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LA JOUISSANC DU LAC D'AIGUEBELETTE des seigneurs de Montbel à SanAntonio (Création 20 mai 2024)
Histoire locale, voir aussi Les Palafittes du lac d'Aiguebelette et 1802: Albanis Beaumont invente le culte du dieu Bel et aussi Claude Burdin enfant de Lépin
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1929 le comte Albert de Chambost et ses enfants au site de Boffard © Collection Chambost |
Des raisons tout à fait secondaires m’ont fait intitulé cette présentation La jouissance du lac d’Aiguebelette des seigneurs de Montbel à San Antonio. Disons-le tout de suite, dans l’histoire du lac, le rôle de Frédéric Dard alias Commissaire San Antonio est anecdotique. Dans le résumé que m’avait demandé Véronique Beauvais, conservatrice de la Réserve naturelle régionale du lac d’Aiguebelette, j’avais indiqué : " La présentation traitera des interactions entre le lac et les hommes. Que savons nous de l'usage que les hommes ont fait du lac depuis qu'ils en fréquentent les rives : pêche, transport, religion et plus récemment hydroélectricité et tourisme sous ses multiples formes de puis la fin du XIXe siècle. Comment le droit de propriété a-t-il encadré cette jouissance et quelles en furent les autres régulations ?"
Parmi les 175 volumes des célèbres aventures du Commissaire San Antonio, le natif de Bourgoin n’a évoqué qu’une seule fois, dans Tango chinetoque le lac où il s’était fait construire une villa dans les années soixante. Frédéric Dard doit être en effet une des dernière célébrités à avoir installer une résidence sur rive ouest du lac. Sans doute les origines de la famille de sa première femme, Novalaise, ne sont-elles pas étrangères à son installation au bord du lac. On retiendra aussi que le père du jeune Frédéric avait été chaudronnier à l’entreprise de la famille Diederichs dont la résidence secondaire était établie, elle aussi à proximité de Saint-Alban plage.
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En vérité, Frédéric Dard ne s’est pas "installé", à proprement parler, comme ses devanciers fortunés. Il vivait une époque qui avait fait de la vitesse une valeur première, tout comme l’idée de progrès avec le coté éphémère qu’elle implique. La villa de San Antonio évoque plus celle du beau-frère de Monsieur Hulot1 que la cossue villa Luzara que le banquier de Roanne Anthony Vadon construisit à la fin du XIXe siècle2
Dans les années soixante-dix, Frédéric Dard se fit ardent défenseur de la pratique du ski nautique sur le lac. Le lobby du ski nautique perdit définitivement la partie en 1976. Frédéric Dard qui s’était par ailleurs séparé de sa femme quitta sa villa où le département de la Savoie installa la base d’aviron.
Pour tout récit historique concernant le lac d’Aiguebelette, l’évocation des Palafittes est une figure imposée. A l’époque néolithique, plus précisément, au tournant de l’année 2700 avant notre ère, deux villages furent érigés sur les sites respectifs de Boffard et du Gojat3.
Disons tout de suite que contrairement à ce que l’on avait cru à la fin du XIXe siècle, au moment de la découverte de ces "Palafittes", il ne s’agissait pas de "cités lacustres" construites sur pilotis au-dessus du lac, mais de villages implantés sur la plage à une période où les conditions climatiques avaient produit un abaissement du niveau des eaux. Par la suite, le niveau des eaux est remonté, ce qui a permis la sauvegarde des vestiges archéologiques. L’archéologue Aimé Bocquet a accompli un travail remarquable sur le site voisin du lac de Paladru où ont été découverts des vestiges palafittiques de la même époque que ceux d’Aiguebelette. Pour reconstituer la vie de ces villages il a beaucoup travaillé avec le dessinateur André Houot. Très en pointe en matière de partage des sources, il a laissé en accès libre l’essentiel de ses travaux.
Les habitants des cités palafittiques tiraient sans doute une partie de leurs ressources de chasse, pêche et cueillette, mais ils pratiquaient la culture et l’élevage, ce qui les rendaient sédentaires pour exploiter une zone accessible à moins d’une heure ou deux de leur village, mais leur pratique de l’agriculture avec des techniques d’écobuage les obligeaient à aller chercher un nouveau territoire typiquement tous les cinquante ans.
On n’a pas retrouvé de pirogues monoxyles sur le lac d’Aiguebelette, mais on sait qu’à cette période (-2700), les hommes maîtrisaient cette technique. On peut donc imaginer que les habitants du site de Boffard, par exemple, passaient une certaine partie de leur temps sur leurs pirogues histoire de pêcher où d’aller visiter les cousins du Gojat.
Survolons sans scrupule trois millénaires qui n’ont pourtant pas été stériles en matières de vestiges archéologiques mais dont il est difficile de tirer une information concernant les ressources que le lac pouvait offrir aux populations riveraines, et nous arrivons aux alentours du IVe siècle de notre ère. A l’emplacement de la chapelle de la grande île, une équipe d’archéologues coordonnée par Sébastien Nieloud-Muller a récemment mis en évidence un site riche d’une série de sarcophages dont ils ont de bonnes raisons de penser qu’il relève de la basse antiquité chrétienne. Nous attendons les publications de ces archéologues pour en savoir plus
Les populations de l’époque avaient leurs raisons de faire des travaux assez conséquents pour enterrer sur l’île des personnages qui devaient avoir leur importance, politique ou religieuse, on ne sait pas, et de déployer les moyens de transport pour transporter sur terre et sur l’eau des sarcophages et des pierres tombales. Ces dernières sont probablement issues des carrières de Vimines, de l’autre côté de la montagne4.
En vérité, ce n’est pas la première fois que des archéologues ont mis à nu des vestiges à cet endroit. En témoignent ce sarcophage et cette « pierre à cupules » découvertes lors des travaux effectués en 1869 pour la construction de la chapelle actuelle sur le site de la chapelle Saint-Vincent, plus ancienne. Cette construction avait été prise en charge par Charles-Albert Costa de Beauregard pour honorer une promesse faite par son père Pantaléon à la commune de Saint-Alban.
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Le sarcophage transféré près du château de Chambost est de même nature que ceux exhumés près de la chapelle de l’île en 2023 (sans rapport avec la pierre tombale, du XVIIe siècle posée au-dessus). |
Cette pierre à godets découverte sur l’île reste une énigme pour les archéologues. |
Je m’étais fait
l’écho d’une hypothèse selon laquelle ce que l’on appelait
souvent « pierre à cupules » aurait pu être une pierre
dimaire5
du fait que le volume du plus grand hémisphère était à peu près
le décuple de celui du petit hémisphère. Sébastien
Nieloud-Muller, sans l’exclure complètement ne valide pas cette
hypothèse6
« Bien attesté dans tout l’avant-pays savoyard, la pierre de la Grande Île pourrait se rattacher aux autres sites rupestres du Bugey et du massif de la Chartreuse. Elle pourrait témoigner de pratiques et de croyances des communautés préhistoriques ou protohistoriques installées dans l’environnement du lac d’Aiguebelette et fréquentant ses deux îles. Il s’agit sans doute d’un élément prenant part dans le cadre de cérémonies individuelles ou collectives dont nous ne savons malheureusement rien. Elle pourrait être mise en relation avec les occupations des îles du Néolithique ou de l’âge du Bronze, mais également de l’âge du Fer. La présence de cette pierre, près d’un monument plus récent, permet d’envisager qu’elle ait pu être placée là dans un second temps. Elle aurait pu alors, a posteriori, en raison de ses caractéristiques et des croyances qui pouvaient l’entourer, servir de support à la construction d’un nouveau discours. Cet aspect est intéressant à questionner dans le sens où il est peu abordé et que nombreuses sont les sources textuelles, depuis l’Antiquité, à témoigner de l’influence de ce type de pierres sur la construction d’un imaginaire mythico-légendaire et d’une géographie du "sacré" ». |
Ce que l’on retiendra, c’est qu’à côté des aspects utilitaires tels que la pêche, le transport, la fourniture en eau potable auxquels nous nous intéresserons par la suite, à différentes époques, au moins au XXe siècle, au XIXe siècle, dans l’antiquité tardive et sans doute avant, les îles du lac furent l’objet de pratiques religieuses que nous entrevoyons seulement à travers quelques vestiges archéologiques.
Mais pourquoi donc le marquis Pantaléon Costa de Beauregard avait-il promis à la commune de Saint-Alban de construire une chapelle à la place de l’ancienne, dite chapelle Saint-Vincent ?
Le 14 mai 1857, le syndic demanda au conseil municipal de Saint-Alban-de-Montbel de se prononcer sur l’offre du marquis Costa de Beauregard qui souhaitait acquérir les iles 7, propriété de Sant-Alban. Le marquis Pantaléon Costa de Beauregard est alors fermier général du lac, c’est-à-dire qu’il exploite le lac en payant un « fermage », c’est-à-dire une redevance à l’État sarde. Si l’on en croit le compte-rendu du conseil de Saint-Alban, il est de notoriété publique en 1857 que le marquis est dans un processus d’acquisition du lac à l’État sarde, et c’est dans ce contexte qu’il s’efforce d’acquérir les îles qui sont des biens communaux des communes riveraines.
"… Considérant que l’offre de six mille livres faites par Monsieur Costa de Beauregard dépasse toutes les espérances que le Conseil pourrait avoir sur la valeur des îles et des droits sur le lac de la commune, qu’en acceptant cette offre, les revenus de la commune feront plus que doubler.. Considérant que si Monsieur le Marquis Costa devient propriétaire de la totalité du lac et des îles, il aurait l’intention d’abaisser le lac ce qui rendrait un service immense aux communes riveraines parce que les marais qui bordent le lac actuellement deviendraient des prés de bonne qualité et que l’agriculture gagnerait une surface considérable de terrains actuellement submergés et improductifs. Que ce travail dispendieux répandrait beaucoup d’argent dans le pays qui en est dépourvu. Considérant enfin qu’il sera très avantageux pour la localité, que Monsieur le Marquis Costa devienne propriétaire parce qu’il est notoire qu’il fait le bien partout où il a des propriétés, et qu’il se propose de faire dans les îles des constructions et embellissements qui attireront les étrangers dans ces contrées isolées. Le Conseil est à l’unanimité d’avis, moins un conseiller qui a déclaré s’abstenir de voter sans déclarer de motif, de vendre à Monsieur Costa Marquis de Beauregard […]" Il est précisé "4° Les habitants de cette commune auront aussi à perpétuité pour eux et les leurs le droit de faire rouir le chanvre et de prendre du sable pour tous leurs besoins sur les bords du lac, ils auront également le droit de conduire leurs bestiaux, chevaux et mulets aux bords du lac pour les abreuver et les faire baigner et c’est le tout comme ils l’ont pratiqué jusqu’à ce jour. 6° Monsieur le Marquis de Beauregard devra ainsi qu’il s’est soumis rebâtir la chapelle qui existait jadis dans la grande île et dont les masures subsistent encore. Il en laissera la clé entre les mains du Révérend curé de Saint-Alban de Montbel pour qu’il puisse célébrer la sainte messe quand il le désirera et devra faire établir un soutien de la largeur d’un mètre pour servir de chemin d’ouverture aux habitants qui voudront y venir en dévotion. Ainsi fait et délibéra et après lecture faite à haute et intelligible voix, tous les membres du conseil ont approuvé, sauf le conseiller François Frandin qui s’est abstenu. A la minute ont signé Guicherd, syndic, et Valentin, secrétaire." |
De cette délibération du Conseil de Saint-Alban, nous retiendrons d’abord ce que les Saint-Albanais considéraient comme leurs avantages non négociables : faire rouir le chanvre, prélever du sable, abreuver et baigner les bestiaux « comme ils l’ont fait jusqu’à ce jour ». Un certain nombre d’usages qui n’ont semble-t-il jamais été encadrés par des droits seigneuriaux.
De la famille Costa de Beauregard, on ne peut pas dire qu’elle ressort de la vieille noblesse de Savoie : des membres de cette famille patricienne de banquiers gênois ne s’y sont installés qu’au XVIIe siècle. Mais très vite la famille Costa s’est intégrée à la fine fleur de la noblesse savoyarde et ne s’est jamais éloignée des lieux de pouvoir tout en cultivant un indispensable enracinement local. Les Costa ont acquis des biens à Saint-Genix et à Gerbaix, si bien que l’aîné de la famille, Pantaléon Costa, si bien considéré par le Conseil de Saint-Alban, porte le titre de marquis de Saint-Genix de Beauregard.
Dans la famille Costa, Jean-Baptiste (1592-1663) était président au conseil d’État et président en la Chambre des comptes, Pantaléon (1643-1716) fit une carrière militaire et devint commandant des forteresses de Savoie alors que son frère Gaspard (1628-1685), restant sur les traces de son père, obtint le poste de président à la souveraine cour des comptes de Savoie. Les Costa brillaient également dans le domaine des sciences et des arts. Le petit-fils de Gaspard, Alexis (1726-1797), s’était fait reconnaître comme agronome en publiant en 1774 un Essai sur l’amélioration de l’agriculture dans les pays montueux et en particulier en Savoie. Le fils de l’agronome, Joseph-Henri, en marge de sa brillante carrière militaire, se fit remarquer comme l’auteur de Mémoires historiques sur la maison de Savoie. Il eut comme petit-fils le Pantaléon (1806-1864) qui nous intéresse.
En marge de ses études au Collège royal de Chambéry8, Pantaléon bénéficia de cours de soutien donnés par un précepteur saisonnier, l’abbé Louis Rendu, passionné de géologie et de glaciologie et futur fondateur de l’Académie de Savoie. A l’issue de sa formation, il devient l’ami intime du souverain Charles-Albert qui était pourtant de 8 ans son aîné. De tous les titres, charges, mandats et fonctions diverses qu’il aura assumée, celle de fermier général du lac d’Aiguebelette dont il est détenteur depuis au moins 18449 n’est qu’une accessoire broutille, tout comme le sont d’ailleurs sa nomination au conseil de la dette publique et son titre de conservateur du musée et de la bibliothèque de Chambéry. Nommé sénateur par son ami le roi, il fut également élu à plusieurs reprises député au parlement de Turin où il apparaissait comme le chef incontesté de la droite conservatrice10.
On ne connaît pas de fermier général du lac avant Costa de Beauregard. La France révolutionnaire et napoléonienne gérait le lac – on ne sait pas exactement comment – comme un bien des domaines, et en 1815, l’état sarde ayant recouvrant sa souveraineté sur la Savoie, hérita de cet état de fait. J’imagine que le fermage concédé à Costa de Beauregard était la solution de facilité qui permettait à l’État sarde de bénéficier indirectement des services de l’intendant du marquis en avant-pays savoyard. Les multiples activités du puissant marquis ne l’empêchèrent pas de prendre au sérieux les affaires du lac et d’y déployer une stratégie : Il semblait convaincu qu’il ne pourrait rien faire du lac sans en être pleinement le propriétaire, et il entreprit de racheter non seulement ce qui était censé appartenir au domaine royal, mais aussi les droits et propriétés détenus par les communes riveraines et quelques riverains11. En 1850, une société lyonnaise, dont les dirigeants, Gache et Gariod étaient originaire de Loisieux, avait envoyé un courrier au roi pour proposer de faire des travaux sur le Tiers, émissaire du lac, afin d’abaisser le niveau du lac et de rendre à la culture les terres émergées. Très vite, le marquis Costa fut informé de la proposition et la prit très au sérieux. En tant que fermier général du lac, il était d’autant plus intéressé que lorsque les zones marécageuses périphériques étaient inondées, les riverains du lac pouvaient braconner en toute légalité certains poissons comme le brochet 12.
