre de 2023)

Celles et eux qui ont aimé la Cantatrix sopranica de Georges Pérec ou Transgressing the boundaries d’Alan D.Sokal, adoreront l’article de d’Adrien Dallaire de ce numéro 2122. Avec des outils statistiques couramment utilisés (avec pertinence) en épidémiologie ou en métrologie, l’auteur prétend démontrer que la « thèse du bouclier » est infondée. « thèse du bouclier » qui serait défendue par Alain Michel et qui consisterait à distinguer les Français des étrangers.

En guise d’apéritif, le lecteur doit d’abord siroter 3 pages de commentaires sur la prosopographie quantitative. Morceau choisi :


On s’est demandé si la prosopographie relevait davantage d’une « méthode », d’une «technique», d’une « approche » ou d’un « outil analytique ». La réticence à qualifier la prosopographie de « méthode » s’explique par le fait qu’elle ne s’applique pas uniformément en toutes circonstances. Tout dépend en fait des sources dont on dispose, des questions qui se posent et des outils d’analyse des données dont on dispose. Il n’existe donc pas une seule manière de mener une prosopographie. Comme l’a souligné Katharine S. B. Keats-Rohan, « la prosopographie est […] plurielle plutôt que singulière, en sorte que les tentatives de la définir sont inévitablement plus descriptives que normatives.
(Dallaire RHSHO n°212)

Voilà qui met l’eau à la bouche. Plus prosaïquement, l’auteur nous dit qu’il a travaillé sur une base de données où il a saisi des informations sur 2826 Juifs vauclusiens. Suivent deux pages de témoignages sur les familles Cherkasky et Waysenson. Viennent ensuite 3 pages de statistiques sur les arrestations en fonction du sexe et de l’age, avec une introduction qui mérite le détour :

Mais existe-t-il véritablement un lien entre l’âge et le sexe des Juifs d’une part et leur arrestation d’autre part comme semblent le suggérer ces exemples ? Pour répondre à cette question, il faut recourir à une analyse quantitative de la base de données. Deux tests d’indépendance du khi carré (χ2) ont été réalisés en vue d’évaluer la relation entre le fait d’avoir été arrêté (ou de ne pas l’avoir été) et l’âge et le sexe d’une personne. Dans les deux cas, les analyses ont révélé que la relation était statistiquement pertinente. En outre, pour chacune de ces variables, il n’y avait que 0,1 % de chance (soit une pour mille) que les résultats obtenus puissent être attribués au hasard. (En effet, dans les deux cas, la « valeur p » [ou valeur de probabilité] est inférieure à 0,001). Le fait d’être arrêté n’était donc pas indépendant de l’âge et du sexe. Cela ne signifie pas, cependant, que l’association entre les variables indépendantes (« âge » et « sexe ») et la variable dépendante (« arrestation ») soit forte. En fait, lorsque le coefficient V de Cramer (similaire à un coefficient de corrélation) a été pris en compte, on a observé que toutes deux n’avaient qu’un impact très faible sur la variable « arrestation ». Il n’en demeure pas moins qu’un impact, si faible soit-il, est un impact.
(Dallaire RHSHO n°212)

Je dirais même plus, un impact est un impact. Très prosaïquement, il ressort des tableaux de chiffres que les hommes ont été, proportionnellement un peu plus arrêtés que les femmes, et les adultes, plus que les enfants. Dallaire sait aussi prendre sa part dans la lutte contre l’hérésie.

Ce qui manque jusqu’à présent à cette étude, c’est une analyse de la relation entre l’arrestation des Juifs et leur « statut » ; autrement dit, s’ils étaient considérés comme des Français ou comme des étrangers par les occupants allemands et par les autorités de Vichy. On l’a vu dans l’introduction de ce volume, la « dichotomie Français-étrangers » – pilier central de la « thèse du bouclier » – continue à occuper une place relativement dominante dans l’historiographie...
(Dallaire RHSHO n°212)
Avec la note de bas de page que tout le monde attendait « La « thèse du bouclier » a resurgi ces dernières années avec la publication du livre d’Alain Michel, Vichy et la Shoah : Enquête sur le paradoxe français, Paris, CLD, 2012 ; et celui d’Éric Zemmour, Le suicide français, Paris, Albin Michel, 2014 (voir plus particulièrement p. 87-94). »
Une dizaine de pages du même galimatias pour en arriver au CQFD

     … Les analyses statistiques traitant des déportations des Juifs vauclusiens remettent en question, elles aussi, la « thèse du bouclier », ainsi que la « dichotomie Français-étrangers » sur laquelle elle se fonde. Par exemple, lorsqu’un test khi carré a été effectué pour évaluer la relation entre les variables « statut » et « déportation », les analyses ont révélé que la relation n’était pas statistiquement pertinente….
    … Même si, en fin de compte, aucune de ces analyses n’a révélé une relation statistiquement pertinente entre les différentes variables et la variable « déportation », les résultats récurrents non pertinents suggèrent que, contrairement aux idées reçues, les Juifs français n’auraient pas été plus à l’abri de la déportation que leurs frères étrangers. Une fois arrêtés, les Juifs français et étrangers étaient tout aussi susceptibles d’être déportés, les dés ayant été jetés pour près des trois quarts du groupe.
Dallaire RHSHO n°212   

Par-delà l’aspect comique du texte, je tiens à préciser que dans cet article, à part les pourcentages présentés dans les tableaux à double entrée, PRESQUE TOUT EST FAUX :
- La thèse du bouclier (le maintien d’un gouvernement français partiellement autonome aurait contribué à protéger les Français) n’est pas sous-tendue par la discrimination français/étrangers.
- Le fait que les juifs étrangers aient été plus exposés que les juifs français est plus ou moins mis en avant selon les auteurs, mais n’en est pas moins accepté par tous.
- Le cas du Vaucluse n’est pas une exception, puisque l’on retrouve que les juifs étrangers ont été, proportionnellement et très significativement plus déportés que les Français.

En fait, il ressort des tableaux statistiques présentés dans l’article, et qui sont, je le précise, des tableaux à double entrée tout à fait classiques, mais estampillés dans la cellule en haut et à gauche du label (χ2***), que sur les quelque 2500 juifs enregistrés dans la base de données de l’auteur, environ 430 ont été arrêtés, et que sur ces 430, une centaine ont été relâchés. Le pourcentage de Juifs étrangers arrêtés est le double du pourcentage des Juifs Français, mais parmi la centaine de relâchés, les pourcentages sont sensiblement égaux. Même Paxton n’aurait pas osé utiliser cette statistique pour argumenter quoique ce soit.

Le problème n’est pas qu’un jeune chercheur se fourvoie en sollicitant abusivement les chiffres avec des outils statistiques qu’il ne maîtrise pas, et en produisant un texte caricaturalement abscon, mais qu’un directeur de recherches au CNRS lui donne sa caution.

On apprend sur Internet qu’Adrien Dallaire a soutenu sa thèse en 2019 avec 2 directeur de thèses, Jan Grabowki, professeur d’histoire à l’université d’Ottawa et Claire Zalc, directrice de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (IHMC).

Celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire des Juifs du Vaucluse pendant les années noires se reporteront à la superbe étude d’Isaac Lewendel
l3, d’où il ressort qu’en août 1942, en quelques jours, les gendarmes français ont arrêté 100 Juifs « apatrides » entrés en France après le 1er janvier 1936, ex-Allemands, ex-Autrichiens, ex-Polonais, ex-Tchèques ex-Russes ou soviétiques. A partir de novembre 1942, les arrestations ont été gérées directement par les Allemands sans aide de la police française en recrutant, généralement dans la pègre, des agents autochtones. Jusqu’au 15 août 1944, 300 juifs, aussi bien étrangers que français furent arrêtés, les deux tiers d’entre eux après le 1er mars 1944. Dans un contexte où les supplétifs des Allemands étaient surtout avides d’argent et de rançon, il arriva souvent que des personnes arrêtées soient relâchées.