Costa surenchérit et envisagea un projet qui faisait baisser le niveau du lac de 10 mètres permettant de récupérer plus de cent hectares. Curieusement, les différentes communes riveraines prirent parti avec enthousiasme pour le projet., les conseils de ces communes voyant dans ce projet une possibilité de faire une route d’Aiguebelette à Novalaise. Peut-être les communes étaient-elles sensibles à l’accroissement des surfaces agricoles, même si cet accroissement devait se faire au profit du marquis, il pourrait fournir du travail au pays et limiter l’exode rural. Un rapport du Congrès permanent du génie civil calma les ardeurs des uns et des autres, et surtout, le marquis Pantaléon fut pris par d’autres projets. Après le rattachement à la France de 1860, il fut en effet le premier président du conseil général du département de la Savoie.
Nous avons vu que la négociation menée en 1857 avec la commune de Saint-Alban pour le rachat de la partie ouest de la Grande île avait été sereine. Les relations entre Lépin et Aiguebelette s’avérèrent plus délicates. Dés 1846, les deux communes avaient contesté le principe même du fermage concédé par l’État au marquis Costa, car elles-mêmes prétendaient avoir des droits sur le lac. En 1851, Aiguebelette abandonna un procès qui avait peu de chances d’aboutir et qui s’avérait onéreux pour les moyens financiers de la commune13, mais Lépin résistait encore et son Conseil vota en 1853 un budget de 150 livres pour frais de procès14.
Cette résistance agaça le marquis Costa qui s’en ouvrit à son ami Cavour, président du Conseil des ministres depuis 1852 avec lequel il s’était entendu pour l’acquisition du lac.
« Mon cher Camille, Je vous prie de donner des ordres pour que Mr Laracine soit autorisé à passer avec mon représentant l’acte de cession des droits du gouvernement sur le lac d’Aiguebelette, aux conditions convenues. J’espérais pouvoir présenter à l’intendant général des domaines Chev[alier] Prato, les conventions entre les communes et moi, mais sur les 3 conseils intéressés, Lépin, St Alban et Aiguebelette, le premier a repoussé mes offres, tout en les reconnaissant très avantageuses. Je vais donc régler mes affaires avec les deux autres, les désintéresser largement, et reprendre avec vigueur, contre Lépin, le procès que soutenait le gouvernement. Aussi, pour cela, il faut que je sois propriétaire de ses droits […] Mon régisseur me mande que cette petite intrigue a été montée par le fils de notre éloquent collègue Chambost et un sien ami qui perdent avec regret, par ma possession, la chasse et le pêche du lac. Quoi qu’il en soit, mon cher Camille, c’est à moi à me tirer d’affaire, à mes périls et risques, suivant nos conventions. Vendez et recevez au plus tôt les 9500 livres que je vous dois, c’est tout ce que je vous demande. »15 |
Nous allons vite reparler de ce fils de « notre éloquent collègue Chambost», trouble-fête d’après le Marquis Pantaléon Costa de Beauregard dont on mesure la position par le ton presque condescendant avec lequel il s’adresse au président du conseil. Il est vrai que le « cher Camille » a été nommé à son poste par Victor-Emmanuel II, qui n’était qu’un enfant lorsque Pantaléon était déjà l’ami personnel de son père Charles-Albert.
Cavour fit le nécessaire pour que le lac soit aliéné et que le Marquis puisse en devenir propriétaire le 18 juillet 1857 pour la modique somme de 9500 livres. Aussitôt, le Marquis conclut une transaction de 3000 livres pour qu’Aiguebelette renonce à ses droits. Il monta jusqu’à 8500 livres pour faire céder Lépin qui résista encore … et perdit son procès. Aiguebelette avait introduit dans la transaction une clause de maintien des avantages acquis très proche de celle de Saint-Alban.
« Les habitants de cette commune et ceux des autres communes qui viendront à Aiguebelette, auront à perpétuité pour eux et les leurs, le droit de passage et de circulation avec les bateaux pour tous leurs besoins. Ils auront le droit de faire rouire leur chanvre, de prendre du sable sur les bords et de baigner leurs chevaux. Si le marquis veut abaisser le lac, il devra préalablement le faire en conformité avec la mappe. Après l’abaissement, il devra aménager les accès aussi facilement qu’à présent pour le même nombre de ports. »»16 |
Pour appréhender ce que représente une somme de 10000 livres en 1857, il faut avoir en tête le rendement financier très standard de 5 % et le prix de la journée d’un journalier agricole, 1,70 Livre/jour. Un bien de 10000 livres générera donc un revenu annuel de 500 livres avec laquelle il sera possible de rémunérer 300 journées de travailleur agricole.
Le Marquis Pantaléon Costa de Beauregard quitta ce monde en 1864, à l’age de 58 ans. Aucun de ses héritiers, ni Charles-Albert, l’historien qui fut élu à l’académie de Savoie et à l’académie française, ni Josselin, le paléontologue, ni Paul, l’officier de marine, ni le bienheureux abbé Camille, fondateur du Bocage, n’avait d’intérêt pour les projets concernant le lac du défunt Pantaléon. L’aîné, Charles-Albert, qui portait le même prénom que l’ami roi de son père, avait besoin d’argent pour acheter l’île de Porquerolles sur laquelle il voulait se lancer dans la culture de primeurs. L’année même du décès de son père, au nom de ses 5 frères et de ses trois sœurs17 il conclut avec le Comte Tancrède de Chambost une promesse de vente pour le lac et tous les divers lots que son père avait acquis autour du lac pour somme de 45000 francs que l’on a envie de comparer aux 9500 livres de l’acquisition du lac auprès de l’État sarde. Entre les deux transactions, la Savoie était devenue française, mais depuis le premier rattachement de la Savoie à la France, la livre piémontaise était à peu près alignée sur le franc germinal. Pour comparer équitablement le prix payé par Pantaléon Costa et celui consenti par Tancrède de Chambost, aux 9500 livres payées par Costa à l’État sarde de 1857,, il faut ajouter tout ce que Costa avait acheté autour du lac entre 1857 et 1863, et notamment les transactions avec Saint-Alban (6000 Fr) et avec Aiguebelette (3000 Fr), mais aussi une l’acquisition pour 18000 francs, en 1861 d’une propriété du Sieur Antoine Frandin à Saint-Alban de Montbel18. La cession du lac sera des héritiers Costa à Tancrède de Chambost sera effective le 22 novembre 1866.
Pantaléon Costa de Beauregard (1806-1864)
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Charles-Albert
(1835-1909)
historien |
Paul (1839-1902)
officier de marine
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Camille
(1841-1910) |
Qui était le Tancrède de Chambost, Comte de Lépin, acquéreur du lac en 1866 ?19
A l’inverse de tous ces Costa de Beauregard paléontologues, historiens, académiciens, polytechniciens sans parler du physicien du XXe siècle qui inspira la belle expérience sur le paradoxe EPR qui valut à Alain Aspect le prix Nobel dephsique, le Comte Tancrède de Chambost n’était pas un brillant intellectuel, en dépit d’un vague diplôme de droit qu’il décrocha à 24 ans ce qui lui valut les encouragements de sa grand-mère « cela doit te prouver que quand tu voudras travailler, tu réussiras20.
A défaut d’être bardé de diplômes , Tancrède de Chambost, né en 1827, était relativement fortuné, à la suite d’une exceptionnelle concentration de patrimoines : lui-même était fils unique du premier mariage d’Hippolyte de Chambost avec Louise Perrin, elle même fille unique de Louis Bonaventure Perrin dont le seul frère périt sans postérité à la bataille de Mondovi et de Jeanny Sancet, fille unique d’un avocat chambérien. Seule ombre au tableau - en termes de partage d’héritage - les deux enfants que son père aura d’un deuxième mariage après le décès précoce de Louise Perrin en 1829. Tancrède avait épousé en 1853 Edith Favier du Noyer de Lescheraine, une orpheline de 18 ans, elle aussi fille unique qui apportait au jeune ménage une propriété à Bassens, à côté de Chambéry. Tout va bien de ce côté.
La famille Perrin était une famille de notables chambériens, juristes, qui, à l’instar de beaucoup de bourgeois de la même époque, caressait depuis plusieurs générations le projet d’accéder à la noblesse. Depuis le XVIIe siècle, la famille Perrin était propriétaire à Lépin, mais aussi à Saint-Alban et Oncin. La mappe sarde de 1728 atteste de l’ébauche d’une demeure de prestige là où se trouve actuellement le château de Chambost qui ne fut érigé dans une première version à un étage qu’après 1760 et dans sa version actuelle, à deux étages en 1882. Louis Perrin fut confirmé Comte de Lépin à titre définitif par le roi Charles-Félix en 1824. Tout au long du XVIIIe siècle, ses ancêtres n’avaient été reconnus nobles qu’à titre provisoire, en CDD, en quelque sorte.
Tancrède a donc hérité du titre de « Comte de Lépin » par sa mère, fille unique de Louis Bonaventure21. Son père Hippolyte Riverieulx de Chambost était originaire de la région lyonnaise. Fils de comte, il s’était fait rafler, à la régulière, le titre de comte par son frère aîné Charles. Hippolyte n’a pas pris racine à Lépin après le décès de sa jeune épouse Louise, 2 ans après la naissance de Tancrède. Il s’est établi auprès de sa deuxième épouse, dans la Combe de Savoie, o il deviendra un puissant notable22 et finalement député au parlement de Turin de 1853 à 1857, ce pourquoi Pantaléon Costa l’évoquait dans sa lettre à Cavour, comme « notre éloquent collègue ». Hippolyte s’était pris d’affection pour sa belle-fille, femme de Tancrède avec laquelle il entretenait une correspondance assez régulière quand il était à Turin, notamment en février 1855 lorsqu’il menait la bataille contre la loi Ratazzi qui prévoyait la suppression des ordres monastiques et la séquestration des biens des couvents.
« Rien que deux mots, ma chère fille, car l'heure du départ du premier courrier de Turin est bientôt là. Hier au soir, à 6 heures 1/4 l'on a voté le traité. Le résultat du vote a été 95 pour et 64 contre. Les députés savoyards qui ont voté pour sont : Guillet (Annecy), Ginet (Rumilly), Somellier (Taninges), Mathieu (Faverges), Louaraz (Montmélian). Honte à ces députés qui votent contre l'intérêt de leur pays et la manière de voir de leurs conmollants (?) étaient absents : Léon de Costa, de Martinet,Gérard de Montfalcon, Montigillaz, Blanc, qui auraient voté contre. Si la Savoie avait pu offrir tous les votes contre, le ministère aurait pu sauter. Il faut avouer, ma chère fille qu'il est bien triste de penser que tant de députés votent contre leur conscience, pour satisfaire leurs intérêts privés. J'ai honte aussi de rester parmi ces diables sortis d'on ne sait où. »
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Car en effet, [Panta]Léon Costa de Beauregard était supposé être le chef de file des députés savoyards conservateurs et catholiques, mais Cavour avec qui le même Pantaléon entretenait des relations pour le moins amicales était également le chef de la majorité anticléricale du parlement de Turin. De là à établir une relation entre certaines absences au Parlement et des arrangements concernant de petites affaires locales, il y a un pas que je ne franchirai évidemment pas.
Revenons à Tancrède Comte de Lépin mais qu’à Lépin on appelle Comte de Chambost, rentier, il doit s’occuper de gérer tous ses biens, biens matériels mais aussi biens symboliques dont le plus précieux est le titre de Comte de Lépin, réalisant ainsi l’idéal des générations de Perrin qui l’ont précédé. Saisir l’opportunité d’acheter le lac était, d’une certaine manière, un somptueux agrandissement du parc du château. De la même façon, il fera rehausser son château, dés la mise en service de la ligne de chemin de fer Lyon-Chambéry, en 1884.
Le Comte Tancrède de Chambost (1827-1901) |
Et son père Hippolyte (1801-1873), « l’éloquent collègue » |
Quelques années après ‘inauguration de son château réhaussé, en 1887, Tancrède de Chambost recevait le courrier d’un certain Paul Philibert Royer-Collard qui prétendait que son frère Henri et lui avaient des droits sur le lac.
Ces frères Royer-Collard étaient les arrière-petits-fils de Jean-Honoré de Piolenc (1741-1800) lequel était le petit-fils de Nicolas des Champs de Chaumont qui avait acheté la terre et le comté de Montbel en 1695 à Guillaume-François de l’Hôpital, héritier lointain de Jacqueline de Montbel d’Entremont, épouse de l’Amiral de Coligny.
D’après les frères Royer-Collard, fils d’Albert Paul Royer-Collard professeur de droit de la Sorbonne, l’État Sarde avait usurpé le droit de propriété sur le lac qui était implicitement détenu en ce qui concerne la partie ouest du lac par les seigneurs de Montbel, puis à leurs ayant-droit, et finalement à la famille de Piolenc à la suite de la transaction de 1695. En fait, peu après 1860, Albert-Paul avait déjà pris contact avec Pantaléon Costa qui n’avait pas donné suite à ce courrier, et puis Albert-Paul était mort en 1865, et ses fils revenaient à la charge vingt ans plus tard.
Avant d’envoyer la citation à comparaître à Tancrède de Chambost,en 1887, dès 1886, les héritiers Royer-Collard avaient intenté un procès contre la commune de Novalaise pour la contraindre de relâcher une partie de la forêt de Lépine considérée jusqu’alors comme un bien communal. Les frères avaient gagné le procès et finalement, ils avaient négocié un arrangement avec la commune .
Le 18 mars 1893, le Tribunal de Chambéry prononça un jugement qui donnait raison aux frères Royer-Collard qui devinrent donc propriétaires de la partie nort-ouest du lac jusqu’en 1919 où cette partie fut revendue à la Société générale force et lumière (nommée Société grenobloise force et lumière avant 1912).
L’analyse de tout l’historique des droits seigneuriaux a été faite par Jean-Charles Marcel pour la revue Mnémosyne en 2007 et reproduite dans l’article "Lac d’Aiguebelette" des 1000 ans d’histoire de l’avant-pays savoyard en 2015. Il est bon d’avoir en tête que droits seigneuriaux ont été abolis en deux temps, 1771 sous le règne de Charles-Emmanuel III et 1778 sous le règne de Victor-Amédée III. Ceci étant dit, comme je n’ai rien à ajouter à son analyse, je reproduis purement et simplement le texte de Jean-Charles Marcel23.