La répartition dans le temps des déportations des Juifs du Vaucluse s’écarte très notablement de la moyenne française. Sur l’ensemble de la France, plus de la moitié des déportations ont été effectuées en 1942.
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Bénédicte Vergez-Chaignon plaide contre Isorni

Bénédicte Vergez-Chaignon a beaucoup produit sur la période de l’Occupation depuis les débuts de sa carrière et sa collaboration avec Daniel Cordier. Je n’ai pas bien compris comment elle aurait fait avancer la connaissance scientifique sur le thème de Vichy, les Juifs et la Shoah, mais elle a publié en 2014 une biographie de Pétain4 que je n’ai pas lue mais qui semble la légitimer, pour contribuer à ce dossier sous la forme d’un article plutôt insipide sur Pétain et la question juive5 où elle revoit à la baisse le supposé antisémitisme du Maréchal avant 1939, reste vague sur le statut ds Juifs d’octobre 1940 et aussi insaisissable sur le deuxième statut que l’intéressé avait pu l’être. Pétain n’est pas certes pas un sujet facile ; Vergez-Chaignon confirme qu’au temps des rafles de 1942, le Maréchal n’est pas au cœur du processus de décision, et elle donne un certain nombre d’éléments qui pousseraient à croire que Pétain connaissait le sort des Juifs déportés sans se risquer à avancer la date où le Maréchal aurait eu des certitudes à se sujet. Vergez-Chaignon ne croise pas ces données avec les réflexions d’autres auteurs sur le même sujet6.

Comme conclusion de l’article, Vergez-Chaignon entend réfuter les arguments de Me Isorni, l’avocat de Pétain qui avait effectué des comparaisons avec les autres pays européens pour inscrire tous les avantages au crédit de Pétain mais elle conclut sans nuance: Bien entendu, tous les sauvetages, tous les combats, tous les risques, toutes les chances ne peuvent être imputés ni aux actions, ni même aux désirs de Pétain : ils ont eu lieu en dehors de lui et, très largement, à l’encontre de ses ordres et de ses choix.

Cet article ne mériterait aucune attention spéciale si en tout début d’article l’auteur n’avait avancé qu’Alain Michel et Zemmour auraient repris les thèses d’Isorni selon lequel Pétain serait le sauveur des Juifs, ce qui représente un procédé d’amalgame particulièrement minable qui mérite une mise au point : Il y a un seul historien dans l’affaire c’est Alain Michel qui ne s’intéresse guère à Pétain, mais à Laval … et qui, dés le début de son livre prend bien soin de déminer l’amalgame que l’on pourrait faire avec les défenseurs de Pétain
7:

         Une difficulté supplémentaire vient du fait que l’opinion d’Hilberg étant en général ignorée, l’argument des juifs étrangers livrés en échange de la protection des Juifs français sent souvent le soufre : les seuls qui ont avancé cette hypothèse sont les hommes de Vichy lors des procés de l’épuration, ou plus tard, les défenseurs de la mémoire de ces hommes de la collaboration, ou encore les nostalgiques de la Révolution nationale…
(Alain Michel, Vichy et la Shoah, 2012)  

Autant dire que Vergez-Chaignon ignore la totalité du livre dont elle prétend se démarquer. Peut-être n’a-t-elle même pas lu le livre. Nullement spécialiste de la Shoah n’aurait-elle pas pu éviter de jouer les seconds couteaux dans les basses œuvres de Laurent Joly. Concernant l’histoire des juifs sous Vichy, elle a quand même à se faire pardonner d’avoir co-signé en 2006 quelques énormités dans un livre consacré à la vie quotidienne des Français sous l’Occupation. On peut lire dans cet ouvrage que les enfants juifs ont été interdits d’école par la loi du 19 octobre 19428. Un copieux paragraphe est consacré à cette question, alors qu’il est bien connu que précisément le fait que la scolarisation des enfants juifs tant dans l’école publique que dans les écoles privées a puissamment concouru à la survie de la majorité d’entre eux (88,5%). C’est uniquement en Algérie qu’une partie ds enfants Juifs furent exclus de l’école.

Normalement, quand trois auteurs co-signent un livre, chacun doit au moins relire le texte entier. A supposer qu’aucun des trois auteurs n’ait rédigé ce paragraphe, qu’ils aient sous-traité des parties entières à un quelconque stagiaire (ce qui n’est pas très scientifique), il a semblé tout naturel au stagiaire d’écrire que les enfants juifs aient été exclus de l’école. Cet exemple est révélateur de ce que je signalais en 2007 : Quand on parle de Vichy, ce n’est pas bien grave de s’écarter de l’Histoire, à condition qu’on le fasse dans le sens du noircissement.

La même mésaventure est arrivée à Laurent Joly : Dans son numéro du 25 septembre 2018, l’Express consacrait une pleine page à la recension de son livre « L’État et les Juifs » sous le titre «  Comment Vichy a imposé l’étoile jaune »

L'Express, Joly et l'étoile jaune

Laurent Joly n’ignore certainement pas que Vichy n’a pas imposé l’étoile jaune ; là encore, un obscur journaliste stagiaire de l’Express a dû trouver ce titre excellent. Encore une fois, on peut raconter des bêtises en chargeant « Vichy » à l’extrême, ce n’est pas considéré comme une faute grave. Si bien qu’un obscur journaliste de l’Express et son rédacteur en chef peuvent croire de toute bonne foi que Vichy a imposé l’étoile jaune et que le démenti ne s’impose pas dans le numéro suivant.
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Jacques Semelin aligné sur Alain Michel ?

Dans le numéro 212 de la RHSHO, quatre auteurs ont dégainé leur petite phrase assassine contre Alain Michel : Nous avons vu le cas d’Adrien Dallaire et Bénédicte Vergez-Chaignon. Daniel Lee est le troisième sicaire. Historien britannique qui a publié en 2014 son premier livre Pétain’s Jewish Children : French Jewish Youth and the Vichy Regime, 1940–42, Lee présente dans le numéro 212 un résumé de son livre9.

Le procès en hérésie intenté à Alain Michel et Jean Marc Berlière se fait sur deux modes. Dans le premier mode, on déforme leurs idées en faisant croire qu’ils ont tout simplement adopté l’argumentaire des défenseurs de Pétain, et il n’est alors pas bien difficile de réfuter l’argumentaire, des pétainistes c’est ce à quoi s’est employée Bénédicte Vergez-Chaignon.

Le deuxième mode consiste à postuler qu’ils sont d’épouvantables réhabilitateurs de Vichy, et de dérouler ensuite un récit très proche de leur façon de voir. C’est ce à quoi se sont employés Daniel Lee et Jacques Semelin dans le même dossier du n°512 de la RHSHO.

L’article de Lee publié dans le numéro 21210 s’inspire plus ou moins de son livre de 2014, mais en se focalisant sur le scoutisme juif qui fut le sujet de la thèse d’Alain Michel en 1982. Je ne suis pas compétent pour dire si Lee apporte des éléments nouveaux par rapport à 1982. Revenant en 2012 sur les éclaireurs israélites et le rôle des EIF dans la Résistance juive, Alain Michel montrait qu’une partie du paradoxe français résidait dans le fait que la Résistance juive avait pu se structurer à dans le cadre de la France de Vichy. Lee n’exprime pas de désaccord sur ce point.

Il met l’accent sur le soutien que les ministres Lamirand et Caziot ont apporté aux EJF en les opposant à d’authentiques antisémites comme Platon ou Bergeret et parsème sa contribution de phrases sibyllines censées prouver son maintien dans l’orthodoxie. Ainsi, après avoir dénoncé en bas de page Alain Michel pour avoir « décrit si favorablement l’attitude de Pétain et de Laval à l’égard des Juifs. » il ajoute, par exemple, « Il est trompeur d’adopter une approche mettant l’accent sur un mouvement de haut en bas et insistant principalement sur les actions de Pétain, Laval et Bousquet afin de minimiser l’antisémitisme du régime … Pour d’autres personnages de Vichy, cependant, la législation antisémite n’était qu’un désagrément qui les détournait de leurs responsabilités ministérielles principales. Contrairement aux opinions des « révisionnistes », Pétain et Laval ne faisaient pas partie de ces hauts fonctionnaires».

Pour Daniel Lee, professeur d’histoire contemporaine française à Londres, il est évidemment intéressant d’être publié dans une revue française, mais il ne pèse pas très lourd dans le petit monde des historiens de la Shoah. Jacques Semelin est pour Laurent Joly un allié plus précieux, qui lui permet, par personne interposée, de saper discrètement les positions de Paxton.

Semelin, en effet, ferraille souvent avec Paxton11 qui n’est pas d’accord avec l’image trop flatteuse que donne Semelin du soutien que l’ensemble de la population française aurait apporté aux Juifs.

Il n’empêche que Semelin s’est fort éloigné de la vision klarsfeldienne (Vichy a persécuté/ la population française a sauvé). Son approche, revendiquée comme « multifactorielle » met en lumière les inévitables interactions entre la populations française, la résistance juive, l’administration de Vichy et le gouvernement de Vichy. Dans son article du numéro 212 sur la survie des Juifs12, il s’aligne sur la conclusion de Pim Griffioen et Ron Zeller :

    Du fait de sa position structurelle comme gouvernement collaborateur (une position inexistante aux Pays-Bas et en Belgique), Vichy a donc bien eu les moyens de faire obstacle aux déportations après avoir mis toute la puissance de son administration au service de la politique nazie lors de l’année terrible de 1942. Dans un premier temps, ce gouvernement a servi de relais efficace aux nazis. Par la suite, il est devenu comme un écran passif, en relayant moins leurs exigences.
    […] oui, en principe tout repose sur le pouvoir des nazis sauf… qu’ils dépendent de Vichy pour faire arrêter les Juifs, … et que ce régime doit aussi prendre en considération les réactions de l’Église et de la population, donc de l’évolution de l’opinion, ce dont les nazis tiennent compte aussi. Il y a par conséquent une interdépendance en chaîne qui, dans une certaine mesure, limite le pouvoir nazi en France.
(Semelin, RHSHO n°212 )
Il est réjouissant de lire en 2020 sous la plume de Jacques Semelin, qu’une interdépendance en chaine limite le pouvoir nazi en France. C’est ce que j’écrivais sur ce site en 2014. Il est moins réjouissant de lire aussi que le même Semelin quelques lignes plus loin ne cite de façon fielleuse Alain Michel que comme l’inspirateur de Zemmour, après un morceau de bravoure où il s’en prend aux historiens pas sérieux adeptes d’une explication monocausale. Bien entendu, Alain Michel n’a jamais proposé une explication monocausale pour rendre compte du taux relativement élevé de juifs rescapés.

Rappelons qu’en 2013, Sémelin avait très clairement pris position contre Paxton dans un ouvrage traitant de la persécution et de la survie des Juifs de France113. J'ai déjà raconté en 2014, comment, dans une note de bas de page de la page 838, Jacques Semelin avait catalogué - « par erreur » dira-t-il plus tard - Alain Michel de « réhabilitateur de Vichy ». Cette note de bas de page fielleuse était le prix à payer pour être considéré comme un historien sérieux avec lequel Paxton pouvait discuter14. En 2018, Semelin a publié sur le même thème un nouveau livre15 que je n’ai pas lu. Semelin s’oppose toujours à Paxton et l’on trouve sur internet des propos recueillis par Nathalie Peters16 où Semelin déclare, en gros, que Paxton, c’est fini, Joly et Semelin le remplacent.

L’avancée de Semelin vers les positions d’Alain Michel, de Griffioen et de Zeller est relativement récente comme le montre les remarques que faisaient en 2015 Crémieux-Brilhac à propos du livre de Semelin de 2013 :
   Qu’un acteur déterminant de la survie de 75 % des juifs de France ait été la structure des relations entre le gouvernement de Vichy et la puissance occupante, je veux dire le souci de cette dernière de préserver la crédibilité du Maréchal, la progressivité calculée des exigences allemandes, puis le fait qu’en 1943-1944 aussi bien les responsables nazis que les dirigeants de l’État français avaient d’autres priorités que «le problème juif», à savoir la mobilisation et l’affectation de la main-d’œuvre et le maintien de l’ordre face à la montée des résistances, les propos du chef nazi de la police de sécurité et du Sicherheitsdienst en France, Helmut Knochen, en témoignent sans ambiguïté: l’objectif allemand d’extermination n’a pas varié, la relation avec Vichy en a seulement imposé l’échelonnement. Le livre de Jacques Semelin aurait été plus équilibré si l’auteur, sans ignorer ces points, les avait définis plus explicitement
(Crémieux-Brilhac, le Débat, 201517 )

Il s’est donc finalement imposé à Semelin que la politique d’exclusion menée par le gouvernement de Vichy vis-à-vis des Juifs et sa complicité dans la mise en œuvre de la solution finale par les nazis n’était pas incompatible avec un rôle important dans la survie de ceux qui échappèrent à la déportation. On est loin du paxtonisme dominant des années 1990-2010. Le dogme klarsfeldo-paxtonien que dénonçait Alain Michel est mort, mais on ne le dit pas ouvertement, les hérétiques restent bannis pour ne pas entraver la célébration permanente du culte mémoriel officiel où la répulsion inspirée par Vichy est le socle d’une croyance minimum dont doit s’imprégner l’ensemble de la population.
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Culte de Vichy, culte du grand Salaud

Que reste-t-il dans la mémoire collective de la période 1939-1945 ? très peu pour l’entrée en guerre, à peine plus pour la défaite de mai-juin 1940. bien peu pour la Libération et le retour de jours heureux. En dépit de l’intronisation au Panthéon de Jean Moulin et d’un certain nombre de résistants, en dépit du ralliement de presque toutes les nuances politiques autour de la figure d’un De Gaulle plus mythique que réel, aucun héro ne se dégage franchement de la période 1938-1945. Le premier rôle n’est pas un héro, c’est un salaud, le salaud-type dont le nom est Vichy et Pétain le principal avatar. Depuis Chirac, les présidents sont tenus de célébrer ce culte du salaud. En concentrant la noirceur des Années Noires sur une entité, Vichy, qui ne saurait recouvrir qu’un tout petit groupe, on espère blanchir toute une société qui peut s’identifier à l’armée des Justes et des résistants. Après avoir distingué comme les pétainistes de l’époque, le bon Pétain du mauvais Laval, on a oublié Laval pour renforcer le premier rôle de Pétain, et comme il était difficile de faire abstraction de la sénilité et de l’inconsistence du Maréchal, on a fait émergé une sorte de trinité du mal Vichy/Pétain/Laval.