« C'est une longue histoire qui remonte au XIVè siècle. A cette époque le lac est partagé en deux entre les Montbel et les Clermont. En 1305 Geoffroy de Clermont fait don de ses possessions allodiales d'Aiguebelette au Comte de Savoie Amédée V qui les lui restitue à titre de fief. Trois ans après, en 1308, Guillaume de Montbel effectue la même opération. Les seigneurs de Clermont et de Montbel se trouvent donc, tous deux, possesseurs du lac à titre de fief. Celui-ci est divisé en deux et en 1308, les limites stipulées dans l'inféodation sont suffisamment précises pour que l'on puisse supposer que dès cette époque le lac était déjà séparé entre les deux feudataires. Le lac n'est cependant jamais présenté comme tel, parce qu'il ne représente pas de valeur intrinsèque, ou qu'il est considéré comme faisant tellement partie du domaine que sa dénomination se passe de précision. Les actes de 1465, 1473 et 1504, passés par les comtes de Montbel ne font que confirmer l'inféodation de 1308, sans apporter de précision sur les limites du lac ou sa propriété. Par le jeu des successions, le domaine passe à Guillaume François de l'Hôpital marié à Charlotte, comtesse d'Entremont et de Montbel qui le vend à Louis Deschamps marquis de Chaumont en 1695. Celui-ci devient alors propriétaire « de la seigneurie et fief du comté de Montbel plus la seigneurie de l'Epine avec juridiction, château, forteresse etc. » Cet acte ne fait toujours pas mention du lac, il apparaît cependant dans la reconnaissance détaillée de son fief, datée du 20 août 1700 : « laquelle rivière de Tiers qui est le dégorgement du lac, ensemble la moitié du dit lac, qu'on appelle lac d'Aiguebelette, appartient au seigneur reconnaissant ». L'établissement de la Mappe Sarde a lieu au début des années 1730. Les opérations de cadastration sont l'occasion de voir le lac pour la première fois sous la forme d'une représentation que l'on peut considérer comme géographique au sens actuel du terme. Mais le lac semble étrangement inexistant. Pour les communes de Nances, Novalaise et Saint Alban de Montbel, il n'est rien d'autre qu'une simple limite des terrains qui l'avoisinent. Il est vrai qu'il ne rapporte rien aux finances royales et présente donc peu d'intérêt. Seules les communes d'Aiguebelette et de Lépin voient le lac considéré comme une parcelle et à ce titre muni du numéro 576 « au nom de la communauté » sur la mappe d'Aiguebelette, et 667 sur la mappe de Lépin, toujours « au nom de la communauté », ces deux parcelles étant exemptes de taille. En 1742, Nicolas Deschamps publie des bans champêtres, affichés à Novalaise, qui interdisent la pêche « dans les rivières, lacs étangs, bezières, torents et autres ». Le seigneur d'Aiguebelette en fait de même quelques années plus tard, mais faut-il voir dans le terme de « lacs », une mention générale ou la désignation spécifique du lac d'Aiguebelette et de celui de la Crusille ? Le 10 septembre 1771, des lettres de patente font mention d'une reconnaissance du 2 mars 1390 passée par Humbert de Bressieu, prieur de Lépin rappelant « la permission donnée aux habitants de Lépin de pêcher dans et sur le lac ». Faut-il voir dans ces querelles nobiliaires l'origine de la première représentation du lac avec les limites de chaque commune précisément définies sur un plan en 1772 ? Plus tard en 1778, la comtesse de Piolenc, petite fille de Louis Deschamps, fait donation du comté de Montbel à son fils Louis Honoré Deschamps, marquis de Piolenc. Elle fait référence à une procédure en cours avec le Président François en spécifiant qu'elle n'est tenue à aucune garantie « à raison des prétentions excitées par feu le président François sur une partie du lac d'Aiguebelette ». Cette procédure ne fut pas poursuivie et l'affaire en resta là. Elle permet cependant de faire une précision utile : reprenant la délimitation des anciens fiefs, la dénomination « lac d'Epine » concernait la partie du lac incluse dans le comté de Montbel, celle de lac d'Aiguebelette à la partie concernant les communes d'Aiguebelette et Lépin le Lac. La Révolution apporte son lot de bouleversements. Les biens des émigrés sont vendus et le fief de Montbel ne fait pas exception. Le marquis de Piolenc émigre à Turin où il décédera le 13 avril 1800. Ses biens sont vendus entre le 21 juillet et le 1er septembre 1796. Le lac échappe à la vente comme s'il n'existait pas. L'état considérant le lac comme propriété domaniale, loue la pêche de 1804 à 1816. En 1813, ont lieu les travaux préparatoires du cadastre napoléonien. Ces travaux de relevé n'auront pas de suite et le cadastre napoléonien ne verra pas le jour dans le bassin versant du lac d'Aiguebelette. Il nous en reste cependant un magnifique plan qui reprend sans doute partiellement celui de 1772. Lors du retour de la Savoie dans le giron de l'état Sarde, le contrat de location de pêche en cours continuent de se dérouler. La loi de 1818 ordonne la restitution des biens des émigrés. Le lac n'en fait pas partie. En 1825, une sentence du tribunal de judicature mage de Chambéry déclare que le lac est domanial. En 1844, la cour des comptes interdit la pêche dans le lac sauf accord du fermier de la pêche en l'occurrence le marquis Costa de Beauregard. En 1857, la loi du 22 juin autorise la vente de biens domaniaux dont le lac est censé faire partie. Un mois après le 18 juillet, le marquis Costa de Beauregard achète le lac à l'Etat sous réserve des droits des tiers (communes riveraines ou particuliers). En 1860, la cour d'appel de Chambéry confirme définitivement que les eaux du lac sont domaniales, c'est à dire publiques et donc non susceptibles de propriété privée sans une concession, que le lac faisait partie du fief de Montbel et était devenu la propriété du marquis Costa de Beauregard. Le marquis Costa décède et son héritier promet la vente à M. Tancrède de Chambost en 1864, la vente ayant lieu le 22 novembre 1866. Tancrède de Chambost jouit de la propriété du lac jusqu'en 1887, date à laquelle M. Royer-Collard petit fils de la comtesse de Piolenc le cite à comparaître pour conciliation devant le juge de paix du canton nord de Chambéry. La conciliation n'ayant pas eu lieu, l'affaire suit son cours jusqu'en 1893 date à laquelle le tribunal de Chambéry « dit que Royer-Collard est propriétaire du lac d'Epine ». Par lac d'Epine, il faut entendre la partie nord-ouest du lac, l'autre partie restant propriété de la famille de Chambost.»
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Parmi les droits seigneuriaux, la pêche occupe une place de premier choix. Là encore, j’emprunte à Jean-Charles Marcel24.
« L’exploitation de la pêche a très certainement commencé dès les premières occupations humaines. Elle est attestée dans les écrits à partir du XIVe siècle, , sachant que les droits d’exploitation de pêche et de chasse ont toujours constitué un enjeu important pour les différents propriétaires du lac. Une transaction de 1313 reconnaît la permission donnée par le seigneur d’Aiguebelette de pêcher dans tout le lac, les habitants de Lépin sont tenus de pêcher le jeudi de chaque semaine pour le dit seigneur et les siens. Le président François, président du Sénat, acquiert le lac en 1744, plus les droits de pêche et de chasse sur tout le lac. En 1792, l’État français gère le lac et loue le droit de pêche de 1804 à 1816, date à laquelle l’État sarde reprend la gestion à son compte, compris droit de pêche et droit de chasse. Une loi du 23 juin 1857 autorise la vente de bien de la couronne, et le marquis Costa de Beauregard se porte acquéreur avec tous les droits s’y rattachant. »
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« Le 28 décembre 1812, le préfet procède à l’adjudication du bail à ferme de la pêche dans le lac malgré les protestations des communes d’Aiguebelette et de Lépin. En effet, ces communes sont respectivement propriétaires d’une partie du lac d’après la mappe sarde de 1730 : Aiguebelette avec la parcelle 576 et Lépin avec la parcelle 667, le tout désigné sans contenance de surface. Le préfet leur promet que les recettes leur seront reversées si elles prouvent leurs droits de pêche sur ces parcelles. L’État français a loué le droit de pêche dans le lac de 1804 à 1816 et quand la Savoie a fait retour à la monarchie sardes, les finances royales ont trouvé le bail en cours d’exécution. Le bail a continué sans que l’on ait pensé à rendre le droit de pêche aux riverains. Le 28 septembre 1821, une nouvelle adjudication du bail à ferme est signée par l’agence des finances royales de Piémont-Sardaigne. Les deux communes réitèrent leur opposition conformément à leurs délibérations respectives. »
Gérard Bellemin relève aussi qu’en 1842 a lieu un second partage de la grande île avec la commune de Saint-Alban de Montbel après un premier partage provisoire datant de 1820. L’île est louée avec bail à ferme à François Dupraz-Grallier. Le prix élevé de ce bail est justifié par le besoin qu’il en a pour la pêche26.
Costa de Beauregard avait envisagé d’exploiter le lac en le vidant pour libérer de nouvelles surfaces agricoles. En fait, à partir de la fin du XIXe siècle, le tourisme va devenir une composante essentielle de l’exploitation du lac et d’une façon plus générale du développement économique de toutes les communes riveraines. On a coutume de poser l’arrivée du chemin de fer à Lépin en 1884 comme déclencheur de l’activité touristique, ce qui n’est pas complètement faux mais qui masque une histoire autonome du tourisme non seulement autour du lac d’Aiguebelette mais sur l’ensemble d’un certain nombre de sites touristiques français. En simplifiant beaucoup les choses, disons que le tourisme des sites se substitue à celui du thermalisme. Lamartine n’avait pas attendu la deuxième moitié du XIXe siècle pour lancer sur le lac du Bourget la vague du tourisme romantique dont on retrouve une réplique sur la lac d’Aiguebelette comme en témoigne cette lithographie de Felix Benoist datée de 1864, qui ne prouve sans doute rien mais qui atteste qu’en 1864, il n’était point saugrenu de représenter sur une barque un groupe qui s’adonne aux joies du canotage.
Au début du XIXe siècle, s’il existait dans tous les villages de l’avant pays savoyards nombre de cabarets à l’usage des autochtones, la route de la rive sud du lac qui menait à Chambéry via la « voie sarde » empruntant le col du Crucifix avait suscité la création d’établissements dédiés aux voyageurs. Le 9 mars 1836, le conseil de la commune de Lépin donna un avis favorable à un projet de création d’ « hôtellerie », déposé par Henri Mollard et devenu ultérieurement l’hôtel Mollion, pour répondre aux besoins des voyageurs de passage ou qui venaient visiter le notaire François Burdin.28
On ne s’étonnera donc pas de voir encore un autre hôtel construit en 1878 le long de la voie qui mène à Chambéry par le col du Crucifix29. Monsieur Jullian issu d’une vielle famille de meuniers d’Aiguebelette ouvrit ce qui devint l’hôtel Beauséjour juste après son mariage avec mademoiselle Baral, de Domessin30. C’était six ans avant l’ouverture de la ligne de chemin de fer, en 1884, mais le couple Jullian avec leur fille Louise seront les premiers Aiguebelettois à effectuer une traversée du tunnel sur une machine de chantier31.
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L’hotel Jullian (Beauséjour) à ses débuts |
A l’autre bout du lac, on doit au dernier meunier du pays, André Bellemin, de Nances, la construction de Novalaise-Plage quelques décennies plus tard32.
Revenons à l’époque "pré-ferroviaire", vers 1880, où nous voyons Catherine Perrier-Gustin, épouse de Pierre Michelon préparer dans sa cuisine des repas pour les premiers touristes qui ne peuvent accéder qu’en barque à la « pointe Michelon ».
Même aventure, mais après l’arrivée du chemin de fer, pour la famille de Jean-Marie Duport, de Saint-Alban qui avait ouvert un café à côté de la tuilerie près de l’actuelle villa Luzarra. L’afflux des touristes lui permit de développer l’activité café pour compenser le déclin de la tuilerie. Et comme il était bon pêcheur, il proposait à ses clients une excellente petite friture. Ses trois fils Marcel, Léon et Maurice fonderont chacun un établissement. Pour Maurice, ce sera Saint-Alban-plage33.
Au port d’Aiguebelette, c’est d’abord la famille Duport-Percier qui monte un établissement hôtelier qui sera repris par la famille Duport-Butique en 191634. Anticipant la mise en service de la station ferroviaire d’Aiguebelette en 1893, François-Claude Pioz ouvrit, à proximité immédiate de cette dernière, l’hôtel Chalet du Mont-L’Epine, plus tard hôtel Bellevue35 . A Lépin, il faudra attendre 1912 pour que Claude Brotel construise en face de la gare l’hôtel Chalet du lac qui deviendra en 1919 l’hôtel Folliet Chalet du lac36.
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Le "Grand
port d’Aiguebelette"
avant 1900 (à gauche)
et après 1910 (à droite) |
En fait, Claude Brotel avait construit son hôtel sur une propriété vendue par le lépinois François Pioz à l’industriel lyonnais Ferdinand Bertrand. En effet, parallèlement au développement de l’hôtellerie autour du lac, on voit arriver un certain nombre d’industriels ou de personnalités régionales et dans une moindre mesure parisiennes. Un des premiers est sans doute Marc-Antoine Luizet, célèbre arboriculteur d’Ecully. Il fait construire la villa Côte épine à Aiguebelette. En 1903 le baryton de l’Opéra de Paris, Francisque Delmas, fait construire au bord du lac au lieu-dit La Chêneraie une maison-château entourée d’un grand parc qui sera rachetée en 1956 par Marcel Teppaz, le créateur des électrophones qui accompagneront la vague yé-yé dans les années 1960. Citons enfin François Cachoud, peintre chambérien qui installait son chevalet sur la rive de Saint-Alban dés les années 1890 mais ne prendra racine à la propriété Le Grillon qu’en 1910. Ce ne sont que quelques exemples37, il n’est pas possible de citer toutes ces personnalités fortunées qui partagent généralement la passion de la pêche et du canotage, ce qui va nous amèner à parler de l’un d’eux, qui joua un rôle majeur dans le développement de la pêche et l’alevinage : Georges Charpenay (1862-1931).
Auparavant, insistons que les clients des hôtels ou les résidents secondaires vont générer une activité touristique importante dans l’hôtellerie et la restauration et que cette nouvelle activité économique est animée par des « gens du pays », issus pour la plupart d’anciennes familles paysannes et à qui le tourisme offre une alternative à l’exode rural. Tout au long de la fin du XIXe siècle et de la majeure partie du XXe siècle, l’activité touristique vit en osmose avec l’activité pasanne traditionnelle : Souvent les familles qui se lancent dans l’hotellerie ont encore quelques vaches, et les enfants des paysans trouvent des « petits boulots » dans les restaurants.
Si l’on doit attribuer à Charpenay le développement à grande échelle de la pisciculture et de la société de pêche, on ne saurait oublier que les pêcheurs ne l’ont pas attendu non seulement pour pratiquer la pêche, mais aussi l’alevinage et l’importation d’espèces non autochtones. Yvonne Coudurier rend ainsi hommage à Gaspard Duport, habitant le hameau du Neyret, au-dessus de Novalaise, qui eut l’idée d’introduire le lavaret dans le lac d’Aiguebelette. En 1880, il pêcha des alevins dans le lac du Bourget et les transporta dans des tonneaux à dos de mulets par le col de l’Épine38.
Gaspard Duport et sa famille, embarqués sur une Nâ, où l’on voit le Novalesan prêt à harponner le brochet. |
Surnommé « le banquier de la houille blanche, le grenoblois Georges Charpenay , fils d’un ancien marchand de drap en gros, était assurément au début du siècle un des hommes les plus influents de la région Dauphiné-Savoie. Président de la chambre de commerce de Grenoble, banquier, il est impliqué dans le développement de toutes les entreprises grenobloises, bien au-delà du secteur de l’hydroélectricité39.
Georges Charpenay était également un passionné de pêche. C’est à ce titre qu’il venait au lac d’Aiguebelette avec un de ses amis Cartier-Millon, autre industriel grenoblois lié aux pâtes Lustucru, qui avait fait construire une villa sur les hauteurs d'Aiguebelette40. L’endroit lui a plu. En 1908, il y a acheté un terrain au bord du lac, à la limite de Lépin et d’Aiguebelette, à l’est de ce qui est maintenant la plage des Sirènes. On aurait pu penser que le banquier cherchait à Lépin un coin tranquille pour s’adonner, peinard sur sa barque, à son loisir favori. Eh bien non, il se lance en grand dans la pisciculture et veut pratiquer la pêche à la Senne, c’est à dire avec un filet de 800 m de large tiré par deux bateaux41.