Il est demandé à tout historien qui produirait un récit historique nuancé d’effectuer préalablement une dénonciation des réhabilitateurs de Vichy sous peine d’être poursuivi pour blasphème. Car en effet, si les historiens se sont presque complètement dégagés de l’emprise paxtonienne, la société qui élabore les post-vérités de notre époque est plus paxtonienne que Paxton ne l’a jamais été. A titre d’exemple, je vais rappeler ce petit épisode de la vie politique maintenant oublié. C’était en 2017.

Intermède sur l’affaire Peillon, 2017

Le mardi 3 janvier Vincent Peillon, candidat à la primaire de la gauche, invité sur France 2 , s'exprime sur la laïcité : « il y a eu des dérapages les dernières années », il dénonce « certains » qui « veulent utiliser la laïcité contre certaines catégories de population » et poursuit :

« Ça a déjà été fait dans le passé, c’était il y a 40 ans, les juifs à qui on mettait des étoiles jaunes, c’est aujourd’hui un certain nombre de nos compatriotes musulmans qu’on amalgame d’ailleurs souvent avec les islamistes radicaux. C’est intolérable. »

Personne n'a vraiment compris où Peillon voulait en venir en rapprochant la laïcité en 2017 du port de l'étoile jaune. L'erreur arithmétique, 40 ans au lieu de 75 ans n'est ici qu'un détail de l'histoire. Un tollé a suivi cette déclaration : Le parallèle fait entre la Shoah et la stigmatisation de l'Islam était pour le moins inopportun. Il est tout à fait remarquable de constater que la quasi-totalité des commentateurs a admis sans rechigner que c'était bien Vichy qui avait imposé le port de l'étoile jaune.

D'après Marianne, l'entourage de Peillon précise : « Il n’a pas voulu lier la laïcité et Vichy. Ce qu’il a voulu dire, c’est qu’il ne faut pas utiliser la laïcité pour stigmatiser une partie de la population en raison de sa religion. »

Et Peillon de tweeter « Je tiens à préciser ma pensée et ma conviction qu’une contraction de phrases a pu déformer. Je n’ai évidemment pas voulu dire que c’était la laïcité qui était à l’origine de l’antisémitisme de la France de Vichy »

D'après le Huffington Post qui titre « Vincent Peillon étrillé après avoir fait un lien entre la laïcité et l'étoile jaune sous Vichy », Caroline Fourest aurait tweeté « Ok pour refuser l'instrumentalisation de la laïcité, mais pourquoi ce lien entre laïcité et l'étoile jaune? En quoi Vichy était laïque ?»

D'après l'Express (ici) Peillon aurait aussi tweeté « "Le régime de Vichy ne se réclamait pas de la laïcité, bien au contraire » et le Le CRIF aurait communiqué « L'histoire de la déportation de plus de 75 000 juifs, de la spoliation des biens juifs ou des lois discriminatoires comme le port de l'étoile jaune ne saurait être dévoyée et instrumentalisée au nom d'un soi-disant équilibre des souffrances.»

La Croix (ici) titre « Juifs sous Vichy et musulmans aujourd'hui: Peillon crée la polémique » et cite un tweet d'Eric Ciotti « Insupportable et odieux dérapage de Peillon qui compare la France d'aujourd'hui à Vichy ! »

Sur Causeur (ici) « Ainsi, en une semaine, l’ancien ministre a maladroitement expliqué que la laïcité avait été instrumentalisée par Vichy pour imposer l’étoile jaune ».

Sur une autre page de Causeur (ici) sous la plume de Régis de Castelnau« C’était trente-cinq ans plus tôt un gouvernement de trahison adoubé le 10 juillet 1940 à Vichy par la majorité des parlementaires socialistes, pourtant issus des chambres du Front populaire, qui avait décidé en septembre de la même année d’ostraciser les juifs. Avant d’imposer le port de l’étoile jaune à partir de mai 42. »

Dans le Dauphiné Libéré (ici) « Jamais Pétain, appuyant volontiers son pouvoir sur l’Église, ne se réclama du camp laïque et républicain. Suggérer qu’il prit prétexte de la loi de 1905 pour imposer l’étoile jaune et l’antisémitisme d’État »

Le nouvelobs (ici) « Un point Godwin doublé de plusieurs imprécisions. De chronologie, tout d'abord. C'est sous le régime de Vichy, en 1942, que l'étoile jaune a été imposée aux juifs, et non il y a "40 ans" comme il l'affirme. L'ancien ministre ...semble en outre établir un lien entre l'instrumentalisation de celle-ci et l'antisémitisme qui a conduit à l'imposition de l'étoile jaune sous l'Occupation. Or le régime du maréchal Pétain n'agissait pas au nom de la laïcité. »

Dans l'Express du 7 janvier (ici) « Vous entreprîtes ainsi de faire une comparaison des plus audacieuses entre l’imposition de la laïcité aux musulmans de France et le port de l’étoile jaune imposé aux juifs durant la Collaboration. »

La quasi-totalité des commentateurs croit donc dur comme fer que le port de l'étoile jaune a été imposé par Vichy. Je n'en ai pas trouvé un seul pour rétablir la vérité que connaissent bien tous les familiers de l’histoire de l’Occupation : Le refus de légiférer sur l'étoile jaune a été l'un des rares cas où Darlan a su dire non, et les Allemands ne furent pas mieux servis sur ce point par son successeur Laval, ils durent finalement recourir à une ordonnance, datée du 29 mai 1942 et applicable à partir du 7 juin.

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Annexe : le dossier Hilberg, le marchandage, le bouclier et le moindre mal

De façon étonnante, la référence à Hilberg devient le point de clivage principal entre les historiens que leurs adversaires se plaisent à appeler « révisionnistes » et les historiens « carriéristes » dont Laurent Joly voudrait bien devenir la figure de proue.

Ce que Hilberg a écrit

Au début du chapitre sur la France, qui fait au total 100 pages dans l’édition de poche Points-Histoire, Hilberg brosse une sorte de résumé du cas français. Ce sont ces lignes qui posent problème18 :

Dans ses réactions aux pressions allemandes le gouvernement de Vichy tenta de maintenir le processus de destruction à l’intérieur de certaines limites. Celles-ci eurent essentiellement pour objet de retarder l’évolution du processus dans son ensemble. Les autorités françaises cherchèrent à éviter toute action radicale. Elles reculèrent devant l’adoption de mesures sans précédent dans l’histoire.  Quand la pression allemande s'intensifia en 1942, le gouvernement de Vichy se retrancha derrière une seconde ligne de défense . Les Juifs étrangers et les immigrants furent abandonnés à leur sort et l'on s'efforça de protéger les Juifs nationaux. Dans une certaine mesure, cette stratégie réussit. En renonçant à épargner une fraction, on sauva une grande partie de la totalité.
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Jalons chronologiques des négociations de juin-juillet 1942

Très classiquement, cette chronologie découle des documents publiés par Klarsfeld dans Vichy-Auschwitz. Attention, tous les compte-rendus, français ou allemands n’ont pas été retrouvés, et beaucoup d’échanges et de réunions n’ont pas donné lieu à des compte-rendus.


  • 27 mars, premier convoi de déportation

  • 18 avril, retour de Laval au pouvoir, Bousquet nommé secrétaire général au maintien de l’ordre.

  • 7 mai Heydrich en France pour introniser Oberg chef de toutes les polices allemandes, rencontre notamment Bousquet, ouvrant la voie aux pourparlers Bousquet-Oberg-Knochen sur les rapports entre les polices allemande et française qui déboucheront finalement sur les accords Bousquet-Oberg du 8 août.

  • 7 juin introduction de l’étoile jaune en zone occupée,

  • 11 juin Dannecker convoqué à Berlin. Eichmann lui fixe ses objectifs (pour la France) : Déportation de 100000 juifs âgés de 19 à 40 ans ;

  • 15 juin de retour à Prais, Dannecker revoit à la baisse son programme de déportation : 26000 Juifs en province de la zone occupée et 15000 à Paris. Finalement le chiffre qui s’impose et qui est retourné à Eichman est de 40000 juifs en 3 mois. Contacts entre Dannecker et Darquier pour la déportation de juifs étrangers de zone libre.

  • 16 juin rencontre Oberg-Knochen-Bousquet le compte-rendu de Hagen n’a pas été retrouvé, mais un autre document Dannecker y fait allusion « Bousquet est prêt à mettre dans un premier temps 10000 juifs à notre disposition en vue de leur déportation à l’Est »

  • 18 juin Dannecker est informé que le ministère des transports du Reich met à disposition 36 trains pour le transport des Juifs évacués de France.

  • 18 juin Note détaillée de Bousquet à Oberg sur le projet de collaboration entre les 2 polices (sans référence aux questions juives)

  • 22 juin Eichmann valide le chiffre de 40000 pour la France.

  • 25 et 26 juin premiers contacts Dannecker-Leguay. Dannecker parle de l’arrestation de 22000 juifs en région parisienne. Juifs des deux sexes, de 16 à 45 ans. 40 % doivent être de nationalité française. Legay rapporte à Bousquet qui dit qu’il rapportera à Laval, mais nie s’être engagé sur 10000 juifs de la zone libre.

  • 26 juin conseil des ministres. Laval évoque la question juive : Les Allemands ont demandé au Gouvernement de renforcer les contraintes à l’égard des Juifs. Laval rendra compte préalablement au Maréchal. Aux termes de l’accord, on devrait interner 10000 Juifs en zone libre. Laval déclare qu’il n’a jamais donné son accord.

  • 29 juin réunion Dannecker Leguay : Le gouvernement français n’est pas disposé à faire arrêter sous sa propre responsabilité le nombre de juifs de Paris exigés

  • 1er Juillet Eichmann à Paris

  • 2 juillet Réunion Oberg, Knochen, Hagen + 3 autres allemands (rapport de Hagen du 4 juillet) face à Bousquet. Bousquet rend compte des positions de Laval (voir 26 juin) : Refus d’intervenir en zone occupée. Livraison de 10000 Juifs étrangers de la zone libre. Menaces allemandes. Finalement, « on s’est arrêté à l’arrangement suivant : Puisqu’à la demande du Maréchal, il n’est pour l’instant pas question d’arrêter des juifs de nationalité française Bousquet se déclare prêt à faire arrêter sur l’ensemble du territoire français et au cours d’une action unifiée le nombre de Juifs que nous voudrons ... »

  • 2 juillet Ambassade de Paris demande à Ministère de Berlin que les Juifs de nationalité étrangère soient déportés avant les Juifs français.

  • 3 juillet conseil des ministres Laval dit qu’il prendra lui même la décision, mais dans ses notes, il écrit Refus pour le projet de mettre dans des camps de concentration plusieurs milers de juifs de Paris. Acceptation pour les 10000 juifs de zone libre.

  • 4 juillet réunion Bousquet-Knochen-Dannecker-Darquier. Compte-rendu de Dannecher : «Bousquet déclara que  tant le maréchal Pétain que le président Laval au cours du récent conseil des ministres, avaient exprimé leur accord pour l’évacuation, dans un premier temps, de tous les Juifs apatrides séjournant en zone occupée et en zone non occupée » Ensuite, organisation de la rafle à Paris, et programmation des rafles en zone libre.

  • 4 juillet en fin d’après-midi rencontre Knochen Laval qui valident l’accord précédent

  • 6 juillet rapport de Dannecker à Eichmann Objet évacuation des Juifs de France « Les négociations avec le gouvernement français ont donné entre temps les résultats suivants : 

    - L’ensemble des Juifs apatrides de zone occupée et de zone non occupée seront rendus prêts à notre disposition en vue de leur évacuation..

    - Le président Laval a proposé que lors de l’évacuation de familles juives de la zone non occupée, les enfants de moins de seize ans soient emmenés eux aussi. Quant aux enfants juifs qui resteraient en zone occupée, la question ne l’intéresse pas…

  • 7 juillet 1ere réunion de la commission chargée de préparer la grande rafle de Paris, au service des affaires juives avenue Foch. Dannecker + adjoint, Darquier+ adjoint, Leguay, François, Hennequin, Tulard, Garnier, Guidot, Schweblin. Définition précise du périmètre des arrestations. Total des arrestations fixé à 22000, soit tous les 28000 apatrides moins les vieillards et les malades.

  • 10 juillet Réponse ministère des affaires étrangères allemand à ambassade de Paris : « L’évacuation prioritaire des Juifs étrangers n’est pas possible » Seuls les juifs apatrides peuvent être arrêtés

  • 10 Juillet 2eme réunion de la commission. Date de la rafle fixée au 16 juillet

  • 11 juillet Les Juifs français ne pouvant pas être déportés, le convoi de Bordeaux (zone occupée) qui devait partir le 15 juillet est annulé

  • 16-17 juillet rafle dite du Vel d’hiv

  • 8 août accords Bousquet-Oberg

  • 2 septembre Déjeuner Oberg-Laval. Compte-rendu de Hagen « Il nous prie de croire à son entière honnêteté quand il nous promet de régler la question juive, mais, dit-il, il n’en va pas de la livraison des Juifs comme de la marchandise dans un Prisunic, où l’on peut prendre autant de produits que l’on veut toujours au même prix. »

  • 25 septembre Himmler valide la non-arrestation des Juifs de nationalité française.

  • 11 novembre invasion de la zone Sud par l’armée allemande.

  • 11 décembre apposition de la mention « Juif » sur les cartes d’identité.

Laval : Chef du gouvernement
Bousquet :Secrétaire général de la police
Darquier : Commissaire général Questions juives.
Leguay : Délégué de Bousquet en zone occupée
Hennequin, Directeur police municipale de Paris
Tulard, directeur du fichier juif
Schweblin, Directeur Police des questions juives
Himmler : Chef des SS
Heydrich : Adjoint de Himmler
Oberg : Chef des SS en France
Knochen : Adjoint de Oberg
Hagen : secrétaire de Oberg
Eichmann : Chef section antijuive RSHA
Dannecker : Section antijuive en France

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Paxton et Hilberg

En 2017, Jean Lopez et Olivier Wieviorka ont publié le deuxième volume d’un ouvrage traitant de la Seconde Guerre mondiale sous la forme de chapitres indépendants censés réfuter une idée reçu. Il est amusant qu’ils aient invité Paxton, présenté autrefois par les historiens du courant dominant et encore maintenant par les media comme la référence suprême, à réfuter une idée présumée reçue alors que sa pensée a constitué pendant au moins quarante ans le dogme par excellence. Toujours est-il que Paxton est l’auteur d’un chapitre intitulé « Le régime de Vichy a protégé les Juifs français en sacrifiant les juifs étrangers »19, étant entendu que dans ce livre, le titre du chapitre est l’idée reçue qu’il faut mettre à mal.