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Pisciculture
et Maison Charpenay |
En 1920, Charpenay loue aux propriétaires l’ensemble du lac à un tarif que je ne connais pas. Il embauche un garde-pêche pour lequel il fait construire une petite maison. En 1921 il crée la société de Pisciculture et de pêche du lac avec M.Mignot, industriel à Saint-Bueil et Léon Rival de Rouvil, de la société hydroélectrique de La Bridoire et M.Dalberto, entrepreneur à Grenoble pour la mise en commun du droit de pêche42.
Charpenay avait en tête de favoriser la truite. Alain Cartier-Millon évoque le chiffre annuel, dont je ne sais pas très bien à quelle époque il correspond, de 150000 alevins de truites et 30000 alevins de brochets. Il évoque également la canardière de Charpenay, à savoir une barque à fond plat sur laquelle était posée un canon de de 20 cm de diamètre avec lequel il tirait sur les passées de canards.
La chute de Charpenay fut à l’échelle de sa splendeur, extrêmement brutale. Lors de la crise de 1929, la Banque de France le laissa seul en rase campagne faire face à un mouvement de panique des déposants. La faillite, la prison préventive, la condamnation avec sursis précédèrent de peu son décès en 193143.
La société de Pisciculture laissa alors la place à une structure associative, l’Association des pêcheurs du lac d’Aiguebelette, ancêtre de l’actuelle AAPPMA, bien contrôlée à l’origine par la même population d’industriels fortunés qui constituaient l’entourage de Charpenay. La première Assemblée générale se tint le 11 novembre 1930. Les membres fondateurs fondateurs devaient s’acquitter d’un droit d’entrée de 1000 francs et d’une première cotisation annuelle de 500 francs44, ce qui n’était pas à la portée du prolo moyen dont le salaire mensuel à cette époque ne dépassait pas les 1000 francs. Le garde-pêche Gralier, plutôt au-dessous de la moyenne des prolos touchera à partir d’avril 1931 une mensualité de 350 francs, mais on ne connaît pas son horaire hebdomadaire ni les avantages en nature, mis à part le fait qu’il disposait, semble-t-il, d’un lot de pêche pour son usage personnel.
Au cours des années 1930-1932, 22 personnes s’acquittèrent de ce droit d’entrée : Par ordre d’inscription sur le livre de comptes, il s’agit MM Diederichs, Cartier-Millon, Jacquet-Francillon, Delmas, de Rouville, Faidide, Mermoz, Borne, Zeller, Bourgougnon, Montgrand, Messine, Mme Clément, MM. Zoliet, Girier, Perrot, Duport, Duport-Caille, Proslevin, Patat, Papillon, Clerget.
Pour ne parler que ce ceux dont je connais les noms, ces membres fondateurs sont pour la plupart sont connus comme des résidents secondaires fortunés, que ce soit des industriels (Diederichs, Cartier-Millon, de Rouville, Faidide, Mermoz, Girier, Clerget), ou des célébrités (le baryton Delmas, et la veuve de baryton Clément). Les notables locaux (Jacquet-Francillon, mèdecin, Montgrand, patron de la passementerie de Lépin) représentent une minorité, tout comme les hôteliers (Duport, Duport-Caille, Patat) pour lesquels le droit d’entrée constitue un investissement professionnel puisqu’il leur permettra d’être titulaires d’un lot de pêche, et donc d’approvisionner légalement la petite friture qu’ils proposent à leur clientèle.
Tout au long des années 1930, le président de la société de pêche est le commandant d’aviation Lucien Girier (1890-1967), un lyonnais qui terminera sa carrière comme général en février 1942. « Pilote de raids », il était une sorte d’aventurier des airs sponsorisé par l’armée de l’air, comme Tabarly le fut plus tard par la Marine45.
A partir de 1935, la société de pêche a versé également 6000 francs de location à la famille Charpenay probablement au titre de la reprise des installations de pisciculture46. De 1937 à 1941, cette location est reversée à M.Florence, repreneur de la propriété Charpenay.
Inutile de préciser que dès les premières années de la société de pêche, les problèmes de braconnage font partie du paysage. C’est au titre de la lutte contre le braconnage qu’un garde-pêche a été recruté aux conditions que l’on sait et que l’association investit très vite 38 francs dans l’acquisition d’un képi. Lors de l’assemblée générale constitutive de novembre 1931, quelqu’un avait suggéré de rechercher un garde étranger à la région. On se méfie évidemment d’une éventuelle connivence entre le représentant de l’autorité et ceux qu’il est censé pourchasser. D’ailleurs, à l’assemblée générale d’août 1932, il est décidé d’inciter le garde à faire sa tournée du dimanche à des heures plus irrégulières, « et pas toujours dans le même sens ». Un an plus tard, il est décidé de faire insérer dans la presse locale, Petit Dauphinois et Echos du Guiers le jugement par le tribunal correctionnel d’une certaine affaire dite « Girard-Muscat ».
Le bail de la société de pêche lui permettait également de taxer les propriétaires de bateaux à moteurs appelés « propulseurs » d’une somme de 50 francs pour frais de circulation. Les membres fondateurs ou honoraires étaient dispensés de cette redevance47.
Il n’est pas question d’entrer dans tous les détails de l’histoire de cette société de pêche. Signalons juste que tous les modes de pêche, filets, lignes de fond, pêche à la traîne etc... et que les modalités d’adhésion vont du simple permis journalier au statut de membre fondateur. Une vingtaine de lots, c’est-à-dire de secteurs géographiques, sont attribués, généralement aux membres fondateurs, moyennant l’acquittement d’une redevance de 350 francs.
Un architecte parisien, Émile Dauphin (1891-1975) fut admis comme membre honoraire en août 1931. Il s’était fait construire une résidence secondaire à Aiguebelette, sur les ruines de l’ancien château et écrivit quelques années plus tard un texte de grande valeur pour les amateurs de pêche et les amoureux du lac d’Aiguebelette mais dont il faut préciser qu’il n’est pas un guide pratique mais un texte littéraire48.
« La Réunion de la société Dimanche, une semaine s’est encore écoulée, et ce matin, c’est la réunion de la société de pêche, suivie du traditionnel banquet. Chailles [C’est le nom donné au narrateur dans le récit] s’en voudrait de ne pas y assister. Modeste membre honoraire, je regarde arriver, me faisant tout petit les membres actifs, les riverains qui ont droit au filet de bord. Il y a les indigènes, ceux qui pêchent pour alimenter la table de leur hôtel ou plus simplement pour se nourrir un peu (car la pêche au filet n’est guère productive) ; il y a les amateurs, propriétaires de villas, pour qui cet engin est plutôt une distraction. Après la lecture du procès-verbal, l’exposé de la situation financière (présenté d’impeccable façon par le sympathique trésorier), voici que le Président indique ce qu’a fait la Société, ce qu’elle compte faire : la grave question du réempoissonement est agitée et la discussion est ouverte. Ne croyez pas que cela aille tout seul. Nous sommes loin de la pêche calme et tranquille ; ici, chacun défend son intérêt ; l’un trouve que l’on ne met pas assez de brochets ; pourquoi n’a-t-on pas remis de carpes ? Inutile … Cet autre qu’intéresse seulement la pêche à la cuiller, estime que les piquets des pêcheurs au coup constituent une gêne intolérable : on devrait obliger ces collègues à ôter leurs fiches à la fin de la saison. Ce troisième, amateur de la pêche au coup, se plaint que l’on vienne passer les filets sur un endroit qu’il a engrené. Résultat : il ne prend plus rien. "Mais je paie, Monsieur, pour mettre mon filet, c’est mon droit." Cette dame plutôt replète, copieusement oxygénée, cigarettes aux lèvres, renchérit, elle n’admettrait même pas qu’on stationne sur son lot de pêche … Raisonnons, Madame, s’il vous plaît … Comme le tour entier du lac est partagé entre lots loués, aux riverains, si chacun en interdit le stationnement, il ne restera plus que la ressource de pêcher au milieu ? On s’insurge aussi contre les moteurs, contre le braconnage qui serait pratiqué (assurent quelques-uns) même par le sociétaires. Alors (quoique personne n’ait été cité) certains se lèvent et protestent véhémentement, somment les accusateurs de préciser. … Qui se sent morveux ...? Voici une des précisions demandées : "J’ai vu, dit quelqu’un, ce temps derniers, alors que le lac était haut, faucarder1 vers les îles, poser des filets et taper sur l’eau pour rabattre le poisson" ...Le Président intervient avec autorité : "Je suis au courant, l’auteur a été rappelé à l’ordre". "Il y a trop de mirandelles2, affirme-t-on, le brochet se moque pas mal de nos engins ; il se nourrit trop facilement et puis, n’oubliez pas que des petits poissons gloutons mangent les œufs des carnassiers ." "Nous avons déjà pris beaucoup de mirandelles l’an dernier, affirme le Président, nous continuerons l’an prochain." Cela, Chailles le savait, l’hiver, des grosses ablettes se rassemblent en bancs compacts ; serrées les unes contre les autres, elles forment des masses sombres qui flottent entre deux eaux. Le moment est venu de les détruire. Dans un jour pâle, le bise glaciale roule des nuages noirs. Le port est engourdi par le froid […] Personne au port, personne sur le lac. Le bruit aigre et triste de la bise dans les branches trouble seul le silence de ce paysage sans vie … Pourtant, dans le lointain, résonne un bruit de moteur. Voici un camion. Des hommes en descendent … Une, deux barques sont poussées à l’eau. Elles s’arrêtent en un point vite repéré. Un banc d’ablettes est là. Et le mirandellier, vaste filet à mailles fines, entre en action … Les poissons s’entassent dans les bateaux, versent leurs éclairs de lames d’argent dans ce paysage de deuil. Des quintaux et des quintaux sont engouffrés dans le camion … Les ménagères lyonnaises trouveront au marché de la friture à bon compte … Mais on ne s’apercevra guère de cette hécatombe l’an prochain ! D’autres pêcheurs estiment que si les brochets ne mordent pas, ce n’est pas qu’ils ont trop de nourriture, c’est qu’ils ne sont plus assez abondants, et les uns de dire qu’il faut repeupler, les autres d’accuser certains riverains d’assommer les gros reproducteurs à coup de bâtons, en février, quand ils viennent frayer sur le Nord. […] Mais écoutons le président expliquer de sa voix sèche et précise : ne pensez pas que le lac soit braconné au moment du frai, n’oubliez pas que nous avons un garde qui fait son devoir et que d’autre part, les Eaux et Forêts veillent. D’ailleurs, comment expliqueriez-vous que le braconnage – si braconnage il y a – n’ait pas fait sentir ses effets autrefois ? Il y a 20 ans, les brochets abondaient, et à ce moment-là, on ne se gênait point pour les détruire. Non, non … il y a autre chose. Croyez-moi, la principale cause du mauvais repeuplement réside dans le fait que la société Force et Lumière fait varier trop souvent le niveau des eaux au moment de la reproduction ; les œufs déposés sur les bords, sont mis à sec et n’éclosent pas ; nous avons consulté un savant ichtologue, professeur de sciences naturelles, et il nous a formellement dit qu’il ne fallait pas chercher d’autres raison au dépeuplement – très relatif d’ailleurs – ce ces eaux […] Chailles a déjà assisté à l’éclosion de ces brochets en bouteille. Il sait bien à peu près comment se pratique l’opération, car le garde lui a raconté, et la capture difficile d’une femelle de 28 livres et la prise des mêmes, le mélange des œufs et de la laitance. Et il a vu éclore, après quinze à dix-sept jours d’incubation, cette multitude grouillante. Il a abordé au hangar de la pisciculture par une douce après-midi de mars. Sous une neige tardive qui mettait comme des coulées d’une lave blanche sur les flancs sombres du Mont Grelle, le faisant paraître encore plus massif, le printemps déjà se devinait, on pressentait son haleine douce. […] C’est ainsi que le Président, secondé par son secrétaire, répond à chaque objection. D’une voix habituée au commandement, mais qu’il sait adoucir quand il faut, il trouve pour chacun le mot qui apaise, l’expression qui satisfait. Chailles lui-même sait bien que l’an prochain, il y aura toujours autant de piquets et guère plus de brochets, que les 15 ou 20000 alevins des Dombes et des Carafes ne sauraient compenser la perte de centaine de milliers d’œufs dont La Bridoire, avec les variations de niveau qu’elle impose au lac, empêchera l’éclosion [..] » 1Faucarder = faucher avec un faucard les plantes aquatiques. 2Petit poisson coloré et énergique.
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Avec Claude Burdin, Georges Charpenay et la conduite forcée qui alimente l’usine électrique de La Bridoire, on peut dire que le pourtour du lac d’Aiguebelette maîtrise toute la filière de l’hydroélectricité : Conception et théorie de la turbine, financement et réalisation.
Commençons par Claude Burdin qui est un peu hors-sujet puisque le lac n’était sans doute pas la première de ses préoccupations lorsqu’en 1822, il envoya son fameux mémoire à l’Académie des Sciences de Paris sur la construction des turbines hydrauliques51. En trouvant la juste voie pour optimiser les roues à aubes qui, depuis belle lurette, alimentaient les moulins, Burdin et son élève Fourneyron obtinrent des rendements en énergie de plus de 65 %, alors que jusqu’alors, ils ne dépassaient guère les 30 %.
Burdin est un enfant de Lépin qui a grandi au bord du lac. On ne peut pas l’oublier dans un chapitre qui traite du lac et de l’hydroélectricité.
Près de 85 ans se sont écoulés entre les essais de la turbine de Pont-Gibaud et la production des premiers kilowatt-heures par l’usine de La Bridoire. L’occasion de nous rappeler que jusqu’à la fin du XIXe siècle, le moulin à eau est avec la machine à vapeur l’une des techniques qui permet de mettre de l’énergie à disposition de l’homme à qui l’on doit par conséquent le décollage de la révolution industrielle, comme en témoigne les Harmony mills (En anglais, moulin se dit « mill ») dans le où l’on voit une simple turbine alimenter une usine de textile entière, l’énergie étant distribuée par tout un jeu de courroies.
Comme nous le rappelle l’association « À la découverte du passé de La Bridoire », au milieu du XIXe siècle, on pouvait dénombrer une vingtaine d’installations hydrauliques le long du Tiers entre le Gué des Planches et La Bridoire.
Claude Burdin (1788-1873) |
Turbine de Pont-Gibaud dessinée par Burdin (1827) |
Turbine de Fourneyron (1832) |
Harmony Mills (Massachussets) 1871 |
Pour introduire l’histoire de la construction de la petite centrale électrique de La Bridoire, attardons-nous sur cette magnifique photo illustrant la révolution industrielle, où l’on voit, vers 1910 pas moins de 14 paires de bœufs traîner une dynamo de 12 tonnes de la gare de La Bridoire à l’usine électrique de la même localité.
Pour l’historique de l’implantation de cette usine électrique de la Bridoire, je vais encore une fois laisser la parole à Jean-Charles Marcel qui en a fait une excellente synthèse, mais auparavant, qu’il me soit permis de faire quelques remarques : Si les répercussions de l’exploitation des eaux du lac en matière de variation du niveau du lac avaient bien été anticipées, avec les nuisances "écologiques" sur la reproduction des poissons, les premiers conflits d’intérêts à résoudre furent ceux existant entre les différents usagers, souvent industriels installés le long du Tier pour bénéficier d’une source d’énergie gratuite. La production d’électricité ne sera guère envisagée avant 1906, et finalement, une société est créée, la Société hydroélectrique de La Bridoire (SHEB) qui produira l’électricité et ne cédera la place à la Société générale Force et Lumière qu’en 1930. La SHEB exploitait l’énergie hydroélectrique mais les travaux de construction avaient été réalisés entre 1910 et 1911 par l’entreprise Dalberto52.
S’il n’apparaît pas que Charpenay soit impliqué directement dans l’affaire, il n’en est probablement jamais éloigné, et il est peut-être présent par le biais du financement de la SHEB dont on ne connaît rien. Il faut avoir en tête que Charpenay qui se lance dans la pisciculture à partir de 1908 est l’un des premiers concernés par les problèmes de variation de niveau des eaux. Il l’est encore plus lorsqu’il loue l’ensemble du lac à partir de 1920 et qu’il s’associe pour créer une société de pisciculture avec un certain nombre de ses relations dont Léon Rival de Rouvil, l’industriel lyonnais qui a fondé la SHEB qui exploite l’usine électrique de La Bridoire. Ajoutons à cela qu’en 1919, lorsque la Société générale force et lumière deviendra propriétaire de la moitié du lac en remportant l’appel d’offre des héritiers Royer-Collard, elle ne contrôlait pas encore l’usine hydroélectrique. De là à dire que Charpenay contrôlait tout depuis le début, il y a un pas que je ne franchirai évidemment pas, mais je note qu’il reste encore beaucoup de choses à éclaircir dans les relations entre Charpenay, la SHEB et la SGFL.
La parole est maintenant à Jean-Charles Marcel 53:
« De tous temps, l'eau du Tiers a été utilisée pour mouvoir des artifices. Des actes de 1240 et 1244 concèdent à l'abbaye de Tamié l'usage du Tiers pour que les moines y établissent des moulins ou des battoirs. Avant 1400, l'abbé de Tamié et le comte de Savoie tenaient chacun un martinet à la Bridoire. En 1728, le cadastre sarde recense 26 artifices uniquement sur le territoire communal de la Bridoire. Sur ces 26 installations, une seule, le martinet de Pierre Laverdure, utilise l'eau du Grenand, toutes les autres usent de celle du Tiers. Plus tard, la création à la Bridoire des usines Reybet en 1868, Gond et Collomb en 1877, du moulin Laffond et Tourasse en 1887, de la taillanderie Ageron en 1895 et de l'usine Revil en 1898 sont là pour prouver que cette énergie était suffisamment connue pour qu'un début d'exploitation industrielle voit le jour. En 1909, ce sont 10 usiniers qui utilisent l'énergie du Tiers : Marius Barral, mécanicien ; deux fabricants de tulle, Gros Million & Cie ainsi que la société H. Vial & Cie ; une usine de toiles métalliques, les établissements Goud Berlioz & Cie ; la taillanderie Ageron frères ; l'usine de meuble Charbonnier ; trois moulins, Etienne Berthier, Anthelme Bovagnet et la meunerie Godon et enfin le moulin à huile de Jacques Duport. Il semble que ce soit une pétition du 12 décembre 1894, présentée par certains utilisateurs du Tiers à la Bridoire, qui soit à l'origine de la régulation et de l'exploitation industrielle des eaux du lac d'Aiguebelette. Cette pétition déclencha une étude du service hydraulique des Ponts et Chaussées. Pour un simple travail préparatoire, cette étude se révèle d'une extrême précision. La pluviométrie moyenne du bassin versant est analysée, l'évaporation propre au lac et celle du couvert végétal sont prises en compte. Les différents volumes que le lac peut emmagasiner en relevant son niveau sont soigneusement étudiés pour réguler le débit du Tiers, mais dans cette étude, l'usage de la chute de 140 m de dénivelé qui sépare le lac de la plaine de la Bridoire ne semble pas envisagée, du moins dans sa totalité. En fait, il s'agit plus de réguler le débit du Tiers que d'utiliser au mieux la différence de niveau entre le lac et le territoire de la Bridoire. Il n'est pas question de toucher aux différents ouvrages déjà existants tout le long du Tiers. Les multiples exploitants sont extrêmement jaloux de leurs prérogatives et la cohabitation des usagers n'est pas toujours facile. Certains n'hésitent pas à couper l'arrivée d'eau intégralement pour remplir leur barrage plus vite, pénalisant ainsi les utilisateurs aval, surtout en période de basses eaux. Fin 1897, de Gallis, Berlioz et Laffond, industriels de la Bridoire relancent le projet de 1894 resté sans suite. Les pétitionnaires indiquent leur intention de créer un syndicat des usagers du Tiers pour gérer la procédure et assumer les frais d'études. Cependant, pour l'administration préfectorale, les intérêts en jeu, sont avant tout d'ordre public : protection contre les crues et irrigation. L'intérêt énergétique des usiniers est bien compris, mais il n'y a toujours pas de vue d'ensemble de la ressource potentielle de la chute intégrale des eaux du lac. En avril 1899, le syndicat est constitué et les différents ministères ont donné leur accord : le cadre juridique et administratif est prêt pour que les études commencent : pluviométrie locale, mesures des débits à l'émissaire, etc. Du fait de la publicité exercée par ces études, l'intérêt pour les ressources en eau du lac d'Aiguebelette s'ouvrent à certaines convoitises. Dès 1905, Victor Granottier, un industriel Lyonnais propose à la ville de Chambéry – déjà à la recherche de ressources en eau – de lui offrir jusqu'à 200 litres par seconde d'eau potable. Mais la commune de la Bridoire ne comptait pas se laisser démunir d'une énergie gratuite et encore moins laisser exploiter une ressource précieuse, sans en tirer parti et demandait à être intégrée au projet de distribution d'eau potable. La municipalité chambérienne était prête à s'engager quand, en 1906, le décès de M. Granottier, promoteur du projet vint tout arrêter. Quelques années s'écoulent, les études se poursuivent, seule la production d'électricité est envisagée. Très vite les problèmes de voisinage se font jour. Toute action sur le débit du Tiers, se traduit par un gêne en aval, et chaque usinier souffre des actions de l'usine amont et pose des problème à l'usine aval. Dès le décès de M. Granottier, les usiniers de la Bridoire s'empressent de détruire le barrage qui servait aux jaugeages. Le problème des relations entre usiniers ne sera résolu que par la mesure de la puissance de chaque usine et la fourniture à celle-ci de l'énergie électrique équivalente. Le 24 mars 1908, la Société Hydroélectrique de la Bridoire, est crée et se substitue aux héritiers de l'entreprise Granottier. Elle se propose d'installer une usine électrique qui prendrait l'eau à l'émissaire du lac et l'exploiterait le plus bas possible, soit à la Bridoire, dans la plaine de la Vavre. Début 1909, le projet prend forme et les administrations donnent leur consentement. L'eau du lac sera amenée par un canal souterrain et une conduite forcée en aval de la Bridoire pour y être turbinée. Un débit résiduel de 50 litres par seconde devra être réservé au Tiers. Le 21 avril 1908, l'ingénieur des services hydrauliques se rend sur les lieux. Il effectue la visite accompagné de nombre de personnes : les officiels, les usiniers, les propriétaires du lac et diverses autres personnes impliquées dans l'affaire. Le premier jour, la visite a lieu pour l'essentiel au Gué des Planches, le niveau du lac pourra varier de 2,5 mètres, la société pourra reprendre les conventions passée avec M. Granottier, notamment l'alimentation en eau de la Bridoire. Il n'est plus question d'alimenter Chambéry en eau potable. Les maire de Nances et Novalaise font timidement remarquer que le niveau maximum leur semble un peu élevé, à quoi il leur est répondu que ce niveau a été plusieurs fois dépassé lors des jaugeages. La seconde journée se déroule à la Bridoire. On peut remarquer dans le compte rendu le dépit du maire de Verel de Montbel qui tente une dernière fois de faire installer l'usine électrique sur le territoire de sa commune, à quelques dizaines de mètres seulement de l’implantation prévue. Les pétitionnaires précisent que la Bridoire exige l'installation sur son territoire. Ensuite de cette visite, le 29 juin 1908, un projet de règlement d'eau est présenté en préfecture. Il règle les niveaux et les débits mini et maxi, les cotes des digues et des ouvrages de décharges, les débits résiduels etc. Une attention particulière est apportée aux situations pouvant provoquer le braconnage ou la mort du poisson. La mise à sec des biefs est particulièrement visée : elle « est en effet assez souvent l'occasion de pêches délictueuses auxquelles se livrent les ouvriers de l'usinier ». Bien évidemment, les choses ne se passent pas aussi bien que prévu et des oppositions se font jour. L'enquête d'utilité publique en recense 111 représentant plus de 300 personnes. Pour la plupart, les droits sont caducs, un plaignant habite même à plus de 100 mètres du Tiers sans être propriétaire d'un terrain quelconque le longeant et exige cependant de pouvoir jouir d'un droit de puisage et de lavage sans limite ! Le lac étant une propriété privée, l'administration ne peut se charger de gérer le niveau du lac, mais seulement son écoulement : la plupart des réclamations ou réserves tombent donc d'elles-mêmes quand elles concernent le niveau du lac. Plus sérieusement, les usiniers aval tentent de garantir le fonctionnement optimum de leurs usines en tentant d'infléchir l'administration pour modifier le règlement d'eau, jouant sur le niveau du lac et les conditions d'exploitation de l'usine hydraulique. Le 8 juillet 1909, la préfecture autorise l'établissement de la prise d'eau de l'usine électrique. Les oppositions continuent cependant. Pour les régler, la préfecture provoque une réunion de conciliation qui échoue essentiellement devant l'intransigeance de la SHEB à abaisser la cote maximale de 375,00 mètres qui semble excessive à la majorité des plaignants. Les communes d'Aiguebelette, Lépin, Nances, Saint Alban de Montbel déposent un recours devant le Conseil d'Etat en 1910. Cette année là, la commission des sites et monuments naturels s'enquiert elle aussi de la sauvegarde du caractère naturel du lac. Malgré toutes ces difficultés d'ordre administratif, le 12 avril 1912, les turbines de la SHEB produisent leurs premiers KWh. Le 4 juillet 1912, les ingénieurs hydrauliciens des Ponts et Chaussées, signent un nouveau rapport susceptible de modifier légèrement le règlement d'eau de 1909 et de donner satisfaction aux diverses parties. L'accord est donné pour la révision le 15 juillet de la même année. En février et mars 1914, deux enquêtes d'utilité publique ont lieu pour valider le nouveau règlement d'eau. Ce nouveau Ce nouveau règlement pourtant assez favorable aux riverains est rejeté par eux. La SHEB le rejette aussi alors qu'il lui permettrait d'utiliser une lame d'eau supérieure à celle qu'elle avait utilisé pendant les trois années d'exploitation précédente. La guerre éclate en septembre 1914, ce qui n'empêche pas les services administratifs de continuer à travailler. En avril 1915, ils proposent de conserver le règlement de 1909. La guerre fait avancer les choses. Pour des impératifs militaires et patriotiques, il n'est plus question de gêner le fonctionnement de l'usine de la Bridoire. En 1916, les besoins accrus des La guerre fait avancer les choses. Pour des impératifs militaires et patriotiques, il n'est plus question de gêner le fonctionnement de l'usine de la Bridoire. En 1916, les besoins accrus des industries lyonnaises qui travaillent pour l'armement obligent à abaisser la lac à la cote 373,27. Les seules gênes occasionnées sont les difficultés d'accès au lac. La position des conseils municipaux, toujours en phase de protestation, évolue sensiblement. Ils acceptent la cote maximale 374,70, mais demandent toujours une limite minimale. La question reste en suspend et à la fin de la guerre, les problèmes ne sont toujours pas résolus. En août 1918, la SHEB effectue une demande de raccordement du ruisseau du Rondelet sur la chute existante. Aussitôt, les tensions mises en parenthèses par la guerre se ravivent et les communes subordonnent leur accord à la révision du règlement d'eau de 1909. Le ministère de la guerre passe outre et les travaux sont exécutés. La guerre achevée, les communes renouvellent leurs protestations en 1920. L'intervention des services hydrauliques manque de peu un accord, finalement avorté suite à l'intransigeance des communes. En 1922, le 20 avril, se tient à Aiguebelette, une nouvelle réunion de conciliation entre les différents partenaires. Les maires d'Aiguebelette, Lépin, Nances, Novalaise et Saint Alban de Montbel sont présents. De même ont été convoqués, messieurs Borel, député, Mounier, préfet de la Savoie, Troté, inspecteur général au ministère de l'agriculture, Lévêque, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Genin, conseiller d'arrondissement, ainsi que M. Pison, directeur de la SHEB. Cette réunion portera quelques fruits en satisfaisant partiellement les communes tant au niveau des cotes mini et maxi qu'à propos des indemnisations : subvention pour la remise en état des ports et installation d'une arrivée générale d'électricité dans certaines communes. En 1923, sans se prononcer sur le résultat de la requête des intéressés auprès du Conseil d'État, le ministre de l'agriculture incite les ingénieurs à modifier le règlement d'eau de 1909. Il leur demande de tenir compte des conclusions de la réunion du 20 avril 1922 et de tenir compte également des directives de ses conseillers techniques. Le but principal étant de concilier trois impératifs contradictoires : 1) Avoir une retenue la plus importante possible, donc un niveau maximum le plus haut possible et un niveau minimum le plus bas possible. L'écart entre ces deux valeurs représentant le stock d'eau utilisable pour lisser la production hydroélectrique. 2) Maintenir le niveau du lac dans des limites relativement étroites, ce qui est en contradiction flagrante avec l'impératif précédent. 3) Enfin, et ce n'est pas la moindre obligation, il est absolument nécessaire de ne pas aggraver, voire de diminuer les conséquences des crues sur les habitations en aval, particulièrement dans la traversée du village de la Bridoire. Nous ne savons pas ce qu'il est advenu de ces recommandations. Il faut attendre 1929 pour voir se conclure ce dossier. Le Conseil d'État analyse les diverses requêtes en annulation, puis délibère le 13 décembre 1929. La décision définitive est « lue en séance publique » le 20 décembre 1929. Elle rejette les requêtes des communes ainsi que celle de la SHEB. Le règlement de 1909 reste donc en vigueur. Il semble que ce soit encore le cas actuellement.
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Cette brochure produit un extrait du « Vieux Savoyard » (sans doute l’Almanach du Vieux Savoyard55) de 1980 où il est évoqué un accord entre la SHEB et les deux propriétaires du lac. Cet accord est antérieur à 1911 si l’on en croit une lettre écrite par le curé de Saint-Alban Bruno Laverne au Comte de Chambost 56:
« Quant à la baisse des eaux, vous voudrez bien me permettre, M.le Comte de vous faire observer qu’elle est votre fait, en définitive, puisqu’elle n’est que la conséquence d’ailleurs prévue, du contrat passé par vous, d’accord avec M.Royer Collard, l’ancien adversaire de votre père avec une société plus ou moins étrangère, financière et industrielle. »
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Et le curé
Laverne de poursuivre « S’il y a un recours à exercer contre
des tiers, ce serait à vous de l’exercer et pour nous, il faudrait
connaître les termes mêmes qui vous lient, vous et M.Royer Collard
avec la société H.R. de La Bridoire .» 113 ans plus tard, je
ne connais toujours pas ces termes.
Au tourisme du début du siècle qui reste l’apanage des classes les plus favorisées, va se superposer dans la seconde moitié du XXe siècle un tourisme de masse.
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Albert de Chambost (1863-1932), ses trois fils Xavier (1913-1973), Gonzague (1908-1957), Henri (1906-1986) et deux cousines inconnues. |
Regardons bien la photo où l’on voit Albert de Chambost, héritier de son père Tancrède qui avait acheté ou tout au moins cru acheté le lac en 1866, jouir d’une baignade dans le lac en compagnie de ses trois fils et de deux jeunes inconnues à une date non précisée mais qui doit être proche de 1929 si l’on recoupe l’age des différents personnages.