A l’age de 85 ans, après 60 ans de carrière consacrée pour l’essentiel à la France de Vichy, Paxton s’en prend pour la première fois à Hilberg de façon explicite et cite dés le début du chapitre le présumé mythe qu’il veut dénoncé « Dans ses réactions aux pressions allemandes le gouvernement de Vichy ... » et que j’ai reproduit un peu plus haut. Et Paxton d’ajouter20

Ce jugement avancé par le grand politologue américain Raul Hilberg, dans sa somme The destruction of the European Jews a longtemps fait figure de vérité d’Evangile…

Pour réfuter Hilberg, Paxton s’étend d’abord longuement sur les mesures d’exclusion des Juifs promulguées par les gouvernements de Vichy, et sur ces points, il n’est évidemment pas en contradiction avec Hilberg. Prenant ensuite pour argent comptant, sans aucun regard critique le fameux rapport Schleier de septembre 194221 selon lequel Bousquet aurait proposé à Heydrich dés mai 1942 que la France livre des Juifs étrangers de la zone non occupée pour remplir des trains et Paxton ajoute alors22

Les autorités françaises s’acquittent de cette promesse sans demander en contrepartie que les juifs français soient épargnés. Ainsi, elles livrent 10000 juifs étrangers et apatrides parce qu’elles estiment que la France a reçu trop de Juifs étrangers et doit s’en débarrasser. - et non comme monnaie d’échange pour négocier le sauvetage des Juifs citoyens. Hilberg s’est trompé sur ce point : Vichy ne voulait pas retarder l’évolution du processus dans son ensemble » mais renvoyer les Juifs étrangers chez eux.»

Et ensuite, en se référant à la note du 13 août 1942 de Röthke23, remplaçant de Dannecker comme responsable de la section juive de la RSHA à Paris.

Quand Laval propose que la police française arrête les Juifs non français, les Allemands acceptent sans difficulté que les Juifs français partent ultérieurement. Après tout, ils agissent de même et sans contrepartie en Belgique, où ne siège aucun gouvernement autochtone (ref Steinberg). Et d’expliquer clairement à Laval qu’il ne s’agit que d’un report : Tous les Juifs partiront, sans égard pour leur nationalité

Et Paxton d’ajouter24

Une légende fausse contient souvent un germe de vérité. Vichy a bien gagné un report temporaire de la déportation de Juifs de citoyenneté française.

Il y a donc des points positifs, mais Paxton soupèse le négatif et le positif, et le résultat de la balance paxtonienne tombe inexorablement25

Le constat s’impose donc clairement : Vichy a, au total aggravé la situation des « Vieux Juifs français » face à la solution finale nazie.
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Hilberg et Joly

Laurent Joly à commencer à attaquer Hilberg dans la recension qu’il a faite du livre d’Alain Michel, en 201326. Concernant Hilberg, le point d’attaque de Joly était que Hilberg n’avait qu’une connaissance très superficielle. Comme exemple à cette connaissance superficielle, Joly pointait deux erreurs, la fonction exacte de Bousquet (Préfet au lieu de Secrétaire général de la police) et le nom de code de la rafle dite du Vel d’hiv. Michel montrera facilement que ces erreurs étaient des erreurs de traduction de la version française qui ne figuraient pas dans la version originale, en Anglais.

Dans son livre de 2018, l’État contre les Juifs, un chapitre entier traite de la question « Sacrifier les Juifs étrangers pour sauver les Français ? », Joly englobe Hilberg dans les tenants d’une théorie du « Vichy moindre mal qui aurait livré les Juifs apatrides aux Allemands afin de sauver les Français, Théorie qui aurait été délégitimée par les travaux de Billig, Paxton et Klarsfeld et qui ne ressortirait qu’en marge du débat académique. Par chance, nous disposons pour ce livre d’une sorte de débat entre Alain Michel et Laurent Joly sur Hérodote.net

La critique d’Alain Michel : https://www.herodote.net/L_etat_contre_les_juifs-bibliographie-63

Et la réponse de Laurent Joly : https://www.herodote.net/articles/article.php?ID=1756

Je dois dire que dans sa réponse, le Laurent Joly de 2018 apparaît beaucoup plus sympathique que celui de 2020. Malgré certaines empoignades de cour de récréation, on a sur Hérodote quelque chose qui ressemble à un véritable débat .

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Le marchandage de Laval selon Renaud Meltz

Renaud Meltz est un universitaire entré relativement récemment dans le monde impitoyable de la France sous l’Occupation par le biais d’une biographie assez copieuse de Pierre Laval. Ce n’était pas une mauvaise idée d’inviter ce nouveau venu à contribuer au numéro 212 de la Revue d’histoire de la Shoah27. Meltz n’est pas du tout impliqué dans la polémique créée autour d’Alain Michel. Son livre et son article sont plutôt sévères pour Laval mais au fil des pages, tout est là pour aider à comprendre comment Laval a bel et bien sacrifié des juifs étrangers et protéger des Juifs français . On peut être étonné par l’emploi récurrent de l’adjectif « nationalitaire ». J’ai lu dans wikipedia que le néologisme « nationalitarisme » avait été forgé en 1917 par le maurassien René Johannet, désignant une politique basée sur le principe des nationalités.

(Meltz, RHSHO n°212 )   

p.140

La rafle du Vél’ d’Hiv résume le système de Laval. En nouant un pacte avec les chefs de la Gestapo qui entrent d’abord dans sa logique nationalitaire, il a offert le concours de la police française pour rafler les Juifs étrangers. L’ambassade d’Allemagne a flatté sa conception en lui fournissant les listes d’émigrés juifs qui permettent aux policiers de ne pas rafler de Français28. Les rafles en zone sud, à l’été 1942 confirment cette discrimination dans la discrimination, entre Juifs étrangers, livrés, et Juifs français, pour l’instant épargnés ; tout en montrant ses limites.

p.142

Le 2 septembre 1942, Laval excipe des remous créés dans l’opinion par les rafles de l’été pour négocier un répit. Le maquignonnage trivial est mobilisé au bénéfice des Juifs français : « Il nous prie de croire à son entière honnêteté quand il nous promet de régler la question juive, mais, dit-il, il n’en va pas de la livraison des Juifs comme de la marchandise dans un Prisunic, où l’on peut prendre autant de produits que l’on veut toujours au même prix. » Le procès-verbal de l’entretien laisse deviner la légère répulsion qu’inspirent les plaisanteries de Laval : « En outre – et ce sur un ton volontairement badin – il a fait remarquer qu’il ne voulait pas du tout poser la question de la contrepartie »29

p. 143

L’automne 1942 marque un ralentissement des rafles en France et la mise en place d’un accord tacite sur la protection des Juifs français, au détriment des étrangers.

p.144

Pendant le premier semestre 1943, Laval et Bousquet soustraient leurs compatriotes de la plupart des convois, non sans de cuisants échecs. La transaction, indépendamment de son immoralité, connaît de terribles ratés […] Laval passe l’été 1943 à jouer au bonneteau avec les Allemands pour empêcher la dénaturalisation des Juifs devenus français dans l’entre-deux-guerres.

p.145

Le 7 août, face à Knochen, il revient sur la publication du décret et les arrestations qu’il aurait permis. Hagen note dans son compte rendu que Laval se cache derrière l’opposition du Maréchal et de l’opinion publique. Le Français utilise toutes les ficelles, même les plus grossières. Quitte à passer pour un idiot.

p.146

Après la Libération, Brinon continue à blâmer Laval d’avoir, en protégeant des naturalisés, exposé des Juifs de plus vieille origine française, tel Tristan Bernard 30.

p.147

Réticence intermittente limitée par l’éternelle discrimination nationalitaire : Laval laisse finalement la police française remettre la main aux rafles d’étrangers en zone occupée. Il réclame en contrepartie à Oberg « que les Juifs français ne soient point désormais l’objet d’arrestations31 » […] En présentant Darnand aux intendants de police réunis à Vichy le 21 janvier 1944, Laval explique que la coopération avec la Gestapo doit les amener à livrer les résistants, mais pas les Juifs français. Il souhaite que ni la police ni la milice ne traquent les Juifs.

p.148

Étrange moment : Laval livre les résistants mais refuse de laisser sa police arrêter les Juifs français ou de communiquer aux Allemands les listes de Juifs, étrangers comme français.