Albert est donc le propriétaire en titre de sa moitié de lac depuis la mort de son père en 1901. Il résidera à Lépin plus qu’aucun de ses ancêtres ou descendants depuis la fin de son service militaire vers 1890 à sa mort en 1932. Il sera même élu maire de Lépin de 1892 à 1904 et de 1920 à 193257. A sa droite, sur la photo, son fils Xavier sera en 1945 le fondateur de "Bikini-plage" qui deviendra "Les Sirènes" en 1956.
En 1929, on faisait donc volontiers une trempette dans le lac en été, mais on le faisait à partir d’une barque en allant chercher si possible des zones pas trop vaseuses. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, la seule plage ouverte au public était "Saint-Alban Plage", ce qui n’était pas très pratique pour les gens de Lépin. Deux raisons peuvent expliquer cette absence de plage : D’abord, nous l’avons déjà vu, la plupart des estivants venaient pratiquer la pêche et le canotage et non, prioritairement, la baignade. La deuxième raison étant que la plupart des accès au lac, à commencer par le port d’Aiguebelette, vaseux étaient peu attractifs pour la baignade.
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Création de Bikini-plage Au début du XXe siècle, dans le secteur qui est devenu celui de la plage des Sirènes, sous le château, le "Ponton de Chambost" (Photo du haut) était le seul accès au lac. C’est pourquoi beaucoup de photographes de cartes postales venaient en ce lieu pour photographier Aiguebelette. Pendant la guerre, en 1942, les architectes Rabilloud avaient le projet de faire un centre nautique du côté des roselières qui bordaient le marais d’Aiguebelette en un endroit qui était naturellement ensablé. Ce projet ne se fit pas, et beaucoup de baigneurs fréquentaient ce qu’on appelait la "plage Wuffray" située sur le futur site des Sirènes. Ce n’est qu’après la guerre que Xavier de Chambost créa la plage de Bikini. (Photo du milieu, 1946) Il acheta, pour la location, des pédalos fabriqués avec des carrosseries de voitures et équipa la plage d’un ponton, de murets etc. En 1956, Bikini-Plage fur revendue à le famille de boulangers des Échelles, les Rigaud qui rebaptisèrent le plage « Les Sirènes » et s’agrandirent vers l’Ouest, sur la roselière dans laquelle avait été tracé le chenal qui menait à l’ancien ponton Chambost.
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Camping Ferrand vers 1950
Le camping Ferrand, sur la commune de Lépin, fut le premier créé sur le lac, si l’on en croit les témoignage de l’ancien coiffeur de Lépin François Duport-Caille58. Si la plupart des campings ultérieurement créés autour du lac le furent par des gens du pays, celui-ci fait exception à la règle. Une famille de commerçants des Abrets, les Ferrand, avait fait l’acquisition du terrain pour faire construire une résidence secondaire, et ils étaient incommodés par des irruptions de touristes qui cherchaient un accès au lac. Madame Ferrand décida alors de créer une activité commerciale pour satisfaire un nouveau besoin. Progressivement, les campings vont se multiplier et se remplir en même temps que les hôtels vont se vider et mettre la clé sous la porte. En 2023, on compte 17 structures de campings autour du lac. Leur flexibilité leur permettra de s’adapter aux tendances du moment : simples tentes canadiennes, tentes familiales, caravanes et bungalows. Les campings hébergeront une nombreuse clientèle étrangère, surtout néerlandaise. |
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A coté du grand nombre de campings privés, celui des plages privées est resté relativement faible. Par contre, on assiste à partir de la fin des années 1970 au développement de vastes plages municipales ou dépendant de collectivités territoriales comme la base de loisirs du Sougey créée par le SMALA en 1980.
Déclin de l’hôtellerie à Aiguebelette59
Année |
établissements |
Chambres |
1913 |
5 |
98 |
1950 |
7 |
123 |
1957 |
5 |
71 |
2010 |
2 |
27 |
6 plages publiques et 4 plages publiques totalisent en moyenne plus de 100000 entrées paantes sur les seuls mois de juillet et août60.
Capacités d’hébergement 201761
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Nb de structures |
Nb de lits |
Camping |
17 |
4506 |
Chambres d’hôtes |
15 |
118 |
Gites meublés |
62 |
313 |
Airbnb |
31 |
191 |
Centre d’hébergement |
2 |
155 |
Hotels |
5 |
130 |
sous-total |
132 |
5413 |
Lits Résidences secondaires |
661 |
3305 |
Total |
793 |
8718 |
En 2009, sur une estimation totale de 270000 nuitées liées au tourisme, 250000 relevaient des hébergements en camping, avec un tiers de populations étrangères.
Entrées payantes pages publiques |
188820 |
Entrées payantes plages privées |
22658 |
Entrées gratuites estimées |
74017 |
Total estimé (2022) |
285495 |
Droits de navigation des particuliers à la semaine ou à l’année62
Embarcations des opérateurs touristiques 2023
Barques moteurs électriques |
14 |
Pédalos |
88 |
Canoé-kayak |
189 |
Paddle |
160 |
Total |
451 |
Dès 1910, la Commission des sites et monuments naturels s’enquiert de la sauvegarde du caractère naturel du lac lors des travaux de l’usine d’électricité de La Bridoire. Le lac est classé monument naturel en 1935, le l’arrêté de 7 décembre 1936 porte à l’inventaire des sites le plan d’eau du lac avec les deux îles qui s’y trouvent.
On ne commence à parler de pollution que dans les années 1960 avec la généralisation de lessives contenant des phosphates et des toilettes avec chasse d’eau réalisées sans beaucoup de précaution d’assainissement.
En 1963 est créé le SIALA, Syndicat intercommunal d’assainissement du lac d’Aiguebelette regroupant les cinq communes de Novalaise, Nances, Saint-Alban, Lépin et Aiguebelette. Le SIALA lance la construction d’un réseau d’assainissement tout autour du lac qui sera terminé en 1976
Le collecteur d’assainissement qui ceinture le lac est terminé (St Alban, p.641)
En 1975 est créé le SMALA, syndicat mixte pour l’aménagement du lac d’Aiguebelette élargi au-delà des cinq communes riveraines, avec la participation du département. Une des premières intervention du SMALA, en 1975 est le blocage d’un lotissement de 70 maisons sur 14 hectares au Sougeu. Le SMALA achète le terrain pour y aménager la base de loisirs du Sougey. Le SMALA est également à l’origine de la création de la base d’Aviron en 1983 sur la propriété rachetée à Frédéric Dard et des APPB (Arrêtés préfectoraux de protection de Biotope) en 1990 et 2001 qui protègent 70 hectares de roselières, prairies et boisements humides.
Les compétences du SMALA sont reprises par la CCLA en 2003 à l’exception de la base d’aviron qui reste propriété du département. Les droits des deux propriétaires du lac qui avaient été délégués au SMALA sont transférés à la CCLA.
Une réserve naturelle régionale du lac d’Aiguebelette a été créée en 2015, qui comprend le lac et une partie des zones forestières du massif de l’Épine63.
Avant que le lac ne soit exploité de façon prédominante par le tourisme sous ses différentes formes, il l’était nécessairement par les populations riveraines, c’est-à-dire par les paysans. Nous avons vu que le droit de pêche, tout comme le droit de chasse, faisait partie des privilèges seigneuriaux reconnus. Le droit de chasse restait le privilège du seigneur, mais le droit de pêche pouvait être concédé aux populations riveraines moyennant une contrepartie faisant l’objet d’un accord formel.
Il n’apparaît point que le droit d’abreuvage pour les bêtes ait jamais fait l’objet de restrictions.
En 1730, au moment de l’établissement de la mappe sarde, la majeure partie des terres cultivées étaient des champs. Les près affectés au pâturage occupaient les parcelles riveraines du lac, sauf si la pente était particulièrement abrupte, ce qui est le cas à Aiguebelette entre le port et la pointe Michelon. Les bêtes pouvaient s’y abreuver même si dans les périodes de sécheresse où les sources étaient taries.
Autre bénéfice du lac pour les paysans, la culture du chanvre dans les marais et le rouissage, c’est-à-dire le trempage du chanvre. L’importance du chanvre est attestée à l’époque moderne par la reconfiguration des frontières communales, en 1730 qui donna à Novalaise un accès au lac pour que ses habitants puissent y effectuer le rouissage du chanvre64.
La culture du chanvre est également attestée par la palynologie et les analyses ADN. Nous avons la grande chance d’habiter à proximité d’un lac vers lequel convergent les différents ruisseaux du bassin versant. Les déchets végétaux sédimentent au fond du lac et un carottage effectué au point le plus profond permet d’obtenir un échantillon de près de deux mètres de long, calibré en temps sur presque deux millénaires et permet ainsi de suivre au fil des siècles l’évolution des différentes espèces65.
La palynologie et l’analyse ADN convergent ainsi pour témoigner d’un déclin de l’agriculture liée à une reconstitution des forêts à la fin de l’époque romaine aux alentours du VIe siècle qui correspond à la période de crise qui, en Europe, a suivi l’effondrement de l’empire romain.
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Erwan Messager66 Les analyses ADN des végétaux et des mammifères illustrent au long de ces deux derniers millénaires l’évolution de la couverture forestière et des différentes espèces liées aux activités agricoles. Ces analyses ne concernent en général pas le lac à proprement parler, mais son bassin versant. Par contre, la culture du chanvre que l’on voit se développer à partir de l’an mil pour s’effondrer au début du siècle est directement liée à la présence du lac.
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Pour les riverains, le lac a contribué à enclaver certains secteurs, et en particulier la zone nord d’Aiguebelette, mais il fournit également la contrepartie bénéfique, la possibilité de joindre deux points de la rive en ligne droite qui est le plus court chemin, mais implique de disposer d’une embarcation. Il ne semble pas que ce fut un problème pour transporter jusqu’à l’île les sarcophages et les pierres tombales extraites à Vimines.
Il ne semble pas non plus que le droit de navigation sur le lac ait fait l’objet d’une redevance particulière, mais ceci reste à prouver. En tout cas, à la fin du XIXe siècle, il semble bien que ce soit par pure forme que Jean-Marie Duport, exploitant de la tuilerie de Saint-Alban, demande une autorisation au comte de Chambost, propriétaire du lac67.
Pendant la dernière guerre, avec la pénurie d’essence, le lac retrouve son utilité, non seulement pour le transport des marchandises, mais aussi pour celui des personnes. Ainsi, j’ai retrouvé ses notes dans le journal de ma mère qui part à Nances avec ses deux jeunes enfants pour aller faire moudre au moulin de Nances du blé qu’elle avait récupéré68.
« Vendredi 7 Juillet 1944 Contente d'avoir mené à bien plusieurs choses importantes de catégories différentes[...] le soir expédition lointaine à Nances par voies d'eau et de terre à seules fins d'échanger au moulin le blé de monsieur Tardieu contre de la farine. Ce temps magnifique nous aide en tout – nous prenons un bain à l'aller et au retour à St Alban et nous trouvons les Nançois tout à fait aimables. Quelle joie de rapporter ce précieux sac ! »
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Au moins deux artisans locaux exprimèrent leur créativité et leur talent pour mettre à disposition de tous les adeptes du canotage de merveilleuses barques en tôles
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Barques Bologne (ci-contre) et barques Grimonet (ci-dessus) ont mis en œuvre la même technique de tôle soudée et des caissons isolants pour faire des embarcations insubmersibles qui filent sur l’eau en donnant du plaisir au rameur. |
En 2004, la CCLA organisa une opération intitulée « écoutes patrimoniales » qui se proposaient de recueillir les souvenirs des plus anciens des communes, typiquement des anciens nés dans les années 1920 ou 1930. Je livre quelques-uns de ces témoignages, pour montrer comment les familles paysannes ont peu à peu fait évoluer leurs activités vers le tourisme et aussi pour montrer que les paysans, tout au moins ceux qui bénéficiaient d’une certaine proximité avec le lac, goûtaient eux aussi aux joies de la baignade.
Isabelle Cambet, veuve Guicherd qui est en 2024 vice-doyenne de Lépin est la petite fille de Jean-Louis Guicherd, fermier du château depuis le début du XXe siècle jusqu’en 1932. Ses parents étaient à la fois paysans et hôteliers. Avec son mari, elle a maintenu l’activité hôtelière de ses parents tout en développant le camping du Curtelet. Comme beaucoup d’autres témoins des écoutes patrimoniales, elle ne cache pas qu’au moins au milieu du XXe siècle, la pratique du braconnage était généralisée.