Pointer tous les moments où Laval s’est opposé à la déportation de Juifs français n’empêche évidemment pas de se poser la question légitime « N’aurait-il pas pu faire mieux ? » comme Meltz tente de le faire à la page 149

(Meltz, RHSHO n°212 )   

p.149

Ce raidissement tardif, à l’heure où l’Allemagne ne lui paraît plus gagnante, dresse surtout, en creux, un réquisitoire accablant de la politique de Collaboration : si le gouvernement avait refusé la livraison des Juifs étrangers, comme le droit le lui permettait, indépendamment de toute considération morale, s’il n’avait pas apporté le concours de ses moyens de police avant 1943, les Juifs de France n’auraient-ils pas échappé à la mort ?

Meltz pose la question , mais dans la mesure où il parle de réquisitoire accablant en même temps qu’il pose la question, il donne implicitement sa réponse. Pense-t-il vraiment ce qu’il a écrit ? Invoquer le droit international face aux nazis est évidemment absurde, mais rien d’interdit de se demander si Laval n’aurait pas pu mieux jouer pour protéger les Français mais par ailleurs un Laval qui en juillet 1942 aurait été ferme pour protéger les Juifs étrangers n’aurait pas été le Laval de l’Histoire. Les sources se recoupent sur ce point : Laval était très content de livrer les Juifs étrangers aux Allemands. Dans la même optique, Klarsfeld s’était attardé sur le caprice qu’a fait Eichmann le 15 juillet 1942 lorsqu’un convoi prévu au départ de Bordeaux fut annulé, faute de Juifs français pour le remplir « Si c’est comme ça, je vais mettre la France hors du périmètre de l’extermination ! »32, la preuve, conclut Klarsfeld, que plus de fermeté aurait payé. Sans imaginer qu’Eichmann aurait pu prendre cette décision sans en référer à Himmler, Klarssfeld conclut : «La réaction d’Eichmann est révélatrice et nous pensons que si, le 2 juillet, Bousquet avait défendu jusqu’au bout les instructions de Laval et de Pétain ou si Laval les avait défendues lui-même le 4 juillet en n’entérinant pas l’arrangement Bousquet-Knochen, la déportation des Juifs de France aurait pu être reportée jusqu’à beaucoup plus tard... »

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Marchandages tous azimuts

La formulation de Hilberg «  Les Juifs étrangers et les immigrants furent abandonnés à leur sort et l'on s'efforça de protéger les Juifs nationaux » est, en gros correcte si on la prend pour ce qu’elle est, un aperçu global d’une situation qui s’étend sur toute la période 1942-1944 mais qui se condense dans quelques semaines de juin-juillet 1942. : Les juifs étrangers furent bien sacrifiés, les juifs français furent bien protégés, et comme, pour des questions de contingents de trains à remplir, notamment, les Allemands de Paris furent amenés, dans une certaine mesure, à raisonner en termes de quota, 40000 pour l’année 1942, le malheur des uns fit bien le bonheur des autres.

La chronologie présentée un peu plus haut montre qu’il y a eu des marchandages, mais attention, les marchandages furent beaucoup plus complexes que ce que suggère la chronologie qui ne rapporte que les échanges franco-allemands concernant la question des déportation de juifs .

- Concernant la déportation des Juifs, il y a d’abord de multiples conflits et arbitrages à réaliser entre services allemands : Les services d’Eichmann doivent négocier avec le ministère des transports pour avoir des trains et se retrouver ainsi en conflit avec les besoins de l’Armée ou du STO. Au sein même des services d’Eichmann, il peut y avoir des effets de vases communicants entre les différents pays d’Europe de l’Ouest, Pays-Bas, Belgique et France.

- Depuis l’arrivée en France du SS Oberg qui supervise toutes les polices allemandes, Il y a une grande négociation entre Oberg et Bousquet qui aboutira aux accords dits Bousquet-Oberg en vertu desquels, en gros, les différentes opérations de police missionnées par les Allemands ne doivent plus être encadrées par des Allemands, mais sous-traitées entièrement à la police française. A la réunion du 2 juillet, la question juive ne représente que l’un des sept points à l’ordre du jour.

- A la même époque, il y a d’autres négociations franco-allemandes en cours, notamment celle du STO.

- Laval, toujours à la même époque n’arbitre pas seulement entre les Juifs étrangers et les juifs français, il est également amené à sacrifier les services spéciaux plus ou moins rattachés à l’armée au bénéfice de sa police vers laquelle il déplace le centre de gravité de la souveraineté française.

Ainsi, le 10 juillet 1942, Laval reçoit le chef des services secrets français, le colonel Rivet. Qui note dans ses carnets

...Il (Laval) ne veut pas être contrarié dans sa politique par nos activités CE et SR que les Allemands lui reprochent sans cesse […] Pour tirer tous les fruits de ses négociations, il entend donner aux Allemands des satisfactions tangibles. Ainsi a-t-il admis que des policiers Allemands accompagnent en zone libre les policiers français dans leurs enquêtes...

De fait, en septembre 1942, les voitures goniométriques allemandes entreront en zone libre et et trois mois plus tard, en novembre, il semble bien que Bousquet ait donné aux allemands l’un des plus spectaculaire coups des services français, la source K. J’ai raconté cette histoire de source K sur ce site.

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Raymond Aron, le bouclier et le moindre mal

Puisque Laurent Joly a évoqué l’article de Raymond Aron publié dans le premier numéro des Temps modernes en octobre 1945, j’ai mis mis en ligne cet article ici. Nous allons aborder très succinctement ces histoires de bouclier et de moindre mal à travers cet article. Raymond Aron (à ne pas confondre, bien sûr, avec Robert Aron) parti à Londres en juin 1940 a toujours été quelqu’un d’intelligent. En 1945, il reste intelligent.

Il y a une thèse de l’épée et du bouclier selon laquelle Pétain et de Gaulle étaient plus ou moins de mèche, l’un pour protéger les Français, et l’autre pour continuer à se battre contre les Allemands. Le fameux colonel Rémy, agent secret de de Gaulle et néanmoins maurassien, a laissé entendre cela. De Gaulle aurait dit à Rémy que la France avait besoin de deux cordes à son arc. En fait, personne n’a jamais trouvé la moindre trace d’une complicité secrète entre de Gaulle et Pétain. On attribue à tort à Robert Aron la paternité de cette thèse. J’en parle ici.

La thèse du bouclier est devenue le nom que donnent les paxtoniens aux malheureux qui énoncent quelques évidences qui ne vont pas dans le sens de la noircitude de Vichy.

Raymond Aron (Les temps Modernes, octobre 1945)

...Les témoignages n'ont pas manqué qui prouvent que Pétain et même Laval ont freiné les exigences et atténué les exactions de l'occupant. Et nous n'en disconvenons pas. Que certains fassent mine de s'en étonner me paraît le seul sujet d'étonnement. Alors quoi? Imagine-t-on que Pétain et Laval ai envoyé le maximum de Français en Allemagne ? Qu'ils aient poussé l'ennemi au maximum de fusillades ? Il faut attendre les tueurs et les traîtres fanatisés, Darnand et Déat, pour que l'administration de Vichy aggrave consciemment, au lieu de la réduire, la violence de l'ennemi. Il n'est pas exclu, encore que ce soit indémontrable, que la condition des Français, soumis à un Gauleiter, eût été pire encore (bien que la police française, indispensable à la Gestapo, n'eût pas obéi à un Gauleiter comme au ministre du Maréchal)…
(Raymond Aron, octobre 1945

En quelques lignes, Raymond Aron qui fut depuis Londres un observateur attentif de la situation en France pendant les années d’occupation pour le compte de la revue La France Libre, constate que la question du bouclier ne se pose pas : c’est une évidence. Quand au moindre mal, ce n’est pas un débat historique, c’est un argumentaire de défense des accusés de 1945.

...De plus, l'accusation avait un choix fondamental à faire; ou bien elle dénonçait la politique de Vichy en tant que telle, en tant que, contraire à l'honneur, elle donnait de notre pays, au dehors, une image indigne. En ce cas, elle n'avait nul besoin de nier -- ce qui est l'évidence même — que le Maréchal Pétain a voulu atténuer les souffrances des Français. L'accusation aurait précisément reproché aux hommes de Vichy, même aux meilleurs d'entre eux, d'avoir préféré le moindre mal à l'honneur. Mais une telle accusation n'aurait pu être développée que par des Français irréprochables, par ceux qui librement avaient choisi l'héroïsme et assumé non le minimum, mais le maximum de risques…
...Si l'on renonçait à cette conception que l'on baptisera romantique, on était amené fatalement à suivre la défense sur le terrain où telle-ci s'était résolument placée, à savoir la discussion, pied à pied, argument contre argument, des avantages et des inconvénients de la politique du Maréchal, depuis l'armistice jusqu'au débarquement allié. Ce procès « réaliste » risquait inévitablement de se perdre dans le maquis des actes et des intentions, des intentions et des conséquences, du double jeu et du moindre mal...
... La défense de son côté s'était préparée au procès de la collaboration et accumula les dépositions de témoins, destinées à soutenir la thèse du double jeu ou du moindre mal ou éventuellement, du martyre...
...Quant à la législation raciale, elle nous ramène à la controverse du moindre mal. Il est certain que la zone inoccupée a offert un abri à de nombreux israélites. Il est possible que le statut des juifs ait servi quelque temps « d'écran de protection » et, en retardant l'application intégrale des lois de Nuremberg, ait atténué les misères des juifs. Sans l'armistice, ceux-ci auraient probablement souffert physiquement davantage. Mais qui osera dire que ces intentions humaines aient été celles de Xavier Vallat, de Charles Maurras ou de Darquier de Pellepoix ? A nouveau, on bute sur l'équivoque des intentions et des conséquences…
(Raymond Aron, octobre 1945



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Références

1Jean-Marc Dreyfus, recension du livre d’Alain Michel, Vichy et la Shoah : CLD éditions, 2012, Vingtième Siècle, revue d’Histoire, 2013/3, n°119 p.166



2Adrien Dallaire, Pourquoi eux et pas les autres, Arrestations et déportations des juifs du département du Vaucluse d’après une prosographie quantitative, 1942-1944, n°212 de RHSHO op.cit.

3Isaac Lewendel avec Bernard Weisz, préface de Serge Klarsfeld Vichy, la Pègre et les nazis, la traque des juifs de Provence, nouveau monde, 2013

4Bénédicte Vergez-Chaignon, Pétain, Paris, Perrin, 2014

5Bénédicte Vergez-Chaignon, Le Maréchal Pétain et la question juive, n°212 de RHSHO, Vichy, les Français et la Shoah : un état de la connaissance scientifique, 2020

6Sur la question de la connaissance du projet nazi d’extermination dans les milieux dirigeants de Vichy, voir notamment Alain Michel, Vichy et la Shoah, CLD Editions, 2018, pp.237-240 et 255-257 et Laurent Joly, L’État contre les Juifs, Grasset, 2018, pp.149-165. Les deux auteurs convergent pour situer dans le courant du mois d’août, Laval a très probablement suffisamment d’informations concordantes sur le sort des Juifs déportés.

7Alain Michel, Vichy et la Shoah, Enquête sur le paradoxe français, CLD éditions, 2012, p.28

8Eric Alary, Bénédicte Vergez-Chaignon et Gilles Gauvin, Les Français au quotidien, 1939-1949, Perrin 2006 p.375-376

9Daniel Lee, La coexistence et ses limites : La jeunese juive et le Régime de Vichy, L’exemple du chantier rural des Éclaireurs israélites de France, n°212 de RHSHO op.cit.

10Daniel Lee, La coexistence et ses limites : La jeunese juive et le Régime de Vichy, L’exemple du chantier rural des Éclaireurs israélites de France, n°212 de RHSHO op.cit.

11Voir notamment Robert O. Paxton, Comment Vichy aggrava le sort des Juifs en France, Le Débat, vol. 183, no 1, 2015, pp.173-181

12Jacques Semelin, Persécutions et entr’aides dans la France occupée, comment 75 % des Juifs en France ont échappé à la mort, Les Arènes-Seuil, 2013

13Jacques Semelin, Persécutions et entr’aides dans la France occupée, comment 75 % des Juifs en France ont échappé à la mort, Les Arènes-Seuil, 2013

14Robert O. Paxton, Comment Vichy aggrava le sort des Juifs en France, Le Débat, vol. 183, no 1, 2015, pp.173-181

15 Jacques Semelin, La Survie des juifs en France, 1940-1944, Paris, CNRS éditions, 2018,

16Nathalie Peeters, Penser la survie des Juifs sans jamais oublier les morts, Entretien avec Jacques Semelin, Mémoire d’Auschwitz ASBL, octobre 2020

17 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La complexité du cas français, Le Débat, vol. 183, no 1, 2015, p. 168-172. La totalité de l’article de Crémieux-Brilhac est maintenant en accès libre 

18 Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, Vol.2, réed Gallimard Folio Histoire 2003, p.1122

19 Robert O. Paxton, « Le régime de Vichy a protégé les Juifs français en sacrifiant les juifs étrangers », dans Les mythes de la Seconde Guerre mondiale, vol2, Perrin, 2017

20Paxton, art.cit. p.108

21Klarsfeld op. cit. p.426

22Paxton, art.cit. p.115

23Klarsfeld, op. cit. p.329

24Paxton, art.cit. p.117

25Paxton, art.cit. p.122

26Laurent Joly, Vichy and the Deportation of the Jews, A Historiographic Essay in Relation to Alain Michel’s Book Yad Vashem Studies (Vol 41:1, 2013)

27Renaud Meltz, Laval, antisémite qui s’ignore et persécuteur cynique, n°212 de RHSHO op.cit.

28 CDJC, II, 173, note de Zeitschel à Brinon, le 10 août 1942.

29 CDJC, XLIX-42, rapport du 3 septembre 1942 la conversation de la veille entre le chef des SS et de la police du MbF et Laval. Voir aussi CDJC, XLIX-35. Cité dans Klarsfeld, Le calendrier de la persécution des Juifs de France, op. cit., t. 3, p. 1034, Hagen, PV de l’entretien avec Laval avec Oberg et Abetz, le 2 septembre 1942.) »

30Archives nationales, 411 AP, 6, note du 16 septembre 1946 et note sans date sur la question juive.

31Klarsfeld, Le calendrier de la persécution des Juifs de France, op. cit., t. 1, p. 318, Brinon à Oberg, le 23 novembre 1943.

32Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, Tome 1, Fayard, 1983, pp.115-117