« Je suis née le 28 décembre 1927 à Chambéry et je n’ai pratiquement pas quitté Lépin. Je suis issue d’une famille de 4 enfants, mais ma maman était d’une famille de 15 enfants. Mon grand-père était fermier au château de Lépin, il vivait comme il pouvait, mais ils n’étaient pas malheureux et nous non plus. Je me rappelle que c’était mon grand-père qui faisait cuire son pain, et à chaque fois, on avait notre petite miche et la grosse tarte, et je n’ai jamais remangé de miche aussi bonne. On avait des grands-parents formidables. Bien sûr, nous n’avions pas beaucoup d’argent, on vivait avec peu. Pour Noël, on avait toujours un petit quelque chose, mais on ne nous oubliait jamais, ni pour les anniversaires, ni pour Noël […] Mes parents avaient une petite ferme, quand on avait 6 vaches, c’était le maximum. J’étais la troisième de quatre filles, je suis allée à l’école jusqu’au certificat, et puis après, j’ai aidé mes parents à la ferme, tout en allant travailler également à l’extérieur. Je me suis mariée en 1952, et mon mari est décédé il y a deux ans. J’ai un fils de 48 ans qui gère maintenant le camping qui était celui de mes parents, et l’hiver, il est moniteur. […] A l’hôtel que nous avons géré à partir de 1950, On avait surtout une clientèle locale, et puis juillet-Août, on avait des estivants qui restaient en pension. En hiver, on avait aussi des ouvriers en séjour à cause des chantiers qui se faisaient autour. Ils logeaient et mangeaient chez nous. On ne prenait du personnel, deux serveuses et un plongeur uniquement pendant les deux mois d’été. Le nom de l’hôtel était « Beau Site », et le camping installé de l’autre côté de la voie ferrée, « Le Curtelet ». C’était du travail d’avoir à la fois sur les bras le camping et l’hôtel. A ce moment-là, on ne connaissait pas le surgelé, il fallait tout préparer, la friture, les légumes … Maintenant, quand je vois un camion de surgelé livrer un restaurant, je me dis « Y’a pas besoin de savoir faire la cuisine. » Au début, nous n’avions même pas de frigo, on nous livrait de gros pains de glace que l’on mettait dans la glacière installée à la cave. On mettait toute notre marchandise sur les pains de glace. Par la suite, on a eu le grand frigo. Je ne peux pas vous dire le nom, c’était une entreprise de Pont-de-Beauvoisin qui livrait les nombreux restaurants installés autour du lac. En matière de friture, nous servions surtout du perchot, la meilleure friture, mais en poisson meunière, c’est aussi la perche la meilleure. On se faisait livrer la friture trois fois par semaine par un gars de Conjux (lac du Bourget). Il livrait tous les restaurants. On avait aussi un marchand de légumes qui passait trois fois par semaine. J’avais mon mari qui braconnait un peu – un peu beaucoup – mais ça ne suffisait pas pour notre consommation. Si il m’entendait, il dirait « qu’est-ce que tu vas raconter ! ». Mais tous les gens du pays braconnaient. En tout, on avait 10 chambres, et pendant les deux mois, c’était bien complet. On avait des Lyonnais, des Parisiens. Les clients revenaient généralement d’une année à l’autre. […] Mais comme on était au bord du lac, dés que le travail était fini, le papa nous disait : « vous pouvez aller vous baigner maintenant » et par la même occasion, on se lavait au lac. Mon père nageait beaucoup, alors dés qu’il a pu, il nous a appris à nager, il n’y avait pas de maître-nageur. »
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Jean-louis Guicherd, sa femme et quelques-uns de ses enfants, vers 1910 |
Gilles Guicherd fils d’Isabelle Cambet au camping du Curtelet en 2014 |
Renée Bussard
« Je suis née 17 août 1926 à Ervay (?) et mes parents sont venus à Lépin, au château de Lépin où j’ai passé toute ma jeunesse. J’ai passé une jeunesse formidable jusqu’à la guerre. On nous a toujours appris à travailler, mais mes parents étaient très intelligents, ils nous faisaient faire le travail tout en jouant […] J’ai travaillé au Port, une fois par semaine, je lavais les verres chez madame Jean-Marie Duport. J’avais été très impressionnée, le colonel Girier qui avait une villa à Lépin – mais il était de Lyon. Il venait prendre son apéritif au Port avec un hydravion. J’avais 10 ans. Je me souviens aussi d’une grande kermesse. Il n’y avait pas beaucoup de distraction. Mes frères étaient montés au mat de cocagne, ils avaient presque tout gagné […] j’avais un frère qui était bricoleur dans l’âme, il avait fait un bob (bobsleigh, on allait sept dessus, et le soir, on descendait le "pré de la baronne". On faisait le bob la nuit, au clair de lune. Maintenant les jeunes diraient qu’il n’ avait là rien de bien intéressant, mais nous, ça nous suffisait. On s’amusait, on s’est jamais ennuyé. Il avait fabriqué un bob, il a aussi fabriqué une barque en bois avec de la toile dessus. Moi j’ suis jamais monté, mais eux, ils ont fait de la barque. […] Je me souviens aussi que j’avais été au moulin. J’étais partie en vélo avec une remorque de 100 kgs jusqu’à Nances. Arrivée vers Saint-Alban, la remorque n’a pas tenu le coup. Je me suis réfugiée dans une grange et je suis allée chercher des bœufs pour apporter mon grain au moulin, et puis deux jours après, j’allais chercher la farine en barque, ce qui était plus relax, mais le soir, si vous vous trouvez sur le lac et qu’il a du brouillard, eh bien, c’est pas tellement relax. On a tourné des heures, des heures, et encore, on nous faisait des signes avec la lampe, mais on le la voyait pas toujours, la lampe.[…] J’ai travaillé chez Veyzin, mais lorsque j’étais mariée. Toutes les années, on recevait les Compagnons de la Chanson, c’étaient des habitués. On a eu également Henri Salvador, Juliette Greco. Les compagnons de la Chanson venaient en famille. Ils étaient tous plus ou moins cousins entre eux. A l’époque où moi, j’ai travaillé, il n’y avait plus de lingère. Il y avait une femme qui venait laver, et nous, on se tapait tout. Ce n’est pas étonnant que tous les hôtels au bord du lac ferment. Ils gardent les restaurants, mais l’hotellerie revient trop cher. Les employés ne veulent plus faire ce que nous on faisait. Quand on faisait l’ouverture, on était seuls et on se débrouillait avec les clients. »
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Roger Grimonet est le petit fils de Jacques Grimonet, originaire de Saint-Alban mais qui exerçait la profession de serrurier à Lyon. Il est revenu au pays pour s’installer à son compte dans une ferme située au Sougey, à Saint-Alban. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les embarcations utilisées sur le lac d’Aiguebelette étaient des barques en bois à fond plat appelées "nâ". Jacques Grimonet construisit d’abord des bateaux en fer à fond plat, puis, à la demande des pêcheurs et des promeneurs, il fabrique des bateaux à quille, plus maniables et plus légers. En 1902, après de nombreuses recherches, il lança la première barque en tôle galvanisée sur le lac. Le souci de sécurité l’incita à aménager à l’avant et à l’arrière des caissons d’air intégrés jouant le rôle de flotteurs de façon à rendre les embarcations insubmersibles 69
« Je suis né en 1931 à Chambéry, mais en fait, ma mère est juste allée accoucher à Chambéry et j’ai passé toute ma vie à Saint-Alban de Montbel. Mon père, mon grand-père et mon oncle, tous trois étaient serruriers. Je vois encore ce grand feu sur la forge, le bruit du marteau sur l’enclume et les étincelles qui jaillissaient du fer chauffé à blanc. Plus tard, à ce métier de serrurier s’est ajoutée la fabrication de barques métalliques inventée par mon grand-père. Mon grand-père a été sollicité par beaucoup de riverains pour fabriquer des barques à fond plat pour aller sur la rive est afin de transporter soit du bois, des pierres ou du foin. C’était le cas chez nous, on avait un pré et on transportait le foin sur les barques. Ces barques étaient munies de deux caissons étanches, un à l’avant, un à l’arrière, ce qui les rendaient insubmersibles. Pour transporter du foin, on attachait trois barques les unes à coté des autres, et on allait porter du foin sur l’autre rive où habitait Michelon qui avait une paire de bœufs. Il venait nous chercher le foin qu’on chargeait sur son chariot. C’est une opération qu’on faisait toujours le matin quand il n’y avait pas de vent. Pour le retour, deux rameurs se plaçaient chacun avec une rame sur les barques extérieures Par la suite, mes parents se sont lancés dans la fabrication de bateaux à quilles, de plusieurs dimensions, mais toujours insubmersibles. Elles étaient destinées à la pêche, la promenade ou la location. Mes parents travaillaient surtout l’hiver pour faire les barques […] Tout ce travail était fait à la main, ils n’avaient pas de machine […] Ils arrivaient à en faire plus d’une douzaine par hiver. Ils faisaient tout, y compris les mains courantes, les planchers, la peinture. L’été était réservé aux travaux de la ferme. Mon grand-père qui n’a été à l’école que jusqu’à dix ans n ‘était pas instruit, mais il savait tout faire de ses mains, il travaillait aussi bien le bois que le fer. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour lui. La fabrication des barques a commencé en 1902 et s’est terminée en 1947. Pendant la guerre, on ne trouvait plus de matériaux, et ensuite, il y a eu le décès de mon père et de mon oncle. J’ai gardé la dernière des barques fabriquée en 1947, et elle circule encore. Beaucoup ont plus de 70 ans et circulent encore. Elles sont très appréciées par les pêcheurs de lavarets. Les barques en plastiques demandent moins d’entretien, mais sont trop légères pour avoir une bonne stabilité. Les tôles et toute la ferraille arrivaient par le train à la gare de Lépin. On allait les chercher avec les bœufs. Ces barques ne devaient pas être vendues très cher, car beaucoup d’acheteurs n’avaient pas de gros revenus. » [Par la suite, comme beaucoup d’autres, Roger Grimonet se lance dans le production de pommes] « Lorsque les pommes ne se sont plus vendues pour compenser le manque à gagner, j’ai créé un petit camping [...] Au début, on n’avait pas de tondeuses, les campeurs se promenaient en bottes [...] Ça nous a apporté de l’ouverture. Connaissance du monde ouvrier qui arrivaient le vendredi soir et partaient le dimanche soir [...] Oui, on braconnait je peux pas dire qu’on piratait, on pouvait pas le conserver [Pour le conserver un peu, on les mettait dans des orties ...] »
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Georgette Grimonet a passé son enfance près du lac, à Saint-Alban, mais s’en est éloignée tout en restant à Saint-Alban lorsqu’elle s’est mariée
« Je suis née à Saint-Alban en 1928 [...] En été, quand l’eau manquait au lavoir, mon mari me descendait et j’allais rincer la lessive au lac avec un bateau. C’est ce que je faisais déjà quand j’étais jeune. Mon grand-père nous avait fait un radeau avec un fagot de jonc, on montait dessus et c’est comme ça que j’ai appris à nager. Le lac nous servait de baignoire, au moins l’été. Mes parents ne se sont jamais inquiétés de nous savoir au bord du lac. Mon père faisait des réparations de bateau, et il nous donnait un bateau pour pouvoir livrer de l’autre côté du lac. Une fois qu’il y avait du brouillard, nous nous sommes retrouvés à Lépin. »
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A chaque fois que l’on évoque un moment ou un type de jouissance du lac se profile la question de savoir comment cette jouissance se négocie, que ce soit dans le cadre juridique du féodalisme ou dans le cadre d’une économie de marché dominé par le droit de la propriété.
Nous avons vu ainsi qu’au XIVe siècle, le seigneur d’Aiguebelette accordait aux habitants de Lépin le droit de pêche sous réserve qu’ils pêchent le jeudi de chaque semaine pour le dit seigneur et les siens. Nous avons vu également que les habitants des communes riveraines avaient obtenu de ne rien payer aux ayant-droits pour un certain nombre de services tels que le rouissage du chanvre, l’abreuvage du bétail, le prélèvement de sable et probablement la circulation sur le lac. Nous avons vu également le très faible montant que Costa de Beauregard a déboursé pour acheter le lac à l’État sarde, 9500 livres, ce qui implique très certainement qu’en temps qu’en tant que fermier général du lac, il ne pouvait générer que 500 livres de redevances sur la pêche, soit 300 journées de travailleur agricole. Nous avons aussi laissé quelques zones d’ombre, comme la contrepartie des nuisances occasionnées par l’exploitation de l’hydroélectricité.
Il faut avoir en tête que le prix de la jouissance peut être conditionné par la rareté, mais qu’il est surtout déterminé par les capacités de recouvrement. Autrefois, la nécessité pour le monde rural de se procurer qu sel permettait d’instaurer la gabelle. Ces dernières décennies, la taxation des produits pétroliers offrait une opportunité pour la puissance publique de drainer une partie importante de l’impôt. Le citadin qui vient passer une journée au bord du lac paiera un ticket d’entrée pour accéder à une plage ou pour louer un canoë-kayak, mais le randonneur parvenu depuis Vimines au Mont-Grêle jouira de la vue sans débourser un kopeck.
Ces considérations générales étant faites, il est intéressant de voir comment la CCLA parvient à solvabiliser la jouissance du lac.
Recettes CCLA 2023 dans la section "Lac et environnement"70 |
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Locations anneaux aux ports |
39 829 |
Navigation |
119 761 |
Occupation du lac (camping, plages, garages à bateaux) |
44 633 |
Location base aviron |
18 845 |
Bail de pêche |
5 269 |
Total recettes CCLA hors RNR |
228 338 |
Ce tableau ne concerne que les produits de jouissance prélevés par la CCLA. On ne s’étonnera pas que les taxes sur les embarcations (anneaux et navigation), gérées directement par la CCLA représentent le plus gros postes. Néanmoins, ce poste reflète aussi l’envolée du nombre des nouvelles embarcations (paddle, canoë-kayak) depuis 201071. Les simples baigneurs rapportent moins à la CCLA parce qu’ils sont majoritairement gérés par les établissements balnéaires. 200000 entrées payantes, cela fait un chiffre d’affaires d’au moins 300 k€ qu’il faudrait analyser à la lumière des différents budgets communaux.
De la même façon, le prix payés par les pêcheurs n’apparait dans le tableau que sous la forme du bail payé par l’AAPPMA à la CCLA. Je n’ai pas sous les yeux le total des montants des permis de pêche, mais ce revenu reste très majoritairement dans l’AAPPMA qui gère les grosses dépenses de pisciculture .
Pour réaliser cette petite synthèse sur un sujet qui ne m’était pas totalement étranger, mais vis-à-vis duquel j’étais très ignorant, j’ai abondamment puisé dans les travaux d’un certain nombre d’érudits locaux, en particulier Gérard Bellemin, Jean-Charles Marcel et le regretté Jacques Couttaz. Tous trois avaient collaboré au très beau projet des 1000 ans d’histoire de l’avant-pays savoyard, dans lequel Jean-Charles Marcel avait écrit l’article lac d’Aiguebelette dont certaines sections répondaient si exactement à mon questionnement que je les ai intégralement reprises. Fin connaisseur des archives, Gérard Bellemin m’a communiqué un certain nombre de documents qu’il n’avait pas exploité. J’ai également largement puisé dans l’article Saint-Alban de Françoise et Michel Mermet et Gisèle Noel-Lardin.
Grâce à la disponibilité de Pascal Burei, président de l’AAPPMA, j’ai pu avoir accès aux archives de la société de pêche depuis ses origines
Une grande partie des photographies figurant dans ce document proviennent de l’exceptionnelle collection de cartes postales de Jacques Couttaz versées aux archives départementales, mais dont Christian Randon assure provisoirement la conservation numérique.
Un remerciement spécial à Michel Perrier-Gustin qui connaît tellement de choses sur l’histoire des familles des communes riveraines et sur l’histoire locale tout court que je ne manque jamais de faire appel à sa science pour satisfaire ma curiosité.
Je remercie enfin Michel Vagnoux et le bureau de la FAPLA qui en me demandant de faire cette présentation m’ont amené à réduire le périmètre de mon ignorance, sans oublier Véronique Beauvais, conservatrice de la réserve naturelle qui a mis à notre disposition la salle de la maison du lac.
La copie de ce procès-verbal de la commune de Lépin m’a été communiquée par Michel Perrier-Gustin en 2023
« L’an 1836, 9 mars, à Lépin, dans la salle consulaire, le conseil de la commune de Lépin composé des sieurs César Magnin, syndic, Joseph Guicherd, Nicolas Merle, autres noms illisibles, assemblé par-devant le secrétaire soussigné pour déliberer sur le soin et la nécessité pour la localité d’établir au chef-lieu de Lépin une hôtellerie où les voyageurs qui passent pr la montagne d’Aiguebelette puissent loger à pied et à cheval lorsque quelque circonstance les obligent de s’y arrêter. Vu le règlement annexé aux royales patentes du 8 décembre 1818 Considérant qu’il y a un besoin et une nécessité incontestable qu’une hôtellerie soit établie dans le chef-lieu de Lépin pour loger à pied et à cheval et pour fournir aux étrangers qui passent sans cesse, les secours et le logement qu’ils sont souvent dans le cas de réclamer. Considérant que ce chef-lieu de la commune situé aux bords du lac est plus fréquenté qu’aucun autre chef-lieu des communes voisines, soit à cause du port du lac et de la grande route communale qui le traverse, soit à cause que la résidence d’un notaire y a été fixée et chez lequel des étrangers sont parfois retenus jusque dans la nuit ; alors ils ont besoin de coucher surtout lorsque le mauvais temps ou l’obscurité empêchent de circuler Considérant enfin qu’il vaudrait mieux supprimer un mauvais cabaret que de refuser l’établissement d’une hôtellerie si l’un était un obstacle pour l’établissement de l’autre. Les permissions délivrées aux cabaretiers n’étant valables que pour une année, l’autorité rentre au bour de ce terme dans la faculté d’accorder les permissions ou de les refuser à qui bon lui semble, puisqu’elle n’est jamais liée pour plus d’une nnée (article 10 du règlement précité. Par ces motifs : Le conseil est d’avis que le syndic de cette commune s’empresse d’accueillir l’occasion favorable qui se présentera ou se présente pour l’établissement de cette hôtellerie et de faire tout ce qui est de sa compétence pour seconder les projets que l’autorité trouvera bien légitimes, attendu que les questions de police restent dans ses attributions et dans celles des officiers supérieurs de police. Le syndic ayant fait connaître au conseil que le Sr Henri Mollard se présente pour être admis à exercer la profession d’hotellier dans sa maison au chef-lieu, et ayant demandé s’il y aurait quelque motif de lui refuser les certificats nécesaires, le conseil a répondu qu’il ne s’oppose point à ce que la demande du sieur Mollard soit accueillie autant favorablement que possible. Ainsi délibéré pour qu’une expédition de la présente soit délivrée à celui qui l’exigera Signature de César Magnin et Joseph Guicherd et marque de Nicolas Merle. Le secrétaire de Lépin signature Burdin »
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Texte écrit de la main de l’historien Paul Guichonnet et aimablement communiqué par Gérard Bellemin
Champigny par Chinon (Indre-et-Loire) 18 nbre 1856 Mon cher Camille, Je vous prie de donner des ordres pour que Mr Laracine soit autorisé à passer avec mon représentant l’acte de cession des droits du gouvernement sur le lac d’Aiguebelette, aux conditions convenues. J’espérais pouvoir présenter à l’intendant général des domaines Chev[alier] Prato, les conventions entre les communes et moi, mais sur les 3 conseils intéressés, Lépin, St Alban et Aiguebelette, le premier a repoussé mes offres, tout en les reconnaissant très avantageuses. Je vais dons régler mes affaires avec les deux autres, les désintéresser largement, et reprendre avec vigueur, contre Lépin, le procès que soutenait le gouvernement. Aussi, pour cela, il faut que je sois propriétaire de ses droits. Veuillez donc, cher ami, me mettre au plus t^t dans cette position, si vous êtes dans le cas de soumettre aux chambres cette aliénation. Je pense qu’elles ne nous chercheront pas noise, puisque le fait de Lépin prouve que cette commune a refusé des offres très avantageuses pour suivre le procès. C’est preuve qu’elle a confiance dans son issue et que, par conséquent, la partie des finances était mauvaise. Le parti que vous avez pris était donc le meilleur, dans leur intérêt. On m’assure qu’une adresse du conseil de Lépin vous a été expédiée, tendant à établir que la cession des droits du gouvernement avait été faite à trop bon marché et qu’il se serait trouvé des gens qui auraient fait aux Finances un parti meilleur. Si le fait est vrai, ce serait une singulière logique de la part d’un conseil qui refuse de transiger avec l’acquéreur des droits du gouvernement, tant il se croit sûr d’en prouver illégitimité. Mon régisseur me mande que cette petite intrigue a été montée par le fils de notre éloquent collègue Chambost et un sien ami qui perdent avec regret, par ma possession, la chasse et le pêche du lac. Quoi qu’il en soit, mon cher Camille, c’est à moi à me tirer d’affaire, à mes périls et risques, suivant nos conventions. Vendez et recevez au plus tôt les 9500 livres que je vous dois, c’est tout ce que je vous demande.
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Par devant Me Mathieu Mareschal et son collègue à Chambéry (Savoie), soussigné, a comparu Monsieur Marie Charles-Albert marquis Costa de Beauregard membre du conseil général demeurant à Chambéry, agissant tant en son nom personnel que comme le faisant et portant fort de ses frères et sœurs Monsieur Josselin Marie Victor Comte Costa de Beauregard Mosieur Armand Henri-Marie-Olivier Comte Costa, attaché d’ambassade Monsieur Gabriel-Marie-Paul Comte Costa, lieutenant de vaisseau, chevalier de la légion d’honneur Monsieur l’abbé Camille-Marie Jean-Baptiste Costa Madame Félicie Marie-Louise Costa, marquise de Prunelé Mademoiselle Alix Fernand-Marie Costa Monsieur Olivier Marie Albert joseph Costa Mademoiselle Marie-Antoinette Stéphanie Charlotte Costa Tous domiciliés à Chambéry, habiles à se dire et porter héritiers chacun pour un neuvième de Monsieure le Marquis Pantaléon Costa de Beauregard leur père Lequel par ces présentes ??d’irrévocablement et avec les garanties de fait et de droits. A MonsieurTancrède de Chambost, Comte de Lépin, propriétaire demeurant à Chambéry ici présent… La générosité des biens immeubles situées en les communes de Lépin, Aiguebelette et Saint-Alban de Montbel appartenant à la succession de Monsieur le Marquis Pantaléon Costa de Beauregard en quoiqu’ils consistent et puissent consister, composés de champs, près, bois, broussailles, terres vaines, lac, cours et bâtiments, ?lages Ainsi que ces divers biens se poursuivent et comportent, tels que les héritiers de Monsieur la Marquis Pantaléon Costa de Beauregard ont droit de les posséder sans réserves ni exceptions Les biens compris dans cette tente sont parvenus à Monsieur le Marquis de Costa par divers actes et proviennent notamment 1° d’une acquisition faite du directeur Général du Domaine par acte du 18 juillet 1857, Bargacelle , notaire insinué à Turin. 2° d’une acquisition faite de la commune d’Aiguebelette par acte du 19 mai 1857, Valentin notaire insinué au Pont-de-Beauvoisin. 3° d’une acquisition faite de la commune de St Alban de Montbel par acte du 16 juillet1857même notaire insinué même lieu 4° D’une acquisition faite de Sieur Antoine Frandin et dame Jacqueline Bourbon de St Alban de Montbel par acte du 30 juillet 1860 au même notaire enregistré à Pont-de-Beauvoisin. 5° D’un acte d’échange passé entre M le Marquis Pantaléon Costa de Beauregard et M. le Comte Tancrède de Chambost en date du 7 mars1863 Vigniet notaire enregistré à Chambéry. 6° d’une acquisition faite de la commune de St Alban de Montbel par acte du 29 avril 1863, Valentin notaire enregistré au Pont de Beauvoisin 7° d’une acquisition faite des frères Claude et Jean Grimonet de St Alban de Montbel par acte du 10 août 1864 même notaire enregistré au même lieu 8° d’une acquisition faite de Antoine Brison de St Alban de Montbel par acte du 10 août 1864 Valentin notaire enregistré au même lieu 9° d’un acte d’échange passé entre M le Marquis Pantaléon Costa de Beauregard et Joseph Guicherd-Camelot de St Alban de Montbel du 10 août 1864 Valentin notaire enregistré au Pont de Beauvoisin Monsieur le Comte de Chambost est en possession de tous ces biens à lui vendus et s’en contente Il est mis en tous les lieux, droits et plans des héritiers de Monsieur le Marquis Pantaléon de Costa pour jouir desdits biens comme ceux-ci avaient droit de la faire sous les clauses, charges et conditions portées aux actes d’acquisition ci-devant énoncés avec réserve des droits des tiers sur le lac qui seraient légalement justifiés. Monsieur de Chambost souffrira les servitudes apparentes ou occultes qui peuvent grever ces biens et profitera de celles actives s’il en existe, sans recours contre le vendeur. La présente vente est faite pour le prix convenu de quarante cinq mille francs que Monsieur le marquis Costa de Beauregard déclare avoir antérieurement reçu de Monsieur le Comte de Chambost dont quittance. Tous les titres de propriété ci-devant énoncés et toutes les pièces et dossiers relatifs à ces biens vendusont été remis par Monsieur le Marquis Costa de Beauregard à M. le Comte de Chambost. Pour l’exécution des présentes les parties font élection de domicile en leur personne et Demeure Dont acte Fait et passé à Chambéry en l’étude de Me Mareschal l’an 1866 22 novembre. Après lecture les comparants ont signé avec les notaires
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1Villa de Monsieur Arpel dans le film Mon oncle de Jacques Tati (1958)
2Gérard Bellemin, article Nances, dans 1000 ans d’histoire de la Savoie, Avant-Pays savoyard, Neva éditions 2015. Voir aussi Yvonne Coudurier, Le lac d’Aiguebelette, 1986
3Voir mon site internet http://siteedc.edechambost.net/Aiguebelette/Palafittes_Aiguebelette.html
4Communication orale de Sébastien Nieloud-Muller, 1er novembre 2023.
5http://siteedc.edechambost.net/Aiguebelette/Palafittes_Aiguebelette_2.html#__RefHeading__4000_1322062565 et http://siteedc.edechambost.net/Aiguebelette/Legende_du_dieu_Bel_a_Aiguebelette.html
6Sébastien Nieloud-Muller et al. L’environnement des îles du lac d’Aiguebelette, Rapport de prospection thématique, Campagne 2022, Avril 2023, p.147
7Françoise et Michel Mermet et Gisèle Noël-Lardin, article Saint-Alban de Montbel dans 1000 ans d’histoire de la Savoie, Avant-Pays savoyard, Neva éditions 2015, p.629
8 Ancien établissement de jésuite devenu « Collège royal » en 1729, puis « École centrale de Chambéry » pendant la première annexion française et finalement Lycée Vaugelas.
9Jean-Charles Marcel, article Lac d’Aiguebelette, dans 1000 ans d’histoire de la Savoie, Avant-Pays savoyard, Neva éditions 2015.
10Paul Guichonnet, Nouvelle histoire de la Savoie, éditions Privat, 1996, p.278
11Voir en annexe l’acte de vente du lac du 22 novembre 1866 auprès de Me Mareschal, notaire à Saint-Genix-sur-Guiers.
12Jean-Charles Marcel, article Le Lac d’Aiguebelette, dans op. cit.
13Jacques Couttaz, article Aiguebelette dans 1000 ans d’histoire de la Savoie, Avant-Pays savoyard, Neva éditions 2015, pp.25-26
14Gérard Bellemin, article Lépin dans op. Cit., p.417
15Voir en annexe le texte complet de cette lettre du 18/11/1856
16Jacques Couttaz, op. Cit., p.25-26
17Voir la généalogie des Costa de Beauregard
https://gw.geneanet.org/pierfit?lang=fr&p=louis&n=costa+de+beauregard&oc=1
18Tous ces éléments m’ont été communiqués par Gérard Bellemin en 2017.
19A ce stade, je dois déclarer mon conflit d’intérêt : je suis l’arrière-petit-fils du Comte Tancrède de Chambost de Lépin.
20Emmanuel de Chambost, Les Chambost à Lépin, 2016
21Emmanuel de Chambost, op.cit.
22Maurice Messiez, La Combe de Savoie autrefois, La Fontaine de Siloë, 1995.
23Jean-Charles Marcel, article Lac d’Aiguebelette, op. cit.
24Jean-Charles Marcel, article Lac d’Aiguebelette, op. cit.
25Gérard Bellemin, article Lépin, op. cit., p.415
26Gérard Bellemin, article Lépin, op. cit., p.416
27Bellemin, article Lépin.
28Voir en annexe le CR du conseil de la commune de Lépin du 9 mars 1836.
29note EdC : Je ne suis pas absolument certain qu’entre 1836 et 1878 aucun autre hôtel n’ait été construit autour du lac
30Communication de Michel Perrier-Gustin, mai 2024
31Couttaz, article Aiguebelette-le-lac.
32Yvonne Coudurier, Le lac d’Aiguebelette, 1986, pp. 14-15
33Jean Maret et Michel Tissut, L’aventure des tuiliers en Avant-Pays savoyard, FAPLA, 2008, p. 77, information donnée par Michel Perrier-Gustin, mai 2024
34Michel Perrier-Gustin
35Couttaz, article Aiguebelette-le-lac
36Bellemin, article Lépin-le-lac.
37Pour une promenade autour du lac avec présentation de toutes ces maisons, on lira avec intérêt Yvonne Coudurier, Le Lac d’Aiguebelette, 1986.
38Coudurier op. cit., pp.14-15
39L’article wikipedia mentionne à son sujet un livre de Jacques Pillet, Charpenay, banquier de la houille blanche, 2000, livre que je n’ai pas lu.
40Voir le témoignage d’Alain Cartier-Millon aux « écoutes patrimoniales » de 2004.
41Jacques Couttaz, op. cit. p.29 ; Témoignage d’Alain Cartier-Millon, écoutes patrimoniales, 2004.
42Couttaz, article Aiguebelette, op. cit.
43Wikipedia qui cite Bernard Bligny, Histoire du Dauphiné, Privat, 1973 p.380
44Archives de l’AAPPMA
45Biographie de Lucien Girier https://s7a6a4393a0324a30.jimcontent.com/download/version/1488310307/module/6252627651/name/gal-girier.pdf
46Toutes ces informations proviennent des livres de comptes de la société de pêche sauvegardées dans les archives de l’AAPPMA.
47Assemblée générale de juillet 1933
48Émile Dauphin, Aiguebelette, lac tranquille, scènes de pêche dans ce cadre idéal, texte dactylographié de 113 pages écrit entre 1933 et 1936 et communiqué par sa petite fille Marie-José Nier.
49Faucarder = faucher avec un faucard les plantes aquatiques.
50Petit poisson coloré et énergique.
51Emmanuel de Chambost, Claude Burdin, enfant de Lépin et père de la turbine,
http://siteedc.edechambost.net/Aiguebelette/Claude_Burdin_Turbine.html
52Christiane Combaz, article La Bridoire dans 1000 ans d’histoire de la Savoie, Avant-Pays savoyard, 1000 ans d’histoire de la Savoie, Avant-Pays savoyard, p.157
53Jean-Charles Marcel, article Lac d’Aiguebelette, op. cit.
54A la découverte du passé de La Bridoire, Le Tiers et l’électricité, n°6, octobre 1996.
55En mai 2024, je n’ai pas lu cette édition 1980 de l’Almanach du Vieux Saoyard.
56Françoise et Michel Mermet et Gisèle Noël-Lardin, article Saint-Alban de Montbel dans 1000 ans d’histoire de la Savoie, Avant-Pays savoyard, Neva éditions 2015, p.636
57Emmanuel de Chambost, Les Chambost à Lépin, 2016
58Témoignage de François Duport-Caille, Écoutes patrimoniales, 2004
59Couttaz, op.cit. p.31
60Réserve naturelle Régionale Lac d’Aiguebelette, Plan de gestion 2024-2026, Tome 1 : Diagnostic, Document de 281 pages, marqué par les logos de la CCLA et du conservatoire d’espaces naturels de la Savoie, p.196
61Réserve naturelle Régionale Lac d’Aiguebelette, Plan de gestion 2024-2026, Tome 1 : Diagnostic, Document de 281 pages, marqué par les logos de la CCLA et du conservatoire d’espaces naturels de la Savoie
62Réserve naturelle Régionale Lac d’Aiguebelette, Plan de gestion 2024-2026, Tome 1 : Diagnostic, p.209
63Jean-Charles Marcel, Le Lac d’Aiguebelette, dans 1000 ans d’histoire de la Savoie, Avant-Pays savoyard, pp. 980-991
64Yvonne Coudurier, le lac d’Aiguebelette, p.3 et p.64.
65Erwan Messager et al. Two Millennia of Complexity and Variability in a Perialpine Socioecological System (Savoie, France): The Contribution of Palynology and sedaDNA Analysis, Front. Ecol. Evol.Vol 10-2022
66Erwan Messager et al, article cité.
67Jean Maret et Michel Tissu, L’aventure des tuiliers en avant-pays savoyard, Fapla, 2008, p.75
68Perlette de Chambost, Journal (1944-1945), édité en 2023
69Françoise et Michel Mermet et Gisèle Noël-Lardin, article Saint-Alban de Montbel dans 1000 ans d’histoire de la Savoie, Avant-Pays savoyard, Neva éditions 2015, p.629
70Remerciements à Stéphanie Waldvogel pour la communication de ces chiffres
71Voir plus haut la section § État des lieux 2023
72Cette copie d’acte notarié m’a été communiquée par Gérard Bellemin le 21/10/2017